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jean-marc ayrault

  • Gouvernement : renouvelé, cohérent mais très PS

    Voilà l'équipe Ayrault au grand complet. L'affaire a été plus compliquée que prévu après gouvernement Ayrault.jpgle claquement de porte – pas si inattendu que prévu – de Martine Aubry qui se voyait déjà à Matignon. Il a fallu, dès lors, revoir toute l'architecture gouvernementale. Sans doute, telle ou telle femme doit-elle sa présence autour de la table – chargée – du conseil des ministres à la décision de la première secrétaire du PS de se retirer dans son double fief de Lille et de la rue Solférino (Harlem Désir va devoir encore patienter avant de prendre sa place...).

    Quelques heures après cette nomination au forceps, quelques réflexions sur les forces et les faiblesses de ce nouvel exécutif. Incontestablement, l'équipe Ayrault est marquée par un vrai renouvellement du personnel. D'abord, le premier d'entre eux est un des rares Premiers ministres à ne pas sortir d'une grande école de cette élite républicaine qui parle beaucoup d'universalité mais aime tant les castes... En ce sens, il ressemble un peu à Pierre Mauroy, le premier homme de Matignon en 1981. Celui-ci ayraul.jpgétait une figure de la SFIO puis du PS d'Epinay, et surtout était le patron du Nord. Là, 31 ans plus tard, c'est un des ténors du PS, de l'Assemblée (espérons que ce soit un bon signe pour les députés) et surtout le maire de la plus grosse ville de l'Ouest.

    Choisir un élu de l'Ouest est un symbole fort car cela traduit l'ancrage progressif de la gauche dans cette région. La Bretagne (si on inclut la Loire-Atlantique) est entièrement (conseil régional + conseils généraux + grandes villes) contrôlée par les socialistes (qui ne ressemblent pas vraiment – pourvu que ça dure ! – à leurs homologues du Pas-de-Calais ou des Bouches-du-Rhône) alors que le PS était seulement puissant dans les Côtes d'Armor dans les années 80. Le fait qu'Ayrault soit d'extraction populaire et soit resté, semble-t-il, fidèle à ses origines modestes n'est pas pour déplaire à un moment où la grande masse de la population se demande si les élus les représentent vraiment.

    Le renouvellement est aussi frappant dans la composition du gouvernement. En termes d'extraction, on remarquera que quatre ministres ont des origines extra-européennes (dont, pour la fleur pellerin.jpgpremière fois, avec Fleur Pellerin, une ressortissante asiatique). Pour autant, aucun d'entre eux n'a de poste particulièrement en vue, sauf Najet Belkacem, porte-parole du gouvernement. Attention à ne pas en faire des gadgets ou des ministres alibis ! On regrettera également qu'aucune personne souffrant d'un handicap n'ait été retenu dans l'équipe Ayrault I. Mais il reste Ayrault II, après les législatives, pour se ratrapper...

    A part Laurent Fabius qui après avoir obtenu ce dernier (?) bâton de maréchal devra penser à sa retraite, tous les autres sont relativement novices. Certains, comme Pierre Moscovici, Michel Sapin ou Marylise Lebranchu, ont eu des fonctions plus ou moins secondaires sous Rocard ou Jospin, mais ils apparaissent comme des responsables politiques encore neufs. Pour d'autres, comme Vincent Peillon (éducation), Stéphane Le Foll (agriculture), Arnaud Montebourg (Redressement productif, sic) ou Manuel Valls (Intérieur), c'est l'épreuve de vérité. Ils sont en politique depuis 15 à 20 ans, ont souvent été dans les coulisses, tirant les ficelles des alliances avec les uns et les autres. Ils ont à prouver qu'être politiques, c'est aussi arbitrer au grand jour, prendre des risques et s'attirer les foudres des organisations professionnelles et des médias. Pour les deux derniers notamment qui soignent leur image, ils vont devoir apprendre à ne pas être aimés. De ce point de vue, donner sa chance à une génération qui attend depuis 10 ans l'alternance est plutôt un gage de confiance en l'avenir. Il leur reste à prouver que leur ramage est à la hauteur de leur plumage...

    Cette équipe n'est pas d'une grande originalité, mais on saluera tout de même deux innovations qui peuvent être porteuses d'évolutions culturelles : la création d'un maroquin à l'économie sociale et solidaire (confiée à Benoit Hamon qui lui aussi a tout à prouver), enfin reconnue, et la Coopération attribuée au EELV Pascal Canfin. Il sera intéressant de suivre canfin.jpgles premiers pas de celui qui était voici trois ans (avant les européennes où il bénéficia de l'effet Cohn-Bendit) journaliste à Alternatives économiques et qui aujourd'hui anime l'ONG Finance Watch. Signera-t-il vraiment la mort de la Françafrique qui, même affaiblie, a de beaux restes ? Réussira-t-il à mettre de l'ordre  et de la "morale" dans notre politique de coopération qui en a tant besoin? Cohabitera-t-il aisément avec le très realpolitik Laurent Fabius, dont on sait peu qu'ìl connaît assez bien la Chine (ce qui est au moins aussi précieux que la maîtrise de l'allemand de notre Premier ministre, le monde ne s'arrêtant pas aux portes de notre chère Europe)

    Cette équipe devrait être assez cohérente à l'image du duo que forme Hollande et Ayrault. Reste qu'elle souffre d'un gros défaut : être d'abord un gouvernement PS. A part les deux EELV (l'impatient Placé va devoir attendre un peu), la radicale Sylvia Pinel (on a échappé, semble-t-il de peu, à l'arrivée du très peu éthique Jean-Michel Baylet) et l'inclassable Christine Taubira (qui fut radicale de gauche, candidate en 2002) à la Justice, les trente autres ministres sont membres du PS. Les écuries, les sensibilités et les régions ont été bien représentées, mais cela fait tout de même une assise assez étroite pour conduire le changement.

    La question qui est posée est bien celle d'une ouverture vers la gauche, mais aussi vers le centre, pour rassembler très largement et rendre possible le redressement annoncé dont la route est très escarpée. Le pari est compliqué pour l'après-législative (dans l'hypothèse, très probable, où majorité présidentielle et parlementaire coïncideraient) puisqu'il va falloir réussir l'élargissement de ce gouvernement, sans rompre avec la cohérence sans laquelle rien n'est possible. Voilà Jean-Marc Ayrault (et sa femme) prévenus : ils vont devoir faire une croix sur les vacances 2012. Adieu la liberté des voyages en camping-car. Bonjour les folles journées à Matignon et au Parlement... 

     

  • Cumul des mandats, le bal des hypocrites

    Marianne a pleinement raison de titrer cette semaine: « Les cumulards: le noyau dur qui truste tout ». Dans l'article introductif, Daniel Bernard rappelle quelques chiffres édifiants: « 259 des 577 députés sont maires, 21 sont présidents de conseil général, 8 de conseil régional » (le topo est à peu près le même pour le Sénat avec 32 présidents de conseil général, mais les sénateurs ont au moins « l'excuse » de devoir représenter les collectivités territoriales). Cumuler est donc un sport politique particulièrement prisé (on pourrait dire presque la même chose dans les médias et le monde des grandes entreprises). A part Ségolène Royal qui a renoncé à se présenter lors des dernières législatives, il faut bien dire que les grands responsables politiques ne donnent guère l'exemple, le top du top étant l'ambitieux Jean-François Copé qui non content d'être parlementaire, président du groupe (souvent remuant) de l'UMP, maire de Meaux, est associé à un cabinet d'affaires...

    Quelles sont les conséquences du cumul des mandats? Des bénéficiaires qui sont toujours en train de courir entre deux trains et deux avions. Une priorité – assez logique – accordée aux responsabilités locales. Une méconnaissance des dossiers. Et puis, un renouvellement nécessaire du personnel politique très faible qui pénalise les femmes, les jeunes, les pas-très-blancs et plus généralement tous ceux qui ne se sont pas mis sous la coupe d'un grand baron. Pourquoi est-il si facile (et tentant) de devenir député-maire? Tout simplement parce que la direction d'une ville (ou d'un département) vous donne une visibilité qu'un candidat lambda, pris par ses occupations professionnelles, n'aura jamais. Sans compter les réseaux clientélistes que certains déploient avec un vrai talent (« on va voter pour notre maire qui nous a trouvé un logement/un emploi municipal/une place en crèche », etc.).

    Le résultat est très clair: un Parlement qui fonctionne avec un nombre restreint de représentants très assidus (ceux qui sont là du lundi après-midi au vendredi matin) alors que les autres, pris par leur(s) mandat(s) local(aux), arrivent, dans le meilleur des cas, le mardi matin et repartent le jeudi midi. Et encore, une partie de leur temps est occupé à faire le siège des administrations centrales pour débloquer tel ou tel dossier local.

    En la matière, la gauche ne donne guère l'exemple. On épargnera la pôvre Dominique Voynet qui a fait campagne face au député-maire Jean-Pierre Brard sur le thème « Montreuil mérite un maire à temps plein » et une fois élue, a oublié de rendre son siège de sénatrice (qu'elle occupe d'ailleurs avec mesure). Le principal opposant à l'Assemblée nationale devrait être Jean-Marc Ayrault. Président du groupe PS, c'est un job à temps plein. Eh bien, notre Ayrault national est toujours maire de Nantes (qui ne ressemble pas à un bourg perdu du vignoble nantais) et président de la communauté urbaine nantaise (qui, à la louche, doit bien rassembler 300 000 à 400 000 habitants).

    Celui qui voulait le remplacer voici un an à la tête du groupe socialiste (et qui s'est pris une mémorable gamelle), l'éblouissant Arnaud Montebourg s'est ridiculisé en se faisant élire en 2008 conseiller général et président du conseil général de Saône-et-Loire. Lui qui nous a bassiné pendant des années avec sa VI e République et le mandat unique est devenu le patron d'un département, ce qui doit bien l'occuper deux à trois jours (ou alors, il fait mal son job). Avec des opposants plus soucieux de gagner ou de conserver des baronnies locales, Nicolas Sarkozy peut dormir sous ses deux oreilles. Et l'on ne dit rien de la patronne du PS qui, si elle n'a pas de mandat parlementaire, dirige tout de même Lille et sa communauté d'agglomération.Montebourg.jpg

    Quand il doit s'expliquer sur son revirement, Montebourg perd de son allant. Dans Marianne toujours, il nous explique laborieusement: « A titre personnel, il me manquait un apprentissage local, celui par lequel la plupart des élus commencent leur vie politique. Ayant fait le constat de la quasi-inutilité grandissante des parlementaires sous l'ultraprésidence Sarkozy, j'ai voulu expérimenter à l'échelle de mon département les idées que je cherche vainement à faire partager à mon pays. » On pourrait résumer le propos alambiqué ainsi: « je ne sers pas à grand-chose au Palais Bourbon alors comme j'ai peur de m'ennuyer, je m'occupe des affaires des bouseux. Et puis au moins là, personne ne m'empêche d'être président. »

    Trêve de plaisanterie: ce genre de déclaration est non seulement scandaleux sur le plan de l'éthique (pourquoi ne démissionne-t-il pas de son poste de député s'il ne sert à rien?), mais insultant pour les habitants de Saône-et-Loire qui sont appelés à expérimenter les idées du sieur Montebourg. Lequel indique dans cet entretien qu'il travaille au « respect des normes environnementales » et à « mettre en cause la responsabilité des banques dans un certain nombre de dossiers de surendettement. » Il affirme que par sa pratique, il « dénotabilise la vie locale ». Cela mériterait vérification, mais si notre président Montebourg s'éclate en Bourgogne, on ne peut qu'être heu-reux. Mais alors, qu'il laisse tomber son mandat de député « quasi-inutile» ...

    Le professeur de droit public Guy Carcassonne a raison d'écrire que le mandat unique n'est pas « une réforme parmi les autres, mais la mère de toutes les autres. » La gauche, si elle se met enfin à préparer une alternative, est-elle prête à inscrire cette réforme dans son programme? Prendra-t-elle le risque de mécontenter la moitié de son groupe parlementaire qui cumule gentiment une fonction exécutive? Les paris sont ouverts, mais j'ai tendance à être plutôt pessimiste...