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Manuel Valls

  • 10 ans de regard sur la politique !

    Le 10 mai 2009, je démarrais ce blog politique baptisé "10 mai". Tout cela n'était pas le fruit d'un hasard de calendrier. Il renvoyait à la date du 10 mai 1981 qui avait vu la victoire historique d'un candidat de gauche à l'élection présidentielle, François Mitterrand. J'avais 14 ans et je croyais, naïvement diront certains, que la politique pouvait changer les choses, qu'on pouvait renverser la table. 

    Les années ont passé et les désillusions sont arrivées. A la quarantaine passée, j'ai donc ouvert ce blog avec la volonté de comprendre les raisons du désamour des Français envers la politique. Entre récit des faits politiques et analyse des phénomènes de fond. Au cours de cette décennie (2009 - 2019), incontestablement, la situation politique a eu tendance à se dégrader comme en attestent la progression de l'abstention et lors de ces derniers mois, la mobilisation des Gilets jaunes.

    "En mai, fais ce qu'il te plait" : dans un texte inaugural du 10 mai 2009, la crise de la gauche était déjà patente deux ans après la victoire éclatante de Nicolas Sarkozy à la présidentielle. J'écrivais alors : "La gauche souffre davantage d'une colonne vertébrale défaillante et d'organes vitaux affaiblis que d'une absence de tête." Les choses ont-elles profondément changé ?

    Depuis ce texte inaugural, 143 posts (ou articles) ont été rédigés (et une centaine de réactions écrites ont été reçues), sur la vie politique française, de l'extrême gauche à l'extrême droite, mais pas que. J'ai également traité le bilan du pape Benoît XVI, relaté la trame politique de plusieurs films ou bien encore de conflits internationaux (Brésil, Etats-Unis, Tunisie, Côte d'Ivoire, Syrie...). Pour des raisons personnelles, le rythme a été très irrégulier, avec parfois plusieurs textes dans le mois et d'autres fois un espacement de plus de six mois. Retour sur quelques posts de cette dernière décennie.

    Le 13 mai 2009, je donne la parole à Roger-Gérard Schwartzenberg(député radical de gauche et professeur d'université) à l'occasion de la sortie de son livre L'Etat spectacle 2. Interrogé sur le positionnement des citoyens par rapport à cette politique spectacle, il répond : "Ils sont à la fois captivés comme des spectateurs et assez lassés car ils ont moins de moins prise sur les décisions. Plus le programme est flou et incertain, moins le citoyen est en capacité d'intervenir sur les choix politiques". Il revient également sur le décrochage entre les citoyens et les politiques : "Le libéralisme économique qui a imprégné les mentalités pendant deux décennies a encouragé l'hyper-individualisme. Or, la démocratie suppose un sentiment d'appartenance collective."

    En juin 2009, les électeurs sont appelés à renouveler le Parlement européen. Dans un post du 14 juin, j'analyse la composition sociologique des parlementaires français. "Dans un pays où le groupe des ouvriers reste encore numériquement important, aucun élu – pas même à gauche – n'en est issu. On a du mal à trouver des petits employés, des artisans voire des agriculteurs (deux élus: l'Aveyronnais José Bové (EELV) et l'Alsacien Joseph Daul (UMP) qui dirigeait dans la précédente mandature le groupe du parti populaire européen) alors même que la Politique agricole commune reste un budget majeur. En revanche, vous retrouvez pléthore d'enseignants, de médecins et, plus curieux, au moins sept journalistes ou patrons de presse (dont Dominique Baudis, Jean-Marie Cavada, Jean-François Kahn, Patrick Le Hyaric)." 

    Philippe Séguin, l'éternel grognard de la droite française, casse sa pipe début 2010. Pour lui rendre hommage, j'établis une comparaison avec Michel Rocard : "Franc-tireur, attaché au rôle de l'Etat, anticonformiste, souvent individualiste... Philippe Séguin s'est heurté à la quête effrénée du pouvoir portée par un Chirac, comme Rocard l'avait été de la part de Mitterrand. Tous deux ont été incompris de leur parti, souvent ostracisés. Ils avaient l'étoffe pour assumer le pouvoir élyséen, mais d'une certaine manière, ils n'étaient pas fait pour la fonction quasi-royale de Président de la République qui s'accommode mal avec la liberté de penser.

    Au printemps 2010, place aux élections régionales ! Elles sont marquées par une augmentation de l'abstention de 15 points. J'estime que la stratégie de Nicolas Sarkozy est pour quelque chose dans cette situation. "Tout est réversible chez lui, tout jugement sur sa politique peut être contesté. C'est un libéral convaincu. Oui, mais il tonne contre les bonus accordé aux traders et entend réguler le système financier mondial (comment, on l'ignore). Il flatte l'électorat du Front national (qui le lui rend mal). Oui, mais il dit vouloir s'attaquer aux discriminations visant les Français dont la peau est moins blanche que Gérard Longuet."

    En juin 2010, je titre "Les musulmans pris en sandwich". Je m'interroge sur la polarisation autour de l'expression des musulmans, qui seraient au fond responsables des maux français. "On pourrait se demander si la polarisation sur la femme musulmane victime aussi bien là-bas (en Algérie, en Afghanistan, etc) qu'ici n'est pas un moyen d'évacuer la profondeur des inégalités hommes-femmes dans l'entreprise, la vie culturelle ou médiatique (combien de femmes PDG de journaux, de radios ou de chaînes de télé?) et bien sûr en politique. Le niqab qu'une loi française entend éradiquer sur notre hexagone n'est évidemment pas le signe d'un affranchissement de la femme, mais qui peut croire que son éventuelle extinction serait une bonne nouvelle pour les millions de femmes qui élèvent seules leurs enfants, se débrouillant avec des salaires de misères et des horaires de bagnards ?" 

    Au bout de trois ans de présidence Sarkozy, l'ambiance dans le pays est étouffante. "Cela va (vraiment) mal finir", écris-je en juin 2010, en référence à un livre coup de poing de l'ancien ministre François Léotard (Ça va mal finir, 2008). Celui-ci, écrivais-je, "trouvait des mots justes pour décrire cette dégradation générale du climat, cette banalisation de tout (de la fonction présidentielle, de l'honneur, du rapport éthique avec les deniers publics...). Il annonçait le règne des fausses valeurs et de la médiocrité ambiante. Nous y voilà donc." En conclusion, j'ajoutais : "En tout cas, dans ce marais nauséabond, il est une responsable politique qui doit se frotter les mains. Elle porte le patronyme de Le Pen et le prénom de Marine..."

    En septembre 2010, j'explique pourquoi Sarko n'a pas encore perdu la présidentielle de 2012. La gauche est confrontée à trois incertitudes : des primaires qui peuvent être sanglantes au vu des haines personnelles ; le flou des propositions et la question des alliances. Et je conclut : "Les conditions sont potentiellement réunies pour éviter un troisième échec successif de la gauche à la présidentielle. Celle-ci a la responsabilité historique de ne pas les gâcher."

    En novembre 2010, je me réjouis de la première victoire des anti-corruption qui traquent "l'argent mal-acquis" de plusieurs dictateurs africains. "En validant la possibilité pour Transparency International de se constituer partie civile dans cette affaire des biens mal acquis, la Cour de cassation reconnaît le rôle essentiel des ONG dans la dénonciation des malversations des dirigeants du monde. Elle ouvre un champ immense pour l'action citoyenne contre les enrichissements particulièrement éhontés de certains dirigeants des pays pauvres." 

    En janvier 2011, Manuel Valls, fidèle à son rôle de provocateur, remet sur le tapis la question des 35 heures. Rien n'est tabou, il est possible de discuter cette mesure, à condition de faire un pas de côté et de sortir des logiques politiciennes. "La question est de savoir comment être compétitif en travaillant moins que les autres. Il faut donc trouver l'alchimie pour utiliser au mieux les gains de productivité encore importants dans l'économie française, en faire une arme économique et un facteur d'intégration sociale. Car ce qui coûte cher à notre pays, ce n'est pas tellement les 35 heures, mais la désespérance sociale qui ne fait que grandir, les quatre millions de chômeurs et les deux ou trois millions de précaires avec ou sans le RSA."

    En février 2011, je reviens sur la condamnation d'Eric Zemmour après des propos sur les Noirs et les Arabes. Je considère que c'est une erreur de porter ce type de propos devant les tribunaux : il vaut mieux y répondre et décortiquer les erreurs et contre-vérités. "Finalement, cette affaire Zemmour signe une double faillite de notre système politico-médiatique. Celle d'un certain journalisme qui éditorialise à outrance, ne prend plus le temps de se plonger dans les réalités complexes du terrain et se transforme en "causeur" (façon salons savants ou café du commerce). Faillite aussi de l'esprit de raison ou du "progressisme" qui, n'ayant plus la capacité ou la force de convaincre par des arguments, préfère faire juger les différends devant les tribunaux."

    En mars 2011, j'envoie un courrier au ministre de l'intérieur, un certain Claude Guéant. Je réagis à une interview qu'il a donnée au Monde dans lequel il explique : "Les Français ont le sentiment que les flux non-maîtrisés changent leur environnement. Il ne sont pas xénophobes. Cela étant, ils veulent que la France reste la France. Ils veulent que leur mode de vie soit respecté, que la laïcité demeure à la base de notre pacte républicain." Sur mon blog, je réponds à l'ancien bras droit de Nicolas Sarkozy : "La France a toujours été une terre d'immigration, donc elle n'est jamais restée la même tout en étant fidèle à sa tradition d'accueil. J'ai le sentiment que c'est vous, ministre de la République, qui ne souhaitez pas que la France reste fidèle à sa tradition. En l'occurrence, je me sens plus fidèle à la France éternelle, celle qui s'est enrichie depuis des siècles au contact des immigrés." Et je conclus : "J'espère, Monsieur le ministre, qu'après un bizutage un peu inquiétant pour nos valeurs, vous vous ressaisirez et redeviendrez digne de la République qui vous a confié ses pouvoirs."

    En mai 2011, l'affaire DSK saisit tout le pays. Le favori de la primaire que doivent organiser à l'automne les socialistes, tombe dans une affaire supposée d'agression sexuelle. Je reviens sur quelques étonnements : "Dans notre pays qui a la passion de l'égalité (dans les discours du moins), on a suggéré qu'une modeste femme de ménage, a fortiori une immigrée africaine vivant dans un immeuble sordide ne pouvait pas détruire la carrière d'un homme aussi puissant que Dominique Strauss-Kahn si elle n'avait pas été envoyée ou payée par d'autres." Loin d'être isolé, le comportement de DSK renvoie à des abus de pouvoir qui sont le fait de beaucoup de politiques.  

    En août 2011, je m'interroge si "les écolos ne se sont pas tirés une balle dans le pied", en préférant à la candidature Hulot celle d'Eva Joly, la juge franco-norvégienne. "Pour secouer les frilosités hexagonales, écris-je, la posture prophétique – qui n'est pas toujours comprise de prime abord, mais marque les esprits – est préférable à la traditionnelle posture politicienne qui ménage tout le monde. En étant la candidate du plus petit dénominateur commun et la moins encombrante pour l'appareil EELV, Eva Joly prend le risque de ne pas bousculer beaucoup le débat politique."

    En septembre 2011, on assiste à un petit événement politique : la gauche ravit à la droite la majorité au Sénat, chambre éternellement dominée par les forces conservatrices. "Les territoires ont le sentiment d'être complètement abandonnés par le pouvoir central qui a abandonné son rôle d'aménagement – ou de rééquilibrage - du territoire (à travers la fermeture des services publics, notamment des écoles) et en plus d'être malmenés par les préfets qui redécoupent à la hache la carte des intercommunalités."

    En novembre 2011, François Hollande, victorieux à la primaire face à Martine Aubry, dévoile son staff de campagne. "Equipe-choc ou auberge espagnole", titre-je. Et je m'intéresse au choix du directeur de campagne, Pierre Moscovici. "Le plus parisien des députés du Doubs ne manque pas de talent notamment dans les débats, avec un sens de la formule qui fait mouche. Sauf que depuis quinze ans, on cherche en vain une idée originale qu’aurait porté « Mosco ». Sauf que son passage aux affaires européennes a laissé le souvenir davantage d’un dandy que d’un ardent militant de la cause (alors même que la gauche était à la tête de la grande majorité des gouvernements européens)."  

    En février 2012, j'examine les atouts et faiblesses des deux favoris : François Hollande et Nicolas Sarkozy. Sur le premier, je me pose deux questions de fond : "1/ A-t-il un vrai destin à proposer aux Français ?2/ Aura-t-il les moyens de ses ambitions ?" Je cite Michel Rocard, 80 ans, qui explique que les hypothèses de croissance sur lesquelles ont été élaborées les propositions socialistes sont exagérées (ce qui se vérifiera). Quant à Sarkozy, je m'interroge sur les risques de sa stratégie : "La volonté de braconnage de Nicolas Sarkozy sur les terres frontistes est doublement risquée. Elle réinstalle Le Pen au centre du débat en légitimant une partie de ses thèses."

    Le soir du premier tour des présidentielles, en avril 2012, je le passe à la Mutualité au côté des supporters de Sarkozy où je rencontre notamment une électrice de Hollande :  "Vous comprenez, je travaille dans l'enseignement et la recherche en mathématique. Après ce que Sarko nous fait, il n'est pas possible de voter Sarkozy".

    En mai 2012, lors de l'élection de François Hollande, je titre : "Nous ne sommes plus en mai 81". "La relation au nouveau Président de la République n'est absolument pas la même : François Mitterrand était respecté, craint, haï parfois, il se situait (même si c'était fort discutable) dans la lignée des grandes figures de la gauche, de Jaurès à Blum ; François H. a deux « pères » en politique (Jacques Delors et Lionel Jospin), mais ne porte pas en lui, dans ses gênes, cette mystique de la politique". Analysant la carte électorale, je décris deux France antinomiques : "D'un côté, une France tempérée, de tradition radicale-socialiste (le Sud-Ouest) ou démocrate-chrétienne (l'Ouest) où le style mesuré et tout en rondeurs de Hollande a bien fonctionné et où la vie associative est très dense. De l'autre, une France, parfois pauvre, parfois prospère, très inquiète des audaces de François Hollande et des conséquences de l'ouverture des frontières."

    En mai 2012, je publie le témoignage de ma mère, militante socialiste en Mayenne, qui raconte son expérience de tractage dans la population d'un gros bourg. Elle constate la montée d'un électorat frontiste, par exemple lors de la rencontre de cette dame âgée. Ma mère raconte : "A ces questions, elle se trahit. "Est-ce vrai que les étrangers prennent notre travail? ; "Pourquoi certains viennent à la banque alimentaire avec de belles voitures?" ."Il parait que des jeunes viennent deux jours au travail et qu'ils ne reviennent pas."

    Fin août 2012, je note déjà un "malaise sur la planète Hollande". Deux types de malaise sont alors identifiés : "Son obsession à prendre le contre-pied de Sarkozy lasse à la fin car elle ne construit pas une politique." D'autre part, expliquais-je, "chaque récif est négocié souvent avec intelligence, mais cela ne donne pas une lecture claire du dessein présidentiel. Les grands choix dans notre rapport au système de protection social, à l'environnement ou à l'Europe ne sont jamais précisés." 

    En mai 2013, la panne du pouvoir Hollande se confirme. "A la recherche du chemin introuvable", écris-je. "Dans l'âme, François Hollande est resté le premier secrétaire du PS qu'il a été pendant dix ans. Sa volonté de rassembler coûte que coûte, sa peur des féodalités locales le conduisent à chercher en permanence le point d'équilibre, le plus petit dénominateur commun. Il a tendance à se couper des idées nouvelles, des groupes contestataires qui portent en germe des nouvelles façons de voir. Les calculs sont partout alors qu'il faudrait un élan, un enthousiasme."

    En novembre 2013, la colère des bonnets rouges en Bretagne traduit une forme de révolte des  territoires face à Paris. Dernière l'opposition à l'écotaxe, il y a tant d'autres colères qui s'expriment. "A la lumière des échecs et trahisons successifs, au regard de l'impossibilité pour la France de réduire son chômage et de réorienter l'Europe, un sentiment localiste pourrait se développer dans les prochaines années et fragiliser encore l'échelon central. Avec l'idée sous-jacente selon laquelle "on va tous en baver, mais autant compter sur ses propres forces et ne pas attendre grand-chose de Paris !"

    "Triste gauche", écris-je en juin 2014. Et j'aurais pu ajouter "gauche paresseuse". "La paresse intellectuelle fait qu'on continue à penser qu'une croissance à 2 points va revenir ("elle arrive", nous dit incessamment le Président) et qu'ainsi nous allons résoudre la question du chômage. Que fait-on quand la croissance se traîne autour de zéro ? Comment sortir du non-emploi ceux qui s'y sont habitués ? Une fois qu'on a épuisé les maigres outils que sont les emplois d'avenir (pâle resucée des emplois jeunes des années Jospin) et la Banque publique d'investissement, on se tourne vers les bonnes vieilles recettes libérales."

    En janvier 2015, je reviens sur les événements dramatiques de Charlie Hebdo et la réaction impressionnante du peuple français. Par-delà l'hommage aux victimes, des questions doivent être posées. "Comme avec Mohammed Merah voici presque deux ans, les meurtriers des "libres-penseurs" de Charlie Hebdo ont grandi sur le sol national, ont fréquenté les écoles de la République, sont des citoyens français. La haine qu'ils retournent contre les "institutions" de notre République doit nous interroger sur ce qui s'est passé depuis une vingtaine d'années. Qu'est ce qui a été raté ?" Et j'ajoute : "Quel projet collectif proposons-nous aux nouvelles générations ? Quel espoir de progrès peuvent-elles nourrir pour elles et leurs (futurs) enfants ? Qu'est-ce qui peut faire rêver aujourd'hui ? C'est à ces questions que chacun est tenu de répondre, à commencer par ceux qui aspirent à prendre les rênes du pays."

    En mars 2015, nouveau revers de la gauche aux élections locales. Celle qui était majoritaire dans deux tiers des départements ne l'est plus que dans un tiers. Et le Front national continue sa percée malgré son absence de personnalités d'envergure. "Nous en sommes là, trois après (la victoire de Hollande)". J'essaye de proposer des pistes pour ne pas sombrer dans un pessimisme ravageur. "Alors, que faire ? Eviter de désespérer, essayer en tout cas, pour ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Distinguer la critique (nécessaire, vitale) des pratiques politiques de la destruction des (derniers) idéaux. Participer, relayer les dynamiques qui font revivre l'idéal citoyen dans les quartiers et les campagnes, être à l'écoute de tout ceux qui, quittant leur fauteuil devant cette maudite télé innovent et inventent, n'attendant pas tout "d'en haut".

    En juillet 2016, j'écris que Manuel Valls joue un "jeu vraiment dangereux". "A la manière d'un Sarkozy, Manuel Valls cristallise les tensions, met de l'huile sur le feu. Les exemples abondent, par exemple dans la gestion de la loi Travail." Cette volonté de fracturer la gauche pourrait avoir des conséquences graves. "La gauche risque d'être d'être fracturée entre trois composantes : une frange radicale autour de Jean-Luc Mélenchon qui campe une forme de pureté ; une gauche de réformes ambitieuses qui n'a pas peur de l'affrontement avec le patronat ; une gauche blairiste qui veut accompagner, le moins brutalement possible, l'entrée de notre pays dans l'économie mondialisée.La gauche n'aura dès lors aucune chance de reconquérir le pouvoir, chaque bloc représentant entre 10 et 20 % de l'électorat"

    En mars 2017, quelques semaines avant l'élection présidentielle, je titre "De quoi Emmanuel Macron est-il le nom ?" En fin d'article, je réponds à la question initiale : "Il est le nom brillant, insolent et séduisant, du vide politique et de la destruction progressive, depuis une vingtaine d'années, de tout esprit de courage et de vision d'avenir. Voilà pourquoi la marche du jeune Picard pourrait être victorieuse..." 

    A gauche, les deux candidats principaux, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, n'ont de chance de figurer au second tour de l'élection que si l'un s'efface au profit de l'autre. Mais cette tentative était vouée, selon moi, à l'échec. L'Europe est le principal point de divergence entre les deux. "Comment croire qu'un tel clivage au sein de la gauche - qui dure depuis plus de 10 ans - puisse être balayé en deux ou trois semaines ?" Et je m'interroge déjà sur le succès de la candidature du socialiste. "Ne l'oublions pas (on peut le regretter): notre pays qui combine une tradition de centralité et un tempérament rebelle se cherche en permanence un chef, un leader qui parle au moins autant à son cœur qu'à sa raison... Pour le coup, l'ancien rocardien Benoît Hamon serait bien inspiré de ne pas l'oublier."

    Au lendemain de la victoire de Macron, en mai 2017, je m'interroge sur cette "République des experts" qui se prépare. Je note que cette formule attrayante sur le papier présente deux gros risques. Le premier : "Expert ne rime pas toujours avec sens de la discussion et du compromis. Les experts sauront-ils discuter avec les syndicats, les associations et évidemment avec les parlementaires ? N'auront-ils pas tendance à considérer que leurs diplômes et compétences valent bien le mandat électoral." Second risque : "La montée du FN et la crise de confiance du pays tiennent en grande partie à l'écart qui s'est constitué entre les élites et le peuple. La mise au premier plan d'experts pourrait aggraver la crise de confiance"

    Un an après son élection, en septembre 2018, je note que le président de la République dégringole. "On pouvait penser que sa capacité à intéresser de nouveaux citoyens à la chose politique via le mouvement En marche allait l'amener à insuffler de la démocratie directe, de la participation et de la simplicité. Au contraire, on a découvert depuis quinze mois un monarque soucieux d'accentuer la verticalité du pouvoir." Je reviens également sur le départ fracassant du gouvernement de Nicolas Hulot. "C'est un profond changement de matrice dont la France a besoin. Le président, produit (brillant) d'une technocratie à la française, est incapable intellectuellement de penser cette mutation."

    En puis, en novembre 2018, démarre la crise des Gilets jaunes. Au-delà des questions monétaires importantes (taxes, pouvoir d'achat, salaire, etc), c'est bien la question du fonctionnement de notre démocratie qui est posée."Quels sont les intérêts représentés dans telle ou telle décision (l'intérêt général paraît généralement une chimère) ? Comment contester de façon pacifique une orientation ? Que faire quand un responsable trahit ses engagements ? Ces questions doivent être au centre des réflexions. Emmanuel Macron serait bien inspiré à lancer un vrai processus de discussion dans le pays sur les questions du référendum d'initiative populaire, de contrôle de l'exécutif, de revalorisation du Parlement. En un mot, la question qui est posée est celle de la démocratisation de notre République."

     

    En écrivant ce texte, je pense à mon ami Bernard Boudet, en ce moment dans le coma, avec qui j'ai eu tant de discussions passionnées sur la chose politique. Comme quelques autres, il a très souvent pris la peine de réagir à mes articles. 

     

     

  • Benoît Hamon condamne-t-il la gauche ?

    Décidément, la préparation de cette présidentielle déjoue tous les plans et pronostics des grands manitous des sondages. Après l'élimination de Cécile Duflot pour EELV, la qualification de François Fillon contre les deux favoris Sarkozy et Juppé, le forfait (pas si surprenant que cela) du Président de la République, voilà que la primaire de la Belle alliance populaire réserve une nouvelle surprise. Sous réserve que les résultats annoncés soient fidèles à la réalité du vote (la prudence est de mise en l'espèce), Benoît Hamon a pris une sérieuse option pour sa désignation comme candidat pour les scrutins d'avril et de mai prochains. Qui aurait parié voici un mois sur le leader de l'aile gauche du PS alors que l'ancien premier ministre (soutenu par la quasi-totalité du gouvernement et la grande majorité des parlementaires) et l'ancien ministre de l'économie (porté par la plupart des "frondeurs" et les proches de Marie-Noëlle Lienemann et de Gérard Filoche) se disputaient les pronostics ?

    Pour tenter de mobiliser l'électorat de gauche qui refuserait l'alternative entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon et qui souhaiterait un candidat "crédible", Manuel Valls a brandi avec la fougue qu'on lui connaît le risque d'une disqualification certaine de la gauche de gouvernement si la candidature de Hamon était retenue par les électeurs. Avant d'examiner cet argument, on notera que l'ancien premier ministre a repris ses accents traditionnels qui "clivent" la gauche alors qu'il s'était évertué (en vain ?) à les atténuer pendant la campagne du premier tour en se voulant l'homme du rassemblement. Passons.

    L'argumentation de Manuel Valls est à double détente. D'une part, la France a besoin, dans le contexte des graves incertitudes qui pèsent sur elle (menace terroriste, risque d'un rapprochement entre l'Amérique de Trump et la Russie de Poutine) d'un responsable d'expérience et d'autorité, étant entendu par l'ancien maire d'Evry en disposerait à la différence de son concurrent. D'autre part, certaines des propositions de Benoit Hamon (notamment le revenu universel et la légalisation du cannabis) risqueraient de radicaliser encore plus un électorat très droitier, renforçant dans le meilleur des cas la candidature de Macron, dans le pire celles de Fillon voire Le Pen. La vision proposée par Valls ne manque pas de logique : si on propose des mesures "trop à gauche", on effraie un électorat modéré qui aurait pu être intéressé par la candidature d'un "républicain pragmatique" que serait Valls.

    Cet argument massue mérite trois types de remarques. La première a trait au bilan gouvernemental et à l'impopularité record que celui-ci a suscité. La raison en est-elle que l'action conduite par les premiers ministres Ayrault puis Valls a été trop audacieuse, a effrayé l'électorat dit modéré ? Ce reproche qu'on avait pu entendre lorsque Lionel Jospin était premier ministre (notamment sur la mise en place des 35 heures) ne m'a pas paru très souvent utilisé depuis 2012. Au contraire, il a été reproché au pouvoir actuel pêle-mêle d'avoir trahi le discours du Bourget ("mon ennemi, c'est la finance"), d'avoir renoncé sans combattre réellement, par exemple sur la réorientation de la politique européenne, d'avoir échoué dans la réduction du nombre de chômeurs tout en accordant des réductions d'impôt aux entreprises sans contrepartie, et plus largement d'avoir donné le sentiment de ne pas croire à la possibilité d'une politique de gauche. 

    Si la gauche, et singulièrement le PS, a perdu l'essentiel de ses relais territoriaux dans les villes, les départements et les régions, ce n'est globalement pas pour cause de mauvaise gestion locale, mais bien parce que le compte n'y est pas au niveau national. Bien entendu, l'indécision de François Hollande, ses "frasques" avec les journalistes ont amplifié le désamour, mais la raison de celui-ci est d'abord politique. S'il n'est pas certain que les audaces de Hamon sont payantes sur le plan électoral, il est plus que probable que la tiédeur des idées de Valls auront du mal à trouver un espace politique.

    Seconde réflexion : les Français sont en attente de nouveautés, de fraicheur et de cohérence. Les trois candidats qui émergent actuellement (François Fillon, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, la situation de Marine Le Pen se plaçant dans une autre perspective) n'ont pas fait preuve de modération ni brillé par leurs calculs politiciens. L'ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy a affirmé un credo très droitier avec des propositions tranchées ; l'ancien patron du parti de gauche développe la carte de l'insoumission (on a connu positionnement plus frileux). Quant à l'ancien (?) protégé de François Hollande, E. Macron, ce qui séduit actuellement est d'abord l'audace de ce jeune homme, sa capacité à s'extraire du jeu des partis et des clivages politiques. Qu'on le veuille ou non, les Français aspirent à une forme d'espérance que chacun de ces trois protagonistes développe. Sur le papier, les projets de Fillon, Macron et Mélenchon paraissent très compliqués à mettre en œuvre (et ce pour des raisons diamétralement opposées) et pourtant, c'est ce côté transgressif qui a séduit... au moins pour l'instant.

    La dernière remarque par rapport à l'objection de Valls à la candidature de Hamon a trait à la conception qu'on a de la politique. En supposant que les électeurs de gauche aspirent à de la tiédeur et du "pragmatisme" (ce que je ne crois pas), faut-il leur donner ce qu'ils demanderaient ou proposer ce qui est jugé utile pour le pays et la promotion d'un certain nombre d'idéaux comme la justice sociale, l'émancipation individuelle et collective ou la lutte contre la violence des rapports économiques. Si on juge que le revenu universel permet de lutter contre la pauvreté (qui s'est renforcé pendant ce quinquenat malgré l'engagement réel du gouvernement sur ce dossier), de redonner sens au lien social et de partager le travail, alors faut-il le disqualifier parce qu'il serait trop coûteux ? Il est évident que cette question comme tant d'autres mérite débat et notamment sur son volet financement, mais il est certain que les arguments d'autorité ne fonctionnent plus.

    Alors que tant de propositions "pragmatiques" ont échoué, que tant de recettes teintées de néo-libéralisme ont montré leurs limites, il parait utile de laisser place à une forme d'utopie, notamment pendant toute la phase de la campagne électorale. Si les politiques ne sont là que pour nous dire ce qui "marche" ou "ne marche pas", autant les remplacer par des technocrates qui sauraient ce qui est efficace et s'interroger d'élections ouvertes. Vous me direz que les politiques se sont souvent transformés en "technos" sûrs d'eux et hermétiques à tout débat démocratique. CQFD.             

  • Le jeu vraiment dangereux de Manuel Valls

    Cette semaine, une vidéo a fait le tour des réseaux sociaux. Lors d'un meeting de soutien à la politique gouvernementale, un vieux militant du PS s'approche du ministre Stéphane Le Foll (un très proche de François Hollande) et lui tend un panneau : "Valls, démission". Il est immédiatement plaqué au sol par deux membres de la sécurité du PS, sans réaction apparente du ministre.

    Aussi extrême soit-elle, cette image résume la situation de plus en plus inconfortable dans laquelle se trouve la majorité politique (qui l'est de moins en moins). Non seulement elle se retrouve confrontée à un Front national qui, malgré ses contradictions et sa stérilité politique, continue son ancrage dans le pays. Non seulement elle est fortement contestée par les Républicains qui déploie une série de propositions passablement démagogiques, trempés dans le libéralisme pur sucre. Sur l'autre front - la gauche de la gauche -, le pouvoir est vivement contesté dans la rue : malgré les tentatives - pour le moins maladroites - de museler le mouvement, les manifestations n'ont jamais cessé depuis trois mois. Malgré la baisse de leur audience, elles traduisent un sentiment de ras-le-bol du "peuple de gauche" qui va au-delà de la loi Travail. 

    Dans ce contexte, on pourrait penser que le chef de la majorité qu'est le Premier ministre cherche à rassembler la majorité, à trouver des compromis internes et à être dans une démarche d'écoute. C'est tout le contraire qui se passe. A la manière d'un Sarkozy, Manuel Valls cristallise les tensions, met de l'huile sur le feu. Les exemples abondent, par exemple dans la gestion de la loi Travail. En mars, Matignon présente une première version du projet de loi dont tout le monde a le sentiment qu'elle a été rédigée avenue Bosquet (siège du Medef).

    En avril, avant l'examen à l'Assemblée de la loi, son cabinet fait rajouter dans une interview de la ministre du travail un passage sur la possibilité d'un recours au 49-3 (ce qui s'est effectivement passer). En mai, Matignon mobilise tous les moyens de pression et imaginable (chantage sur les investitures ou les dossiers locaux défendus par les députés) pour que la motion de censure de gauche ne puisse être déposée.

    En juin, au moment où les organisations syndicales se débattent avec le problème de l'extrême violence de plusieurs centaines de jeunes, il accuse ni plus ni moins la CGT de complicité avec les casseurs. Ensuite, il tente de faire interdire une manifestation syndicale (un événement insolite), et ce malgré l'avis défavorable du ministère de l'intérieur. Sur le fameux article 2 de la loi, il refuse tout aménagement qui permettrait aux branches d'encadrer les fameux accords d'entreprise, notamment sur les heures supplémentaires. Il parie sur l'usure des contestataires, les vacances qui approchent et cherche la victoire par épuisement de l'adversaire. 

    Ce ne sont pas les seuls terrains où le Premier ministre fait montre de brutalité. En début d'année, il se heurte violemment au président de l'observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, qu'il accuse de complicité (rien que cela !) avec les courants fondamentalistes de l'islam. Se transformant en petit "père Combes" du début du 20e siècle, il propose une vision de combat de la laïcité qui contribue à diviser un peu plus le pays et que beaucoup de musulmans sentent, à tort ou à raison, dirigée contre eux. Lors d'un voyage en Israël, il ne fait pas montre d'une grande fermeté vis-à-vis du gouvernement hébreu, pourtant le plus à droite de toute son histoire, et qui continue sa politique de colonisation de la Cisjordanie. 

    A quel jeu joue Manuel Valls ? D'une certaine manière, il est cohérent avec le programme qu'il avait déroulé lors des primaires de la gauche en 2011. Il avait déjà indiqué que la matrice de la gauche n'était plus adaptée au nouveau siècle et qu'il fallait casser des tabous (comme les 35 heures). Le problème, c'est que son projet n'avait alors obtenu l'assentiment que d'un électeur des primaires sur vingt... Depuis qu'il a accédé à Matignon (avec la complicité de Hamon et Montebourg...), il profite allègrement des atermoiements du président Hollande qui, lui, n'a aucune vision claire, pour pratiquer le coup de force permanent. "C'est ça ou je pars" !, dit-il à l'Elysée qui ne voit aucun Premier ministre de rechange. 

    L'élection de 2017 est perdue pour la gauche, estime Valls, qui pense qu'il n'aura pas à y aller dans la mesure où Hollande se représentera. Perdu pour perdu, il veut que ce scrutin soit l'occasion de sceller la séparation définitive des deux gauches : celle qui gouverne dans une logique sociale-libérale et celle qui proteste. Il pense que le PS ne survivra pas aux scrutins de 2017. Le parti unifié par François Mitterrand en 1971 explosera, une partie voulant constituer une formation de gauche réformiste ; une autre assumant le quinquennat Hollande et sa politique économique de l'offre. La gauche risque d'être dès lors d'être fracturée entre trois composantes : une frange radicale autour de Jean-Luc Mélenchon qui campe une forme de pureté ; une gauche de réformes ambitieuses qui n'a pas peur de l'affrontement avec le patronat ; une gauche blairiste qui veut accompagner, le moins brutalement possible, l'entrée de notre pays dans l'économie mondialisée.

    La gauche n'aura dès lors aucune chance de reconquérir le pouvoir, chaque bloc représentant entre 10 et 20 % de l'électorat. Manuel Valls fait sans doute le pari de se rapprocher d'une partie de la droite et du centre qui refuserait une politique libérale effrénée ou des alliances avec le FN. Il espère ainsi créer cette fameuse troisième force dont les chances de succès sont très faibles dans le cadre de la Ve République. Le débouché politique de cette stratégie de destruction de la majorité politique conduite par Manuel Valls est donc très incertain. alors que les dégâts sont déjà considérables. On peut dès lors comprendre pourquoi des socialistes convaincus demandent le départ du Premier ministre.

     

  • Après le recueillement, se poser des questions

    On ne rajoutera pas beaucoup de phrases sur la terrible nuit du 13 novembre où près de 130 personnes perdirent la vie arrachée par des nihilistes qui se prétendent musulmans. Tout a été dit et le recueillement est souvent préférable à l'inflation de mots et d'émotions affichées.


    Quarante-huit heures après ces carnages, il est important de se poser quelques questions sur les raisons de cette faillite de l'antiterrorisme français. Là, nous n'avons pas affaire à l'action de "loups solitaires", mais à une coordination très sophistiquée entre sept et huit personnes. A aucun moment, semble-t-il, l'un de ces terroristes n'a été appréhendé alors que les opérations de préparation de ces actions ont dû se dérouler sur plusieurs jours, voire semaines, et que des complicités locales sont probables. Comment se fait-il que les services du renseignement, dont le Parlement a accru récemment les pouvoirs, n'ait intercepté aucune communication (même cryptée), n'ait décelé aucun mouvement suspect ? L'argument selon lequel des dizaines d'attentats ont été déjoués par les services français n'est pas convaincant.

    Par-delà la sempiternelle question des moyens (qui ne peut être perpétuellement invoquée alors même que la DCRI a vu ses moyens augmenter de 12 millions d'euros), il faut s'interroger sur l'organisation de la collecte et du traitement du renseignement dans ce pays. Le modèle est-il adapté à la menace d'aujourd'hui ? Il ne semble pas. Dans un article bien informé du site Médiapart ("L'antiterrorisme est à la peine depuis 2008"), un spécialiste interrogé en 2012 par une mission d'information parlementaire disait : « La DCRI a été conçue comme une forteresse pour lutter contre le "grand" terrorisme organisé transnational ». Elle n'est donc adaptée à des menaces « infra-étatiques, non conventionnelles, dynamiques, diffuses et non prévisibles ». 

    On attendrait des responsables gouvernementaux, à défaut d'une démission (ce qui se pratique dans la plupart des démocraties), de regarder les réalités en face. Quatre lois ont été votées en quatre ans, amplifiant les pouvoirs des services de renseignement. Or, ni les tueries de janvier ni celles du 13 novembre n'ont été évitées. Alors faut-il faire une 5e loi et accroitre encore les possibilités d'investigation des forces de sécurité, ce qui interrogent nos libertés démocratiques ? Cela va être le discours du président des Républicains et de nombreux responsables politiques qui ont, depuis longtemps, renoncé à réfléchir sérieusement.

    "Nous devons anéantir les ennemis de la République". La déclaration martiale de Manuel Valls, au lendemain des tueries, fait partie de l'arsenal classique du discours politique face au terrorisme. On se souvient, dans les années 80, de la déclaration de feu Charles Pasqua : "Nous allons terroriser les terroristes". Le premier ministre s'inscrit dans cette lignée des responsables (souvent de droite) qui font "péter les galons".

    L'assertion la plus démagogique du "Sarkozy de gauche" est celle de l'expulsion des "imams radicalisés". Démagogique parce que cette possibilité existe déjà - et qu'elle est pratiquée - et parce que le lien entre le terrorisme et l'influence de ces imams très minoritaires n'est pas avérée. Il ne s'agit pas de dire que certains imams ne sont pas dangereux et qu'ils ne doivent pas être mis hors d'état. Mais toutes les études sérieuses ont montré que les terroristes sont des êtres désocialisés qui ont coupé les ponts avec toutes les institutions, y compris religieuses. 

    Mettre en avant les imams radicalisés devant les Français sur la chaîne la plus fréquentée est une façon, peut-être involontaire, de désigner la religion musulmane comme responsable du terrorisme. Après, on attendra le même Premier ministre appeler à lutter contre l'islamophobie... 

    Il est plus facile de désigner des bouc-émissaires (une théorie qu'avait développé le regretté René Girard) que de regarder les propres failles de l'appareil d'Etat et de vouloir les réformer. Avec de tels "responsables" politiques, nous ne sommes pas prêts de trouver des solutions à nos maux collectifs.