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Présidentielle 2012

  • 10 ans de regard sur la politique !

    Le 10 mai 2009, je démarrais ce blog politique baptisé "10 mai". Tout cela n'était pas le fruit d'un hasard de calendrier. Il renvoyait à la date du 10 mai 1981 qui avait vu la victoire historique d'un candidat de gauche à l'élection présidentielle, François Mitterrand. J'avais 14 ans et je croyais, naïvement diront certains, que la politique pouvait changer les choses, qu'on pouvait renverser la table. 

    Les années ont passé et les désillusions sont arrivées. A la quarantaine passée, j'ai donc ouvert ce blog avec la volonté de comprendre les raisons du désamour des Français envers la politique. Entre récit des faits politiques et analyse des phénomènes de fond. Au cours de cette décennie (2009 - 2019), incontestablement, la situation politique a eu tendance à se dégrader comme en attestent la progression de l'abstention et lors de ces derniers mois, la mobilisation des Gilets jaunes.

    "En mai, fais ce qu'il te plait" : dans un texte inaugural du 10 mai 2009, la crise de la gauche était déjà patente deux ans après la victoire éclatante de Nicolas Sarkozy à la présidentielle. J'écrivais alors : "La gauche souffre davantage d'une colonne vertébrale défaillante et d'organes vitaux affaiblis que d'une absence de tête." Les choses ont-elles profondément changé ?

    Depuis ce texte inaugural, 143 posts (ou articles) ont été rédigés (et une centaine de réactions écrites ont été reçues), sur la vie politique française, de l'extrême gauche à l'extrême droite, mais pas que. J'ai également traité le bilan du pape Benoît XVI, relaté la trame politique de plusieurs films ou bien encore de conflits internationaux (Brésil, Etats-Unis, Tunisie, Côte d'Ivoire, Syrie...). Pour des raisons personnelles, le rythme a été très irrégulier, avec parfois plusieurs textes dans le mois et d'autres fois un espacement de plus de six mois. Retour sur quelques posts de cette dernière décennie.

    Le 13 mai 2009, je donne la parole à Roger-Gérard Schwartzenberg(député radical de gauche et professeur d'université) à l'occasion de la sortie de son livre L'Etat spectacle 2. Interrogé sur le positionnement des citoyens par rapport à cette politique spectacle, il répond : "Ils sont à la fois captivés comme des spectateurs et assez lassés car ils ont moins de moins prise sur les décisions. Plus le programme est flou et incertain, moins le citoyen est en capacité d'intervenir sur les choix politiques". Il revient également sur le décrochage entre les citoyens et les politiques : "Le libéralisme économique qui a imprégné les mentalités pendant deux décennies a encouragé l'hyper-individualisme. Or, la démocratie suppose un sentiment d'appartenance collective."

    En juin 2009, les électeurs sont appelés à renouveler le Parlement européen. Dans un post du 14 juin, j'analyse la composition sociologique des parlementaires français. "Dans un pays où le groupe des ouvriers reste encore numériquement important, aucun élu – pas même à gauche – n'en est issu. On a du mal à trouver des petits employés, des artisans voire des agriculteurs (deux élus: l'Aveyronnais José Bové (EELV) et l'Alsacien Joseph Daul (UMP) qui dirigeait dans la précédente mandature le groupe du parti populaire européen) alors même que la Politique agricole commune reste un budget majeur. En revanche, vous retrouvez pléthore d'enseignants, de médecins et, plus curieux, au moins sept journalistes ou patrons de presse (dont Dominique Baudis, Jean-Marie Cavada, Jean-François Kahn, Patrick Le Hyaric)." 

    Philippe Séguin, l'éternel grognard de la droite française, casse sa pipe début 2010. Pour lui rendre hommage, j'établis une comparaison avec Michel Rocard : "Franc-tireur, attaché au rôle de l'Etat, anticonformiste, souvent individualiste... Philippe Séguin s'est heurté à la quête effrénée du pouvoir portée par un Chirac, comme Rocard l'avait été de la part de Mitterrand. Tous deux ont été incompris de leur parti, souvent ostracisés. Ils avaient l'étoffe pour assumer le pouvoir élyséen, mais d'une certaine manière, ils n'étaient pas fait pour la fonction quasi-royale de Président de la République qui s'accommode mal avec la liberté de penser.

    Au printemps 2010, place aux élections régionales ! Elles sont marquées par une augmentation de l'abstention de 15 points. J'estime que la stratégie de Nicolas Sarkozy est pour quelque chose dans cette situation. "Tout est réversible chez lui, tout jugement sur sa politique peut être contesté. C'est un libéral convaincu. Oui, mais il tonne contre les bonus accordé aux traders et entend réguler le système financier mondial (comment, on l'ignore). Il flatte l'électorat du Front national (qui le lui rend mal). Oui, mais il dit vouloir s'attaquer aux discriminations visant les Français dont la peau est moins blanche que Gérard Longuet."

    En juin 2010, je titre "Les musulmans pris en sandwich". Je m'interroge sur la polarisation autour de l'expression des musulmans, qui seraient au fond responsables des maux français. "On pourrait se demander si la polarisation sur la femme musulmane victime aussi bien là-bas (en Algérie, en Afghanistan, etc) qu'ici n'est pas un moyen d'évacuer la profondeur des inégalités hommes-femmes dans l'entreprise, la vie culturelle ou médiatique (combien de femmes PDG de journaux, de radios ou de chaînes de télé?) et bien sûr en politique. Le niqab qu'une loi française entend éradiquer sur notre hexagone n'est évidemment pas le signe d'un affranchissement de la femme, mais qui peut croire que son éventuelle extinction serait une bonne nouvelle pour les millions de femmes qui élèvent seules leurs enfants, se débrouillant avec des salaires de misères et des horaires de bagnards ?" 

    Au bout de trois ans de présidence Sarkozy, l'ambiance dans le pays est étouffante. "Cela va (vraiment) mal finir", écris-je en juin 2010, en référence à un livre coup de poing de l'ancien ministre François Léotard (Ça va mal finir, 2008). Celui-ci, écrivais-je, "trouvait des mots justes pour décrire cette dégradation générale du climat, cette banalisation de tout (de la fonction présidentielle, de l'honneur, du rapport éthique avec les deniers publics...). Il annonçait le règne des fausses valeurs et de la médiocrité ambiante. Nous y voilà donc." En conclusion, j'ajoutais : "En tout cas, dans ce marais nauséabond, il est une responsable politique qui doit se frotter les mains. Elle porte le patronyme de Le Pen et le prénom de Marine..."

    En septembre 2010, j'explique pourquoi Sarko n'a pas encore perdu la présidentielle de 2012. La gauche est confrontée à trois incertitudes : des primaires qui peuvent être sanglantes au vu des haines personnelles ; le flou des propositions et la question des alliances. Et je conclut : "Les conditions sont potentiellement réunies pour éviter un troisième échec successif de la gauche à la présidentielle. Celle-ci a la responsabilité historique de ne pas les gâcher."

    En novembre 2010, je me réjouis de la première victoire des anti-corruption qui traquent "l'argent mal-acquis" de plusieurs dictateurs africains. "En validant la possibilité pour Transparency International de se constituer partie civile dans cette affaire des biens mal acquis, la Cour de cassation reconnaît le rôle essentiel des ONG dans la dénonciation des malversations des dirigeants du monde. Elle ouvre un champ immense pour l'action citoyenne contre les enrichissements particulièrement éhontés de certains dirigeants des pays pauvres." 

    En janvier 2011, Manuel Valls, fidèle à son rôle de provocateur, remet sur le tapis la question des 35 heures. Rien n'est tabou, il est possible de discuter cette mesure, à condition de faire un pas de côté et de sortir des logiques politiciennes. "La question est de savoir comment être compétitif en travaillant moins que les autres. Il faut donc trouver l'alchimie pour utiliser au mieux les gains de productivité encore importants dans l'économie française, en faire une arme économique et un facteur d'intégration sociale. Car ce qui coûte cher à notre pays, ce n'est pas tellement les 35 heures, mais la désespérance sociale qui ne fait que grandir, les quatre millions de chômeurs et les deux ou trois millions de précaires avec ou sans le RSA."

    En février 2011, je reviens sur la condamnation d'Eric Zemmour après des propos sur les Noirs et les Arabes. Je considère que c'est une erreur de porter ce type de propos devant les tribunaux : il vaut mieux y répondre et décortiquer les erreurs et contre-vérités. "Finalement, cette affaire Zemmour signe une double faillite de notre système politico-médiatique. Celle d'un certain journalisme qui éditorialise à outrance, ne prend plus le temps de se plonger dans les réalités complexes du terrain et se transforme en "causeur" (façon salons savants ou café du commerce). Faillite aussi de l'esprit de raison ou du "progressisme" qui, n'ayant plus la capacité ou la force de convaincre par des arguments, préfère faire juger les différends devant les tribunaux."

    En mars 2011, j'envoie un courrier au ministre de l'intérieur, un certain Claude Guéant. Je réagis à une interview qu'il a donnée au Monde dans lequel il explique : "Les Français ont le sentiment que les flux non-maîtrisés changent leur environnement. Il ne sont pas xénophobes. Cela étant, ils veulent que la France reste la France. Ils veulent que leur mode de vie soit respecté, que la laïcité demeure à la base de notre pacte républicain." Sur mon blog, je réponds à l'ancien bras droit de Nicolas Sarkozy : "La France a toujours été une terre d'immigration, donc elle n'est jamais restée la même tout en étant fidèle à sa tradition d'accueil. J'ai le sentiment que c'est vous, ministre de la République, qui ne souhaitez pas que la France reste fidèle à sa tradition. En l'occurrence, je me sens plus fidèle à la France éternelle, celle qui s'est enrichie depuis des siècles au contact des immigrés." Et je conclus : "J'espère, Monsieur le ministre, qu'après un bizutage un peu inquiétant pour nos valeurs, vous vous ressaisirez et redeviendrez digne de la République qui vous a confié ses pouvoirs."

    En mai 2011, l'affaire DSK saisit tout le pays. Le favori de la primaire que doivent organiser à l'automne les socialistes, tombe dans une affaire supposée d'agression sexuelle. Je reviens sur quelques étonnements : "Dans notre pays qui a la passion de l'égalité (dans les discours du moins), on a suggéré qu'une modeste femme de ménage, a fortiori une immigrée africaine vivant dans un immeuble sordide ne pouvait pas détruire la carrière d'un homme aussi puissant que Dominique Strauss-Kahn si elle n'avait pas été envoyée ou payée par d'autres." Loin d'être isolé, le comportement de DSK renvoie à des abus de pouvoir qui sont le fait de beaucoup de politiques.  

    En août 2011, je m'interroge si "les écolos ne se sont pas tirés une balle dans le pied", en préférant à la candidature Hulot celle d'Eva Joly, la juge franco-norvégienne. "Pour secouer les frilosités hexagonales, écris-je, la posture prophétique – qui n'est pas toujours comprise de prime abord, mais marque les esprits – est préférable à la traditionnelle posture politicienne qui ménage tout le monde. En étant la candidate du plus petit dénominateur commun et la moins encombrante pour l'appareil EELV, Eva Joly prend le risque de ne pas bousculer beaucoup le débat politique."

    En septembre 2011, on assiste à un petit événement politique : la gauche ravit à la droite la majorité au Sénat, chambre éternellement dominée par les forces conservatrices. "Les territoires ont le sentiment d'être complètement abandonnés par le pouvoir central qui a abandonné son rôle d'aménagement – ou de rééquilibrage - du territoire (à travers la fermeture des services publics, notamment des écoles) et en plus d'être malmenés par les préfets qui redécoupent à la hache la carte des intercommunalités."

    En novembre 2011, François Hollande, victorieux à la primaire face à Martine Aubry, dévoile son staff de campagne. "Equipe-choc ou auberge espagnole", titre-je. Et je m'intéresse au choix du directeur de campagne, Pierre Moscovici. "Le plus parisien des députés du Doubs ne manque pas de talent notamment dans les débats, avec un sens de la formule qui fait mouche. Sauf que depuis quinze ans, on cherche en vain une idée originale qu’aurait porté « Mosco ». Sauf que son passage aux affaires européennes a laissé le souvenir davantage d’un dandy que d’un ardent militant de la cause (alors même que la gauche était à la tête de la grande majorité des gouvernements européens)."  

    En février 2012, j'examine les atouts et faiblesses des deux favoris : François Hollande et Nicolas Sarkozy. Sur le premier, je me pose deux questions de fond : "1/ A-t-il un vrai destin à proposer aux Français ?2/ Aura-t-il les moyens de ses ambitions ?" Je cite Michel Rocard, 80 ans, qui explique que les hypothèses de croissance sur lesquelles ont été élaborées les propositions socialistes sont exagérées (ce qui se vérifiera). Quant à Sarkozy, je m'interroge sur les risques de sa stratégie : "La volonté de braconnage de Nicolas Sarkozy sur les terres frontistes est doublement risquée. Elle réinstalle Le Pen au centre du débat en légitimant une partie de ses thèses."

    Le soir du premier tour des présidentielles, en avril 2012, je le passe à la Mutualité au côté des supporters de Sarkozy où je rencontre notamment une électrice de Hollande :  "Vous comprenez, je travaille dans l'enseignement et la recherche en mathématique. Après ce que Sarko nous fait, il n'est pas possible de voter Sarkozy".

    En mai 2012, lors de l'élection de François Hollande, je titre : "Nous ne sommes plus en mai 81". "La relation au nouveau Président de la République n'est absolument pas la même : François Mitterrand était respecté, craint, haï parfois, il se situait (même si c'était fort discutable) dans la lignée des grandes figures de la gauche, de Jaurès à Blum ; François H. a deux « pères » en politique (Jacques Delors et Lionel Jospin), mais ne porte pas en lui, dans ses gênes, cette mystique de la politique". Analysant la carte électorale, je décris deux France antinomiques : "D'un côté, une France tempérée, de tradition radicale-socialiste (le Sud-Ouest) ou démocrate-chrétienne (l'Ouest) où le style mesuré et tout en rondeurs de Hollande a bien fonctionné et où la vie associative est très dense. De l'autre, une France, parfois pauvre, parfois prospère, très inquiète des audaces de François Hollande et des conséquences de l'ouverture des frontières."

    En mai 2012, je publie le témoignage de ma mère, militante socialiste en Mayenne, qui raconte son expérience de tractage dans la population d'un gros bourg. Elle constate la montée d'un électorat frontiste, par exemple lors de la rencontre de cette dame âgée. Ma mère raconte : "A ces questions, elle se trahit. "Est-ce vrai que les étrangers prennent notre travail? ; "Pourquoi certains viennent à la banque alimentaire avec de belles voitures?" ."Il parait que des jeunes viennent deux jours au travail et qu'ils ne reviennent pas."

    Fin août 2012, je note déjà un "malaise sur la planète Hollande". Deux types de malaise sont alors identifiés : "Son obsession à prendre le contre-pied de Sarkozy lasse à la fin car elle ne construit pas une politique." D'autre part, expliquais-je, "chaque récif est négocié souvent avec intelligence, mais cela ne donne pas une lecture claire du dessein présidentiel. Les grands choix dans notre rapport au système de protection social, à l'environnement ou à l'Europe ne sont jamais précisés." 

    En mai 2013, la panne du pouvoir Hollande se confirme. "A la recherche du chemin introuvable", écris-je. "Dans l'âme, François Hollande est resté le premier secrétaire du PS qu'il a été pendant dix ans. Sa volonté de rassembler coûte que coûte, sa peur des féodalités locales le conduisent à chercher en permanence le point d'équilibre, le plus petit dénominateur commun. Il a tendance à se couper des idées nouvelles, des groupes contestataires qui portent en germe des nouvelles façons de voir. Les calculs sont partout alors qu'il faudrait un élan, un enthousiasme."

    En novembre 2013, la colère des bonnets rouges en Bretagne traduit une forme de révolte des  territoires face à Paris. Dernière l'opposition à l'écotaxe, il y a tant d'autres colères qui s'expriment. "A la lumière des échecs et trahisons successifs, au regard de l'impossibilité pour la France de réduire son chômage et de réorienter l'Europe, un sentiment localiste pourrait se développer dans les prochaines années et fragiliser encore l'échelon central. Avec l'idée sous-jacente selon laquelle "on va tous en baver, mais autant compter sur ses propres forces et ne pas attendre grand-chose de Paris !"

    "Triste gauche", écris-je en juin 2014. Et j'aurais pu ajouter "gauche paresseuse". "La paresse intellectuelle fait qu'on continue à penser qu'une croissance à 2 points va revenir ("elle arrive", nous dit incessamment le Président) et qu'ainsi nous allons résoudre la question du chômage. Que fait-on quand la croissance se traîne autour de zéro ? Comment sortir du non-emploi ceux qui s'y sont habitués ? Une fois qu'on a épuisé les maigres outils que sont les emplois d'avenir (pâle resucée des emplois jeunes des années Jospin) et la Banque publique d'investissement, on se tourne vers les bonnes vieilles recettes libérales."

    En janvier 2015, je reviens sur les événements dramatiques de Charlie Hebdo et la réaction impressionnante du peuple français. Par-delà l'hommage aux victimes, des questions doivent être posées. "Comme avec Mohammed Merah voici presque deux ans, les meurtriers des "libres-penseurs" de Charlie Hebdo ont grandi sur le sol national, ont fréquenté les écoles de la République, sont des citoyens français. La haine qu'ils retournent contre les "institutions" de notre République doit nous interroger sur ce qui s'est passé depuis une vingtaine d'années. Qu'est ce qui a été raté ?" Et j'ajoute : "Quel projet collectif proposons-nous aux nouvelles générations ? Quel espoir de progrès peuvent-elles nourrir pour elles et leurs (futurs) enfants ? Qu'est-ce qui peut faire rêver aujourd'hui ? C'est à ces questions que chacun est tenu de répondre, à commencer par ceux qui aspirent à prendre les rênes du pays."

    En mars 2015, nouveau revers de la gauche aux élections locales. Celle qui était majoritaire dans deux tiers des départements ne l'est plus que dans un tiers. Et le Front national continue sa percée malgré son absence de personnalités d'envergure. "Nous en sommes là, trois après (la victoire de Hollande)". J'essaye de proposer des pistes pour ne pas sombrer dans un pessimisme ravageur. "Alors, que faire ? Eviter de désespérer, essayer en tout cas, pour ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Distinguer la critique (nécessaire, vitale) des pratiques politiques de la destruction des (derniers) idéaux. Participer, relayer les dynamiques qui font revivre l'idéal citoyen dans les quartiers et les campagnes, être à l'écoute de tout ceux qui, quittant leur fauteuil devant cette maudite télé innovent et inventent, n'attendant pas tout "d'en haut".

    En juillet 2016, j'écris que Manuel Valls joue un "jeu vraiment dangereux". "A la manière d'un Sarkozy, Manuel Valls cristallise les tensions, met de l'huile sur le feu. Les exemples abondent, par exemple dans la gestion de la loi Travail." Cette volonté de fracturer la gauche pourrait avoir des conséquences graves. "La gauche risque d'être d'être fracturée entre trois composantes : une frange radicale autour de Jean-Luc Mélenchon qui campe une forme de pureté ; une gauche de réformes ambitieuses qui n'a pas peur de l'affrontement avec le patronat ; une gauche blairiste qui veut accompagner, le moins brutalement possible, l'entrée de notre pays dans l'économie mondialisée.La gauche n'aura dès lors aucune chance de reconquérir le pouvoir, chaque bloc représentant entre 10 et 20 % de l'électorat"

    En mars 2017, quelques semaines avant l'élection présidentielle, je titre "De quoi Emmanuel Macron est-il le nom ?" En fin d'article, je réponds à la question initiale : "Il est le nom brillant, insolent et séduisant, du vide politique et de la destruction progressive, depuis une vingtaine d'années, de tout esprit de courage et de vision d'avenir. Voilà pourquoi la marche du jeune Picard pourrait être victorieuse..." 

    A gauche, les deux candidats principaux, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, n'ont de chance de figurer au second tour de l'élection que si l'un s'efface au profit de l'autre. Mais cette tentative était vouée, selon moi, à l'échec. L'Europe est le principal point de divergence entre les deux. "Comment croire qu'un tel clivage au sein de la gauche - qui dure depuis plus de 10 ans - puisse être balayé en deux ou trois semaines ?" Et je m'interroge déjà sur le succès de la candidature du socialiste. "Ne l'oublions pas (on peut le regretter): notre pays qui combine une tradition de centralité et un tempérament rebelle se cherche en permanence un chef, un leader qui parle au moins autant à son cœur qu'à sa raison... Pour le coup, l'ancien rocardien Benoît Hamon serait bien inspiré de ne pas l'oublier."

    Au lendemain de la victoire de Macron, en mai 2017, je m'interroge sur cette "République des experts" qui se prépare. Je note que cette formule attrayante sur le papier présente deux gros risques. Le premier : "Expert ne rime pas toujours avec sens de la discussion et du compromis. Les experts sauront-ils discuter avec les syndicats, les associations et évidemment avec les parlementaires ? N'auront-ils pas tendance à considérer que leurs diplômes et compétences valent bien le mandat électoral." Second risque : "La montée du FN et la crise de confiance du pays tiennent en grande partie à l'écart qui s'est constitué entre les élites et le peuple. La mise au premier plan d'experts pourrait aggraver la crise de confiance"

    Un an après son élection, en septembre 2018, je note que le président de la République dégringole. "On pouvait penser que sa capacité à intéresser de nouveaux citoyens à la chose politique via le mouvement En marche allait l'amener à insuffler de la démocratie directe, de la participation et de la simplicité. Au contraire, on a découvert depuis quinze mois un monarque soucieux d'accentuer la verticalité du pouvoir." Je reviens également sur le départ fracassant du gouvernement de Nicolas Hulot. "C'est un profond changement de matrice dont la France a besoin. Le président, produit (brillant) d'une technocratie à la française, est incapable intellectuellement de penser cette mutation."

    En puis, en novembre 2018, démarre la crise des Gilets jaunes. Au-delà des questions monétaires importantes (taxes, pouvoir d'achat, salaire, etc), c'est bien la question du fonctionnement de notre démocratie qui est posée."Quels sont les intérêts représentés dans telle ou telle décision (l'intérêt général paraît généralement une chimère) ? Comment contester de façon pacifique une orientation ? Que faire quand un responsable trahit ses engagements ? Ces questions doivent être au centre des réflexions. Emmanuel Macron serait bien inspiré à lancer un vrai processus de discussion dans le pays sur les questions du référendum d'initiative populaire, de contrôle de l'exécutif, de revalorisation du Parlement. En un mot, la question qui est posée est celle de la démocratisation de notre République."

     

    En écrivant ce texte, je pense à mon ami Bernard Boudet, en ce moment dans le coma, avec qui j'ai eu tant de discussions passionnées sur la chose politique. Comme quelques autres, il a très souvent pris la peine de réagir à mes articles. 

     

     

  • Gouvernement : renouvelé, cohérent mais très PS

    Voilà l'équipe Ayrault au grand complet. L'affaire a été plus compliquée que prévu après gouvernement Ayrault.jpgle claquement de porte – pas si inattendu que prévu – de Martine Aubry qui se voyait déjà à Matignon. Il a fallu, dès lors, revoir toute l'architecture gouvernementale. Sans doute, telle ou telle femme doit-elle sa présence autour de la table – chargée – du conseil des ministres à la décision de la première secrétaire du PS de se retirer dans son double fief de Lille et de la rue Solférino (Harlem Désir va devoir encore patienter avant de prendre sa place...).

    Quelques heures après cette nomination au forceps, quelques réflexions sur les forces et les faiblesses de ce nouvel exécutif. Incontestablement, l'équipe Ayrault est marquée par un vrai renouvellement du personnel. D'abord, le premier d'entre eux est un des rares Premiers ministres à ne pas sortir d'une grande école de cette élite républicaine qui parle beaucoup d'universalité mais aime tant les castes... En ce sens, il ressemble un peu à Pierre Mauroy, le premier homme de Matignon en 1981. Celui-ci ayraul.jpgétait une figure de la SFIO puis du PS d'Epinay, et surtout était le patron du Nord. Là, 31 ans plus tard, c'est un des ténors du PS, de l'Assemblée (espérons que ce soit un bon signe pour les députés) et surtout le maire de la plus grosse ville de l'Ouest.

    Choisir un élu de l'Ouest est un symbole fort car cela traduit l'ancrage progressif de la gauche dans cette région. La Bretagne (si on inclut la Loire-Atlantique) est entièrement (conseil régional + conseils généraux + grandes villes) contrôlée par les socialistes (qui ne ressemblent pas vraiment – pourvu que ça dure ! – à leurs homologues du Pas-de-Calais ou des Bouches-du-Rhône) alors que le PS était seulement puissant dans les Côtes d'Armor dans les années 80. Le fait qu'Ayrault soit d'extraction populaire et soit resté, semble-t-il, fidèle à ses origines modestes n'est pas pour déplaire à un moment où la grande masse de la population se demande si les élus les représentent vraiment.

    Le renouvellement est aussi frappant dans la composition du gouvernement. En termes d'extraction, on remarquera que quatre ministres ont des origines extra-européennes (dont, pour la fleur pellerin.jpgpremière fois, avec Fleur Pellerin, une ressortissante asiatique). Pour autant, aucun d'entre eux n'a de poste particulièrement en vue, sauf Najet Belkacem, porte-parole du gouvernement. Attention à ne pas en faire des gadgets ou des ministres alibis ! On regrettera également qu'aucune personne souffrant d'un handicap n'ait été retenu dans l'équipe Ayrault I. Mais il reste Ayrault II, après les législatives, pour se ratrapper...

    A part Laurent Fabius qui après avoir obtenu ce dernier (?) bâton de maréchal devra penser à sa retraite, tous les autres sont relativement novices. Certains, comme Pierre Moscovici, Michel Sapin ou Marylise Lebranchu, ont eu des fonctions plus ou moins secondaires sous Rocard ou Jospin, mais ils apparaissent comme des responsables politiques encore neufs. Pour d'autres, comme Vincent Peillon (éducation), Stéphane Le Foll (agriculture), Arnaud Montebourg (Redressement productif, sic) ou Manuel Valls (Intérieur), c'est l'épreuve de vérité. Ils sont en politique depuis 15 à 20 ans, ont souvent été dans les coulisses, tirant les ficelles des alliances avec les uns et les autres. Ils ont à prouver qu'être politiques, c'est aussi arbitrer au grand jour, prendre des risques et s'attirer les foudres des organisations professionnelles et des médias. Pour les deux derniers notamment qui soignent leur image, ils vont devoir apprendre à ne pas être aimés. De ce point de vue, donner sa chance à une génération qui attend depuis 10 ans l'alternance est plutôt un gage de confiance en l'avenir. Il leur reste à prouver que leur ramage est à la hauteur de leur plumage...

    Cette équipe n'est pas d'une grande originalité, mais on saluera tout de même deux innovations qui peuvent être porteuses d'évolutions culturelles : la création d'un maroquin à l'économie sociale et solidaire (confiée à Benoit Hamon qui lui aussi a tout à prouver), enfin reconnue, et la Coopération attribuée au EELV Pascal Canfin. Il sera intéressant de suivre canfin.jpgles premiers pas de celui qui était voici trois ans (avant les européennes où il bénéficia de l'effet Cohn-Bendit) journaliste à Alternatives économiques et qui aujourd'hui anime l'ONG Finance Watch. Signera-t-il vraiment la mort de la Françafrique qui, même affaiblie, a de beaux restes ? Réussira-t-il à mettre de l'ordre  et de la "morale" dans notre politique de coopération qui en a tant besoin? Cohabitera-t-il aisément avec le très realpolitik Laurent Fabius, dont on sait peu qu'ìl connaît assez bien la Chine (ce qui est au moins aussi précieux que la maîtrise de l'allemand de notre Premier ministre, le monde ne s'arrêtant pas aux portes de notre chère Europe)

    Cette équipe devrait être assez cohérente à l'image du duo que forme Hollande et Ayrault. Reste qu'elle souffre d'un gros défaut : être d'abord un gouvernement PS. A part les deux EELV (l'impatient Placé va devoir attendre un peu), la radicale Sylvia Pinel (on a échappé, semble-t-il de peu, à l'arrivée du très peu éthique Jean-Michel Baylet) et l'inclassable Christine Taubira (qui fut radicale de gauche, candidate en 2002) à la Justice, les trente autres ministres sont membres du PS. Les écuries, les sensibilités et les régions ont été bien représentées, mais cela fait tout de même une assise assez étroite pour conduire le changement.

    La question qui est posée est bien celle d'une ouverture vers la gauche, mais aussi vers le centre, pour rassembler très largement et rendre possible le redressement annoncé dont la route est très escarpée. Le pari est compliqué pour l'après-législative (dans l'hypothèse, très probable, où majorité présidentielle et parlementaire coïncideraient) puisqu'il va falloir réussir l'élargissement de ce gouvernement, sans rompre avec la cohérence sans laquelle rien n'est possible. Voilà Jean-Marc Ayrault (et sa femme) prévenus : ils vont devoir faire une croix sur les vacances 2012. Adieu la liberté des voyages en camping-car. Bonjour les folles journées à Matignon et au Parlement... 

     

  • Plongée dans la France rurale de peu et d'amer

    L'un des principaux enseignements de ce scrutin présidentiel a été la très forte progression de Marine Le Pen essentiellement dans les zones rurales profondes, là où l'insécurité "physique" et la forte immigration ne sont que des choses "vues à la télé". De nombreuses analyses ont tenté d'expliquer ce phénomène, de façon plus ou moins pertinente. La question de l'isolement, le sentiment de ne plus comprendre les évolutions d'un monde qui va de plus en plus vite ont été soulevés, tout comme des éléments plus objectifs comme la misère sociale et culturelle, l'explosion du prix du carburant (particulièrement sensible quand on vit à 30 km du chef-lieu).

    camapagne françois hollande,marine le pen,abstention,rsaLa Mayenne est un bon exemple de cette percée. Dans ce département de l'Ouest rural (300 000 habitants), marqué par le cléricalisme puis par la démocratie-chrétienne, Marine Le Pen a réalisé le 22 avril près de 15 % des voix (27 000 voix), derrière Sarkozy (30 %) et Hollande (26 %), mais devant Bayrou soutenu pourtant par le président du conseil général et sénateur influent, Jean Arthuis. En 2007, son père avait réalisé 14 000 voix (7,5 %) et 19 000 en 2002 (11,5 %). En dix ans, le porte-drapeau des thèses d'extrême droite a gagné plus de 8 000 voix et 13 000 par rapport à 2007 (alors que la participation était supérieure voici 5 ans). Cette évolution est générale dans l'Ouest : en Vendée, terre aux caractéristiques assez voisines, le FN est passé en cinq ans de 6,5 % à 15 % des voix. Dans l'Orne, voisine de la Mayenne, un territoire encore plus rural, le vote Le Pen est passé de 12 à 20 % (au-dessus donc de la moyenne nationale).

    A une vingtaine kilomètres de Laval, ma mère Madeleine Bouttier, militante socialiste chevronnée, est partie à la rencontre des habitants pour les convaincre de votcamapagne françois hollande,marine le pen,abstention,rsaer "François Hollande". Elle a ciblé les petits îlots de logements HLM qui se sont construits dans ces communes rurales et qui abritent des personnes très défavorisées. Chez ces personnes très peu politisées, elle ne s'est pas contentée d'un "bonjour. je représente le candidat..." et de donner un tract qui finira rapidement à la poubelle, mais a pris le temps de discuter avec tous ceux qui souhaitaient engager la discussion. Parmi eux, évidemment des électeurs de Marine Le Pen. Elle a couché sur le papier cette plongée dans une France de peu et d'amer. Je publie donc son témoignage qui vaut bien de longs développements.

    « La première séquence de porte-à-porte, avant le premier tour, m'a laissé dubitative. Mis à part quelques personnes refusant de nous écouter, nous avons été bien accueillis, certains se défoulant, avec des "vivement qu'on le mette à la porte, ce petit coq", d'autres se disant bien informés, d'autres, enfin, nous écoutant poliment.

    Première commune: inscrits 340, exprimés 290, Le Pen 79 voix (27,24 %). Première porte : "Je suis volontaire pour la campagne de François Hollande, je passe vous voir pour répondre à vos questions, vous écouter..." Une jeune femme: "Si j'avais une seule raison de voter Hollande, c'est pour la retraite, mon père est usé, il a commencé à travailler jeune pour qu'il ait la retraite à 60 ans." Sa mère: "Je suis au chômage. Sarkozy a rien fait pour nous." L'homme jeune, présent, n'a rien dit.

    Dans un garage, trois hommes discutent autour d'une anisettes. Des ouvriers du bâtiment, l'un la soixantaine, le second de 30 ans et l'autre de 40 ans. Discours du Front national. J'entends leurs récriminations : "le taxi qui n'est plus remboursé pour aller voir le chirurgien qui l'a opéré." "l'étranger qui a plus d'avantages sociaux que l'étranger", "le bougnoule"... Dans la discussion, ils glissent : "Sarko, c'est les riches et Hollande, c'est le social."

    A une autre porte, un homme m'ouvre : "Non, non, mon choix est fait; ils sont tous pareils." Une autre femme, jeune, n'est pas inscrite ; a déménagé récemment. Une femme, la cinquantaine bien sonnée : "Je voterai Hollande, je suis ouvrière, c'est normal." Une autre femme fera le même choix : "Ras-le-bol de Sarko. Tout ce qu'il a promis et n'a pas fait." Un homme au visage haineux : "ça ne m'intéresse pas" et me ferme la porte au nez.

    Un couple, la quarantaine, m'ouvre. L'homme : "Parlez avec ma femme, c'est ma femme qui s'en occupe". "Il ne vote pas", me dit-elle. Elle a des questions: "Est-il vrai que les étrangers auront le droit de vote?" J'explique pourquoi, à quelles conditions, les limites, les autres pays européens où ce droit de vote existe. Elle écoute et est visiblement intéressée. Des enfants qui jouaient dehors arrivent. Elle me dit en riant: "Ils en parlent à l'école et me disent qu'il faut voter Hollande car Sarkozy a supprimé beaucoup d'enseignants". J'embraye sur la justice sociale ; je crois l'avoir convaincu. Le mari, dans l'escalier, écoutait. Je lui dis : "Pourquoi ne votez-vous pas?" "ça ne m'intéresse pas", me répond-il. Je lui dis: "Bientôt, votre fille vous convaincra de voter". Je repense à ce que m'avait dit une jeune Lavalloise ayant fait du porte-à-porte avec moi : "Mes parents ne votaient pas ; cette année, ils vont le faire. C'est l'école qui m'a fait découvrir les enjeux."

    Dans ma commune, je recommence l'opération dans les HLM de mon voisinage. Une famille avec 5 enfants accepte de me faire rentrer. Là aussi, c'est la femme qui participe aux échanges. Elle ne veut plus de Sarkozy, son mari ne vote pas, complètement en marge, ne retrouve pas de travail, son RSA a été supprimé parce que, me disent-ils, sa femme distribue Ouest-France le matin dans deux communes et ils ont trop de revenus. Les questions portent sur l'emploi, l'école... La femme suit à la télé la campagne.

    Le lendemain, je propose à une femme que je rencontre au chalet d'échanges et de savoirs d'aller chez elle pour parler des présidentielles. Elle accepte et je lui demande d'inviter une autre femme qui suit aussi les activités d'insertion. D'emblée, la seconde, plus âgée, me dit : "C'est secret ce qu'on a voté." Mais à ces questions, elle se trahit. "Est-ce vrai que les étrangers prennent notre travail?; "Pourquoi certains viennent à la banque alimentaire avec de belles voitures?" "Il parait que des jeunes viennent deux jours au travail et qu'ils ne reviennent pas." "Il parait que le tueur de Toulouse était connu de la police, mais c'est à cause des juges qu'on l'a relâché." Pendant une heure et demie, j'explique les heures supplémentaires défiscalisées, le contrat de génération de Hollande, les problèmes d'effectif dans la police et la justice... Je leur conseille aussi de regarder d'autres chaînes que la Une. Et je fais de l'instruction civique en répondant à leurs questions : "Et si je mets un bulletin de chacun dans l'enveloppe, est-ce que cela comptera pour chacun?" "Comment faire pour voter à la place de quelqu'un?" "comment ça se passe pour compter les voix?"

    Une "tracteuse" m'a rapporté ces réactions de deux ouvriers agricoles : "Les politiques ne nous regardent plus, ils nous méprises, nous comptons pour rien" "Sarko fait ce qu'il peut, mais y'a la crise" (cette personne ne regarde que TF1). »

        

  • Nous ne sommes plus en mai 1981 !

    Ce titre en interrogera certains : comment quelqu'un qui intitule son blog d'analyses politiques « 10 mai » (1) peut-il se méfier de cette analogie historique que le journal Le Monde cite allègrmai 1981,françois hollande,françois mitterrandement dans son éditorial? Le risque, pourtant, est de rester trop imprégné du souvenir de la première victoire de la gauche sous la Ve République et de croire que l'histoire se répète...

    Points communs, 31 ans plus tard...

    Certes, tout pousse à faire un parallèle entre le scrutin de 1981 et celui de 2012. Même rejet du sortant (VGE et Sarkozy), même score (51,7 %), même lieu pour la fête (d'abord une ville de la France profonde – Château-Chinon pour Mitterrand, Tulle pour Hollande – puis la Bastille). Jusqu'au prénom identique... En 1981 comme aujourd'hui, il y a le même espoir d'une rupture avec une période marquées par les affaires et les scandales en tout genre. mai 1981,françois hollande,françois mitterrand

    Pour le reste, rien ne peut permettre une analogie entre les deux périodes. Le poids du parti communiste a été divisé par trois ou quatre (le score de Mélenchon ne doit pas induire en erreur sur la vraie influence du parti dirigé par Pierre Laurent). La mouvance écologiste, même affaiblie par le ratage de la candidature Joly, pèse réellement sur l'échiquier politique, ce qui remet en cause une certaine vision scientiste et souvent productiviste qui a été (est ?) celle de la gauche.

    Tout, ou presque, a changé

    De plus, la société n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était. Hier, elle était encore très « blanche », corsetée, structurée par la famille « classique », l'information circulait au mai 1981,françois hollande,françois mitterrandcompte-goutte et les traditions politiques familiales était une réalité rarement contestée. Aujourd'hui (il suffisait, pour s'en convaincre, de regarder l'assemblée à la Bastille), la société est très multicolore, très métissée, l'information (le meilleur comme le pire) circule plus vite que la lumière et une partie importante des citoyens ne sent pas appartenir à une famille politique.

    La relation au nouveau Président de la République n'est absolument pas la même : François M. était respecté, craint, haï parfois, il se situait (même si c'était fort discutable) dans la lignée des grandes figures de la gauche, de Jaurès à Blum ; François H. a deux « pères » en politique (Jacques Delors et Lionel Jospin), mais ne porte pas en lui, dans ses gênes, cette mystique de la politique. « Normal » a-t-il souhaité se définir et de ce point de vue-là, il l'est totalement. Personne n'aurait imaginé dire de Mitterrand, l'homme de Vichy puis de la Résistance, le politicien de la IVe République puis l'opposant à de Gaulle sous la Ve, le rassembleur de la gauche, qu'il était un homme « normal ».

    Périls en la demeure

    Si le nouveau président revendique une part de normalité, la situation qu'il va trouver dans quelques jourmai 1981,françois hollande,françois mitterrands est totalement exceptionnelle. L'Europe est menacée d'implosion, le couple franco-allemand risque d'aller dans les prochaines semaines, la zone euro craque de toutes parts, les « marchés » comme on dit sont aux aguets, prêts à sanctionner toute audace économique. Et puis ne parlons même du chômage qui pourrait s'envoler dans les prochains mois, de l'endettement qui pèse lourdement sur nos épaules et le spectre de la pauvreté qui plane sur des franges de plus en plus larges de la population française. Là encore, rien à voir avec la France qui sortait des 30 glorieuses et qui croyait en la reprise de la croissance...

    Fractures dans la carte électorale

    Sur le plan électoral, il faut regarder d'un peu plus près les résultats. L'écart, tout étant moins large que je l'avais prévu, est suffisamment confortable (1,15 million de voix) pour que le résultat ne souffre d'aucune contestation. Pour autant, les plus de 2 millions d'électeurs qui ont voté blanc ou nul montrent que la candidature Hollande n'a convaincu qu'une majorité relative d'électeurs. Dans certains départements très ouvriers et/ou ruraux où Marine Le Pen avait obtenu entre 20 et 25 % des suffrages, la proportion d'électeurs ayant voté blanc (comme la leader du FN) ou nul est impressionnante : 7 % à 8 % dans le Pas-de-Calais, dans l'Indre ou encore la Meuse. Certes, la moitié des électeurs du FN du premier tour s'est reporté sur le candidat sortant, mais Marine Le Pen, en encourageant officiellement à voter blanc et officieusement à choisir Hollande, a montré qu'elle pouvait contribuer à faitre chuter un candidat malgré (ou à cause de) sa propension à surfer sur les thèmes frontistes.

    La carte électorale dégage aussi un autre enseignement, inquiétant pour François Hollande. Il est largement élu dans la moitié ouest de la France (sur une ligne qui partirait de Dunkerque pour aller jusqu'à Perpignan) alors qu'à l'exception de quelques régions (les 5 départements les plus septentrionaux et un bout de Rhône-Alpes) il est largement battu dans la moitié Est là où la désindustrialisation et les nouveaux flux de population sont les plus importants. Deux pays se font face qu'on peut résumer ainsi (de façon volontairement caricaturale).

    Les deux France

    D'un côté, une France tempérée, de tradition radicale-socialiste (le Sud-Ouest) ou démocrate-chrétienne (l'Ouest) où le style mesuré et tout en rondeurs de Hollande a bien fonctionné et où la vie associative est très dense. Toute la Bretagne a plébiscité Hollande qui obtient 56 % des suffrages.

    De l'autre, une France, parfois pauvre, parfois prospère, très inquiète des audaces de François Hollande et des conséquences de l'ouverture des frontières. Les 57 % obtenus par Sarkozy en PACA prouvent que le peuple de droite ne s'est pas disloqué malgré les violentes critiques qu'a rencontrées le candidat sortant. A cette coupure géographique très nette, s'ajoute une autre fracture, entre des grandes villes (toutes, sauf Nice, acquises à Hollande) et des petites villes et espaces ruraux majoritairement sarkozystes. La situation de Paris est, à cet égard, symptomatique : en 2007, Sarkozy disposait d'une très courte avancé alors que cette fois, il est distancé de 11 points (+ 110 000 voix de différence).

    Donc, François Hollande va devoir reconquérir des pans de la population qui n'ont plus vraiment confiance dans la politique ou sont paralysés par des peurs (fondées ou non) à partir desquels ils développent parfois un discours séparatiste (« on reste entre nous »). La difficulté du socialiste, c'est qu'il a été élu par une frange très urbaine, globalement plus favorisée que la moyenne et qui, elle aussi, a de plus en plus de mal à comprendre cette autre France, plus frileuse. A la lecture de ce constat assez implacable, on comprendra pourquoi il est difficile de sombrer dans la douce nostalgie de Mai 81. Un temps qui, malgré les clins d'oeil de l'histoire, n'existe plus.

     

    (1) Coïncidence totale : ce post d'après élection est le 100e du blog que j'ai créé voici trois ans, le 10 mai 2009. De mois en mois, de plus en plus de visiteurs consultent ce blog (en moyenne près de 3000 visites mensuelles depuis juin 2011). Que chacun soit remercié de l'intérêt porté à ce travail (plaisir) de déchiffrage des enjeux politiques. Alternance ou pas, le propos de ce blog ne changera pas et la liberté de ton s'exercera également sur le nouveau pouvoir. En appliquant la maxime bien connue : qui aime bien, châtie bien !