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françois mitterrand

  • Nous ne sommes plus en mai 1981 !

    Ce titre en interrogera certains : comment quelqu'un qui intitule son blog d'analyses politiques « 10 mai » (1) peut-il se méfier de cette analogie historique que le journal Le Monde cite allègrmai 1981,françois hollande,françois mitterrandement dans son éditorial? Le risque, pourtant, est de rester trop imprégné du souvenir de la première victoire de la gauche sous la Ve République et de croire que l'histoire se répète...

    Points communs, 31 ans plus tard...

    Certes, tout pousse à faire un parallèle entre le scrutin de 1981 et celui de 2012. Même rejet du sortant (VGE et Sarkozy), même score (51,7 %), même lieu pour la fête (d'abord une ville de la France profonde – Château-Chinon pour Mitterrand, Tulle pour Hollande – puis la Bastille). Jusqu'au prénom identique... En 1981 comme aujourd'hui, il y a le même espoir d'une rupture avec une période marquées par les affaires et les scandales en tout genre. mai 1981,françois hollande,françois mitterrand

    Pour le reste, rien ne peut permettre une analogie entre les deux périodes. Le poids du parti communiste a été divisé par trois ou quatre (le score de Mélenchon ne doit pas induire en erreur sur la vraie influence du parti dirigé par Pierre Laurent). La mouvance écologiste, même affaiblie par le ratage de la candidature Joly, pèse réellement sur l'échiquier politique, ce qui remet en cause une certaine vision scientiste et souvent productiviste qui a été (est ?) celle de la gauche.

    Tout, ou presque, a changé

    De plus, la société n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était. Hier, elle était encore très « blanche », corsetée, structurée par la famille « classique », l'information circulait au mai 1981,françois hollande,françois mitterrandcompte-goutte et les traditions politiques familiales était une réalité rarement contestée. Aujourd'hui (il suffisait, pour s'en convaincre, de regarder l'assemblée à la Bastille), la société est très multicolore, très métissée, l'information (le meilleur comme le pire) circule plus vite que la lumière et une partie importante des citoyens ne sent pas appartenir à une famille politique.

    La relation au nouveau Président de la République n'est absolument pas la même : François M. était respecté, craint, haï parfois, il se situait (même si c'était fort discutable) dans la lignée des grandes figures de la gauche, de Jaurès à Blum ; François H. a deux « pères » en politique (Jacques Delors et Lionel Jospin), mais ne porte pas en lui, dans ses gênes, cette mystique de la politique. « Normal » a-t-il souhaité se définir et de ce point de vue-là, il l'est totalement. Personne n'aurait imaginé dire de Mitterrand, l'homme de Vichy puis de la Résistance, le politicien de la IVe République puis l'opposant à de Gaulle sous la Ve, le rassembleur de la gauche, qu'il était un homme « normal ».

    Périls en la demeure

    Si le nouveau président revendique une part de normalité, la situation qu'il va trouver dans quelques jourmai 1981,françois hollande,françois mitterrands est totalement exceptionnelle. L'Europe est menacée d'implosion, le couple franco-allemand risque d'aller dans les prochaines semaines, la zone euro craque de toutes parts, les « marchés » comme on dit sont aux aguets, prêts à sanctionner toute audace économique. Et puis ne parlons même du chômage qui pourrait s'envoler dans les prochains mois, de l'endettement qui pèse lourdement sur nos épaules et le spectre de la pauvreté qui plane sur des franges de plus en plus larges de la population française. Là encore, rien à voir avec la France qui sortait des 30 glorieuses et qui croyait en la reprise de la croissance...

    Fractures dans la carte électorale

    Sur le plan électoral, il faut regarder d'un peu plus près les résultats. L'écart, tout étant moins large que je l'avais prévu, est suffisamment confortable (1,15 million de voix) pour que le résultat ne souffre d'aucune contestation. Pour autant, les plus de 2 millions d'électeurs qui ont voté blanc ou nul montrent que la candidature Hollande n'a convaincu qu'une majorité relative d'électeurs. Dans certains départements très ouvriers et/ou ruraux où Marine Le Pen avait obtenu entre 20 et 25 % des suffrages, la proportion d'électeurs ayant voté blanc (comme la leader du FN) ou nul est impressionnante : 7 % à 8 % dans le Pas-de-Calais, dans l'Indre ou encore la Meuse. Certes, la moitié des électeurs du FN du premier tour s'est reporté sur le candidat sortant, mais Marine Le Pen, en encourageant officiellement à voter blanc et officieusement à choisir Hollande, a montré qu'elle pouvait contribuer à faitre chuter un candidat malgré (ou à cause de) sa propension à surfer sur les thèmes frontistes.

    La carte électorale dégage aussi un autre enseignement, inquiétant pour François Hollande. Il est largement élu dans la moitié ouest de la France (sur une ligne qui partirait de Dunkerque pour aller jusqu'à Perpignan) alors qu'à l'exception de quelques régions (les 5 départements les plus septentrionaux et un bout de Rhône-Alpes) il est largement battu dans la moitié Est là où la désindustrialisation et les nouveaux flux de population sont les plus importants. Deux pays se font face qu'on peut résumer ainsi (de façon volontairement caricaturale).

    Les deux France

    D'un côté, une France tempérée, de tradition radicale-socialiste (le Sud-Ouest) ou démocrate-chrétienne (l'Ouest) où le style mesuré et tout en rondeurs de Hollande a bien fonctionné et où la vie associative est très dense. Toute la Bretagne a plébiscité Hollande qui obtient 56 % des suffrages.

    De l'autre, une France, parfois pauvre, parfois prospère, très inquiète des audaces de François Hollande et des conséquences de l'ouverture des frontières. Les 57 % obtenus par Sarkozy en PACA prouvent que le peuple de droite ne s'est pas disloqué malgré les violentes critiques qu'a rencontrées le candidat sortant. A cette coupure géographique très nette, s'ajoute une autre fracture, entre des grandes villes (toutes, sauf Nice, acquises à Hollande) et des petites villes et espaces ruraux majoritairement sarkozystes. La situation de Paris est, à cet égard, symptomatique : en 2007, Sarkozy disposait d'une très courte avancé alors que cette fois, il est distancé de 11 points (+ 110 000 voix de différence).

    Donc, François Hollande va devoir reconquérir des pans de la population qui n'ont plus vraiment confiance dans la politique ou sont paralysés par des peurs (fondées ou non) à partir desquels ils développent parfois un discours séparatiste (« on reste entre nous »). La difficulté du socialiste, c'est qu'il a été élu par une frange très urbaine, globalement plus favorisée que la moyenne et qui, elle aussi, a de plus en plus de mal à comprendre cette autre France, plus frileuse. A la lecture de ce constat assez implacable, on comprendra pourquoi il est difficile de sombrer dans la douce nostalgie de Mai 81. Un temps qui, malgré les clins d'oeil de l'histoire, n'existe plus.

     

    (1) Coïncidence totale : ce post d'après élection est le 100e du blog que j'ai créé voici trois ans, le 10 mai 2009. De mois en mois, de plus en plus de visiteurs consultent ce blog (en moyenne près de 3000 visites mensuelles depuis juin 2011). Que chacun soit remercié de l'intérêt porté à ce travail (plaisir) de déchiffrage des enjeux politiques. Alternance ou pas, le propos de ce blog ne changera pas et la liberté de ton s'exercera également sur le nouveau pouvoir. En appliquant la maxime bien connue : qui aime bien, châtie bien !

  • 10 mai 81 : se souvenir ou vénérer ?

    Tout le monde ne parle que de ça depuis quelques jours. En tout cas, tous ceux qui s'intéressent un tant soit peu à la politique et qui ont une trentaine bien frappée. Au cas où cela vous aurait Mitterrand.jpgéchappé, on fête, en ce 10 mai, les 30 ans de la victoire de François Mitterrrand à l'élection présidentielle. Chacun y va de ses souvenirs, de sa mélancolie et je vous ferai grâce des miens même s'ils restent bien ancrés dans ma mémoire. Le lecteur attentif aura noté que ce blog porte le nom de cet événement, marquant de façon très claire le début de ma « passion » pour la chose politique. Donc, pas question pour moi de cracher dans la soupe, même s'il est légitime de regarder à quoi elle ressemble trois décennies plus tard.

    Pourquoi revenir sur cette phase historique abondamment commentée par les gazettes, les écrans et les ouvrages? Parce deux aspects ont, à mon avis, été insuffisamment commentés et méritent d'être développés. Dans cet intérêt, au moins médiatique, pour le 10 mai 1981, il y a, me semble-t-il, une fascination pour une façon de faire de la politique tout à fait différente. Même si, depuis Vichy jusqu'à sa mort, Mitterrand a été une « bête politique », il exerçait son art de façon quasi artisanale.

    Un documentaire, diffusé dimanche 8 mai sur France3, racontant cette journée vue par les deux adversaires du second tour, indiquait qu'après avoir appris sa victoire aux alentours de 18-19 heures, le nouveau Président avait continué de souper comme si de rien n'était, dissertMitterrand affiche.jpgant sur le climat du Morvan. Ensuite il avait tranquillement rédigé, sur un coin de table dans sa modeste chambre "de VRP", selon le documentaire, le discours qu'il prononcerait devant le pays tout entier après son visage a apparu sur les écrans de télé à 20 heures pétantes. Qui peut penser qu'aujourd'hui, un finaliste de la présidentielle attende la fin de la journée pour rédiger un discours historique ? On le voyait ensuite rentrer tranquillement dans la nuit humide de ce 10-11 mai vers la capitale, installé devant à côté de son fidèle chauffeur.

    Aujourd'hui, un tel trajet serait escorté par une myriade de caméras, de téléphones portables (se rappeler de la « traversée de Paris » de Jacques Chirac lors de sa victoire en 1995), sans oublier un ballet d'hélicoptères. Ce qui a rendu la fête de victoire inoubliable, c'est ce côté amateur, cette supériorité du mot sur l'image. Et c'est d'ailleurs pourquoi les images de la fête de la Bastille et de milliers d'autres plus ou moins improvisées ont ce charme désuet : elles ne sont pas fabriquées. En (re)vivant ce moment si particulier, les Français oublient les moeurs politiques actuelles marquées par la règle de la petite phrase, le règne des conseillers et sondeurs et (trop souvent) le piège de la pensée vide. A presque tous égards, le souvenir idéalisé (et donc déformant par rapport à la réalité) de François Mitterrand leur fait oublier la présidence calamiteuse, au moins sur le style - « Casse-toi, pov' con ! » - de Nicolas Sarkozy.

    L'autre point qui me frappe, c'est l'absence de tout regard critique mesuré sur François Mitterrand. Cet homme qui a été haï à droite et (parfois) à gauche devient un modèle pour (presque) tout le monde. Comme pour de Gaulle – mais pour lui, les raisons se comprennent davantage à cause de sa résistance acharnée au nazisme -, on lui dresse une statut du Commandeur. Cela aboutit à oublier les critiques ou du moins à en atténuer la portée. Il ne s'agit pas de remuer le couteau dans la plaie, en oubliant l'abolition de la peine de mort, la décentralisation, les libertés pour les étrangers et pour l'expression publique sans compter la 5e semaine de congés payés, mais tout de même, comment ne pas rappeler le règne du cynisme, l'usage des écoutes téléphoniques à des fins personnelles, l'aveuglement devant l'enrichissement de certains ou devant les crimes de Touvier sans oublier le renoncement à s'attaquer avec férocité contre le chômage de masse ?

    Tous ces petits et grands scandales, cette aisance dénuée de scrupules à se mouvoir dans un monde de paillettes (la 5e chaine concédée à Berlusconi), comme s'il fallait profiter de ce dont on été si longtemps privé, ont fait un mal terrible à la gauche. Celle-ci ne peut plus se réclamer de la vertu, ne peut plus invoquer l'affrontement entre la lumière et l'ombre (qu'avait cité, je crois, Jack Lang). D'une certaine manière, c'est tant mieux car à vouloir absolutiser la politique, à l'apparenter au discours religieux (vérité/erreur), on se trompe sur sa nature éminemment matérialiste : changer les choses pour espérer donner à chacun la possibilité de s'épanouir en lien avec les autres.

    Pour autant, les renoncements à toute éthique, notamment lors de la funeste période 1991/1993 (sur deux premiers ministres, l'une a été « carbonisée », l'autre s'est suicidé), ont introduit un soupçon indélibile sur l'honnêteté des politiques. Il n'est pas sûr que les gardiens du temple mitterrandien (les Lang, Charasse, Védrine et autres Bergé...) aient pleinement conscience de l'héritage étonnamment ambigu que nous laisse le premier - et seul à ce jour – président de gauche de la Ve République. Et de la difficulté, pour 2012, à faire adhérer la population à une promesse de changement.