Au soir de ce premier tour de la primaire citoyenne au sein de la gauche socialisante, quelles leçons en tirer, alors que les candidats sont déjà dans les starting-blocks pour le second tour ? Trois leçons principales peuvent, à mon sens, se dégager.
1/ Prolonger la dynamique des primaires
Ces primaires constituent un vrai succès politique et devraient s'installer durablement dans la façon de faire de la politique et de désigner les candidats. Ce qui est valable pour le scrutin présidentiel devra être réfléchi à l'avenir pour l'élection municipale, voire législative. Comment sera-t-il possible, pour la gauche, de se féliciter du grand pas (indéniable) constitué par ces primaires pour la présidentielle si on continue les petits combines d'appareil pour la désignation des têtes de liste aux municipales ou des candidats à la députation ? Ce qui n'est plus tolérable à l'échelle d'un pays (la désignation d'un candidat par 100 000 électeurs) ne le sera pas plus à l'échelle d'une grande ville de 100 000 habitants (une tête de liste choisie par 300 – 400 militants dont un bon nombre d'employés municipaux). Donc, la crédibilité de cette « révolution » citoyenne ne sera totale que si les barons locaux acceptent de jouer le jeu de la transparence et ne se cramponnent plus à leur pouvoir. Avec une telle ouverture au « peuple de gauche », il n'est sûr qu'un certain nombre d'apparatchiks eussent accédé à de telles responsabilités (par exemple J.-N. Guérini qui s'est toujours appuyé sur des réseaux obscurs plutôt que sur les forces vives de la cité phocéenne).
2/ 2012 n'aura rien à voir avec 2007.
La vraie - et seule- surprise de ce premier tour n'est pas l'écart plus réduit que prévu entre le député de Corrèze et la maire de Lille. Les sondages, dans cette affaire, avaient une dimension manipulatoire car ils portaient sur les personnes se déclarant de gauche et non sur celles étant certaines de participer à cette primaire. Non, ce qui importe, c'est de comprendre pourquoi l'ordre entre Arnaud Montebourg et Ségolène Royal s'est complètement inversé par rapport à ce qui était prévu. L'un et l'autre ont pourtant plus d'un point commun, notamment leur talent à bousculer les lignes et à s'attaquer aux appareils. Tous deux ont une dimension chevaleresque – qui suscite des réactions contrastées mais ne laisse pas indifférent. Pourtant, le premier s'est imposé comme celui qui donnait le la dans cette primaire alors que la seconde semblait n'être que l'ombre d'elle-même, incapable de n'être autre chose que la finaliste malheureuse de 2007 (sa pathétique conclusion du dernier débat où elle rappelait l'élan de 2007 en témoignait). Cinq ans après, S. Royal n'a toujours pas compris qu'une bonne partie des électeurs de gauche lui en veut, à tort ou à raison, d'avoir été celle qui a permis l'élection de Nicolas Sarkozy alors qu'elle reste encore fière d'avoir bousculé le vieil appareil socialiste. Une démocratie moderne devra accepter, à l'avenir, l'idée qu'un candidat battu à un second tour devra s'effacer définitivement. Histoire, notamment, d'éviter la suprême humiliation d'un leader adoubé par 60 % des militants qui obtient cinq plus tard moins de 10 % des suffrages... Quant à Arnaud Montebourg, il s'est imposé comme le troisième homme de ce scrutin. Il oblige Hollande et Aubry à clarifier leurs positions, notamment sur la question du renouveau démocratique, le contrôle du pouvoir financier et l'attention portée aux mouvements de la société. Il ne faut pas croire que le petit cinquième d'électeurs qui lui ont apporté leur soutien l'ont fait essentiellement sur ce concept assez discutable de « démondialisation ». D'autres considérations comme son engagement personnel dans diverses affaires (paradis fiscaux, affaire Guérini), son enracinement dans un territoire en difficulté et sa capacité à mettre en avant des « valeurs » et non simplement des équilibres, ont influé dans ce vote, sans compter la dimension générationnelle (également présente chez Manuel Valls dont le score est loin d'être ridicule). L'ascension fulgurante d'un quasi-inconnu montre que le temps politique a tendance à s'accélérer. 2012 n'a rien à voir avec 2007 et se gagnera si on comprend bien les tendances de fond de la société, cette alchimie entre des contraires (sécurité/libertés individuelles, épanouissement personnel/destin collectif, ouverture à l'extérieur/besoin d'identités fortes). Se tourner vers l'avenir, comprendre les chamboulements en cours est plus productif que de vouloir singer 1981, tentations qui peuvent exister chez deux politiques issus de la « génération Mitterrand ».
3/ Celui (ou celle) qui gagnera devra incarner une audace maîtrisée.
L'arithmétique électorale n'a pas beaucoup d'utilité pour prévoir le vainqueur du 16 octobre. Ce n'est pas parce que Manuel Valls préfère François Hollande que ses électeurs se reporteront sur lui. Idem pour les électeurs de Arnaud Montebourg au cas ou celui-ci opterait assez logiquement pour Martine Aubry. Avec ce second tour, tous les compteurs sont remis à zéro et les deux finalistes doivent convaincre que leurs propres faiblesses ne seront pas exploitées par le camp Sarkozy. L'un et l'autre ont une équation différente à résoudre. Pour Hollande, il s'agit de savoir si le calme et le flegme ne sont pas le paravent de l'immobilisme. En clair, peut-il être autre chose qu'un Chirac de gauche? Peut-il avoir de vraies initiatives, prendre quelques risques politiques et ne pas être simplement le candidat du rassemblement? Pour la maire de Lille, les idées sont en général claires et parfois originales. Elle devra convaincre sur deux plans importants. Est-elle vraiment libre de ses alliances passées (grandement contre-nature) avec DSK et ses amis, donc capable de clarté dans ses stratégies politiques? Deuxio, est-elle en mesure de se départir de ce sentiment de supériorité qui rend la discussion avec elle souvent compliquée? Tout en gardant ses convictions de gauche, peut-elle quitter cet habit de donneuse de leçons (caricature d'une certaine gauche qui se croit dépositaire de l'idée du « bien ») insupportable pour beaucoup, y compris à gauche, et problématique pour le second tour où il faudra bien parler d'égal à égal avec les électeurs de François Bayrou? L'un semble être trop policien ; l'autre trop fragile psychologiquement. L'équation du second tour n'est pas simple, d'autant qu'il vaudrait mieux, pour aborder dans de bonnes conditions le troisième tour (la présidentielle), que l'écart entre les deux rivaux soit significatif, c'est-à-dire que nous n'ayons pas un 51/49. Plutôt bien engagé, le pari de ces primaires citoyennes est encore loin d'être gagné...