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François Fillon, un politique vraiment délirant

Par moment, on se pince pour y croire. Comment se fait-il qu'un homme (apparemment) raisonnable, forgé par le républicain Philippe Séguin, aguerri par cinq années à Matignon où il a pu mesurer le danger de l'inconstance du président d'alors, comment se fait-il donc que François Fillon se lance dans une aventure personnelle vouée à l'échec ? Sauf s'il arrive à atteindre le second tour en se retrouvant face à Marine Le Pen, il n'a aucune chance de devenir Président de la République. D'ailleurs, la leader du Front national n'a de chances sérieuses de l'emporter que si elle se retrouve face à un ancien Premier ministre soupçonné d'avoir détourné de l'argent public. Passons...

Comment comprendre cette dérive que personne ne pouvait imaginer ? Certes, les circonstances sont très particulières. Il faut se rappeler qu'au sortir des primaires de la droite, François Fillon était triomphant. Les sondages (ah, les sondages...) le voyaient déjà vainqueur par KO de la présidentielle. C'était avant la montée impressionnante d'Emmanuel Macron, la désignation-surprise de Benoît Hamon, le retrait de François Bayrou au profit du candidat En marche. C'était avant, mais c'était il y a quelques mois seulement...

Et puis, y'a eu le coup de tonnerre des révélations du Canard enchaîné. A ce moment-là, François Fillon avait deux solutions : soit juger qu'il ne se relèverait pas de la mise en lumière de sa face sombre (cela ne fait pas de lui un brigand, mais ce n'est pas raccord avec l'image de probité qu'il a voulu donner) et laisser la place à un autre candidat de sa famille politique. Même si la chose était compliquée (vu le panier de crabes qu'est le parti des Républicains), une solution alternative pouvait être trouvée dès février.

Autre solution : notre élu sarthois (devenu, par confort personnel, élu parisien) pouvait considérer que ce fait et les soupçons légitimes que cela peut faire naître sur son honnêteté ne remettent pas en cause ses chances d'être élu à l'Elysée. Auquel cas il aurait dû reconnaître tout de suite les faits, sans tomber dans un charabia juridico-politique ("c'est pas super bien ce que j'ai fait, mais c'est pas totalement interdit, donc circulez, y'a rien à voir"), et surtout s'engager à rembourser les 500 000 euros que le couple a indûment touché. Il aurait fait cela, il pouvait reprendre pied dans la campagne.

Il jouait alors la carte du type repenti qui, après s'être enrichi, se dépouille (un peu) et montre que le plus important est de se consacrer au redressement du pays. Avec une bonne mise en scène, il pouvait gagner l'élection (excusez mon cynisme, mais les choses se passent en partie comme cela).

Comme François Fillon a décidé de rien faire comme il faut (du point de vue de la morale et de ses propres intérêts), il s'est posé en justicier, faisant la leçon aux journalistes, aux juges et à la société entière qui lui demande de rendre des comptes. Et comme il s'était appuyé pendant sa campagne sur les réseaux les plus réactionnaires de la droite républicaine (la Manif pour tous, Sens commun), la machine de guerre s'est mise en marche, avec pour point d'orgue la manifestation (semi-réussie semi-ratée) du 5 mars.

Cette manif du Trocadéro peut prêter à sourire ou à s'indigner, tellement ce qu'on y a entendu est grossier, indigne d'un homme qui entend représenter les Français dans leur diversité. Quand le pays compte autant de gens en-dessous du taux de pauvreté, quand un agriculteur se suicide chaque jour, quand autant de citoyens doutent légitimement sur la capacité des politiques à améliorer la situation du plus grand nombre, mobiliser 50 000 personnes (elles auraient été 200 000 que cela ne changerait rien à l'affaire) sur la défense d'une candidature vermoulue de partout est une grave faute politique.

Dans cette triste affaire, ce qui m'intrigue, ce sont les raisons de cette dérive folle d'un ancien Premier ministre. Dans sa chronique sur France inter le 6 mars, Guillaume Meurice parle d'une "manif d'anarchistes". Cela peut faire sourire (et c'est aussi l'objectif de sa chronique quotidienne que je vous conseille vivement), mais c'est assez juste. Dans le peuple de droite, se développe un sentiment de ras-le-bol général. C'est simple à décrire, ça commence toujours par cette expression : "y'a trop de..." (de fonctionnaires, d'impôts, de normes, d'incivilités, de journalistes de gauche, de musulmans, etc.).

Le rôle d'un politique responsable n'est pas flatter cette opinion, de caresser les gens dans le sens du poil, mais de faire la part des choses (trier les inquiétudes légitimes des obsessions extrémistes, homophobes et racistes) et surtout d'affirmer un cap politique rassembleur. Sinon, on quitte le camp républicain et on se rapproche inexorablement d'un courant pétainiste dont notre pays a pu mesurer la nocivité. 

Pourquoi François Fillon a choisi une stratégie politique qui va faire perdre la droite républicaine et peut endommager notre démocratie déjà pas spécialement en forme ? Difficile de répondre à ce qui restera sans doute la plus grande énigme de cette incroyable présidentielle (et c'est loin d'être terminé). Je vais essayer de proposer tout de même mes réflexions.

Dans la ligne jusqu'au boutiste de Fillon, se devine sorte de revanche par rapport à sa "carrière" politique. L'élu sarthois a toujours été dans le sillage d'un homme politique plus important que lui : d'abord le député et ministre sarthois Joël Le Theule puis Philippe Séguin, Jacques Chirac, et enfin Nicolas Sarkozy. Rappelons-nous sa réaction de Premier ministre quand le président de la République Nicolas Sarkozy le qualifia publiquement de "collaborateur". Il n'y en eut pas, ou plutôt François Fillon fit mine de ne pas s'en offusquer pour ne pas rentrer en conflit avec Nicolas Sarkozy. Ne jamais prendre de face un adversaire semble être la ligne de conduite de François Fillon.

Lors de la primaire de droite, son élection a sonné contre une double revanche : contre l'ancien chef Sarko qui l'avait humilié, contre Alain Juppé qui - que ce dernier l'ait voulu ou non - l'écrasait par sa superbe quasi-aristocratique. François Fillon est resté un notable de province qui, par extension progressive de son influence, est devenu un seigneur. Un féodal ne peut jamais être un vrai leader. Quand on est devenu chef par élimination progressive de ses concurrents et sans jamais dévoiler ses cartes (par exemple son rôle de conseiller de grands patrons), difficile ensuite de prendre les habits d'un chef d'Etat.

Derrière le soutien dont il continue à jouir dans une petite
partie de l'opinion, il y a l'idée - ou plutôt le fantasme - que des forces obscures (à les entendre, le lobby gay et le communautarisme musulman seraient à la manoeuvre) manipuleraient la France. Aux Etats-Unis, on a entendu à peu près les mêmes arguments dans la bouche des fans de Donald Trump...

Pour comprendre le fonctionnement de la politique, il faut très souvent faire un détour par l'histoire et la sociologie, mais aussi par la psychologie et la psychanalyse. "Délire"... le terme me semble bien résumer la situation actuelle autour de Fillon. Qu'en dit Le Larousse ? Le délire est une "perte du sens de la réalité se traduisant par un ensemble de convictions fausses, irrationnelles, auxquelles le sujet adhère de façon inébranlable". Nous en sommes là.

       

Commentaires

  • Bien vu. Effectivement, un mea culpa de F. Fillon au tout début des révélations aurait évité au candidat de s'enfoncer.
    Il a voulu jouer à la fois la victime et le sauveur, prenant les journalistes et l'appareil judiciaire pour ses persécuteurs. Votre dernier paragraphe traite du côté psy de l'histoire. On peut en sourire, et pourtant...

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