Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Extrême droite - Page 3

  • Une menace nommée Marine

    Elle monte, elle monte. Où s'arrêtera-t-elle? Marine Le Pen, la (probable) future présidente du Front national, eMarine_Le_Pen.jpgst l'étoile montante de la politique française. Elle affole les instituts de sondage, s'en prend aux musulmans, provoque une tempête médiatico-politique en comparant les prières musulmanes dans la rue à l'Occupation. Alors que le gouvernement peine à répondre aux attentes d'un pays fébrile, alors que le PS commence à replonger dans les délices de la guerre des ego (lire le post du 30 novembre), la fille Le Pen donne, qu'on le veuille ou non, un souffle nouveau. Bien entendu, elle n'est pas l'hirondelle qui annonce le renouveau de la démocratie car, qu'elle le veuille ou non, elle est en phase avec la tradition xénophobe et populiste de l'extrême droite. Simplement, elle renouvelle profondément la façon de se présenter aux citoyens et élargit la thématique du FN. De quoi séduire un nouvel électorat, plus jeune, plus féminin, moins idéologue, désorienté par le naufrage du sarkozysme et l'ankylose de la gauche.

    Le 6 décembre, sur France 2, dans l'émission d'Arlette Chabot, elle a crevé l'écran. Face dati.jpgà une Rachida Dati, timorée et peu convaincante dans son éloge de la politique du président de la République, elle incarnait une voie populaire décomplexée. L'enfant de l'immigration maghrébine apparaissait, avec son apparence stricte et ses lèvres rouge vif, comme la représentante de l'establishment alors que la fille du tribun richissime de l'extrême droite, peu maquillée et souriante, faisait fille du peuple, cool comme on dit aujourd'hui. La télé fabrique de l'image et cette inversion des symboles entre « Rachida » et « Marine » est absolument terrible car elle est porteuse d'un brouillage de repères dans un monde qui en manque déjà cruellement.

    L'attraction pour Marine Le Pen n'est pas qu'une question d'image ; elle s'explique aussi par un élargissement des thématiques. Elle rompt, d'une certaine manière, avec les tabous de son père. Lequel s'en prenait avec véhémence à l'oligarchie économique (sous-entendu juive et franc-maçonne) mais se gardait de soutenir toute revendication sociale. Venu à la politique par le poujadisme, il était résolument dans le camp des petits entrepreneurs, des commerçants et des artisans qui dénonce le matraquage fiscal de l'Etat et le poids des syndicats, de la CGT en premier lieu. Sa fille a compris que dans une société où le salariat est largement dominant, l'accession au pouvoir n'est pas possible en se mettant à dos la grosse majorité de celui-ci. Voilà pourquoi elle s'est prononcée contre la réforme des retraites mise en œuvre par le gouvernement, la jugeant injuste. "Mais, vous avez un discours de gauche", s'est exclamé Arlette Chabot. Justement, son pari est de troubler la ligne de partage droite-gauche pour rassembler tous les déçus des deux camps.

    Voilà pourquoi elle défend avec vigueur une sortie de la France de la zone euro. Ce dernier point devrait permettre au FN d'engranger de nouveaux soutiens en raison d'une situation économique dégradée et qui échappe, semble-t-il, aux dirigeants de ladite zone. Qu'observe, en effet, l'électeur lambda? Au printemps, il constate que la Grèce est en situation de cessation de paiements et soumise à un remède de cheval. Il peut se dire que ces Grecs n'ont pas été très sérieux avec leurs finances, tout méditerranéens qu'ils sont. Et puis, il entend le discours rassurant des grands de ce monde selon lequel l'incendie est maîtrisé. Six mois plus tard, l'Irlande, ce dragon celtique aux taux de croissance insolents, est dans une situation voisine. Là encore, même remède, même méthode Coué, mais l'opinion publique n'y croit plus. Elle pense qu'on lui ment, que sont inscrits sur la liste les prochaines victimes de la zone euro, l'Espagne, le Portugal et qui sait la France.

    Dans ce contexte, il est tentant de penser que c'était bien mieux avant, qu'avec notre franc, au moins, on maîtrisait les choses et qu'on pouvait dévaluer quand bon nous semblait. Les choses sont évidemment plus compliquées, mais comme elles le sont, un discours simpliste a toutes les chances d'être entendu. En face, les défenseurs du maintien dans la zone euro sont à la peine car ils savent que la situation monétaire est instable, que l'Union européenne manque d'une vraie coordination et que d'autres pays pourraient souffrir de l'orthodoxie libérale. C'est quand le politique est nu, que les outils politiques sont totalement insuffisants ou inopérants pour réguler un tant soi peu la machine économique que les discours populistes de tout poil séduisent.

    Il ne faut pas demander à Marine Le Pen de renier son fonds de commerce familial; il faut demander à la classe politique républicaine de retrouver un discours crédible et une action cohérente avec celui-ci. Sinon, le porte-drapeau de l'extrême droite new look pourrait sérieusement troubler le jeu en 2012 en arrivant à la troisième place, voire à la seconde.

  • Les musulmans pris en sandwich

    Le pique-nique baptisé « saucisson et pinard » n'aura pas lieu le 18 juin à la Goutte d'Or. Sous ce vocable inpique-nique 18 juin.jpgnocent, rappelant la mode des pique-nique géants initiés à partir de Facebook, se cachait une manœuvre conjointe des courants les plus anti-musulmans de notre pays, à savoir les ultra-laïcards, étiquetés à gauche, pour lesquels toute manifestation de la religion mine les fondements de la République, et les « identitaires », placés à l'extrême droite, pour qui la France doit rester blanche et conserver son vieux fond judéo-chrétien (quoique judéo, ils n'aiment pas trop), mâtiné de paganisme. Que ces deux courants, apparemment opposés, se rejoignent pour une initiative excluant tous ceux qui ne mangent pas de porc (les musulmans et... les juifs) en dit long sur l'état de désorientation idéologique de notre pays. Comment est-il possible que les défenseurs des droits de l'individu, se réclamant du féminisme, puissent cohabiter avec les tenants d'un nationalisme forcené qui fleure bon la haine de toutes les institutions (il faut se rappeler que la personne qui avait attenté à la vie du président Chirac se réclamait de ce courant)?

    Pour comprendre ce micro-événement, il faut essayer de le replacer dans un contexte plus large et convoquer l'histoire récente de notre pays. Depuis l'affaire du foulard en 1989 (on pourrait remonter à 1982-1983 avec les remarques du Premier ministre Pierre Mauroy sur l'influence de la religion musulmane lors du long conflit chez Citroën), la religion musulmane fait figure d'épouvantail régulier face à toutes les difficultés qu'éprouvent la société française.

    L'école ne va pas bien, ne jouant plus son rôle d'ascenseur social? Au lieu de s'interroger sur l'uniformité du modèle de réussite (avec la dévalorisation persistante des métiers manuels), sur le mode de formation des enseignants, sur la taille des établissements, que sais-je encore, on repère quelques gamines qui ont le toupet de mettre un fichu sur la tête et d'invoquer Allah dans des choix qui relèvent autant de la crise d'adolescence. L'école ne marche plus parce que certains ne jouent plus le jeu de la laïcité, préférant les délices du communautarisme. On oublie un peu vite que ces gamines légèrement effrontées, éventuellement manipulées (mais ce n'est pas prouvé) réussissaient généralement bien à l'école et que les écoles confessionnelles musulmanes restent très marginales. Mais voilà, c'est tout de même plus simple de désigner quelques moutons noirs que d'engager une vraie réflexion sur les finalités de l'école et son organisation (par exemple sur le samedi matin et ses grandes vacances conçues pour plaire au lobby du tourisme).

    Autre exemple: l'explosion des banlieues à l'automne 2005. Certains, y compris dans les rangs d'une police toujours aussi pertinente, ont cru y voir l'influence de courants fondamentalistes musulmans qui feraient leur beurre du chaos ambiant. Les quelques enquêtes sérieuses (étonnamment rares) qu'on a pu lire ici ou là montrent qu'il n'en est rien et que la plupart des très jeunes émeutiers, s'ils étaient souvent de culture musulmane, n'avaient pas de discours religieux, ni de pratique très établie. On notera d'ailleurs qu'un quartier islamisé comme le serait la Goutte d'Or, à écouter les promoteurs du pique-nique pinard-saucifflard, a été totalement épargné par les troubles. Faire un écran de fumée sur les dangereux islamistes a facilité le travail d'enterrement des problèmes des banlieues que tout le monde connaît bien – enclavement, chômage massif, entassement des « perdants » de la société, délabrement des services publics... - mais que personne n'affronte avec détermination et moyens adéquats.

    On pourrait multiplier les exemples et se demander, par exemple, si la polarisation sur la femme musulmane victime aussi bien là-bas (en Algérie, en Afghanistan, etc) qu'ici n'est pas un moyen d'évacuer la profondeur des inégalités hommes-femmes dans l'entreprise, la vie culturelle ou médiatique (combien de femmes PDG de journaux, de radios ou de chaînes de télé?) et bien sûr en politique. Le niqab qu'une loi française entend éradiquer sur notre hexagone n'est évidemment pas le signe d'un affranchissement de la femme, mais qui peut croire que son éventuelle extinction serait une bonne nouvelle pour les millions de femmes qui élèvent seules leurs enfants, se débrouillant avec des salaires de misères et des horaires de bagnards? Nos féministes parisiennes (faut-il donner des noms?), si proFourest.jpgmptes à railler la misogynie - parfois réelle - des leaders musulmans, sont-elles prêtes à partir en guerre contre les conditions de vie carrément misérables de ces femmes sans visage? Pour une Florence Aubenas, prenant la peine de s'arrêter pendant plusieurs mois pour vivre ce quotidien, combien de Caroline Fourest (ça y'est, j'ai donné des noms...) écrivant des éditos enflammés et des livres approximatifs, donnant des leçons à la terre entière sans franchir le périph' parisien?

    Quelques années plus tard, nous en sommes là, avec la convergence de courants historiquement antagonistes sur la base d'une haine des musulmans. On peut ainsi lire sur le site de Riposte laïque cette comparaison hallucinante : « Nous devons être unis et construire un front large anti islamique, comme nos ainés l’ont fait contre l’occupant nazi, au sein de la résistance. » Avec la date retenue du 18 juin, voilà le général de Gaulle, courageux résistant au lâche défaitisme du pétainisme de 1940, confisqué pour bouter la menace islamiste et retrouver la France des églises. Si des franges non négligeables de la population française, désorientées par l'absence d'horizon que dégagent la plupart des responsables politiques, ne croyaient pas à cette menace, même floue, on pourrait sourire d'une telle récupération grotesque!

    Difficile de sourire pourtant quand des courants ultra-minoritaires arrivent à créer un mouvement de panique au plus haut sommet, quand les pyromanes - telle la dénommée Fourest – condamnent une initiative qu'ils ont pourtant involontairement légitimée en insistant sur les menaces sur la laïcité que ferait courir un certain islam. Difficile de sourire enfin quand on sait qu'interviendra d'ici peu un autre épisode de la haine ordinaire des musulmans de France. Notre pays est-il capable de fonctionner autrement que par la stigmatisation d'un groupe faible numériquement et en termes de pouvoir ?