Il a joué son va-tout lors de cette émission télévisée du 28 janvier qui a connu une audience-record. Il a fait feu de tout-bois, confirmant les diverses mesures dont il avait esquissé les contours depuis début janvier. On ne sera pas surpris d'apprendre que le taux le plus élevé de TVA devrait augmenter en échange d'une exonération des charges patronales sur les cotisations familiales ; que la CSG sur le capital va augmenter ; qu'une taxe sur les transactions financières devrait être instituée ; que les pénalités pour les entreprises ne prenant pas assez de jeunes en apprentissage devraient croître considérablement...
Toutes ces mesures ne peuvent être balayées d'un revers de la main ; en tout cas, elles devraient susciter le débat. Il n'est pas complètement illogique de s'interroger sur le fait que la protection sociale est assise essentiellement sur le travail. Cette mesure serait cependant plus acceptable si les cotisations des salariées étaient amenées, elles aussi, à baisser. D'autant que la hausse de la TVA dite sociale ne sera pas neutre pour le pouvoir d'achat de ces mêmes salariés. Quant à la taxe Tobin, il est difficile de s'élever contre une mesure que les altermondialistes réclament depuis une dizaine d'années, et qui suscitait les quolibets d'une bonne partie de la droite, dont un certain... Nicolas Sarkozy.
Ce n'est tant les conversions inavouées du Président qui suscitent interrogation et scepticisme que l'absence de méthode présidentielle et ce sentiment d'une improvisation permanente, de cette capacité, à la longue usante, de prendre tout le monde à contre-pied. Deux éléments étayent ce sentiment.
D'une part, il est tout de même curieux de s'engager sur un vrai programme présidentiel alors qu'on se déclare toujours en exercice pour un mandat qui se termine en mai. Comment peut-il engager le pays dans de grands chantiers alors qu'il n'est officiellement (toujours) pas déclaré candidat à sa réélection ? Il y a quelque chose de choquant à vouloir faire voter en février (est-ce possible d'ailleurs ?) une réforme de la fiscalité et du financement de la protection sociale qui engage forcément le prochain mandat présidentiel et qui d'ailleurs s'appliquerait cet automne. A vouloir accélérer le rythme à un moment où il s'apprête à ne plus avoir la main, Nicolas Sarkozy préempte le débat politique. Car de deux choses, l'une : soit il est en campagne et il a le devoir de tracer des perspectives pour la période 2012 - 2017 ; soit il ne l'est pas encore (comme il l'a redit ce dimanche) et alors il doit se contenter de balayer l'horizon pour les trois mois à venir et si possible esquisser un premier bilan de l'action. Là encore, il participe à la grande confusion politique qu'il a (involontairement ?) contribué à aggraver et dont Marine Le Pen fait son miel.
L'autre reproche majeur concerne la méthode qu'il utilise envers les partenaires sociaux. Après avoir organisé un pseudo sommet social (puisqu'il s'agissait d'une consultation et aucunement d'un moment de co-construction des politiques sociales et économiques), voilà que le Président les convoque à une négociation expresse (moins de deux mois) pour détricoter une partie des acquis sociaux, notamment en termes de temps de travail. L'argument de la compétitivité - qu'on sert aux salariés depuis une dizaine d'années avec des résultats économiques peu convaincants - est bien dérisoire par rapport au risque de régression sociale. Comment le Président de la République peut-il appeler "négociation" ce qui ressemble davantage à un marché de dupes ? Et puis, l'idée de court-circuiter l'échelon des branches pour les négociations pour tout concentrer sur les entreprises a le double inconvénient d'accentuer les inégalités entre salariés (ceux qui ont les statuts les plus protégés sont aussi ceux qui ont généralement des syndicats puissants) et de priver les organisations d'une vraie capacité de négociation.
Dans ces conditions, Nicolas Sarkozy sait qu'il va se heurter à une opposition ("idéologique", dit-il de façon très provocatrice) des syndicats et donc cristalliser une nouvelle situation conflictuelle. Outre qu'il n'est peut-être pas nécessaire de se mettre encore plus à dos les syndicalistes - dont l'influence reste non négligeable -, la nécessité de rassembler le pays si on veut le placer en position de bataille est une nouvelle fois affaiblie.
Il sera dit que jusqu'au dernier instant, Nicolas Sarkozy se battra pour renverser la vapeur ; que sa combativité est indéniable et même exceptionnelle. Mais il sera dit également qu'il a vraiment du mal à comprendre pourquoi la France se sent si souvent brutalisée par ses coups de menton permanents et son incapacité à composer, à trouver des compromis avec ceux qui ne pensent pas comme lui (les syndicats, associations d'élus, magistrats, etc.) mais dont le rôle est essentiel pour préserver une cohésion nationale qui n'a pas été depuis longtemps autant fragilisée.