L'interminable affaire DSK a éclipsé, la semaine dernière, une autre affaire, beaucoup moins médiatique mais fin
alement tout aussi éclairante sur les moeurs politiques : le verdict du bureau national du PS sur Jean-Noël Guérini, patron du conseil général des Bouches-du-Rhône, sénateur (à ses heures perdues) et jusqu'à peu, premier secrétaire fédéral (ça veut dire « chef ») du PS dans le même département.
Comme je l'avais raconté dans un post du 4 mars intitulé « PS : faire le ménage devant sa porte » (repris par le site Rue 89), Arnaud Montebourg (candidat à la primaire socialiste) avait rédigé un rapport « confidentiel » pour la direction nationale. Laquelle, après des déclarations à l'emporte-pièce protégeant le seigneur marseillais, s'était résolu à nommer une commission d'enquête présidée par l'ancien ministre Alain Richard. Laquelle a rendu un rapport détaillé et qui, même si elle évite toute formule agressive et personnelle, constitue un véritable réquisitoire contre la pratique départementale et les agissements du clan Guérini. Il est, d'ailleurs, pour le moins cocasse que celui-ci se félicite des conclusions de ce rapport (qui effectivement évitent la solution peu praticable de la mise sous tutelle). L'ont-ils simplement lu, J.-N. Guérini et ses acolytes, ce rapport d'une vingtaine pages, que j'ai, pour ma part, épluché consciencieusement?
Je ne résiste pas au plaisir de citer quelques extraits significatifs. Sur le nombre d'adhérents (la « fédé » des Bouches-du-Rhône est la quatrième par ses effectifs), la commission ne s'étonne pas du nombre important dans ce gros département : « La fédération de Paris, de développement beaucoup plus récent, a également un ratio d’implantation supérieur : 53 adhérents par 10 000 habitants contre 44 pour les Bouches-du-Rhône ». Mais elle note « la particularité du PS dans les Bouches-du-Rhône »: « la concentration des adhérents dans un petit nombre de sections à gros effectifs. » Elle cite l'exemple de la commune d’Allauch, près de Marseille, qui « fin 2008 avait 913 personnes inscrites au PS pour une population municipale de 18 728 habitants. Avec le même ratio le Parti au niveau national aurait plus de trois millions de membres… »
Toujours sur ce chapitre des sections, la commission note les tripatouillages de la fédération pour redessiner le contour des sections, la présence massive de certains adhérents n'habitant pas la commune (c'est légal, mais là, cela prend des proportions édifiantes). Commentaire ironique : « Il faut un surprenant concours d’affectivité pour totaliser jusqu’à 200 adhérents non résidents dans une même section alors que rien de semblable n’apparaît dans les sections voisines. »
La commission Richard constate que se sont constituées « des sections « taillées sur mesure » pour des élus »: on parle de « la section de Mme X » ou de « la section du camarade Y », comme on parlait sous l’Ancien Régime du régiment de Penthièvre ou de Clermont-Tonnerre, du nom de la famille ducale qui le possédait »
Et ce n'est pas fini : le rapport s'étonne de la proportion insensée de responsables socialistes salariés du conseil général. Sans compter, explique le rapport, qu'un « nombre significatif de cadres politiques ont vu, dans des circonstances variées, des membres de leur famille devenir également agents départementaux ». En gros, sans jamais citer le mot, le clientélisme du système Guérini est mis à jour. Quand on ajoute à ce tableau des accusations – actuellement examinées par la justice – sur les faveurs dont a bénéficié l'entrepreneur Alexandre Guérini, mis en examen par la justice, de la part du conseil généra présidé par son frère, on n'est pas loin d'un système mafieux.
Cela est corroboré par le tableau d'une fédération où les débats politiques sont systématiquement étouffés pour des arrangements personnels, la tendance à éviter tout vote interne. « En faisant la revue d’une centaine de situations de désignation uninominale de candidats, celles des candidats aux cantonales des séries 2008 et 2011 et des têtes de listes des municipales de 2008, la commission a constaté qu’il n’y avait eu, dans quasiment tous les cas, qu’un ou une candidate à la candidature ». En clair, on s'arrange avant entre barons du parti et les adhérents n'ont plus qu'à avaliser le choix du prince.
Ce tableau très sévère est accompagné de recommandations plutôt prudentes sur la rénovation de la fédération, ce qui suppose des « remises en cause de méthodes de direction ». Laquelle direction doit être gérée de façon collégiale, avec des élections du premier secrétaire fédéral par l'ensemble des adhérents (actuellement, le chef du PS est un proche de J.-N. Guérini).
On peut être sceptique sur les mesures préconisées par le rapport (notamment la constitution de sections de moins de 250 adhérents ou une direction collégiale), penser que la dynamique de rénovation interne aura bien du mal à faire jour après des décennies de fonctionnement clanique. Mais on ne peut pas nier que le rapport inflige un avertissement sans concession au « système Guérini ». Celui-ci a trouvé la parade pour essayer de passer à travers les gouttes, en annonçant, le jour du vote au bureau national, le ralliement à Martine Aubry. Laquelle, porteuse de l'idéal de rénovation du PS, sera jugée sur sa capacité à encourager la rénovation en profondeur du fonctionnement de la fédération des Bouches-du-Rhône.
Un bon test de cette évolution aura lieu en octobre prochain : si, lors des primaires (ouvertes à tous les sympathisants), la maire de Lille obtient dans les Bouches-du-Rhône un score massif (de 70 ou 80 %), on pourra se dire que rien n'a vraiment changé dans le fief de Jean-Noël Guérini. Mais veut-on vraiment, à Paris, que les choses changent à Marseille ?
PS : Cet article a été publié également sur le site internet d'informations Rue 89
rofiter à une Marine Le Pen en pleine ascension), on a quelque gêne à s'intéresser à la cuisine interne du PS. Cela paraît assez mesquin en ces temps de turbulence arabe. Et pourtant, l'affaire du rapport Montebourg sur la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône est révélatrice de la duplicité des appareils politiques.
iel? Que cette fédération dirigée par le sénateur et président du conseil général Jean-Noël Guérini et qui, par le nombre de ses adhérents, est la troisième ou quatrième du PS, fonctionne selon des principes douteux, avec des systèmes de pressions personnelles, de chantage financier (puisque le conseil général délivre des subventions qui, du jour au lendemain, peuvent être supprimées) et d'obscures tractations sur le vote des militants.
urtout l'impunité quant aux pratiques douteuses (on a vu ainsi certaines sections des Bouches-du-Rhône « dissidentes » dissoutes par la fédération et des effectifs ici ou là grossièrement gonflés). Lors du dernier congrès PS de Reims, Jean-Noël Guérini s'était rapproché de Gérard Collomb, autre grand féodal (lyonnais), pour négocier son ralliement à Ségolène Royal. Il était quelque peu cocasse de voir la dame du Poitou, adepte d'un discours volontiers moral, s'allier au Marseillais aux manières fort peu policées. Mais bon, business is business...
mière secrétaire du PS refuse de voir la réalité en face, comme voici trois-quatre ans, l'ancienne direction ne souhaitait pas mettre son nez dans la fédé de l'Hérault, avant que l'équipe d'Aubry s'y implique au dernier moment avec le résultat calamiteux que l'on connaît (le triomphe de feu Frêche et la déroute de la maire de Montpellier aux élections régionales). Non seulement cet aveuglement aura à terme des conséquences désastreuses sur les positions de la gauche dans ce département (car la mise en examen d'Alexandre Guérini dans des affaires de marchés truqués pourrait bien rejaillir sur son frère), mais surtout il illustre le décalage entre le renouvellement des idées, actuellement à l'œuvre, quoique de façon tempérée, au sein de l'appareil socialiste, et les pratiques locales qui parfois sont restées aussi archaïques (embrigadement et absence de débat).