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Emmanuel Macron - Page 2

  • Vers une République des experts ?

    La victoire d'Emmanuel Macron est très claire. Il faudrait être mauvais joueur ou rancunier pour ne pas la reconnaître. Même si Marine Le Pen fait un score historique pour une formation d'extrême droite (ce qui doit inquiéter tous les démocrates), elle est loin de franchir la barre espérée des 40 %.

    Les deux partis de gouvernement - PS et LR - sont profondément affaiblis par cette élection et ne devraient pas en sortir indemnes. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il est peu probable que ses candidats aux législatives obtiennent les mêmes scores que lui à cette présidentielle. A force de trop personnaliser un scrutin, on ne construit pas un mouvement très solide. Les flottements sur le report pour le second tour vers Macron devraient laisser des traces au sein de l'électorat très composite des Insoumis.

    Quelle va être l'attitude du nouveau président ? Quel gouvernement va-t-il constituer (1) ? D'abord se pose la question du choix du Premier ministre. Il va falloir ne pas décevoir, en ne choisissant pas une personnalité trop marquée ni à droite ni à gauche, mais capable d'entraîner le mouvement En Marche ! vers les législatives. Il est, par exemple, exclu de prendre un ministre actuel, comme Jean-Yves Le Drian, pour éviter toute confusion avec François Hollande. Une personnalité comme Jean-Paul Delevoye, l'ancien président du Cese (et de l'association des maires de France), pourrait faire l'affaire. On verra...

    Emmanuel Macron va être attendu sur le choix des ministres et surtout des périmètres ministériels. La rénovation urbaine va-t-elle avoir droit de cité ? La revitalisation rurale et l'aménagement du territoire vont-ils retrouver une vraie place ? Le poids de Bercy sera-t-il encore renforcé ? Quid de la révolution numérique, de la santé, etc. ? Il est probable que le nouveau président s'entoure de spécialistes des questions, pour incarner cette image de sérieux et de novation qu'il a valorisée pendant toute sa campagne.

    Des experts dans un gouvernement : serait-ce la solution pour contrer la crise de légitimité que vivent les ministres ? Sur le papier, la formule paraît intéressante car cela donne des gages de sérieux et de compétence dont manquent souvent les ministres qui changent de portefeuille comme d'autres changent de chemise. Pour autant, Est-ce la solution-miracle ? Pas sûr. Deux difficultés se présentent. Expert ne rime pas toujours avec sens de la discussion et du compromis. Les experts sauront-ils discuter avec les syndicats, les associations et évidemment avec les parlementaires ? N'auront-ils pas tendance à considérer que leurs diplômes et compétences valent bien le mandat électoral.

    L'autre risque est d'ordre symbolique. La montée du FN et la crise de confiance du pays tiennent en grande partie à l'écart qui s'est constitué entre les élites et le peuple. La mise au premier plan d'experts pourrait aggraver la crise de confiance. reste à ces experts - s'ils sont désignés - à faire mentir ces pronostics.       

     

    (1) Rappelons tout de même que, selon la Constitution, c'est le Premier ministre qui constitue le gouvernement. Mais c'est généralement une fiction.

  • La menace du chaos

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  • Macron : tempête dans le désert (politique)

    Il faut bien reconnaître que nous sommes tous, plus ou moins, fascinés par cette présidentielle ? Qui eût pensé voici six mois que les Républicains seraient représentés par le terne François Fillon et que la gauche modérée se choisirait un ancien ministre de second rang, frondeur sur le tard, Benoît Hamon ? Qui pouvait penser que le gendre idéal de l'ouest catholique traditionnel se révélerait être un Picsou moderne ? Quel éditorialiste a écrit voici un an que la droite républicaine allait perdre cette élection et pourrait même se faire doubler par le candidat de la gauche antilibérale, Jean-Luc Mélenchon ?

    La plus incroyable surprise pourrait prendre le visage de cet éternel poupin que semble être Emmanuel Macron. Non seulement il est bien placé pour devenir le 8e président de la République, mais il pourrait devancer Marine Le Pen au premier tour, ce que personne, là encore, n'avait imaginé. Que se passe-t-il dans notre pays pour qu'aucun pronostic ne tienne la route et pour que tous les favoris soient éliminés à tour de rôle ?

    Il n'est pas très original de parler de dépression collective, de manque d'avenir, de repli sur les communautés de proximité. C'est sans doute partiellement vrai, mais comment expliquer qu'à trois semaines du premier tour, le candidat le plus populaire s'appelle Emmanuel Macron ? Si la désespérance était totale, la candidate en tête serait restée l'égérie de l'extrême droite. Si le cynisme l'avait emporté sur toute générosité, la découverte de la duplicité de François Fillon n'aurait pas été vécue comme une trahison suprême.

    Mais qu'incarne exactement le candidat En marche ? Voici quelques jours, Le Monde, sous la plume inspirée de Florence Aubenas a publié une enquête au long cours sur ces électeurs qui sont prêts à épouser le vote Macron et qui, pour certains, s'engagent à ses côtés. On y découvre une polyphonie absolument incroyable. Certains font des constats politiques qui se veulent rationnels, d'autres développent des enthousiasmes totalement incroyables pour ce candidat. Par moment, on s'approche de la figure christique.

    Tout cela peut faire sourire, mais cela ne permet d'expliquer ce qui se passe, ou du moins de tenter. Mon hypothèse est la suivante : depuis la mort de Mitterrand, notre pays souffre d'un déficit d'incarnation. Les trois président qui se sont succédé depuis n'ont pas semblé à la hauteur: Jacques Chirac était "sympa", mais mouillé dans des affaires ; Nicolas Sarkozy apparaissait comme un faux dur, empêtré dans son émotivité débordante. Quant à François Hollande, il a donné le sentiment d'un président relativement honnête, mais pusillanime, totalement hésitant dans ses choix.

    Emmanuel Macron semble arriver d'une autre planète, celle du mouvement, du refus des règles de la politique traditionnelle. Il vit avec une femme beaucoup plus âgée que lui, ce qui donne l'impression d'un responsable peu conventionnel. Son discours emprunte aux thématiques de la gauche (sur les réformes sociétales) et à la vulgate libérale-sociale (sur les réformes économiques) qui est celle d'un éventail très large, de Valls à Juppé.

    Tout cela donne l'impression d'un (improbable) syncrétisme qui plait à une France totalement déboussolée. Avec l'énergie du désespoir, elle veut croire qu'un homme libre et énergique peut redresser la France. Cela prépare sans doute des grandes désillusions, mais, il faut bien reconnaître que le succès de Macron prend place dans le désert politique actuel.      

  • De quoi Emmanuel Macron est-il le nom ?


    A cinq semaines d'une présidentielle
    qui n'a cessé de nous réserver surprises et volte-face, bien malin qui pourrait prédire l'identité des deux finalistes. Même si elle peut donner l'envie de vomir, la présence de Marine Le Pen semble probable. Qui devrait l'affronter ? Actuellement, le grand favori s'appelle Emmanuel Macron.

    Ses trois rivaux pour cette place qualificative présentent chacun de lourds handicaps : François Fillon est "plombé" par ses casseroles et son choix d'une campagne droitière en alliance avec les ultra-catholiques de Sens commun ; Benoît Hamon souffre d'être pris comme le candidat du PS (parti de plus en plus honni) et de devoir composer avec un appareil vermoulu qui, tout comme avec Ségolène Royal en 2007, ne cherche pas son succès ; Jean-Luc Mélenchon suscite une vraie adhésion populaire (tout comme Emmanuel Macron), mais a du mal à sortir de son couloir, handicapé par la campagne à gauche du concurrent Hamon et son propre discours, notamment sur sa thématique "dégagiste" qui fait fuir de nombreux électeurs (sur la rivalité entre ces deux candidats, lire un précédent post)

    Prononcer le nom d'Emmanuel Macron dans une assemblée "de droite", c'est s'exposer à des remarques sur l'identité floue (politique, économique et... sexuelle) du candidat En marche qui serait l'héritier intrépide de François Hollande). Le faire devant des militants de gauche, c'est prendre le risque d'entendre des accusations graves sur ses liens étroits supposés  avec le monde de la grande finance et des entreprises du CAC 40. Si on devait prendre pour argent comptant ce qui est dit là, on devrait en conclure que près d'un quart des citoyens décidés à voter entendent soutenir un candidat à l'identité totalement floue.

    Avoir une identité politique floue est finalement un avantage dans le contexte d'une société française qui a perdu ses repères. Celle-ci s'est "donnée" successivement à deux présidents qui semblaient incarner quelques convictions. Sarkozy devait, après le double mandat jugé mou de Jacques Chirac, incarner les valeurs d'une droite à la fois libérale, populaire et autoritaire. Il s'est montré versatile (faisant une ouverture ratée vers la gauche) et changeant, sans oublier ses ostentations personnelles bien loin des pratiques de la Ve République.

    Lui a succédé l'ancien patron du PS, qui semblait porter un double patronage : Jacques Delors pour la volonté de réformes réalistes et l'engagement européen net ; Lionel Jospin pour la capacité à rassembler la gauche sur un programme maîtrisé. Là encore, on a assisté à une absence de volonté européenne (avec un leadership incontestable de la chancelière allemande), à un émiettement de la gauche et des divisions aussi bien au PS que chez les Verts et à un manque de cap clair.

    Après deux présidents qui ont cultivé le flou, les Français pourraient être attirés par un candidat jeune et énergique qui revendique son éclectisme. Quand Emmanuel Macron se proclame ni de gauche ni de droite (tout en ayant servi un gouvernement dit socialiste), il s'inscrit certes dans une tradition française improbable (nos institutions n'ont pas permis, jusque-là, l'émergence d'une troisième force de gouvernement), mais il ne ment pas. Au sens où il annonce la couleur : "je prendrais ce qu'il y a de bon à droite comme à gauche".

    Qui n'a pas entendu cette formule lors d'un déjeuner de famille ou d'un échange au bistrot ? Il existe l'aspiration forte de dépasser les clivages, d'arrêter ce que certains, à l'instar de Jean-François Kahn, ont appelé la "guerre civile française". Et si les hommes et femmes de bonne volonté se donnaient la main ?, pourrait-on dire. Ce serait tellement bien...

    Sauf que la réalité est éloignée du conte de fées démocratique. Au quotidien, Emmanuel Macron est obligé de faire le grand écart. Quand il annonce des mesures courageuses sur l'école (des classes de CP et CE1 d'une douzaine d'élèves dans les quartiers en politique de la ville) - ce qui plait à un électorat de gauche -, il annonce dans la foulée qu'il y aura une réduction du nombre de fonctionnaires, en particulier dans l'Education nationale, ce qui sonne agréablement aux oreilles de droite. Il n'est pas sorcier d'imaginer, au vu du poids de Bercy, que la grande mesure de Macron risque de se transformer en mesurette...

    Les citoyens, même ceux favorables à l'ancien ministre, ne peuvent ignorer que le président Macron aura les pires difficultés à avoir une majorité i, tant soi peu cohérente. L'Assemblée nationale devrait représenter, pour une fois, la diversité française avec probablement quatre groupes dont trois hostiles à Macron : la gauche (rassemblant les partisans de Hamon, de Mélenchon et de Jadot), la droite dure (derrière Sarkozy et Fillon) et l'extrême droite (qui devrait avoir un groupe à l'AN). Face à cela, le groupe pivot soutien de Macron devrait composer en permanence avec la gauche pour les réformes de société et avec la droite pour les réformes économiques. Cette instabilité - avec les accusations de tambouille qui vont alimenter le discours du FN - pourrait d'ailleurs précipiter la mort de la Ve République (un sujet qui ne semble pas intéresser Macron).

    Si on en est arrivé là (un duel probable entre une héritière d'extrême droite et un défenseur du "ni droite ni gauche"), c'est parce que les partis ont gravement failli. Les grands leaders politiques sont devenus de grands stratèges (qui se trompent souvent) et communicants (qui le font souvent de la plus mauvaise des manières). Leur sens de l'intérêt collectif est tout relatif : ils travaillent à leur compte, souvent en préparant l'échéance d'après.

    Sur les six candidats qui participaient à la primaire de gauche au côté de Benoit Hamon, deux d'entre eux ont décidé de ne pas respecter leur engagement de soutenir la personne investie : François de Rugy qui a rejoint En marche et l'ancien premier ministre Manuel Valls qui se désolidarise de son ancien ministre de l'Education.

    Sur l'autre rive, on assiste à une tragicomédie où tous ceux qui ont déversé des tonnes de critiques sur la campagne et les casseroles de François Fillon se sont décidés à le soutenir. Qui ne voit pas là des signes de délitement du sens de la politique où toute conviction tout respect de la parole donnée est malmenée au nom d'intérêt de court ou moyen termes ?

    Pour Manuel Valls, il s'agit de parier sur un éclatement (probable) du PS après ce printemps et de prendre la tête d'une nouvelle formation de type blairiste. Pour la droite et les pauvres UDI, l'objectif est d'une simplicité présentée comme biblique : sauver les meubles aux législatives et éviter des candidatures dissidentes à droite ou au centre.

    Dans ce contexte, les critiques (très maladroitement entonnées par Benoit Hamon) sur le manque de cohérence du projet de Macron résonnent dans le vide. De qui Emmanuel Macron est-il le nom ? Il est le nom brillant, insolent et séduisant, du vide politique et de la destruction progressive, depuis une vingtaine d'années, de tout esprit de courage et de vision d'avenir. Voilà pourquoi la marche du jeune Picard pourrait être victorieuse...