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  • Question primaire ou secondaire?

    Aubry La Rochelle.jpgPour une fois, les socialistes se sont plutôt bien tenus à la Rochelle. Il est vrai que les leaders n'étaient pas omnubilés par la préparation du congrès ou de la présidentielle – deux moments déclencheurs de passions voire d'hystérie dans la famille socialiste. Il y avait de toute façon une urgence : réparer les dégâts colossaux occasionnés dans l'opinion publique par le catastrophique congrès de Reims. Bien se tenir, montrer qu'on aime ses camarades – pour reprendre une expression ségoléniste – et taper en priorité sur la droite ont semblé être les leitmotiv de ce rendez-vous estival qui initialement devait servir à former les militants (si on se réfère au terme université).

    Martine Aubry a habilement calmé le jeu en se tournant vers les militants avides de rénovation. Deux angles ont été particulièrement privilégiés : le non-cumul des mandats et des « primaires ouvertes » pour la désignation du candidat à la présidentielle de 2012. Laissons de côté la première proposition qui devra être préciser : se limitera-t-on à la dimension (déjà essentielle) du mandat unique pour les parlementaires? Quid des patrons des intercommunalités pour l'instant épargnés par toute restriction au cumul des mandats? Y aura-t-il une limitation dans le temps de l'exercice des mandats? On verra dans les prochains jours, mais cette annonce est, de toute façon, à saluer.

    Passons à la question des primaires. Là, on est plus circonspect car cette proposition semble difficile à mettre en oeuvre et beaucoup moins prometteuse qu'il n'y parait. Les promoteurs de cette idée (Arnaud Montebourg, certains proches de Ségolène) s'appuient surprimaires US.jpg l'exemple italien et/ou américain pour appuyer leur proposition. Il n'aura échappé à personne que les contextes sont tout à fait différents. D'une part, parce que la gauche française est extrêmement divisée, voire émiettée, à la différence des Etats-Unis où le parti démocrate rassemble, dans un scénario de bipartisme, la gauche et le centre-gauche, et de l'Italie où un rassemblement politique s'était fait sur la base d'une opposition à Berlusconi (avec le faible succès que l'on connaît). D'autre part, parce que les cultures politiques du MoDem à NPA sont trop éloignées pour converger autour d'un candidat commun. Il est illusoire de penser qu'un candidat commun pourrait se dégager entre des forces qui n'auraient en commun que l'opposition au Président.

    Quel serait le projet commun aux amis de François Bayrou et les militants d'extrême gauche? Sur la relation aux banques (intervention de l'Etat ou non), sur le contrôle des entreprises qui licencient, sur la relance par la consommation ou sur la conversion écologique de l'économie, quel consensus peut-on imaginer? Le risque serait de se mettre d'accord sur des grands principes tellement généraux et vagues qu'ils seraient non opérationnels face à un Sarkozy tout à fait capable de proposer un programme à la Roosevelt (le fameux New Deal) face à la crise dont les effets sont loin d'être épuisés. On pourrait dès lors avoir un(e) candidat(e) tout à fait médiatique, mais peu convaincant par les solutions qu'il propose. Attention de ne pas reproduire le scénario de 2007 avec une candidate (Ségolène Royal) adoubée par les médias, mais qui n'a pas su prouver sa crédibilité face au chef de l'UMP idéologiquement armé.

    L'autre danger de ces primaires concerne le type de démocratie que l'on souhaite promouvoir. Le fait d'associer plus que les 200000 adhérents du PS pour désigner le candidat de la gauche (socialiste) est tout à fait positif car cela permet de présenter une personnalité à priori plus représentative, disposant une fois désignée d'une légitimité plus forte. Mais sur quels critères les centaines de milliers de nouveaux venus désigneraient leur candidat? Auront-ils tendance à privilégier le sérieux, la compétence, l'esprit d'invention voire (osons le mot) le courage politique? Ou, dans notre époque dominée par le culte de l'image et l'impérialisme du people, seront-ils plus sensibles aux personnalités sexy, passant bien à la télé et habilement servies par des stratégies de communication? Il ne s'agit pas de mépriser les capacités de discernement des électeurs, mais d'être assez lucide sur la difficulté à faire de la politique aujourd'hui, c'est-à-dire à poser un diagnostic de la situation du pays, à énoncer des scénarios possibles et à faire des choix chiffrés s'articulant dans un calendrier.

    Pour résumer, cette proposition de primaires, séduisante sur le papier, est remplie de chausse-trappes qu'il importe de lever très vite. Et si finalement cette technique de sélection d'un candidat est retenue, elle devra être mise en oeuvre après un gros travail d'élaboration programmatique qui devrait associer des centaines de milliers de citoyens. Depuis deux ans que le PS a perdu la présidentielle puis les législatives, rien n'a été entrepris pour proposer une vraie vision et renouveler les propositions. On le voit sur le rejet de la taxe carbone exprimé par Royal et Aubry, sans qu'une véritable proposition alternative ne soit énoncée (au moment même où tous parlent de l'urgence écologique). Les socialistes doivent vraiment mettre les bouchées doubles pour être prêt dès 2011 à répondre aux défis de la société.

    Les primaires, pourquoi pas, mais ce n'est vraiment pas la priorité du moment. Ce qui intéresse les cercles médiatiques est souvent très loin des préoccupations populaires. L'adage semble, une fois encore, se vérifier...

  • La gauche face aux identités perdues

    adieu-gary,382519.jpgLe film français Adieu Gary sorti récemment (et interprété notamment par un Jean-Pierre Bacri remarquable) résonne fortement dans l'actualité de cet été 2009 marquée par de nombreux conflits sociaux extrêmement tendus. Là, sur le grand écran, il ne s'agit pas de raconter une lutte sociale, mais de l'après quand toute l'activité s'est arrêtée et que les banderoles et mégaphones ont été rangés. Sur fond de trafic de drogues – cela se passe dans l'Ardèche rurale et non dans une cité du 93 -, les habitants cachent difficilement leur désoeuvrement ou se débattent dans le vide (de sens) de la société.

    L'un des fils du père que joue Bacri sort de taule (pour trafic de drogue) et s'essaye à travailler dans un supermarché où il doit revêtir un masque de souris dans le cadre de la semaine du fromage (sic). L'autre fils recherche son identité marocaine (par sa mère décédée) en apprenant difficilement l'arabe via des cassettes. Le premier envoie tout promener, en refusant cette vie d'esclave. S'ensuit un dialogue très tendu entre le père qui lui reproche de ne pas s'accrocher à son travail, lui l'ancien taulard d'origine maghrébine, et le fils qui lui lance à la figure l'inutilité de ses années de militance dans le syndicat pour défendre son travail dans une entreprise qui finalement a foutu le camp. L'une des scènes montre le déménagement d'un local syndical, désormais inutile, pour laisser place à une salle de prière musulmane.

    Tout le drame de la gauche syndicale et politique est exprimé dans ces deux ou trois scènes de Adieu Gary. A quoi sert de résister à la montée du rouleau compresseur ultra-libéral si le combat est perdu d'avance par inégalité des forces en présence? Faut-il s'arcbouter à la défense d'une « classe ouvrière » qui, sous les coups de boutoir d'un capitalisme mondialisé, se délite de toute part? Est-il possible de croire et de défendre la force des valeurs collectives alors que tout - entreprise, télé, famille – pousse à l'individualisation des comportements? La gauche qui portait avec force la beauté du « nous » ne sait plus trop comment se positionner face au triomphe du « moi je ». On le voit bien dans les derniers conflits sociaux où il importe d'abord pour les salariés de partir dans les meilleures conditions plus que de sauver l'entreprise. On n'y croit plus donc on sauve ce qui peut être sauvé...

    Dans le film, la dimension sociale est croisée avec une autre question, celle de la famille. Là aussi, l'individualisme forcené fait des ravages. Un pré-ado dont le père (le fameux Gary) est parti sans donner de nouvelles, l'attend des journées entières, assis sur sa vadieu-gary 2.jpgalise. Et passe le reste de son temps à visionner des westerns où joue Gary Cooper à que son père aurait ressemblé. Comment se construire dans la vie si le lien avec le père est coupé, si les racines sont invisibles? Cette situation vécue par des centaines de milliers d'enfants n'est pas une affaire simplement privée, mais éminemment politique: elle a des incidences réelles sur les individus qui se construisent, pas seulement parce qu'ils risquent de basculent dans la délinquance, mais parce que leur imaginaire est troublé. A qui peuvent-ils s'identifier si le père est parti ou orphelin d'une identité ouvrière en ruine? Aux traders qui se goinfrent? Aux stars du rap américain qui se baladent avec de belles « pépés » ? Aux idoles de la télé-réalité ou de la presse people qui envahissent notre univers ? Ou bien aux terroristes d'Al-Qaeda qui veulent le détruire?

    Sur cette question comme sur l'enjeu social, il ne s'agit pas de sombrer dans la nostalgie en pleurant les familles unies d'antan (qui ne l'étaient pas tant) ou la classe ouvrière fière et digne. Pour autant, se satisfaire de la situation actuelle sans voir les menaces qui pèsent sur le lien social serait irresponsable. La gauche devrait réfléchir à cette question des identités nouvelles à construire. La droite, elle, a fait son job.