Ce titre en interrogera certains : comment quelqu'un qui intitule son blog d'analyses politiques « 10 mai » (1) peut-il se méfier de cette analogie historique que le journal Le Monde cite allègrement dans son éditorial? Le risque, pourtant, est de rester trop imprégné du souvenir de la première victoire de la gauche sous la Ve République et de croire que l'histoire se répète...
Points communs, 31 ans plus tard...
Certes, tout pousse à faire un parallèle entre le scrutin de 1981 et celui de 2012. Même rejet du sortant (VGE et Sarkozy), même score (51,7 %), même lieu pour la fête (d'abord une ville de la France profonde – Château-Chinon pour Mitterrand, Tulle pour Hollande – puis la Bastille). Jusqu'au prénom identique... En 1981 comme aujourd'hui, il y a le même espoir d'une rupture avec une période marquées par les affaires et les scandales en tout genre.
Pour le reste, rien ne peut permettre une analogie entre les deux périodes. Le poids du parti communiste a été divisé par trois ou quatre (le score de Mélenchon ne doit pas induire en erreur sur la vraie influence du parti dirigé par Pierre Laurent). La mouvance écologiste, même affaiblie par le ratage de la candidature Joly, pèse réellement sur l'échiquier politique, ce qui remet en cause une certaine vision scientiste et souvent productiviste qui a été (est ?) celle de la gauche.
Tout, ou presque, a changé
De plus, la société n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était. Hier, elle était encore très « blanche », corsetée, structurée par la famille « classique », l'information circulait au compte-goutte et les traditions politiques familiales était une réalité rarement contestée. Aujourd'hui (il suffisait, pour s'en convaincre, de regarder l'assemblée à la Bastille), la société est très multicolore, très métissée, l'information (le meilleur comme le pire) circule plus vite que la lumière et une partie importante des citoyens ne sent pas appartenir à une famille politique.
La relation au nouveau Président de la République n'est absolument pas la même : François M. était respecté, craint, haï parfois, il se situait (même si c'était fort discutable) dans la lignée des grandes figures de la gauche, de Jaurès à Blum ; François H. a deux « pères » en politique (Jacques Delors et Lionel Jospin), mais ne porte pas en lui, dans ses gênes, cette mystique de la politique. « Normal » a-t-il souhaité se définir et de ce point de vue-là, il l'est totalement. Personne n'aurait imaginé dire de Mitterrand, l'homme de Vichy puis de la Résistance, le politicien de la IVe République puis l'opposant à de Gaulle sous la Ve, le rassembleur de la gauche, qu'il était un homme « normal ».
Périls en la demeure
Si le nouveau président revendique une part de normalité, la situation qu'il va trouver dans quelques jours est totalement exceptionnelle. L'Europe est menacée d'implosion, le couple franco-allemand risque d'aller dans les prochaines semaines, la zone euro craque de toutes parts, les « marchés » comme on dit sont aux aguets, prêts à sanctionner toute audace économique. Et puis ne parlons même du chômage qui pourrait s'envoler dans les prochains mois, de l'endettement qui pèse lourdement sur nos épaules et le spectre de la pauvreté qui plane sur des franges de plus en plus larges de la population française. Là encore, rien à voir avec la France qui sortait des 30 glorieuses et qui croyait en la reprise de la croissance...
Fractures dans la carte électorale
Sur le plan électoral, il faut regarder d'un peu plus près les résultats. L'écart, tout étant moins large que je l'avais prévu, est suffisamment confortable (1,15 million de voix) pour que le résultat ne souffre d'aucune contestation. Pour autant, les plus de 2 millions d'électeurs qui ont voté blanc ou nul montrent que la candidature Hollande n'a convaincu qu'une majorité relative d'électeurs. Dans certains départements très ouvriers et/ou ruraux où Marine Le Pen avait obtenu entre 20 et 25 % des suffrages, la proportion d'électeurs ayant voté blanc (comme la leader du FN) ou nul est impressionnante : 7 % à 8 % dans le Pas-de-Calais, dans l'Indre ou encore la Meuse. Certes, la moitié des électeurs du FN du premier tour s'est reporté sur le candidat sortant, mais Marine Le Pen, en encourageant officiellement à voter blanc et officieusement à choisir Hollande, a montré qu'elle pouvait contribuer à faitre chuter un candidat malgré (ou à cause de) sa propension à surfer sur les thèmes frontistes.
La carte électorale dégage aussi un autre enseignement, inquiétant pour François Hollande. Il est largement élu dans la moitié ouest de la France (sur une ligne qui partirait de Dunkerque pour aller jusqu'à Perpignan) alors qu'à l'exception de quelques régions (les 5 départements les plus septentrionaux et un bout de Rhône-Alpes) il est largement battu dans la moitié Est là où la désindustrialisation et les nouveaux flux de population sont les plus importants. Deux pays se font face qu'on peut résumer ainsi (de façon volontairement caricaturale).
Les deux France
D'un côté, une France tempérée, de tradition radicale-socialiste (le Sud-Ouest) ou démocrate-chrétienne (l'Ouest) où le style mesuré et tout en rondeurs de Hollande a bien fonctionné et où la vie associative est très dense. Toute la Bretagne a plébiscité Hollande qui obtient 56 % des suffrages.
De l'autre, une France, parfois pauvre, parfois prospère, très inquiète des audaces de François Hollande et des conséquences de l'ouverture des frontières. Les 57 % obtenus par Sarkozy en PACA prouvent que le peuple de droite ne s'est pas disloqué malgré les violentes critiques qu'a rencontrées le candidat sortant. A cette coupure géographique très nette, s'ajoute une autre fracture, entre des grandes villes (toutes, sauf Nice, acquises à Hollande) et des petites villes et espaces ruraux majoritairement sarkozystes. La situation de Paris est, à cet égard, symptomatique : en 2007, Sarkozy disposait d'une très courte avancé alors que cette fois, il est distancé de 11 points (+ 110 000 voix de différence).
Donc, François Hollande va devoir reconquérir des pans de la population qui n'ont plus vraiment confiance dans la politique ou sont paralysés par des peurs (fondées ou non) à partir desquels ils développent parfois un discours séparatiste (« on reste entre nous »). La difficulté du socialiste, c'est qu'il a été élu par une frange très urbaine, globalement plus favorisée que la moyenne et qui, elle aussi, a de plus en plus de mal à comprendre cette autre France, plus frileuse. A la lecture de ce constat assez implacable, on comprendra pourquoi il est difficile de sombrer dans la douce nostalgie de Mai 81. Un temps qui, malgré les clins d'oeil de l'histoire, n'existe plus.
(1) Coïncidence totale : ce post d'après élection est le 100e du blog que j'ai créé voici trois ans, le 10 mai 2009. De mois en mois, de plus en plus de visiteurs consultent ce blog (en moyenne près de 3000 visites mensuelles depuis juin 2011). Que chacun soit remercié de l'intérêt porté à ce travail (plaisir) de déchiffrage des enjeux politiques. Alternance ou pas, le propos de ce blog ne changera pas et la liberté de ton s'exercera également sur le nouveau pouvoir. En appliquant la maxime bien connue : qui aime bien, châtie bien !