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Cinéma

  • Cinéma : Pater ou la politique mise à nu

    En cette période faussement estivale où les politiques vont entamer de (courtes) vacances,Alain Cavalié, Vincent Lindon, mitterrand, sarkozy ils auraient tout intérêt à se précipiter dans une salle obscure pour voir Pater (à tout hasard, je leur conseillerai également Une séparation pour la profondeur du drame et la lecture tout en finesse de la société iranienne).

    Pater donc. Un homme âgé, le Président (Alain Cavalier, également le réalisateur) demande à un autre, la cinquantaine (Vincent Lindon, remarquable) de devenir son Premier ministre. Cela ne se passe dans un palais nappé de tapis rouges et de huissiers en redingote, mais dans une grande maison de campagne visitée par un chat. Le second accepte, fort de son expérience d'une entreprise couronnée de succès, mais compte mettre en oeuvre un principe qui a régi la réussite de sa boite : la limitation des écarts de revenu de un à dix. C'est sur la base de cette idée simple sur le papier que leur relation se noue. Le Président semble accepter ce principe, mais pragmatique, veut l'atténuer : passer d'un écart de un à quinze. Histoire de ne pas heurter sa majorité...

    Pater se déroule ainsi sur un ton badin, alternant scène sur le choix des cravates ou la peau douce d'Inès de Fressange, et réflexions sur le sens de la politique, jusqu'au dénouement final. Pour les élections qui arrivent, le Président souhaite ne pas représenter et céder sa place au Premier ministre. Lequel semble accepter puis se ravise quand il voit que son projet de réduction des écarts de salaire est retoqué par la majorité. Il démissionne et il ira à la bataille contre le Président, lequel est « obligé » de repartir au combat malgré sa lassitude...

    Pas d'action dans ce film (à part le fameux chat qui rentre et sort), mais de vraies joutes oratoires sur le sens de la politique. Le Premier ministre s'inscrit dans une optique de changement. Il parle, dans des formules un peu pompeuses, d'ouvrir sur les forces de la vie, en se débarrassant des logiques de peur et d'égoïsme. Le Président, dans un style qui rappelle davantage Mitterrand que Sarkozy, veut davantage composer avec les forces politiques, avancer tranquillement quitte à caler au premier obstacle. L'affrontement est ici feutré, entre gens de bonne compagnie, mais il n'en est pas moins réel, renvoyant au duel éternel idéalisme/réalisme.

    Dans ce film savoureux, parfois drôle, on découvre également le rôle de conseiller du prince (qui s'inscrit dans la lignée des Talleyrand et autres Fouché), empreint de cynisme. Une scène prodigieuse rassemble le conseiller, le Président et le Premier ministre autour d'une photo compromettante de leur rival. Que faut-il en faire? Le Premier ministre décide de ne pas l'utiliser, mais de la garder précieusement avec lui. On ne sait jamais... Toute ressemblance avec des faits ayant existé (très récemment) ne serait pas que pure coïncidence...

    On ressort de Pater assez interrogatif sur le sens de la politique. On y découvre l'idéaliste de Premier ministre pas insensible à l'impression que ferait sur son voisinage l'insigne de la Légion d'honneur griffée sur sa veste. On y voit tout le narcissisme qui est inhérent à la fonction politique. Faut-il s'en indigner ? Evidemment quand le culte du moi emporte tout, y compris la vague préoccupation de l'intérêt général, quand l'amour de sa « belle gueule » conduit à oublier tous ceux qu'on doit servir. En même temps – et le film le montre bien -, la politique étant faite par des hommes et des femmes, pas par des machines, elle doit composer avec tous ces éléments : ambition, égoïsme, contradictions personnelles. A nier les ressorts personnels qui animent les grands et petits fauves de la politique, on ne se donne aucun outil pour tenter de les contenir. C'est peut-être en refusant cette évidence que la gauche s'est laissé emporter par les débordements des uns et des autres, dans une actualité lointaine ou très récente...

  • La gauche face aux identités perdues

    adieu-gary,382519.jpgLe film français Adieu Gary sorti récemment (et interprété notamment par un Jean-Pierre Bacri remarquable) résonne fortement dans l'actualité de cet été 2009 marquée par de nombreux conflits sociaux extrêmement tendus. Là, sur le grand écran, il ne s'agit pas de raconter une lutte sociale, mais de l'après quand toute l'activité s'est arrêtée et que les banderoles et mégaphones ont été rangés. Sur fond de trafic de drogues – cela se passe dans l'Ardèche rurale et non dans une cité du 93 -, les habitants cachent difficilement leur désoeuvrement ou se débattent dans le vide (de sens) de la société.

    L'un des fils du père que joue Bacri sort de taule (pour trafic de drogue) et s'essaye à travailler dans un supermarché où il doit revêtir un masque de souris dans le cadre de la semaine du fromage (sic). L'autre fils recherche son identité marocaine (par sa mère décédée) en apprenant difficilement l'arabe via des cassettes. Le premier envoie tout promener, en refusant cette vie d'esclave. S'ensuit un dialogue très tendu entre le père qui lui reproche de ne pas s'accrocher à son travail, lui l'ancien taulard d'origine maghrébine, et le fils qui lui lance à la figure l'inutilité de ses années de militance dans le syndicat pour défendre son travail dans une entreprise qui finalement a foutu le camp. L'une des scènes montre le déménagement d'un local syndical, désormais inutile, pour laisser place à une salle de prière musulmane.

    Tout le drame de la gauche syndicale et politique est exprimé dans ces deux ou trois scènes de Adieu Gary. A quoi sert de résister à la montée du rouleau compresseur ultra-libéral si le combat est perdu d'avance par inégalité des forces en présence? Faut-il s'arcbouter à la défense d'une « classe ouvrière » qui, sous les coups de boutoir d'un capitalisme mondialisé, se délite de toute part? Est-il possible de croire et de défendre la force des valeurs collectives alors que tout - entreprise, télé, famille – pousse à l'individualisation des comportements? La gauche qui portait avec force la beauté du « nous » ne sait plus trop comment se positionner face au triomphe du « moi je ». On le voit bien dans les derniers conflits sociaux où il importe d'abord pour les salariés de partir dans les meilleures conditions plus que de sauver l'entreprise. On n'y croit plus donc on sauve ce qui peut être sauvé...

    Dans le film, la dimension sociale est croisée avec une autre question, celle de la famille. Là aussi, l'individualisme forcené fait des ravages. Un pré-ado dont le père (le fameux Gary) est parti sans donner de nouvelles, l'attend des journées entières, assis sur sa vadieu-gary 2.jpgalise. Et passe le reste de son temps à visionner des westerns où joue Gary Cooper à que son père aurait ressemblé. Comment se construire dans la vie si le lien avec le père est coupé, si les racines sont invisibles? Cette situation vécue par des centaines de milliers d'enfants n'est pas une affaire simplement privée, mais éminemment politique: elle a des incidences réelles sur les individus qui se construisent, pas seulement parce qu'ils risquent de basculent dans la délinquance, mais parce que leur imaginaire est troublé. A qui peuvent-ils s'identifier si le père est parti ou orphelin d'une identité ouvrière en ruine? Aux traders qui se goinfrent? Aux stars du rap américain qui se baladent avec de belles « pépés » ? Aux idoles de la télé-réalité ou de la presse people qui envahissent notre univers ? Ou bien aux terroristes d'Al-Qaeda qui veulent le détruire?

    Sur cette question comme sur l'enjeu social, il ne s'agit pas de sombrer dans la nostalgie en pleurant les familles unies d'antan (qui ne l'étaient pas tant) ou la classe ouvrière fière et digne. Pour autant, se satisfaire de la situation actuelle sans voir les menaces qui pèsent sur le lien social serait irresponsable. La gauche devrait réfléchir à cette question des identités nouvelles à construire. La droite, elle, a fait son job.