A deux semaines de l'élection des députés européens, tout l'appareil socialiste est aux abois. Non seulement – si on se réfère aux sondages – le PS a toutes les chances d'être loin derrière les listes présentées par l'UMP, mais il pourrait être en-dessous de la barre symbolique des 20 %. La situation politique est totalement paradoxale : le gouvernement multiplie les mécontentements (université, services publics, syndicats...), la France est entrée dans une phase de récession qui pourrait durer plusieurs mois, la côte de popularité du Président de la République est au plus bas... mais le principal parti d'opposition ne parvient pas à engranger les fruits politiques d'une conjoncture qui théoriquement lui offrirait un boulevard.
Les raisons de ce paradoxe ne manquent pas et il faut les prendre en compte dans leur globalité. Première raison qui saute aux yeux de tous les citoyens: le parti socialiste, est totalement divisé entre chapelles qui non seulement s'ignorent mais se font la guéguerre. Le dernier congrès de Reims en novembre 2008 aurait dû clarifier la question du leadership. Il n'a fait que la compliquer. En constituant une très courte majorité (une centaine de voix de différence dans un climat de contestation), faite de bric et de broc (allant des amis de Benoît Hamon à ceux de Bertrand Delanoë en passant par ceux de Laurent Fabius), Martine Aubry n'a absolument pas clarifié la ligne politique du PS. Comme on pouvait s'y attendre, elle doit, pour se maintenir, à son poste ne mécontenter aucun des leaders politiques qui l'y ont amené. Comment, dans ces conditions, entraîner le parti dans cet élan de rénovation dont tout le monde en interne fait ses gorges chaudes? En face, le camp Royal est plus divisé que jamais entre les supporters de Ségolène Royal, les amis de Vincent Peillon décidés à exister par eux-mêmes et les grands barons régionaux qui ont repris leur autonomie, soucieux de la préservation de leurs intérêts.
Seconde raison: le PS, même s'il a repris le chemin des manifestations, n'a pas repris pied dans la société civile. Les syndicats, les grandes associations continuent à le laisser à distance, inquiets de toute tentative de récupération et fatigués par sa paresse intellectuelle et ses atermoiements. Même si ce parti continue à avoir des militants engagés dans le corps social, ses dirigeants (blancs, quinquagénaires voire sexagénaires, hauts-fonctionnaires, élus depuis des décennies) inquiètent par leur détestation réciproque et leur incapacité à se remettre en cause. A tort ou à raison, on se dit que François Hollande, à qui on a reproché son inertie politique après la débâcle de 2002, veut prendre sa revanche, que les amis de DSK ne travaillent qu'au retour parisien de l'actuel directeur du FMI, que Benoît Hamon travaille déjà pour la présidentielle de... 2017, que Laurent Fabius et Bertrand Delanoë sont en embuscade au cas où... On a bien compris que Ségolène Royal pense être incontournable pour 2012 et qu'elle va jouer, s'il le faut, l'opinion contre le parti. Quel ouvrier menacé de chômage, quel étudiant terrorisé pour son avenir, quel fonctionnaire inquiet par l'état des services publics, quel citoyen alerté par les atteintes à la démocratie peut s'intéresser à ce petit monde d'intrigants coupés, quoi qu'ils en disent, des réalités populaires?
La troisième raison du risque de « dégelée électorale » pour le PS découle des deux précédentes. Elle tient à la composition des listes pour les européennes. Celles-ci ont été composées en dépit du bon sens qui voudrait qu'on ne reprenne que les députés sortants non cumulards et ayant fait les preuves de leur travail au Parlement européen et qu'on investisse des candidats investis dans leur région et pouvant apporter une expertise, une expérience sur les enjeux de la construction européenne (la redéfinition de la PAC, la construction de normes sociales, l'affirmation d'une politique étrangère commune, le renforcement de la lutte contre le réchauffement climatique...). C'est bien simple: le PS a fait tout le contraire. Il a replacé en position éligible une bonne partie des fainéants du Parlement, écartant certains des plus travailleurs (Gilles Savary, Marie-Ange Carlotti, entre autres) et offert un siège à d'illustres inconnus de la question européenne, très bien implantés dans l'appareil socialiste.
La région Nord-Ouest est une caricature avec la première place accordée au premier secrétaire du PS du Nord (un proche d'Aubry) et la seconde à une élue de Seine-Maritime (le fief de Fabius). Il a dès lors fallu recaser deux sortants de cette région – pas des plus assidus à Bruxelles : Vincent Peillon dans le Sud-Est et Henri Weber, maintenu dans le Centre malgré un vote défavorable des militants.
Chacun des barons a imposé ses proches à des places jouables : ainsi, Aurélie Fillipetti, proche de Ségolène Royal, est 3e dans l'Est alors même qu'elle est déjà députée à Paris (principe de précaution, semble-t-il, car la circonscription conquise par la jeune élue devrait disparaître); ainsi, François Hollande a t-il poussé deux de ses proches: Stéphane Le Foll, sortant mais très peu présent à Bruxelles (2e dans l'Ouest) et Frédérique Espagnac, son ancienne attachée de presse (4e dans le Sud-Ouest); ainsi, Arnaud Montebourg imposant un économiste de l'OMC, Mustapha Sadni (4e dans l'Est); ainsi, Harlem Désir, le fidèle lieutenant de Bertrand Delanoë (mais lui au moins a travaillé...). Parmi ces candidats, pas ou très peu de spécialistes des questions agricoles ou industrielles, de connaisseurs des réseaux européens, mais plutôt des « technos » proches d'un baron du PS.
Comme me l'expliquait un député européen sortant et sorti, on ne peut pas participer au travail des commission à Bruxelles et aux réunions du bureau et secrétariat national du PS qui ont lieu toutes deux les mardi et mercredi. Ceux qui prennent à coeur leur mandat choisissent la première solution (au risque de ne pas être réinvestis) alors que ceux qui privilégient leur place dans l'appareil préfèrent sécher l'essentiel du travail en commission, obscur et peu visible. Voilà pourquoi, entre autres, le groupe socialiste français a tant de mal à faire valoir ses positions au sein du Parti socialiste européen (PSE)...
Bien entendu, le faible score du PS pourrait également s'expliquer par la très forte concurrence politique, avec les listes écologistes (très intelligemment constituées), du MoDem, du Front de gauche et même du NPA. Ces quatre formations pourraient effectivement tirer parti des faiblesses structurelles du parti socialiste. Pour autant, s'il vous plaît, mes amis socialistes, ne nous refaites pas le coup de 2002, où les amis de Lionel Jospin nous avait expliqué que l'élimination de leur champion était de la faute des autres.