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  • La gauche face aux identités perdues

    adieu-gary,382519.jpgLe film français Adieu Gary sorti récemment (et interprété notamment par un Jean-Pierre Bacri remarquable) résonne fortement dans l'actualité de cet été 2009 marquée par de nombreux conflits sociaux extrêmement tendus. Là, sur le grand écran, il ne s'agit pas de raconter une lutte sociale, mais de l'après quand toute l'activité s'est arrêtée et que les banderoles et mégaphones ont été rangés. Sur fond de trafic de drogues – cela se passe dans l'Ardèche rurale et non dans une cité du 93 -, les habitants cachent difficilement leur désoeuvrement ou se débattent dans le vide (de sens) de la société.

    L'un des fils du père que joue Bacri sort de taule (pour trafic de drogue) et s'essaye à travailler dans un supermarché où il doit revêtir un masque de souris dans le cadre de la semaine du fromage (sic). L'autre fils recherche son identité marocaine (par sa mère décédée) en apprenant difficilement l'arabe via des cassettes. Le premier envoie tout promener, en refusant cette vie d'esclave. S'ensuit un dialogue très tendu entre le père qui lui reproche de ne pas s'accrocher à son travail, lui l'ancien taulard d'origine maghrébine, et le fils qui lui lance à la figure l'inutilité de ses années de militance dans le syndicat pour défendre son travail dans une entreprise qui finalement a foutu le camp. L'une des scènes montre le déménagement d'un local syndical, désormais inutile, pour laisser place à une salle de prière musulmane.

    Tout le drame de la gauche syndicale et politique est exprimé dans ces deux ou trois scènes de Adieu Gary. A quoi sert de résister à la montée du rouleau compresseur ultra-libéral si le combat est perdu d'avance par inégalité des forces en présence? Faut-il s'arcbouter à la défense d'une « classe ouvrière » qui, sous les coups de boutoir d'un capitalisme mondialisé, se délite de toute part? Est-il possible de croire et de défendre la force des valeurs collectives alors que tout - entreprise, télé, famille – pousse à l'individualisation des comportements? La gauche qui portait avec force la beauté du « nous » ne sait plus trop comment se positionner face au triomphe du « moi je ». On le voit bien dans les derniers conflits sociaux où il importe d'abord pour les salariés de partir dans les meilleures conditions plus que de sauver l'entreprise. On n'y croit plus donc on sauve ce qui peut être sauvé...

    Dans le film, la dimension sociale est croisée avec une autre question, celle de la famille. Là aussi, l'individualisme forcené fait des ravages. Un pré-ado dont le père (le fameux Gary) est parti sans donner de nouvelles, l'attend des journées entières, assis sur sa vadieu-gary 2.jpgalise. Et passe le reste de son temps à visionner des westerns où joue Gary Cooper à que son père aurait ressemblé. Comment se construire dans la vie si le lien avec le père est coupé, si les racines sont invisibles? Cette situation vécue par des centaines de milliers d'enfants n'est pas une affaire simplement privée, mais éminemment politique: elle a des incidences réelles sur les individus qui se construisent, pas seulement parce qu'ils risquent de basculent dans la délinquance, mais parce que leur imaginaire est troublé. A qui peuvent-ils s'identifier si le père est parti ou orphelin d'une identité ouvrière en ruine? Aux traders qui se goinfrent? Aux stars du rap américain qui se baladent avec de belles « pépés » ? Aux idoles de la télé-réalité ou de la presse people qui envahissent notre univers ? Ou bien aux terroristes d'Al-Qaeda qui veulent le détruire?

    Sur cette question comme sur l'enjeu social, il ne s'agit pas de sombrer dans la nostalgie en pleurant les familles unies d'antan (qui ne l'étaient pas tant) ou la classe ouvrière fière et digne. Pour autant, se satisfaire de la situation actuelle sans voir les menaces qui pèsent sur le lien social serait irresponsable. La gauche devrait réfléchir à cette question des identités nouvelles à construire. La droite, elle, a fait son job.

  • En mai, fais ce qu'il te plait...

     Encore un qui se met à faire un blog... Et en plus, il veut nous parler de politique... Il se prend pour Apathie ou pour July... J'avoue tout: oui, je démarre ce 10 mai un blog essentiellement politique. Pas à la manière de mes brillants confrères qui abordent la vie politique essentiellement sous l'angle des bisbilles internes et des écuries présidentielles. Sauf exception, je n'ai accès qu'à très peu de secrets (y compris d'alcôve puisque cela plait beaucoup) et il y aura donc très peu de scoops à se mettre sous la dent.

    Ce qui m'intéresse à travers ce blog, c'est d'explorer très librement la question du désamour vis-à-vis de la politique. Pourquoi cette activité essentielle à la vie d'une démocratie est-elle si mal perçue, si souvent associée au mensonge, à la trahison et à la bassesse? Pourquoi un tel décalage entre les échelons locaux – comme la mairie – perçus positivement et les jeux nationaux qui suscitent, dans le meilleur des cas, haussements d'épaules et ironie?Mitterrand 10 mai.jpg

    10 mai... le choix de ce titre n'est pas tombé tout seul. Il renvoie à une date, le 10 mai 1981, qui a marqué, pour moi, mon entrée véritable dans le chaudron politique que je n'ai pas vraiment quitté depuis. Evoluant au début des années 80 dans un milieu très politisé, avec des parents engagés au parti socialiste, j'avais 14 ans quand François Mitterrand a été élu président de la République. « Changer la vie », promettait-il. La mienne a changé le soir même avec une grande fête toute la nuit et la possibilité de sécher les cours au collège le lendemain matin...

    De cette époque bénie des dieux politiques, je n'ai pas oublié grand-chose. Ni les gaffes du ministre des Relations extérieures (comme on disait alors), Claude Cheysson. Ni le renvoi du trop audacieux – aux yeux de « nos amis » de la Françafrique – Jean-Pierre Cot. Ni la « parenthèse de la rigueur » et les démissions de Jean-Pierre Chevènement. Je n'ai pas oublié non plus la cérémonie d'investiture au Panthéon – pompeuse mais émouvante -, la bataille de « l'école libre » qui emporta le courageux Alain Savary...

    J'aurais tant aimé oublier le naufrage du Rainbow Warrior qui annonça tant d'autres naufrages, moraux, financiers, humains. Comment oublier le suicide de Pierre Bérégovoy, l'ouvrier autodidacte de Gaz de France devenu Premier ministre? L'expérience de la gauche au pouvoir commençait dans la liesse et l'espérance pour se conclure dans le sang et l'odeur de « l'argent qui corrompt » (expression de Mitterrand lui-même).

    Quinze ans ont passé depuis le retour de la droite à l'Elysée. Les leçons de cette expérience politique inédite ont-elles été analysées et retenues? Pas sûr à voir le spectacle désolant qu'offre une gauche mollassonne, rabougrie et en panne d'imagination... Les caciques de l'ère Jospin cohabitent avec les jeunes loups à la langue de bois bien affutée. Les premiers font tout pour rater le rendez-vous de 2012; les seconds pensent déjà à 2017 (la présidentielle d'après) en pariant sur une réélection de Sarkozy. En attendant, le « peuple de gauche » comme on disait dans les années 80 se lamente tranquillement mais sûrement.

    Ce besoin de gauche, d'inventivité et de renouveau sera une des lignes-force de ce blog qui veut contribuer, évidemment modestement, à redonner corps à la réflexion politique. La question du leadership – qui obsède tant mes chers confrères et tant de responsables politiques – me semble prématurée: la gauche souffre davantage d'une colonne vertébrale défaillante et d'organes vitaux affaiblis que d'une absence de tête. Alors place aux libres réflexions qui donneront à de libres réactions (tout cela sans invective ni simplisme si possible...).

    En mai (et le reste du temps), fais ce qu'il te plait pour que la gauche se porte un peu mieux.