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Emmanuel Macron

  • 10 ans de regard sur la politique !

    Le 10 mai 2009, je démarrais ce blog politique baptisé "10 mai". Tout cela n'était pas le fruit d'un hasard de calendrier. Il renvoyait à la date du 10 mai 1981 qui avait vu la victoire historique d'un candidat de gauche à l'élection présidentielle, François Mitterrand. J'avais 14 ans et je croyais, naïvement diront certains, que la politique pouvait changer les choses, qu'on pouvait renverser la table. 

    Les années ont passé et les désillusions sont arrivées. A la quarantaine passée, j'ai donc ouvert ce blog avec la volonté de comprendre les raisons du désamour des Français envers la politique. Entre récit des faits politiques et analyse des phénomènes de fond. Au cours de cette décennie (2009 - 2019), incontestablement, la situation politique a eu tendance à se dégrader comme en attestent la progression de l'abstention et lors de ces derniers mois, la mobilisation des Gilets jaunes.

    "En mai, fais ce qu'il te plait" : dans un texte inaugural du 10 mai 2009, la crise de la gauche était déjà patente deux ans après la victoire éclatante de Nicolas Sarkozy à la présidentielle. J'écrivais alors : "La gauche souffre davantage d'une colonne vertébrale défaillante et d'organes vitaux affaiblis que d'une absence de tête." Les choses ont-elles profondément changé ?

    Depuis ce texte inaugural, 143 posts (ou articles) ont été rédigés (et une centaine de réactions écrites ont été reçues), sur la vie politique française, de l'extrême gauche à l'extrême droite, mais pas que. J'ai également traité le bilan du pape Benoît XVI, relaté la trame politique de plusieurs films ou bien encore de conflits internationaux (Brésil, Etats-Unis, Tunisie, Côte d'Ivoire, Syrie...). Pour des raisons personnelles, le rythme a été très irrégulier, avec parfois plusieurs textes dans le mois et d'autres fois un espacement de plus de six mois. Retour sur quelques posts de cette dernière décennie.

    Le 13 mai 2009, je donne la parole à Roger-Gérard Schwartzenberg(député radical de gauche et professeur d'université) à l'occasion de la sortie de son livre L'Etat spectacle 2. Interrogé sur le positionnement des citoyens par rapport à cette politique spectacle, il répond : "Ils sont à la fois captivés comme des spectateurs et assez lassés car ils ont moins de moins prise sur les décisions. Plus le programme est flou et incertain, moins le citoyen est en capacité d'intervenir sur les choix politiques". Il revient également sur le décrochage entre les citoyens et les politiques : "Le libéralisme économique qui a imprégné les mentalités pendant deux décennies a encouragé l'hyper-individualisme. Or, la démocratie suppose un sentiment d'appartenance collective."

    En juin 2009, les électeurs sont appelés à renouveler le Parlement européen. Dans un post du 14 juin, j'analyse la composition sociologique des parlementaires français. "Dans un pays où le groupe des ouvriers reste encore numériquement important, aucun élu – pas même à gauche – n'en est issu. On a du mal à trouver des petits employés, des artisans voire des agriculteurs (deux élus: l'Aveyronnais José Bové (EELV) et l'Alsacien Joseph Daul (UMP) qui dirigeait dans la précédente mandature le groupe du parti populaire européen) alors même que la Politique agricole commune reste un budget majeur. En revanche, vous retrouvez pléthore d'enseignants, de médecins et, plus curieux, au moins sept journalistes ou patrons de presse (dont Dominique Baudis, Jean-Marie Cavada, Jean-François Kahn, Patrick Le Hyaric)." 

    Philippe Séguin, l'éternel grognard de la droite française, casse sa pipe début 2010. Pour lui rendre hommage, j'établis une comparaison avec Michel Rocard : "Franc-tireur, attaché au rôle de l'Etat, anticonformiste, souvent individualiste... Philippe Séguin s'est heurté à la quête effrénée du pouvoir portée par un Chirac, comme Rocard l'avait été de la part de Mitterrand. Tous deux ont été incompris de leur parti, souvent ostracisés. Ils avaient l'étoffe pour assumer le pouvoir élyséen, mais d'une certaine manière, ils n'étaient pas fait pour la fonction quasi-royale de Président de la République qui s'accommode mal avec la liberté de penser.

    Au printemps 2010, place aux élections régionales ! Elles sont marquées par une augmentation de l'abstention de 15 points. J'estime que la stratégie de Nicolas Sarkozy est pour quelque chose dans cette situation. "Tout est réversible chez lui, tout jugement sur sa politique peut être contesté. C'est un libéral convaincu. Oui, mais il tonne contre les bonus accordé aux traders et entend réguler le système financier mondial (comment, on l'ignore). Il flatte l'électorat du Front national (qui le lui rend mal). Oui, mais il dit vouloir s'attaquer aux discriminations visant les Français dont la peau est moins blanche que Gérard Longuet."

    En juin 2010, je titre "Les musulmans pris en sandwich". Je m'interroge sur la polarisation autour de l'expression des musulmans, qui seraient au fond responsables des maux français. "On pourrait se demander si la polarisation sur la femme musulmane victime aussi bien là-bas (en Algérie, en Afghanistan, etc) qu'ici n'est pas un moyen d'évacuer la profondeur des inégalités hommes-femmes dans l'entreprise, la vie culturelle ou médiatique (combien de femmes PDG de journaux, de radios ou de chaînes de télé?) et bien sûr en politique. Le niqab qu'une loi française entend éradiquer sur notre hexagone n'est évidemment pas le signe d'un affranchissement de la femme, mais qui peut croire que son éventuelle extinction serait une bonne nouvelle pour les millions de femmes qui élèvent seules leurs enfants, se débrouillant avec des salaires de misères et des horaires de bagnards ?" 

    Au bout de trois ans de présidence Sarkozy, l'ambiance dans le pays est étouffante. "Cela va (vraiment) mal finir", écris-je en juin 2010, en référence à un livre coup de poing de l'ancien ministre François Léotard (Ça va mal finir, 2008). Celui-ci, écrivais-je, "trouvait des mots justes pour décrire cette dégradation générale du climat, cette banalisation de tout (de la fonction présidentielle, de l'honneur, du rapport éthique avec les deniers publics...). Il annonçait le règne des fausses valeurs et de la médiocrité ambiante. Nous y voilà donc." En conclusion, j'ajoutais : "En tout cas, dans ce marais nauséabond, il est une responsable politique qui doit se frotter les mains. Elle porte le patronyme de Le Pen et le prénom de Marine..."

    En septembre 2010, j'explique pourquoi Sarko n'a pas encore perdu la présidentielle de 2012. La gauche est confrontée à trois incertitudes : des primaires qui peuvent être sanglantes au vu des haines personnelles ; le flou des propositions et la question des alliances. Et je conclut : "Les conditions sont potentiellement réunies pour éviter un troisième échec successif de la gauche à la présidentielle. Celle-ci a la responsabilité historique de ne pas les gâcher."

    En novembre 2010, je me réjouis de la première victoire des anti-corruption qui traquent "l'argent mal-acquis" de plusieurs dictateurs africains. "En validant la possibilité pour Transparency International de se constituer partie civile dans cette affaire des biens mal acquis, la Cour de cassation reconnaît le rôle essentiel des ONG dans la dénonciation des malversations des dirigeants du monde. Elle ouvre un champ immense pour l'action citoyenne contre les enrichissements particulièrement éhontés de certains dirigeants des pays pauvres." 

    En janvier 2011, Manuel Valls, fidèle à son rôle de provocateur, remet sur le tapis la question des 35 heures. Rien n'est tabou, il est possible de discuter cette mesure, à condition de faire un pas de côté et de sortir des logiques politiciennes. "La question est de savoir comment être compétitif en travaillant moins que les autres. Il faut donc trouver l'alchimie pour utiliser au mieux les gains de productivité encore importants dans l'économie française, en faire une arme économique et un facteur d'intégration sociale. Car ce qui coûte cher à notre pays, ce n'est pas tellement les 35 heures, mais la désespérance sociale qui ne fait que grandir, les quatre millions de chômeurs et les deux ou trois millions de précaires avec ou sans le RSA."

    En février 2011, je reviens sur la condamnation d'Eric Zemmour après des propos sur les Noirs et les Arabes. Je considère que c'est une erreur de porter ce type de propos devant les tribunaux : il vaut mieux y répondre et décortiquer les erreurs et contre-vérités. "Finalement, cette affaire Zemmour signe une double faillite de notre système politico-médiatique. Celle d'un certain journalisme qui éditorialise à outrance, ne prend plus le temps de se plonger dans les réalités complexes du terrain et se transforme en "causeur" (façon salons savants ou café du commerce). Faillite aussi de l'esprit de raison ou du "progressisme" qui, n'ayant plus la capacité ou la force de convaincre par des arguments, préfère faire juger les différends devant les tribunaux."

    En mars 2011, j'envoie un courrier au ministre de l'intérieur, un certain Claude Guéant. Je réagis à une interview qu'il a donnée au Monde dans lequel il explique : "Les Français ont le sentiment que les flux non-maîtrisés changent leur environnement. Il ne sont pas xénophobes. Cela étant, ils veulent que la France reste la France. Ils veulent que leur mode de vie soit respecté, que la laïcité demeure à la base de notre pacte républicain." Sur mon blog, je réponds à l'ancien bras droit de Nicolas Sarkozy : "La France a toujours été une terre d'immigration, donc elle n'est jamais restée la même tout en étant fidèle à sa tradition d'accueil. J'ai le sentiment que c'est vous, ministre de la République, qui ne souhaitez pas que la France reste fidèle à sa tradition. En l'occurrence, je me sens plus fidèle à la France éternelle, celle qui s'est enrichie depuis des siècles au contact des immigrés." Et je conclus : "J'espère, Monsieur le ministre, qu'après un bizutage un peu inquiétant pour nos valeurs, vous vous ressaisirez et redeviendrez digne de la République qui vous a confié ses pouvoirs."

    En mai 2011, l'affaire DSK saisit tout le pays. Le favori de la primaire que doivent organiser à l'automne les socialistes, tombe dans une affaire supposée d'agression sexuelle. Je reviens sur quelques étonnements : "Dans notre pays qui a la passion de l'égalité (dans les discours du moins), on a suggéré qu'une modeste femme de ménage, a fortiori une immigrée africaine vivant dans un immeuble sordide ne pouvait pas détruire la carrière d'un homme aussi puissant que Dominique Strauss-Kahn si elle n'avait pas été envoyée ou payée par d'autres." Loin d'être isolé, le comportement de DSK renvoie à des abus de pouvoir qui sont le fait de beaucoup de politiques.  

    En août 2011, je m'interroge si "les écolos ne se sont pas tirés une balle dans le pied", en préférant à la candidature Hulot celle d'Eva Joly, la juge franco-norvégienne. "Pour secouer les frilosités hexagonales, écris-je, la posture prophétique – qui n'est pas toujours comprise de prime abord, mais marque les esprits – est préférable à la traditionnelle posture politicienne qui ménage tout le monde. En étant la candidate du plus petit dénominateur commun et la moins encombrante pour l'appareil EELV, Eva Joly prend le risque de ne pas bousculer beaucoup le débat politique."

    En septembre 2011, on assiste à un petit événement politique : la gauche ravit à la droite la majorité au Sénat, chambre éternellement dominée par les forces conservatrices. "Les territoires ont le sentiment d'être complètement abandonnés par le pouvoir central qui a abandonné son rôle d'aménagement – ou de rééquilibrage - du territoire (à travers la fermeture des services publics, notamment des écoles) et en plus d'être malmenés par les préfets qui redécoupent à la hache la carte des intercommunalités."

    En novembre 2011, François Hollande, victorieux à la primaire face à Martine Aubry, dévoile son staff de campagne. "Equipe-choc ou auberge espagnole", titre-je. Et je m'intéresse au choix du directeur de campagne, Pierre Moscovici. "Le plus parisien des députés du Doubs ne manque pas de talent notamment dans les débats, avec un sens de la formule qui fait mouche. Sauf que depuis quinze ans, on cherche en vain une idée originale qu’aurait porté « Mosco ». Sauf que son passage aux affaires européennes a laissé le souvenir davantage d’un dandy que d’un ardent militant de la cause (alors même que la gauche était à la tête de la grande majorité des gouvernements européens)."  

    En février 2012, j'examine les atouts et faiblesses des deux favoris : François Hollande et Nicolas Sarkozy. Sur le premier, je me pose deux questions de fond : "1/ A-t-il un vrai destin à proposer aux Français ?2/ Aura-t-il les moyens de ses ambitions ?" Je cite Michel Rocard, 80 ans, qui explique que les hypothèses de croissance sur lesquelles ont été élaborées les propositions socialistes sont exagérées (ce qui se vérifiera). Quant à Sarkozy, je m'interroge sur les risques de sa stratégie : "La volonté de braconnage de Nicolas Sarkozy sur les terres frontistes est doublement risquée. Elle réinstalle Le Pen au centre du débat en légitimant une partie de ses thèses."

    Le soir du premier tour des présidentielles, en avril 2012, je le passe à la Mutualité au côté des supporters de Sarkozy où je rencontre notamment une électrice de Hollande :  "Vous comprenez, je travaille dans l'enseignement et la recherche en mathématique. Après ce que Sarko nous fait, il n'est pas possible de voter Sarkozy".

    En mai 2012, lors de l'élection de François Hollande, je titre : "Nous ne sommes plus en mai 81". "La relation au nouveau Président de la République n'est absolument pas la même : François Mitterrand était respecté, craint, haï parfois, il se situait (même si c'était fort discutable) dans la lignée des grandes figures de la gauche, de Jaurès à Blum ; François H. a deux « pères » en politique (Jacques Delors et Lionel Jospin), mais ne porte pas en lui, dans ses gênes, cette mystique de la politique". Analysant la carte électorale, je décris deux France antinomiques : "D'un côté, une France tempérée, de tradition radicale-socialiste (le Sud-Ouest) ou démocrate-chrétienne (l'Ouest) où le style mesuré et tout en rondeurs de Hollande a bien fonctionné et où la vie associative est très dense. De l'autre, une France, parfois pauvre, parfois prospère, très inquiète des audaces de François Hollande et des conséquences de l'ouverture des frontières."

    En mai 2012, je publie le témoignage de ma mère, militante socialiste en Mayenne, qui raconte son expérience de tractage dans la population d'un gros bourg. Elle constate la montée d'un électorat frontiste, par exemple lors de la rencontre de cette dame âgée. Ma mère raconte : "A ces questions, elle se trahit. "Est-ce vrai que les étrangers prennent notre travail? ; "Pourquoi certains viennent à la banque alimentaire avec de belles voitures?" ."Il parait que des jeunes viennent deux jours au travail et qu'ils ne reviennent pas."

    Fin août 2012, je note déjà un "malaise sur la planète Hollande". Deux types de malaise sont alors identifiés : "Son obsession à prendre le contre-pied de Sarkozy lasse à la fin car elle ne construit pas une politique." D'autre part, expliquais-je, "chaque récif est négocié souvent avec intelligence, mais cela ne donne pas une lecture claire du dessein présidentiel. Les grands choix dans notre rapport au système de protection social, à l'environnement ou à l'Europe ne sont jamais précisés." 

    En mai 2013, la panne du pouvoir Hollande se confirme. "A la recherche du chemin introuvable", écris-je. "Dans l'âme, François Hollande est resté le premier secrétaire du PS qu'il a été pendant dix ans. Sa volonté de rassembler coûte que coûte, sa peur des féodalités locales le conduisent à chercher en permanence le point d'équilibre, le plus petit dénominateur commun. Il a tendance à se couper des idées nouvelles, des groupes contestataires qui portent en germe des nouvelles façons de voir. Les calculs sont partout alors qu'il faudrait un élan, un enthousiasme."

    En novembre 2013, la colère des bonnets rouges en Bretagne traduit une forme de révolte des  territoires face à Paris. Dernière l'opposition à l'écotaxe, il y a tant d'autres colères qui s'expriment. "A la lumière des échecs et trahisons successifs, au regard de l'impossibilité pour la France de réduire son chômage et de réorienter l'Europe, un sentiment localiste pourrait se développer dans les prochaines années et fragiliser encore l'échelon central. Avec l'idée sous-jacente selon laquelle "on va tous en baver, mais autant compter sur ses propres forces et ne pas attendre grand-chose de Paris !"

    "Triste gauche", écris-je en juin 2014. Et j'aurais pu ajouter "gauche paresseuse". "La paresse intellectuelle fait qu'on continue à penser qu'une croissance à 2 points va revenir ("elle arrive", nous dit incessamment le Président) et qu'ainsi nous allons résoudre la question du chômage. Que fait-on quand la croissance se traîne autour de zéro ? Comment sortir du non-emploi ceux qui s'y sont habitués ? Une fois qu'on a épuisé les maigres outils que sont les emplois d'avenir (pâle resucée des emplois jeunes des années Jospin) et la Banque publique d'investissement, on se tourne vers les bonnes vieilles recettes libérales."

    En janvier 2015, je reviens sur les événements dramatiques de Charlie Hebdo et la réaction impressionnante du peuple français. Par-delà l'hommage aux victimes, des questions doivent être posées. "Comme avec Mohammed Merah voici presque deux ans, les meurtriers des "libres-penseurs" de Charlie Hebdo ont grandi sur le sol national, ont fréquenté les écoles de la République, sont des citoyens français. La haine qu'ils retournent contre les "institutions" de notre République doit nous interroger sur ce qui s'est passé depuis une vingtaine d'années. Qu'est ce qui a été raté ?" Et j'ajoute : "Quel projet collectif proposons-nous aux nouvelles générations ? Quel espoir de progrès peuvent-elles nourrir pour elles et leurs (futurs) enfants ? Qu'est-ce qui peut faire rêver aujourd'hui ? C'est à ces questions que chacun est tenu de répondre, à commencer par ceux qui aspirent à prendre les rênes du pays."

    En mars 2015, nouveau revers de la gauche aux élections locales. Celle qui était majoritaire dans deux tiers des départements ne l'est plus que dans un tiers. Et le Front national continue sa percée malgré son absence de personnalités d'envergure. "Nous en sommes là, trois après (la victoire de Hollande)". J'essaye de proposer des pistes pour ne pas sombrer dans un pessimisme ravageur. "Alors, que faire ? Eviter de désespérer, essayer en tout cas, pour ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Distinguer la critique (nécessaire, vitale) des pratiques politiques de la destruction des (derniers) idéaux. Participer, relayer les dynamiques qui font revivre l'idéal citoyen dans les quartiers et les campagnes, être à l'écoute de tout ceux qui, quittant leur fauteuil devant cette maudite télé innovent et inventent, n'attendant pas tout "d'en haut".

    En juillet 2016, j'écris que Manuel Valls joue un "jeu vraiment dangereux". "A la manière d'un Sarkozy, Manuel Valls cristallise les tensions, met de l'huile sur le feu. Les exemples abondent, par exemple dans la gestion de la loi Travail." Cette volonté de fracturer la gauche pourrait avoir des conséquences graves. "La gauche risque d'être d'être fracturée entre trois composantes : une frange radicale autour de Jean-Luc Mélenchon qui campe une forme de pureté ; une gauche de réformes ambitieuses qui n'a pas peur de l'affrontement avec le patronat ; une gauche blairiste qui veut accompagner, le moins brutalement possible, l'entrée de notre pays dans l'économie mondialisée.La gauche n'aura dès lors aucune chance de reconquérir le pouvoir, chaque bloc représentant entre 10 et 20 % de l'électorat"

    En mars 2017, quelques semaines avant l'élection présidentielle, je titre "De quoi Emmanuel Macron est-il le nom ?" En fin d'article, je réponds à la question initiale : "Il est le nom brillant, insolent et séduisant, du vide politique et de la destruction progressive, depuis une vingtaine d'années, de tout esprit de courage et de vision d'avenir. Voilà pourquoi la marche du jeune Picard pourrait être victorieuse..." 

    A gauche, les deux candidats principaux, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, n'ont de chance de figurer au second tour de l'élection que si l'un s'efface au profit de l'autre. Mais cette tentative était vouée, selon moi, à l'échec. L'Europe est le principal point de divergence entre les deux. "Comment croire qu'un tel clivage au sein de la gauche - qui dure depuis plus de 10 ans - puisse être balayé en deux ou trois semaines ?" Et je m'interroge déjà sur le succès de la candidature du socialiste. "Ne l'oublions pas (on peut le regretter): notre pays qui combine une tradition de centralité et un tempérament rebelle se cherche en permanence un chef, un leader qui parle au moins autant à son cœur qu'à sa raison... Pour le coup, l'ancien rocardien Benoît Hamon serait bien inspiré de ne pas l'oublier."

    Au lendemain de la victoire de Macron, en mai 2017, je m'interroge sur cette "République des experts" qui se prépare. Je note que cette formule attrayante sur le papier présente deux gros risques. Le premier : "Expert ne rime pas toujours avec sens de la discussion et du compromis. Les experts sauront-ils discuter avec les syndicats, les associations et évidemment avec les parlementaires ? N'auront-ils pas tendance à considérer que leurs diplômes et compétences valent bien le mandat électoral." Second risque : "La montée du FN et la crise de confiance du pays tiennent en grande partie à l'écart qui s'est constitué entre les élites et le peuple. La mise au premier plan d'experts pourrait aggraver la crise de confiance"

    Un an après son élection, en septembre 2018, je note que le président de la République dégringole. "On pouvait penser que sa capacité à intéresser de nouveaux citoyens à la chose politique via le mouvement En marche allait l'amener à insuffler de la démocratie directe, de la participation et de la simplicité. Au contraire, on a découvert depuis quinze mois un monarque soucieux d'accentuer la verticalité du pouvoir." Je reviens également sur le départ fracassant du gouvernement de Nicolas Hulot. "C'est un profond changement de matrice dont la France a besoin. Le président, produit (brillant) d'une technocratie à la française, est incapable intellectuellement de penser cette mutation."

    En puis, en novembre 2018, démarre la crise des Gilets jaunes. Au-delà des questions monétaires importantes (taxes, pouvoir d'achat, salaire, etc), c'est bien la question du fonctionnement de notre démocratie qui est posée."Quels sont les intérêts représentés dans telle ou telle décision (l'intérêt général paraît généralement une chimère) ? Comment contester de façon pacifique une orientation ? Que faire quand un responsable trahit ses engagements ? Ces questions doivent être au centre des réflexions. Emmanuel Macron serait bien inspiré à lancer un vrai processus de discussion dans le pays sur les questions du référendum d'initiative populaire, de contrôle de l'exécutif, de revalorisation du Parlement. En un mot, la question qui est posée est celle de la démocratisation de notre République."

     

    En écrivant ce texte, je pense à mon ami Bernard Boudet, en ce moment dans le coma, avec qui j'ai eu tant de discussions passionnées sur la chose politique. Comme quelques autres, il a très souvent pris la peine de réagir à mes articles. 

     

     

  • Les "gilets jaunes", la révolte de la France invisible

    Ainsi donc, en ce 17 novembre, des dizaines (ou des centaines) de milliers de personnes vont se vêtir d'un gilet jaune pour bloquer la circulation et défendre leurs revendications, dont la première est le refus de l'augmentation des taxes sur le prix de l'essence.

    Ce mouvement a été comparé à celui des bonnets rouges en Bretagne sous le quinquennat de François Hollande. Pourtant, les "gilets jaunes" présentent des spécificités : le mouvement est national et n'est pas lié à une revendication régionaliste ; il n'est généralement pas connecté aux acteurs économiques, par exemple les camionneurs. C'est qu'on le veuille ou non un mouvement citoyen qui s'est construit à partir des réseaux sociaux et sans appui direct des syndicats ou des partis politiques.

    Evidemment, ne soyons pas naïfs, des militants politiques, notamment à la droite de la droite (chez Marine Le Pen ou Nicolas Dupont Aignan) sont fortement mobilisés pour tenter de mettre en connexion les citoyens en colère avec les partis protestataires. Il n'est pas certain que la récupération du mouvement puisse vraiment avoir lieu tellement le discrédit des partis est forte.

    Quelles sont les caractéristiques de ce mouvement que personne n'a vu venir ? Il s'inscrit d'une part dans la défiance vis-à-vis de l'Etat. Celui-ci est perçu comme contraire aux intérêts des individus : il "rançonne" les automobilistes à travers les amendes ; il les contraint à circuler à une vitesse réduite (les fameux 80 km/h) ; il contrôle de façon de plus en plus drastique sur le plan technique les véhicules. Dans l'esprit des "gilets jaunes", la voiture reste l'un des derniers domaines de liberté individuelle. L'augmentation des taxes est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

    D'autre part, ce mouvement cherche une organisation la plus horizontale possible : il n'y a pas de leader clair, aucun représentant... Ce type d'organisation marque une défiance totale vis-à-vis de toute structure pyramidale. Malgré tout, la question d'une organisation, même minimale, va se poser au lendemain de ce 17 novembre pour négocier avec les pouvoirs publics.

    Enfin, les "gilets jaunes" incarnent une France d'en bas, rurale ou périurbaine. Ils ont le sentiment que ceux qui décident de l'augmentation du prix des carburants vivent dans des centre-villes dotés de réseaux de transport en commun. Eux n'ont pas d'alternative en matière de transport.

    L'attitude du gouvernement a facilité la mobilisation citoyenne. Les faveurs accordées aux couches les plus favorisées, l'envolée des taxes en tout genre, le recul des services publics notamment dans le rural profond ont été vécues comme des éléments de provocation par rapport à ceux qui vivent avec un ou deux Smic et qui ont du mal à boucler leurs fins de mois.

    La volonté de taxer davantage le diesel est une mesure logique dans une optique de transition écologique. Mais là, elle peut difficilement être acceptée politiquement. D'une part, l'augmentation des taxes va profiter principalement au budget de l'Etat et non à des opérations favorables à l'écologie. D'autre part, le gouvernement aurait dû engager un programme de développement des transports collectifs dans les zones où ils sont quasiment absents. C'est le contraire qui a été fait. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que les "gilets jaunes" ont beaucoup de carburant pour paralyser tout ou partie du territoire national.   

  • Pourquoi Emmanuel Macron dégringole

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    En juillet 2017, quelques semaines après l'élection d'Emmanuel Macron, j'écrivais sur mon blog à propos de la réussite du projet présidentiel : "Mon hypothèse est que malgré son énergie et sa bonne volonté, le Président va rester au milieu du gué et décevoir encore et toujours." Un an après, nous sommes totalement dans ce scénario avec un président qui a une cote de désamour record. Et pourtant, s'il est chef de l'Etat qui a été choyé par les grands médias, c'est bien lui. Alors que s'est-il passé ?

    Il y a eu, semble-t-il, une méprise sur la personnalité d'Emmanuel Macron. Sa jeunesse était associée à une volonté de revoir le fonctionnement de la 5e République. On pouvait penser que sa capacité à intéresser de nouveaux citoyens à la chose politique via le mouvement En marche allait l'amener à insuffler de la démocratie directe, de la participation et de la simplicité. Au contraire, on a découvert depuis quinze mois un monarque soucieux d'accentuer la verticalité du pouvoir. Le redémarrage des chasses présidentielles est un signe de cette volonté d'asseoir son pouvoir.

    L'Elysée a encore gagné en influence sur des ministres bien souvent  inexpérimentés. Comme Macron se réclamait de l'héritage de Michel Rocard, on pouvait penser qu'il allait miser sur les territoires et réaffirmer l'enjeu de la décentralisation. Il n'en a rien été, au contraire : les coupes sombres dans les budgets des collectivités ont affaibli le pouvoir d'agir de celles-ci.

    Tout ne se résume pas à la personnalité d'Emmanuel Macron. Il faut aussi regarder son programme et sa mise en oeuvre. Reconnaissons que beaucoup de mesures avaient été annoncées pendant la campagne. Pourtant, le candidat avait annoncé une politique en même temps de gauche et en même temps de droite. Ce qui supposait un équilibre dans la politique suivie. De ce point de vue, le compte n'y est absolument pas. Bercy aux mains d'anciens responsables des Républicains (Bruno Le Maire et Gérald Darmanin) a mené tambour battant des réformes libérales : il a fallu quelques semaines pour faire voter une libéralisation du travail alors qu'on a dû attendre 15 mois pour découvrir un plan anti-pauvreté doté d'un financement très mesuré au regard des réductions fiscales accordées aux plus riches. De même, le travail remarquable fait par Jean-Louis Borloo sur les quartiers en difficulté a été négligé par l'exécutif.

    Et puis, il y a le départ de Nicolas Hulot. Par-delà les éléments personnels, cette décision traduit une incapacité du pouvoir à réorienter la politique dans une direction écologique. Dans l'esprit d'Emmanuel Macron, il suffisait de prendre quelques mesures symboliques pour remplir la mission alors que ce sont toutes les décisions économiques et sociétales qu'il faut reconsidérer. C'est un profond changement de matrice dont la France a besoin. Le président, produit (brillant) d'une technocratie à la française, est incapable intellectuellement de penser cette mutation.

    Depuis quelques semaines, on a le sentiment d'une fuite en avant du pouvoir. Les "copains" sont mis à tous les postes de pouvoir : François de Rugy à l'écologie et Richard Ferrand au perchoir. L'affaire Benalla révèle un sentiment de toute puissance de certains conseillers élyséens. Aucun cap clair n'est fixé par un Premier ministre totalement transparent. Et l'absence de résultats de la stratégie économique dite du ruissellement va immanquablement remettre sur le tapis la pertinence de cette politique.


    Reste une interrogation : Emmanuel Macron a-t-il la lucidité et le courage de rectifier le tir en rééquilibrant sa politique et en faisant le pari de la compétence au lieu du copinage ? Le mois d'octobre sera, à cet égard, déterminant. 

  • Un homme providentiel peut-il nous sauver ?

    Il est partout présent, comme s'il avait un don d'ubiquité. il s'exprime sur beaucoup de sujets souvent en lieu et place d'Edouard Philippe dont l'autorité reste faible. Il a imposé sur son énorme groupe parlementaire une discipline de fer qui fait penser à ces députés godillot sous de Gaulle. Ce "Il", tout le monde i'a reconnu, c'est Emmanuel Macron.

    Son dynamisme, sa réactivité et sa maîtrise des réseaux de communication (pensez aux dizaines de une des grands news) et sa jeunesse (dans un pays habitué à élire des sexagénaires)... c'est beaucoup d'atouts pour un homme que d'aucuns - sur lesquels le soleil a tapé un peu fort - comparent à Jupiter.

    Gardons raison et essayons de répondre à la question essentielle : Macron est-il en mesure de respecter ses engagements et faire accepter des mesures qui risquent d'être pour certaines impopulaires ? Mon hypothèse est que malgré son énergie et sa bonne volonté, le Président va rester au milieu du gué et décevoir encore et toujours.

    Trois faiblesses peuvent être relevées. D'une part, le président s'appuie sur un mouvement totalement novice où l'on retrouve le meilleur comme le pire. Il dispose d'une armée de fantassins prêts à montrer au front, mais pas de généraux capables de définir une stratégie. Plus que sous Hollande encore, tout va se décider à l'Elysée qui, comme habitude, va se couper progressivement du pays.

    L'autre raison est liée à son programme qui, par certains côtés, ne tient pas la route dans le cadre budgétaire européen défendu par Macron. Déjà on parle de différer telle ou telle mesure fiscale ou de remettre à plus tard certaines réformes. Cela ne veut pas dire qu'elles ne se feront pas, mais dans la difficulté, avec le risque de semaines de paralysie du pays. Cela va supposer pour Emmanuel Macron un mélange d'écoute et de capacité de décision sans trop cliver. 

    Après cette floppée de rencontres diplomatiques, Emmanuel Macron va devoir mettre les mains dans le cambouis. Et sérieusement. La loi dite travail, même négociée (jeu de dupes ou réalité ?) risque de diviser sérieusement le pays avec ce projet très pro-Medef. Est-ce le meilleur moyen de rassembler le pays ?

    La troisième faiblesse est liée au fait qu'Emmanuel Macron mise tout sur son aura, sur ce lien curieux qu'il a constitué avec les Français. Il sait que le bateau va tanguer mais il pense que ses mots, ses gestes, son autorité. vont permettre de maintenir ce lien de confiance. C'est risqué sur ceux niveaux.   

    D'une part, le modèle gaullien dont Macron s'inspire ne parle plus à grand monde presque 50 ans après sa mort. Cette solennité qui était recherchée après les errements de Hollande, ne peut être de mise à chaque intervention. Incontestablement, Macron veut parler au-dessus (des partis, des syndicats) dans une relation directe au peuple. Le risque qu'il prend, outre une impopularité rapide, c'est de pas entraîner les Français sur sa politique. 

    il va devoir choisir entre deux attitudes : soit camper le Gaulle des années 2020 avec un discours sur l'homme providentiel, soit mobiliser le pays autour de grands objectifs (inégalités, rural profond, développement des quartiers populaires, démembrement de réacteurs nucléaires, etc.). Les habitants ne peuvent s'emparer des enjeux que s'ils sentent une envie claire du pouvoir central d'y aller et des marges de manœuvre pour expérimenter et imaginer des solutions, notamment sur l'emploi. Le débat sur la loi qui se prépare risque de ne rien dire des solutions nouvelles pour créer partager le travail. Encore une occasion (qui risque d'être) ratée.