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  • Plongée dans la France rurale de peu et d'amer

    L'un des principaux enseignements de ce scrutin présidentiel a été la très forte progression de Marine Le Pen essentiellement dans les zones rurales profondes, là où l'insécurité "physique" et la forte immigration ne sont que des choses "vues à la télé". De nombreuses analyses ont tenté d'expliquer ce phénomène, de façon plus ou moins pertinente. La question de l'isolement, le sentiment de ne plus comprendre les évolutions d'un monde qui va de plus en plus vite ont été soulevés, tout comme des éléments plus objectifs comme la misère sociale et culturelle, l'explosion du prix du carburant (particulièrement sensible quand on vit à 30 km du chef-lieu).

    camapagne françois hollande,marine le pen,abstention,rsaLa Mayenne est un bon exemple de cette percée. Dans ce département de l'Ouest rural (300 000 habitants), marqué par le cléricalisme puis par la démocratie-chrétienne, Marine Le Pen a réalisé le 22 avril près de 15 % des voix (27 000 voix), derrière Sarkozy (30 %) et Hollande (26 %), mais devant Bayrou soutenu pourtant par le président du conseil général et sénateur influent, Jean Arthuis. En 2007, son père avait réalisé 14 000 voix (7,5 %) et 19 000 en 2002 (11,5 %). En dix ans, le porte-drapeau des thèses d'extrême droite a gagné plus de 8 000 voix et 13 000 par rapport à 2007 (alors que la participation était supérieure voici 5 ans). Cette évolution est générale dans l'Ouest : en Vendée, terre aux caractéristiques assez voisines, le FN est passé en cinq ans de 6,5 % à 15 % des voix. Dans l'Orne, voisine de la Mayenne, un territoire encore plus rural, le vote Le Pen est passé de 12 à 20 % (au-dessus donc de la moyenne nationale).

    A une vingtaine kilomètres de Laval, ma mère Madeleine Bouttier, militante socialiste chevronnée, est partie à la rencontre des habitants pour les convaincre de votcamapagne françois hollande,marine le pen,abstention,rsaer "François Hollande". Elle a ciblé les petits îlots de logements HLM qui se sont construits dans ces communes rurales et qui abritent des personnes très défavorisées. Chez ces personnes très peu politisées, elle ne s'est pas contentée d'un "bonjour. je représente le candidat..." et de donner un tract qui finira rapidement à la poubelle, mais a pris le temps de discuter avec tous ceux qui souhaitaient engager la discussion. Parmi eux, évidemment des électeurs de Marine Le Pen. Elle a couché sur le papier cette plongée dans une France de peu et d'amer. Je publie donc son témoignage qui vaut bien de longs développements.

    « La première séquence de porte-à-porte, avant le premier tour, m'a laissé dubitative. Mis à part quelques personnes refusant de nous écouter, nous avons été bien accueillis, certains se défoulant, avec des "vivement qu'on le mette à la porte, ce petit coq", d'autres se disant bien informés, d'autres, enfin, nous écoutant poliment.

    Première commune: inscrits 340, exprimés 290, Le Pen 79 voix (27,24 %). Première porte : "Je suis volontaire pour la campagne de François Hollande, je passe vous voir pour répondre à vos questions, vous écouter..." Une jeune femme: "Si j'avais une seule raison de voter Hollande, c'est pour la retraite, mon père est usé, il a commencé à travailler jeune pour qu'il ait la retraite à 60 ans." Sa mère: "Je suis au chômage. Sarkozy a rien fait pour nous." L'homme jeune, présent, n'a rien dit.

    Dans un garage, trois hommes discutent autour d'une anisettes. Des ouvriers du bâtiment, l'un la soixantaine, le second de 30 ans et l'autre de 40 ans. Discours du Front national. J'entends leurs récriminations : "le taxi qui n'est plus remboursé pour aller voir le chirurgien qui l'a opéré." "l'étranger qui a plus d'avantages sociaux que l'étranger", "le bougnoule"... Dans la discussion, ils glissent : "Sarko, c'est les riches et Hollande, c'est le social."

    A une autre porte, un homme m'ouvre : "Non, non, mon choix est fait; ils sont tous pareils." Une autre femme, jeune, n'est pas inscrite ; a déménagé récemment. Une femme, la cinquantaine bien sonnée : "Je voterai Hollande, je suis ouvrière, c'est normal." Une autre femme fera le même choix : "Ras-le-bol de Sarko. Tout ce qu'il a promis et n'a pas fait." Un homme au visage haineux : "ça ne m'intéresse pas" et me ferme la porte au nez.

    Un couple, la quarantaine, m'ouvre. L'homme : "Parlez avec ma femme, c'est ma femme qui s'en occupe". "Il ne vote pas", me dit-elle. Elle a des questions: "Est-il vrai que les étrangers auront le droit de vote?" J'explique pourquoi, à quelles conditions, les limites, les autres pays européens où ce droit de vote existe. Elle écoute et est visiblement intéressée. Des enfants qui jouaient dehors arrivent. Elle me dit en riant: "Ils en parlent à l'école et me disent qu'il faut voter Hollande car Sarkozy a supprimé beaucoup d'enseignants". J'embraye sur la justice sociale ; je crois l'avoir convaincu. Le mari, dans l'escalier, écoutait. Je lui dis : "Pourquoi ne votez-vous pas?" "ça ne m'intéresse pas", me répond-il. Je lui dis: "Bientôt, votre fille vous convaincra de voter". Je repense à ce que m'avait dit une jeune Lavalloise ayant fait du porte-à-porte avec moi : "Mes parents ne votaient pas ; cette année, ils vont le faire. C'est l'école qui m'a fait découvrir les enjeux."

    Dans ma commune, je recommence l'opération dans les HLM de mon voisinage. Une famille avec 5 enfants accepte de me faire rentrer. Là aussi, c'est la femme qui participe aux échanges. Elle ne veut plus de Sarkozy, son mari ne vote pas, complètement en marge, ne retrouve pas de travail, son RSA a été supprimé parce que, me disent-ils, sa femme distribue Ouest-France le matin dans deux communes et ils ont trop de revenus. Les questions portent sur l'emploi, l'école... La femme suit à la télé la campagne.

    Le lendemain, je propose à une femme que je rencontre au chalet d'échanges et de savoirs d'aller chez elle pour parler des présidentielles. Elle accepte et je lui demande d'inviter une autre femme qui suit aussi les activités d'insertion. D'emblée, la seconde, plus âgée, me dit : "C'est secret ce qu'on a voté." Mais à ces questions, elle se trahit. "Est-ce vrai que les étrangers prennent notre travail?; "Pourquoi certains viennent à la banque alimentaire avec de belles voitures?" "Il parait que des jeunes viennent deux jours au travail et qu'ils ne reviennent pas." "Il parait que le tueur de Toulouse était connu de la police, mais c'est à cause des juges qu'on l'a relâché." Pendant une heure et demie, j'explique les heures supplémentaires défiscalisées, le contrat de génération de Hollande, les problèmes d'effectif dans la police et la justice... Je leur conseille aussi de regarder d'autres chaînes que la Une. Et je fais de l'instruction civique en répondant à leurs questions : "Et si je mets un bulletin de chacun dans l'enveloppe, est-ce que cela comptera pour chacun?" "Comment faire pour voter à la place de quelqu'un?" "comment ça se passe pour compter les voix?"

    Une "tracteuse" m'a rapporté ces réactions de deux ouvriers agricoles : "Les politiques ne nous regardent plus, ils nous méprises, nous comptons pour rien" "Sarko fait ce qu'il peut, mais y'a la crise" (cette personne ne regarde que TF1). »