Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

gouvernement

  • A quoi servent encore les partis ?

    Coup sur coup, les deux principales formations politiques françaises ont organisé leur congrès, fondateur pour les Républicains, nouveau nom donné à l'Union pour une majorité populaire ; d'orientation pour le parti socialiste. Evidemment, les deux contextes ne se ressemblent pas. D'un côté, Nicolas Sarkozy entend construire un appareil entièrement dévoué à sa réélection en faisant un hold-up magistral sur le terme de républicain. Comme aucun scrupule ne l'a jamais habité, l'ancien président tente dans sa formation "républicaine" de faire taire toutes les oppositions. Les sifflets soit disant spontanés qui ont accompagné les interventions des deux rivaux Juppé et Fillon attestent de la volonté de limiter au maximum le débat interne.

    Une semaine plus tard, à Poitiers, le PS tenait son congrès d'orientation. A 60% (sur un effectif largement inférieur à la barre des 100 000), les militants ont soutenu le texte qui approuve globalement la politique gouvernementale. Majorité claire ? Pas si sûr car le texte qui a obtenu ce score est un savant compromis entre les tenants (chez les proches de Martine Aubry, mais aussi pour l'ancien premier ministre JM Ayrault) d'une inflexion de la politique gouvernementale (notamment pour coller aux attentes des classes populaires) et des supporters de Manuel Valls pour qui il faut amplifier l'effort de renforcement de la compétitivité de l'économie française. Quelle est finalement la ligne proposée par le parti ? Personne ne le sait finalement. Ce n'est pas grave car l'opération pour l'exécutif est réussie : un parti de gouvernement qui ne sait pas ce qu'il veut ne risque pas trop de taquiner le dit gouvernement.

    On notera que la maire de Lille est la grande perdante dans cette affaire : en permettant à ses partisans de mêler leurs voix aux "blairistes" supporters de Valls, elle se condamne à ne plus avoir une expression autonome au sein du parti. Comment pourrait-elle à l'avenir condamner une orientation qu'elle a approuvée peu ou prou à Poitiers. Reste en plus un sujet d'amertume pour elle avec la perte de contrôle de la fédération PS du Nord, hautement stratégique...

    Par-delà les différences entre un parti à l'américaine centrée sur une personne et un parti godillot qui organise sa stérilité politique (merci Jean-Christophe Cambadélis !), un même constat : le modèle des partis n'est plus adapté à l'exigence démocratique et au double besoin de libre expression et de formulation de propositions. La première fonction est de plus en plus assumée par les divers forums réels ou virtuels (les réseaux sociaux) dans lesquels s'inscrivent les citoyens. La plupart des militants politiques sincères déplorent la faiblesse des réunions dans les instances de leur parti. Les universités d'été sont davantage orientés vers la relation qu'entretiennent les leaders politiques avec l'opinion via les médias que vers la formation de leurs militants (ce à quoi ils étaient destinés initialement). 

    Quant à la dimension programmatique, elle est maintenant l'affaire des experts via les think thank ou les groupes thématiques. Cela donne une orientation souvent "techno" aux programmes des candidats qui finalement se confrontent assez peu aux forces sociales constituées (syndicats, associations). Les propositions qui seront portées par les candidats sont en fait l'émanation d'un petit groupe d'experts issus du même sérail (ENA, Sciences Po, cabinets ministériels) qui ont un rapport pour le moins distendu avec les difficultés quotidiennes. 

    Ce double appauvrissement des partis les a conduit à se spécialiser sur une seule fonction : la sélection des candidats pour les différents scrutins. Les partis sont devenus des machines électorales qui attirent encore les ambitieux, souvent dépourvus de vraies convictions, et fait fuir les citoyens les plus inventifs et désintéressés. Comment s'étonner alors de trouver au sein des partis des Guérini, Balkany et autres voyous ? On rappellera d'ailleurs aux militants des Républicains et du PS que le patron des premiers est cité dans une dizaine d'affaires et que celui du second a été condamné à deux reprises...

    Comme des canards sans tête, les partis continuent leur route. Les enjeux de pouvoir ne vont pas s'amenuiser. On peut penser que l'appauvrissement intellectuel de ces derniers va, au contraire, exacerber les rivalités personnelles. Nicolas Sarkozy est, à cet égard, un beau symptôme du mal politique. Trois ans après sa défaite, il n'a pas esquissé la moindre auto-critique, la moindre idée nouvelle, mais il imprime sa marque dans un style qui mélange le sens du spectacle, l'art du mensonge et la violence verbale vis-à-vis de ses adversaires. Comme souvent, depuis une dizaine d'années, il donne le la dans la vie politique française, ce qui ne lasse pas d'inquiéter.

    Face à ce désastre démocratique, les citoyens ont tendance à baisser les bras, se repliant sur leur vie privée. Les plus lucides s'investissent sur des espaces publics assez restreints (associations de proximité, vie de quartier). Ici ou là, à l'occasion d'une cause d'intérêt général (défense des migrants, dérèglement climatique...), des mouvements de citoyens commencent à formuler des propositions. Sauf qu'ils ont du mal à influencer les sphères dirigeantes du pouvoir. Cette coupure entre acteurs de terrain et professionnels de la politique doit absolument se réduire. Sinon, les forces qui veulent tout détruire et qui s'appuient sur une exaltation de l'individu-roi, feront elles-mêmes le ménage...

  • Droite : la grande débandade

     « C'est la chienlit ! », aurait dit le Général. Et sur ce coup-là - comme sur d'autres -, il n'aurait de gaulle.jpgpas eu tort. « Ce coup-là », c'est l'état de la droite française à un an de la présidentielle. Chaque semaine amène son lot de divisions, de coups d'éclat et de ratés. La droite avait l'habitude de railler le bal des ego du parti socialiste (qui peut, à tout moment se réveiller, à supposer qu'il soit endormi), mais sur ce plan, l'UMP va dépasser le maître.

    Ouvrons le chapitre « divisions ». Voici une quinzaine de jours, Jean-Louis Borloo a annoncé le départ de son (petit) parti radical qu'il préside de l'UMP. Cette décision qui doit être avalisée lors d'un congrès dans les prochaines semaines, marque l'enterrement du parti dit unique de la droite imaginé, entre autre, par Edouard Balladur, mis en musique par Alain Juppé et « capturé » par Nicolas Sarkozy qui en avait fait une arme redoutable pour sa conquête du pouvoir suprême.

    A son origine, l'Union pour une majorité populaire se présentait comme un lieu ouvert devant rassembler tout ce qui n'était pas la gauche et l'extrême droite. Il proclamait sa volonté de jouer la carte du débat interne, de respecter le pluralisme de familles allant de la défunte démocratie chrétienne au (néo) gaullisme jusqu'au libéralisme plus ou moins dur. Le pari a été plutôt réussi pendant toute la phase préalable à l'élection présidentielle, avec de nombreuses conventions thématiques (dans lequel le candidat Sarkozy a allègrement pioché), un renouvellement générationnel (la promotion de Rachida Dati, Rama Yade et quelques autres) et un vrai enthousiasme populaire. Le parti s'inscrivait alors dans la dynamique du mouvement (« il n'y a pas de sujet tabou », disait alors le patron de l'UMP).

    Une fois arrivé au pouvoir, le Président a tout fait pour congestionner le parti, interdisant tous les débats de fond, instrumentalisant les divers leaders de celui-ci - de Xavier Bertrand à Jean-François Copé. Les expressions divergentes n'ont pu s'exprimer qu'au sein des groupes parlementaires – et encore. En bref, le parti majoritaire est devenu l'éternel godillot de la Ve République, trahissant la promesse de souffle nouveau. Dans ce contexte, la dernière initiative du nouveau duo de choc Sarkozy/Copé - le fameux débat sur l'islam, pardon la laïcité - a été reçue par les plus modérés de l'UMP non seulement comme une opération vouée à l'échec (les électeurs ne laissent pas attraper si facilement) mais comme un reniement des valeurs humanistes qu'ils espèrent porter au sein du parti sarkophile.

    Le cocktail « droitisation de l'UMP + humiliation de Borloo » lors du vrai-fauborloo.jpgx remaniement de l'automne (lire post du 14 novembre) a été le déclencheur de la rébellion de l'ancien numéro 2 du gouvernement. Incontestablement, son initiative peut rencontrer un certain intérêt au sein du centre-droit profondément désorienté par les appels du pied aux électeurs du Front national. Sauf qu'il n'est pas certain que l'ancien ministre de l'écologie soit à la hauteur des espoirs qui peuvent être placés en lui. Et ce pour deux raisons : ses diverses initiatives intéressantes - du plan banlieues au Grenelle de l'environnement - ont souvent fait naître une espérance rapidement déçue par l'incapacité de celui-ci à négocier de bons arbitrages, notamment vis-à-vis de Bercy, et à suivre sur le long terme les dossiers. D'autre part, il va être compliqué pour celui qui rêvait de succéder à François Fillon de se poser en alternative à Sarkozy. Serait-il dans la même attitude s'il avait été nommé à Matignon? Il est permis d'en douter...

    Au chapitre « coup d'éclat », on retrouve l'inégalable Dominique de Villepin. L'ancien premier ministre de Jacques Chirac a déclaré officiellement sa candidature pour 2012 (alors que pour Borloo, les choses sont plus floues) en présentant son programme où figure notamment sa mesure-phare d'un revenu d'existence à 850 euros. On peut parler de coup d'éclat car on a du mal à savoir si Villepin a vraiment l'intention d'aller jusqu'au bout et sur qui il pourrait s'appuyer dans ce cas. Plusieurs de ses proches ont pris franchement leurs distances (à l'image de Marie-Anne Montchamp ou de Georges Tron, entrés au gouvernement) ou de façon plus discrète (comme François Goulard ou Hervé Mariton).

    Villepin.jpgA mesure que Villepin pose de nouveaux actes, il déroute la plupart de ses fidèles qui ont du mal à accepter son individualisme forcené et sa fougue exaltée. En ces temps de sarkozysme trépidant, il faut tempérer, rassembler, s'interroger, en un mot rassurer. Le chevalier Villepin n'est pas en mesure d'incarner à droite une alternative crédible au sortant, aura beaucoup de mal pour séduire à gauche qui n'a pas tout à fait oublié son obstination à défendre, contre vents et marée, le Contrat première embauche, le CPE. Quant au centre, le terrain risque d'être fort occupé (Bayrou, Borloo ou Morin?) et en outre, son style enflammé colle assez mal avec la prudence d'un électorat soucieux de retrouver une certaine mesure.

    Et pour parachever le tableau à droite, on ne peut passer sous silence les éternels ratés présidentiels. Le dernier en date continue à se déployer chaque jour. Il concerne cette fameuse (fumeuse) prime de 1000 euros pour les salariés dont l'entreprise voit ses bénéfices augmenter. Dans cette affaire, rien n'a été préparé ni le montant de la prime (les 1000 euros sont déjà oubliés...), ni les modalités politiques et pratiques (comment l'Etat pourrait-il obliger les entreprises à mettre en oeuvre cette disposition ?).

    Plus grave encore, l'exécutif n'a pas du tout compris – ou voulu comprendre – que cette mesure,Sarko 3.jpg à supposer qu'elle puisse s'appliquer, ne correspond pas aux priorités des salariés modestes. Ceux qui souffrent le plus du tassement du pouvoir d'achat avec la reprise de l'inflation travaillent soit dans la fonction publique -pas concernée par définition - ou dans des structures petites ou moyennes qui de toute façon, ne distribuent pas ou très peu de dividendes à leurs (éventuels) actionnaires. Les salariés d'entreprises du CAC 40 ne sont pas les plus à plaindre. Voilà comment le pouvoir se prend les pieds dans le tapis en voulant recoller avec un monde du travail complètement...

    Sur ce dossier, on aura remarqué le silence assourdissant du premier ministre. On n'a pas oublié non plus sa prise de distance très nette avec le débat sur l'islam organisé par l'UMP. Si les choses continuent à aller de mal en pis pour le chef de l'Etat (on n'a pas parlé ici des risques d'enlisement en Lybie) et si ni Borloo ni Villepin n'apparaissent comme des alternatives crédibles à Sarko, François Fillon va apparaitre, sans grande déclaration ni roulement de tambour, comme le seul recours possible.

    D'ici l'automne, les parlementaires dont les deux tiers pourraient être battus aux prochaines législatives en cas de déroute du sortant risquent de s'agiter un peu (un peu trop pour l'Elysée). Le crime de lèse-majesté (affirmer sa préférence pour le « collaborateur » du Président) pourrait bien avoir lieu par ceux qui se sentent condamnés et ne veulent pas être emportés par le suicide politique d'un Fillon.jpghomme qui ne comprend plus rien au pays.

    Reste deux questions essentielles : François Fillon aura-t-il le courage de défier l'autorité présidentielle avec tous les risques de représailles prévisibles? Aura-t-il la volonté et les ressources psychologiques pour sortir de son rôle de second (de Philippe Séguin puis de Sarkozy) qu'il campe avec talent depuis une vingtaine d'années? En clair, va-t-il fendre l'armure?

  • Les cantonales, le "coup de Munich" et 2012

    L'UMP est dans la seringue du Front national et ne sait pas comment en sortir. Le problème pour elle, c'est qu'elle s'y est mise toute seule. En deux phrases lapidaires, voilà comment on peut résumer la sitLe Pen fille.jpguation politique française au lendemain d'un premier tour d'élections cantonales calamiteux, au regard de l'abstention massive (plus de 55 % et parfois dans certains quartiers populaires de près des deux tiers) et de l'implantation des thèses de Marine Le Pen. Celle-ci dipose certes d'une présence militante du Front national encore limitée, mais dans n'importe quel canton, il lui suffisait de présenter un inconnu - jeune, vieux, homme, femme : aucune importance -, de l'affubler d'un portrait de la chef du FN pour rassembler à coup sûr 8 à 10 % et, si le terreau était fertile (délocalisations, quartiers sensibles abandonnés, frontières terrestres proches), multiplier le jackpot par deux ou trois.

    Dans cet entre-deux tours qui a du mal à passionner le pays, on se retrouve avec une situation très particulière: le FN sera présent dans près de 400 cantons, après avoir concouru dans 1440 cantons. Près d'une fois sur trois, le parti de Marine Le Pen se qualifie pour le second tour, avec parfois dix points d'avance sur l'autre candidat qualifié! Le plus drôle, si on peut dire, c'est que le relèvement du seuil pour être qualifié au second tour (12,5 % des inscrits au lieu de 10 %) décidé par l'UMP devait justement empêcher le FN d'être qualifié. Avec une si faible participation, les triangulaires sont devenues aussi rares que le nombre d'élus MoDem, mais les éliminés ne sont pas ceux qu'on croit.

    Sept fois sur dix, le porte-drapeau du FN sera confronté à un candidat de gauche (204 PS, 37 PCF, plus quelques divers). Ce qui signifie que dans plus de 250 cantons de la République, la droite présidentielle, qu'elle soit UMP tendance dure ou molle, centriste façon Nouveau Centre ou divers droite, ne sera pas représentée. Rayée de la carte, éliminée! Pour un parti qui entendait imiter les exemples anglais, allemand ou espagnol en formant un grand parti populaire, la déconvenue est violente.

    Alors maintenant que dire aux électeurs de droite orphelins de leur candidat pour leSarko 3.jpg second tour? A l'UMP, c'est la cacophonie. La ligne Copé/Sarkozy, suivie par l'essentiel de l'appareil, est finalement celle du candidat communiste Jacques Duclos en 1969 (cela ne nous rajeunit guère...) disant, à propos du duel Poher-Pompidou, avec son accent rocailleux : « Bonnet blanc et blanc bonnet! ». Mais là, l'affaire est plus compliquée car il ne s'agit pas de choisir entre un néo-gaulliste de droite et un néo-démocrate chrétien de centre-droit, mais entre un candidat de gauche et un candidat épousant, qu'il le veuille ou non, les théses de l'extrême droite.

    Si on comprend bien la position officielle, en tout cas élyséenne, c'est justement pour ne pas renforcer le FN qui dénonce une collusion entre l'UMP et le PS (parlant d'UMPS) qu'il ne faut pas appeler à voter pour le candidat de gauche. C'est donc pour conserver le pacte républicain qu'il faudrait tourner le dos au front républicain. L'argument peut séduire, mais est tout de même un peu spécieux et au final, dangereux. Une nouvelle fois, l'UMP fait le jeu du Front national puisqu'il se positionne sur son terrain. Depuis deux ans, le parti présidentiel a calé ses pas sur la marche du FN, en lançant ce calamiteux débat sur l'identité nationale puis en entonnant la nauséabonde dénonciation des Roms et des jeunes délinquants étrangers, et enfin en annonçant un fumeux débat sur l'islam (rebaptisé en catastrophe débat sur la laïcité). Voilà qu'il a peur de ses convictions, républicaines ose-t-on penser, pour ne pas chiffonner la grande blonde et ses électeurs remontés contre les trahisons du Président Sarkozy.

    En face de ce nouveau coup de Munich (en référence à la lâche trahison des démocraties occidentales devant les vociférations d'Hitler), quelques voix, celles de centristes (Borloo, Arthuis), de rares ex-chiraquiens (Pécresse) et du Premier ministre, tentent de faire entendre raison à la droite sarkozyste. Ils ont très peu de chances d'être entendu par un parti paralysé par la double peur des coups de menton de Marine Le Pen et des coups de poker permanents de son chef.

    La question qui est posée, mais que personne n'a le courage de soulever au sein de l'UMP se dessine encore plus nettement au regard de cette nouvelle bérézina électorale: le président sortant est-il le bon candidat pour la droite en 2012 si elle veut tout simplement ne pas être éliminé dès le premier tour et se retrouver à arbitrer un duel PS - FN? Si un tel scénario survenait (et le premier tour vient de confirmer que ce n'est pas simplement une lubie de sondeur...), il ferait éclater à coup sûr le parti qui se voulait, voici peu, majoritaire. C'est donc une opération survie pour la droite qui est engagée.

    Le choix du débat et de la démocratie interne qui a été méthodiquement écarté depuis le lancement de l'UMP (malgré la promesse d'un parti ouvert et pluraliste) est la seule voie possible pour une formation aux abois. Sans cette ouverture, le parti pourrait voir certains de ses membres, notamment dans les régions où le FN représente un électeur sur quatre, faire les yeux doux à la blonde de l'extrême droite soft et d'autres s'affranchir de la dérive droitière pour créer un pôle plus centriste. Ce débat nécessaire ne rendrait pas la politique du gouvernement plus populaire, ni lui ferait retrouver une cohérence incompatible avec l'instabilité chronique de notre Président, mais lui permettrait de retrouver la lucidité qui l'a quitté depuis belle lurette et d'examiner ses chances de survie en 2012. Il faut espérer pour l'UMP - et aussi pour le jeu démocratique - que François Fillon, après cette distanciation salutaire avec l'Elysée, n'en reste pas là face à l'autisme suicidaire des curieux conseillers de Nicolas Sarkozy.

  • Lettre ouverte à Monsieur Claude Guéant

    Monsieur le ministre

    Dois-je vous féliciter? Pour votre première grande interview politique, vous avez frappé fort. Dans l'entretien que vous avez accordé au journal Le Monde (édition du 16 mars), vous avez incontestablement le sens des forclaude-gueant.jpgmules et des propos coup de poing. Témoin ce passage « Les Français ont le sentiment que les flux non-maîtrisés changent leur environnement. Il ne sont pas xénophobes. Cela étant, ils veulent que la France reste la France. Ils veulent que leur mode de vie soit respecté, que la laïcité demeure à la base de notre pacte républicain. […] Les Français veulent que les nouveaux arrivés adoptent le mode de vie qui est le leur. »

    Sur le coup, en lisant ces phrases, je me suis demandé si vous n'aviez pas ramassé dans votre boîte aux lettres un tract du Front national et si vous ne vous étiez pas emmêlé un peu les pinceaux. Mais non, me suis-je dit, ce n'est pas possible de la part d'un haut-fonctionnaire formé dans le moule républicain et exercé aux plus hautes fonctions...

    Pour redevenir sérieux, je ne comprends pas très bien votre propos. « Les Français ne sont pas xénophobes. Cela étant... » Toutes les enquêtes d'opinion montrent une plus grande tolérance vis-à-vis des propositions excluantes portées depuis une bonne vingtaine d'années par le parti de la famille Le Pen. N'y aurait-il pas là un zeste de xénophobie qui signifie, sauf erreur de ma part, peur de l'étranger? Il me semble qu'un ministre de la République, laquelle s'appuie sur la Déclaration des droits de l'homme qui proclame que « les hommes naissent libres et égaux en droits », devrait dénoncer cette montée des peurs en direction des étrangers et non balayer d'un revers de la main une réalité que tous les observateurs sérieux notent : pour diverses raisons qu'il serait trop long d'expliquer ici, une frange de plus en plus large de la communauté nationale considère que la venue des étrangers est porteuse de périls et qu'il convient de s'en protéger. Comment comptez-vous endiguer cette montée de réactions xénophobes (appelons un chat un chat) qui fragilisent notre « vivre ensemble »? J'ai cherché réponse à ma question dans l'entretien. Je n'ai rien lu, si ce n'est un laconique « Le volet intégration de ce ministère doit être renforcé ». Quelles actions concrètes? Avec quels moyens? Quels éléments de mesure des progrès de l'intégration? Mystère et boule de gomme. Réponse dans une prochaine interview au Monde?

    En revanche, vous êtes plus loquace sur ce que pensent les Français. « Les Français ont le sentiment », « les Français veulent », etc. Vous voilà donc porte-parole auto-proclamé des  Français. Et si dans quelques années, « ils » veulent que l'on remette les immigrés à la mer, comme l'a suggéré finement une parlementaire de votre parti, appliquerez-vous la « solution » puisque « les Français » le veulent? Avec des raisonnements comme le vôtre, on aurait jamais légalisé l'IVG ni aboli la peine de mort. Passons...

    Le coeur de votre propos est dans le titre que Le Monde a justement retenu : « Les Français veulent que la France reste la France. » Là encore, j'ai du mal à comprendre – ou alors je comprends trop bien. La France a toujours été une terre d'immigration, donc elle n'est jamais restée la même tout en étant fidèle à sa tradition d'accueil. J'ai le sentiment que c'est vous, ministre de la République, qui ne souhaitez pas que la France reste fidèle à sa tradition. En l'occurrence, je me sens plus fidèle à la France éternelle, celle qui s'est enrichie depuis des siècles au contact des immigrés. Au début du XXe siècle, les Français auraient également pu vouloir que « la France reste la France » et n'accueille pas les Italiens, les Polonais qui frappaient à sa porte. Fallait-il les rejeter au motif qu'ils risquaient de changer notre mode de vie?

    Vous voulez que les flux migratoires soient maîtrisés. Très bien, mais comment fait-on quand on fuit la misère ou l'oppression? Pensez-vous qu'on va gentiment déposer une demande d'immigration dans nos ambassades et attendre tranquillement la réponse des autorités françaises? En général, on prend ses jambes à son cou pour sauver sa vie et/ou l'avenir de ses enfants. Fallait-il aussi que la France se ferme aux Hongrois qui fuyaient la répression communiste en 1956 (vous pouvez en parler avec l'homme politique que vous servez depuis des années)? Et les Vietnamiens et les Cambodgiens qui prenaient la mer dans les années 70, fallait-il leur demander d'aller voir ailleurs car il ne fallait surtout pas que notre gastronomie et nos modes de vie soient perturbés?

    Vous voyez, la France, cela ne peut se résumer à des slogans électoralistes tout faits qui n'ont aucune portée sur les réalités (ou alors il faut tourner le dos à notre cadre républicain). Il n'est même sûr que l'ambition électoraliste qui vous anime – arrêter l'exode d'électeurs UMP vers Marine Le Pen – soit satisfaite par ce genre de déclaration. En tout cas, cela nous ferait presque regretter les outrances verbales, condamnées par la justice, de votre prédécesseur qui n'aimait pas trop les... Auvergnats.

    Pour redevenir sérieux et pour conclure, si votre objectif est de lutter contre la progression du FN, je ne vous conseille pas de tenter d'en proposer une version soft mais de vous attaquer aux questions qui sont au coeur de cette désespérance politique: la montée du chômage et de la précarité, le dénigrement de la fonction publique et plus généralement de tous ceux qui œuvrent, par exemple dans les associations, à créer du lien social. Vous et l'équipe gouvernementale devriez également vous attaquer aux injustices et aux ghettos de pauvres comme de riches qui favorisent la montée des peurs. C'est cette forme de communautarisme qui menace le plus notre pacte républicain, davantage que quelques prières dans la rue de musulmans faute de lieu de culte décent.

    En résumé, vous devriez refaire de la politique dans son sens le plus noble, servir l'idéal de « liberté, égalité, fraternité » au lieu de courir après un démon qui sera toujours plus rapide et habile que vous.

    J'espère, Monsieur le ministre, qu'après un bizutage un peu inquiétant pour nos valeurs, vous vous ressaisirez et redeviendrez digne de la République qui vous a confié ses pouvoirs.