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le pen

  • Faut-il condamner l'outrance?

    Le journaliste Eric Zemmour a écopé d'une amende (avec sursis) pour ses propos très contestables sur les "Noirs" et les "Arabes" à la télé. Toute personne ayant des convictions anti-racistes peut s'en féliciter: cette condamnation jouera, espère-t-on, un rôle dissuasif vis-à-vis de tous ceux qui, eric zémour,le pen,mélenchonvrais racistes ou démagogues irresponsables, activent les ressorts de la peur de l'Autre particulièrement vivaces en cette période troublée.

    Pour autant, la condamnation devant les tribunaux d'un journaliste, porte-drapeau de l'anti-politiquement-correct qui serait l'apanage de la gauche morale, pose plus de questions qu'elle n'en résoud. D'une part, quelles sont les limites de la liberté d'expression? Le journaliste a estimé que les contrôles au faciès se justifiaient par le fait que les délinquants sont très souvent noirs ou arabes. Son point de vue doit être démonté de façon argumentée: la société française étant ethniquement et socialement stratifiée, il est malheureusement logique que les actes de délinquance soient davantage le fait de jeunes vivant dans des ghettos de pauvres que dans des ghettos de riches. Cela n'a pas grand-chose à voir avec la couleur de peau des délinquants. On observera que dans les quartiers huppés de la capitale ou dans la ville dont fut maire Nicolas Sarkozy, les fils d'ambassadeurs africains ne se font pas plus remarquer que leurs condisciples "blancs" par des pratiques délictueuses. D'ailleurs, on aurait quelques surprises si on enquêtait sur la consommation de drogue - et donc sur les réseaux de distribution - dans ces quartiers huppés paraît-il si tranquilles (mais là, comme par hasard, on est discret).

    Donc, Eric Zemmour a tort non pas dans son constat, mais dans la conclusion qu'il en tire. Cela fait-il de lui un fieffé raciste? Pas sûr et à vouloir faire condamner ce type de propos, on réactive l'idée selon laquelle il ne faudrait pas dire la vérité dans ce pays. Cela met de l'eau au moulin de ceux qui estiment que les élites ne vivent pas les problèmes de la population et pratiquent le déni de réalité pour mieux protéger leur tranquillité. Evidemment, Eric Zemmour ne vit pas plus que ses confrères du Nouvel Obs ou du Monde à la Courneuve et ne franchit pas souvent le périph', mais il donne le sentiment à des millions de Français qui se sentent abandonnés qu'ils peuvent compter sur sa voix. Le condamner n'est pas forcément un bon moyen de combattre les clichés qu'il véhicule.

    Par-delà la question de la liberté de parole qu'il me semble périlleux de vouloir contenir dans une démocratie d'opinions, se pose celle des lieux de contradiction. Pourquoi faut-il aller devant un tribunal alors même que le propos incriminé ne met pas en danger la paix civile? Pourquoi ne pas lui répondre dans une émission de grande écoute en montrant ses incohérences? D'une certaine manière, les anti-racistes ont renoncé à ce travail de pédagogie. Manque de courage? Peut-être. On se souvient que seul Tapie dans les années 80 acceptait de contredire Jean-Marie Le Pen, les autres politiques disant, pour se disculper de tant de lâchetés, qu'on ne débat avec le diable. Eh bien, si le diable est installé dans nos murs - certains disent en nous -, faut-il le laisser ainsi prospérer sans ne rien dire? 

    Le média télé a une part de responsabilité dans cette surenchère démagogique et xénophobe. Pour contrer l'argument semble-t-il imparable de Zemmour (il y a beaucoup de Noirs et d'Arabes dans nos prisons donc ils sont culturellement moins respectueux de la loi que les autres), il faut prendre quatre-cinq minutes - sans être interrompu - pour expliquer les clivages sociaux et ethniques profonds de notre pays. Il faut parler des problèmes de déracinement des parents immigrés, de leur difficulté à trouver leur place et leurs repères. Il ne s'agit pas d'excuser des attitudes illégales, parfois graves, mais juste de montrer que dans notre République, tout le monde ne part pas sur un pied d'égalité. Mais quel programme télé à une heure de grande audience accepte de se prêter à cet exercice de pédagogie? Il est plus payant en termes d'audimat de mettre sur le ring Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen qui vont ainsi s'envoyer des noms d'oiseau à la figure que de convoquer des sociologues ou des journalistes de terrain pour parler ce qui se vit aujourd'hui.

    Finalement, cette affaire Zemmour signe une double faillite de notre système politico-médiatique. Celle d'un certain journalisme qui éditorialise à outrance, ne prend plus le temps de se plonger dans les réalités complexes du terrain et se transforme en "causeur" (façon salons savants ou café du commerce). Faillite aussi de l'esprit de raison ou du "progressisme" qui, n'ayant plus la capacité ou la force de convaincre par des arguments, préfère faire juger les différends devant les tribunaux.