Marianne a pleinement raison de titrer cette semaine: « Les cumulards: le noyau dur qui truste tout ». Dans l'article introductif, Daniel Bernard rappelle quelques chiffres édifiants: « 259 des 577 députés sont maires, 21 sont présidents de conseil général, 8 de conseil régional » (le topo est à peu près le même pour le Sénat avec 32 présidents de conseil général, mais les sénateurs ont au moins « l'excuse » de devoir représenter les collectivités territoriales). Cumuler est donc un sport politique particulièrement prisé (on pourrait dire presque la même chose dans les médias et le monde des grandes entreprises). A part Ségolène Royal qui a renoncé à se présenter lors des dernières législatives, il faut bien dire que les grands responsables politiques ne donnent guère l'exemple, le top du top étant l'ambitieux Jean-François Copé qui non content d'être parlementaire, président du groupe (souvent remuant) de l'UMP, maire de Meaux, est associé à un cabinet d'affaires...
Quelles sont les conséquences du cumul des mandats? Des bénéficiaires qui sont toujours en train de courir entre deux trains et deux avions. Une priorité – assez logique – accordée aux responsabilités locales. Une méconnaissance des dossiers. Et puis, un renouvellement nécessaire du personnel politique très faible qui pénalise les femmes, les jeunes, les pas-très-blancs et plus généralement tous ceux qui ne se sont pas mis sous la coupe d'un grand baron. Pourquoi est-il si facile (et tentant) de devenir député-maire? Tout simplement parce que la direction d'une ville (ou d'un département) vous donne une visibilité qu'un candidat lambda, pris par ses occupations professionnelles, n'aura jamais. Sans compter les réseaux clientélistes que certains déploient avec un vrai talent (« on va voter pour notre maire qui nous a trouvé un logement/un emploi municipal/une place en crèche », etc.).
Le résultat est très clair: un Parlement qui fonctionne avec un nombre restreint de représentants très assidus (ceux qui sont là du lundi après-midi au vendredi matin) alors que les autres, pris par leur(s) mandat(s) local(aux), arrivent, dans le meilleur des cas, le mardi matin et repartent le jeudi midi. Et encore, une partie de leur temps est occupé à faire le siège des administrations centrales pour débloquer tel ou tel dossier local.
En la matière, la gauche ne donne guère l'exemple. On épargnera la pôvre Dominique Voynet qui a fait campagne face au député-maire Jean-Pierre Brard sur le thème « Montreuil mérite un maire à temps plein » et une fois élue, a oublié de rendre son siège de sénatrice (qu'elle occupe d'ailleurs avec mesure). Le principal opposant à l'Assemblée nationale devrait être Jean-Marc Ayrault. Président du groupe PS, c'est un job à temps plein. Eh bien, notre Ayrault national est toujours maire de Nantes (qui ne ressemble pas à un bourg perdu du vignoble nantais) et président de la communauté urbaine nantaise (qui, à la louche, doit bien rassembler 300 000 à 400 000 habitants).
Celui qui voulait le remplacer voici un an à la tête du groupe socialiste (et qui s'est pris une mémorable gamelle), l'éblouissant Arnaud Montebourg s'est ridiculisé en se faisant élire en 2008 conseiller général et président du conseil général de Saône-et-Loire. Lui qui nous a bassiné pendant des années avec sa VI e République et le mandat unique est devenu le patron d'un département, ce qui doit bien l'occuper deux à trois jours (ou alors, il fait mal son job). Avec des opposants plus soucieux de gagner ou de conserver des baronnies locales, Nicolas Sarkozy peut dormir sous ses deux oreilles. Et l'on ne dit rien de la patronne du PS qui, si elle n'a pas de mandat parlementaire, dirige tout de même Lille et sa communauté d'agglomération.
Quand il doit s'expliquer sur son revirement, Montebourg perd de son allant. Dans Marianne toujours, il nous explique laborieusement: « A titre personnel, il me manquait un apprentissage local, celui par lequel la plupart des élus commencent leur vie politique. Ayant fait le constat de la quasi-inutilité grandissante des parlementaires sous l'ultraprésidence Sarkozy, j'ai voulu expérimenter à l'échelle de mon département les idées que je cherche vainement à faire partager à mon pays. » On pourrait résumer le propos alambiqué ainsi: « je ne sers pas à grand-chose au Palais Bourbon alors comme j'ai peur de m'ennuyer, je m'occupe des affaires des bouseux. Et puis au moins là, personne ne m'empêche d'être président. »
Trêve de plaisanterie: ce genre de déclaration est non seulement scandaleux sur le plan de l'éthique (pourquoi ne démissionne-t-il pas de son poste de député s'il ne sert à rien?), mais insultant pour les habitants de Saône-et-Loire qui sont appelés à expérimenter les idées du sieur Montebourg. Lequel indique dans cet entretien qu'il travaille au « respect des normes environnementales » et à « mettre en cause la responsabilité des banques dans un certain nombre de dossiers de surendettement. » Il affirme que par sa pratique, il « dénotabilise la vie locale ». Cela mériterait vérification, mais si notre président Montebourg s'éclate en Bourgogne, on ne peut qu'être heu-reux. Mais alors, qu'il laisse tomber son mandat de député « quasi-inutile» ...
Le professeur de droit public Guy Carcassonne a raison d'écrire que le mandat unique n'est pas « une réforme parmi les autres, mais la mère de toutes les autres. » La gauche, si elle se met enfin à préparer une alternative, est-elle prête à inscrire cette réforme dans son programme? Prendra-t-elle le risque de mécontenter la moitié de son groupe parlementaire qui cumule gentiment une fonction exécutive? Les paris sont ouverts, mais j'ai tendance à être plutôt pessimiste...