« C'est la chienlit ! », aurait dit le Général. Et sur ce coup-là - comme sur d'autres -, il n'aurait pas eu tort. « Ce coup-là », c'est l'état de la droite française à un an de la présidentielle. Chaque semaine amène son lot de divisions, de coups d'éclat et de ratés. La droite avait l'habitude de railler le bal des ego du parti socialiste (qui peut, à tout moment se réveiller, à supposer qu'il soit endormi), mais sur ce plan, l'UMP va dépasser le maître.
Ouvrons le chapitre « divisions ». Voici une quinzaine de jours, Jean-Louis Borloo a annoncé le départ de son (petit) parti radical qu'il préside de l'UMP. Cette décision qui doit être avalisée lors d'un congrès dans les prochaines semaines, marque l'enterrement du parti dit unique de la droite imaginé, entre autre, par Edouard Balladur, mis en musique par Alain Juppé et « capturé » par Nicolas Sarkozy qui en avait fait une arme redoutable pour sa conquête du pouvoir suprême.
A son origine, l'Union pour une majorité populaire se présentait comme un lieu ouvert devant rassembler tout ce qui n'était pas la gauche et l'extrême droite. Il proclamait sa volonté de jouer la carte du débat interne, de respecter le pluralisme de familles allant de la défunte démocratie chrétienne au (néo) gaullisme jusqu'au libéralisme plus ou moins dur. Le pari a été plutôt réussi pendant toute la phase préalable à l'élection présidentielle, avec de nombreuses conventions thématiques (dans lequel le candidat Sarkozy a allègrement pioché), un renouvellement générationnel (la promotion de Rachida Dati, Rama Yade et quelques autres) et un vrai enthousiasme populaire. Le parti s'inscrivait alors dans la dynamique du mouvement (« il n'y a pas de sujet tabou », disait alors le patron de l'UMP).
Une fois arrivé au pouvoir, le Président a tout fait pour congestionner le parti, interdisant tous les débats de fond, instrumentalisant les divers leaders de celui-ci - de Xavier Bertrand à Jean-François Copé. Les expressions divergentes n'ont pu s'exprimer qu'au sein des groupes parlementaires – et encore. En bref, le parti majoritaire est devenu l'éternel godillot de la Ve République, trahissant la promesse de souffle nouveau. Dans ce contexte, la dernière initiative du nouveau duo de choc Sarkozy/Copé - le fameux débat sur l'islam, pardon la laïcité - a été reçue par les plus modérés de l'UMP non seulement comme une opération vouée à l'échec (les électeurs ne laissent pas attraper si facilement) mais comme un reniement des valeurs humanistes qu'ils espèrent porter au sein du parti sarkophile.
Le cocktail « droitisation de l'UMP + humiliation de Borloo » lors du vrai-faux remaniement de l'automne (lire post du 14 novembre) a été le déclencheur de la rébellion de l'ancien numéro 2 du gouvernement. Incontestablement, son initiative peut rencontrer un certain intérêt au sein du centre-droit profondément désorienté par les appels du pied aux électeurs du Front national. Sauf qu'il n'est pas certain que l'ancien ministre de l'écologie soit à la hauteur des espoirs qui peuvent être placés en lui. Et ce pour deux raisons : ses diverses initiatives intéressantes - du plan banlieues au Grenelle de l'environnement - ont souvent fait naître une espérance rapidement déçue par l'incapacité de celui-ci à négocier de bons arbitrages, notamment vis-à-vis de Bercy, et à suivre sur le long terme les dossiers. D'autre part, il va être compliqué pour celui qui rêvait de succéder à François Fillon de se poser en alternative à Sarkozy. Serait-il dans la même attitude s'il avait été nommé à Matignon? Il est permis d'en douter...
Au chapitre « coup d'éclat », on retrouve l'inégalable Dominique de Villepin. L'ancien premier ministre de Jacques Chirac a déclaré officiellement sa candidature pour 2012 (alors que pour Borloo, les choses sont plus floues) en présentant son programme où figure notamment sa mesure-phare d'un revenu d'existence à 850 euros. On peut parler de coup d'éclat car on a du mal à savoir si Villepin a vraiment l'intention d'aller jusqu'au bout et sur qui il pourrait s'appuyer dans ce cas. Plusieurs de ses proches ont pris franchement leurs distances (à l'image de Marie-Anne Montchamp ou de Georges Tron, entrés au gouvernement) ou de façon plus discrète (comme François Goulard ou Hervé Mariton).
A mesure que Villepin pose de nouveaux actes, il déroute la plupart de ses fidèles qui ont du mal à accepter son individualisme forcené et sa fougue exaltée. En ces temps de sarkozysme trépidant, il faut tempérer, rassembler, s'interroger, en un mot rassurer. Le chevalier Villepin n'est pas en mesure d'incarner à droite une alternative crédible au sortant, aura beaucoup de mal pour séduire à gauche qui n'a pas tout à fait oublié son obstination à défendre, contre vents et marée, le Contrat première embauche, le CPE. Quant au centre, le terrain risque d'être fort occupé (Bayrou, Borloo ou Morin?) et en outre, son style enflammé colle assez mal avec la prudence d'un électorat soucieux de retrouver une certaine mesure.
Et pour parachever le tableau à droite, on ne peut passer sous silence les éternels ratés présidentiels. Le dernier en date continue à se déployer chaque jour. Il concerne cette fameuse (fumeuse) prime de 1000 euros pour les salariés dont l'entreprise voit ses bénéfices augmenter. Dans cette affaire, rien n'a été préparé ni le montant de la prime (les 1000 euros sont déjà oubliés...), ni les modalités politiques et pratiques (comment l'Etat pourrait-il obliger les entreprises à mettre en oeuvre cette disposition ?).
Plus grave encore, l'exécutif n'a pas du tout compris – ou voulu comprendre – que cette mesure, à supposer qu'elle puisse s'appliquer, ne correspond pas aux priorités des salariés modestes. Ceux qui souffrent le plus du tassement du pouvoir d'achat avec la reprise de l'inflation travaillent soit dans la fonction publique -pas concernée par définition - ou dans des structures petites ou moyennes qui de toute façon, ne distribuent pas ou très peu de dividendes à leurs (éventuels) actionnaires. Les salariés d'entreprises du CAC 40 ne sont pas les plus à plaindre. Voilà comment le pouvoir se prend les pieds dans le tapis en voulant recoller avec un monde du travail complètement...
Sur ce dossier, on aura remarqué le silence assourdissant du premier ministre. On n'a pas oublié non plus sa prise de distance très nette avec le débat sur l'islam organisé par l'UMP. Si les choses continuent à aller de mal en pis pour le chef de l'Etat (on n'a pas parlé ici des risques d'enlisement en Lybie) et si ni Borloo ni Villepin n'apparaissent comme des alternatives crédibles à Sarko, François Fillon va apparaitre, sans grande déclaration ni roulement de tambour, comme le seul recours possible.
D'ici l'automne, les parlementaires dont les deux tiers pourraient être battus aux prochaines législatives en cas de déroute du sortant risquent de s'agiter un peu (un peu trop pour l'Elysée). Le crime de lèse-majesté (affirmer sa préférence pour le « collaborateur » du Président) pourrait bien avoir lieu par ceux qui se sentent condamnés et ne veulent pas être emportés par le suicide politique d'un homme qui ne comprend plus rien au pays.
Reste deux questions essentielles : François Fillon aura-t-il le courage de défier l'autorité présidentielle avec tous les risques de représailles prévisibles? Aura-t-il la volonté et les ressources psychologiques pour sortir de son rôle de second (de Philippe Séguin puis de Sarkozy) qu'il campe avec talent depuis une vingtaine d'années? En clair, va-t-il fendre l'armure?