En cette rentrée politique marquée par les traditionnelles universités des partis (dont on aimerait que la fonction de formation des militants soit réaffirmée), le climat n'est plus du tout le même que celui que nous avions laissé lors de mon dernier post, fin juin. L'euphorie tranquille qui régnait, consécutive à une victoire assez large de l'alliance PS-EELV couplée avec une large défaite de la droite et du... Front de gauche, a laissé place à un inquiétant attentisme. La cote de popularité de l'exécutif est déjà très dégradée alors que rien de sérieux (et de très impopulaire) n'a été décidé. Que deviendra-t-elle dans deux mois si la tonalité de la nouvelle majorité se fait plus « churchillienne » avec des efforts importants, pas simplement pour les « plus riches »?
Difficile de comprendre les raisons de ce lancinant malaise que traduit inversement le retour en grâce de Nicolas Sarkozy dont on va finir par oublier qu'il a été le Président de la république le plus détesté de la Ve (avec peut-être VGE). En effet, qui peut attendre sérieusement des résultats probants au bout de 100 jours, en partie estivaux? Rien, d'ailleurs, dans les premières décisions n'a donné lieu à un vrai cafouillage ou à des reniements. Jusque-là, les engagements ont été grosso modo respectés (on regrettera tout de même les ratés sur l'écologie avec le départ de Nicole Bricq et la gestion, au début calamiteuse car exclusivement policière, du dossier Rom).
Non, le problème est ailleurs et il tient, à mon sens, à deux éléments majeurs. D'une part, François Hollande n'est pas encore vraiment dans les habits du Président. Ses débuts ont, il est vrai, été paralysés par les caprices de « ses » deux femmes dont les règlements de compte ont eu des effets collatéraux sur son image. Avec cette interrogation triviale, machiste à souhait, qui, pourtant a eu un impact dans l'opinion : un homme qui a tant de mal à réguler sa vie personnelle a-t-il la poigne pour conduire les affaires de la France ? Cet épisode était d'autant plus fâcheux qu'il rappelait les premiers mois de l'ancien Président empêtré dans sa relation avec Cécilia.
D'autant plus fâcheux, dis-je, car l'obsession de Hollande a été (est?) de se démarquer totalement de son prédécesseur. Ce qui a marché à merveille pendant la campagne (même s'il n'a réuni que 52% des suffrages) se révèle un peu court une fois les mains dans le cambouis. Réduire le train de vie de l'exécutif et troquer l'avion pour le train sont des gestes plutôt sympathiques, mais qui semblent trop répondre aux exigences de la communication politique pour être totalement convaincants.
Cette obsession à prendre le contre-pied de Sarkozy lasse à la fin car elle ne construit pas une politique. De plus, la lecture du bilan de l'ex président mériterait d'être moins caricaturale : si les Français ont rejeté le style bling-bling du « Président des riches », s'ils l'ont trouvé brouillons et éventuellement diviseurs, ils ont pu être épatés par l'énergie du bonhomme, sa capacité (pas toujours très productive) à soulever toutes les montagnes pour débloquer la crise. On pense notamment à sa présidence de l'Union européenne et son rôle de la guerre libyenne. En l'occurrence, il n'aurait pas été totalement déplacé que Hollande interrompe ses vacances à Brégançon pour essayer d'enclencher une mobilisation mondiale en faveur du peuple syrien. Si une intervention militaire est une idée assez grotesque, l'attentisme de la communauté internationale (au motif que la Chine et surtout la Russie bloquent toute résolution à l'Onu) est scandaleuse. Hollande aurait pu sonner le tocsin, il ne l'a pas fait. Dommage !
L'autre élément qui suscite le malaise tient au manque de perspective dessiné par le nouvel exécutif. Aligner des mesures techniques (retraite, emplois d'avenir, livret A...) n'indique pas un cap, mais plus une gestion à la godille. Chaque récif est négocié souvent avec intelligence, mais cela ne donne pas une lecture claire du dessein présidentiel. Les grands choix dans notre rapport au système de protection social, à l'environnement ou à l'Europe ne sont jamais précisés.
La mesure et le sens des équilibres qui ont fait le succès de Hollande face à une Aubry plus volontariste et un Sarkozy plus imprévisible ne peuvent être sans cesse convoqués quand il faut réfléchir pas sur les 12 mois à venir, mais préparer la future décennie de notre pays. Dans le livre du journaliste Eric Dupin (1), le responsable des études au PS, Alain Bergounioux estimait avant l'élection : « Le corpus hollandais n'existe pas, il reste à construire. C'est un grand point d'interrogation ». Six mois après, nous ne sommes pas beaucoup plus avancés. Le corpus indispensable à l'action sur le long terme ne s'est pas bien clarifié.
Même si le jugement de Mélenchon sur les 100 jours était, comme d'habitude, excessif, voire injuste, il comportait une part de vérité. Lorsqu'on fait une campagne sur le thème « le changement, c'est maintenant ! », on prépare pour les premières semaines des mesures fortes qui vont marquer les esprits. Là rien ou pas grand-chose de marquant (le rétablissement de la retraite à 60 ans pour les travailleurs ayant commencé tôt ne concerne que quelques dizaines de milliers de personnes). D'ailleurs, les observateurs ont noté que peu de textes étaient prêts pour la session extraordinaire au Parlement de juillet...
Qu'est ce qui empêchait de donner un calendrier pour la grande réforme fiscale qui a toutes les chances d'être renvoyée aux calendes grecques ? Pourquoi avoir retardé à 2014 la réforme contre le cumul des mandats qui déplait tant à bien des cadres du PS et dont on voit, avec le nombre de députés-maires, l'urgente actualité ? Sur le nucléaire, pourquoi ne pas annoncer le calendrier du démantèlement de la centrale de Fessenheim ? Les dossiers n'étaient-ils pas prêts alors que Hollande est en campagne depuis près de deux ans?
Au lieu de ménager tous les conservatismes de ce pays (et de ce parti), François Hollande devait montrer un peu de détermination et tracer une route. C'est plus facile de le faire aujourd'hui qu'en 2013 lorsque la situation risque d'être particulièrement tendue. En ce début septembre, il est encore temps de le faire. Mais il ne faut pas trop trainer. Le pays s'impatiente.
(1) « La victoire empoisonnée », mai 2012, éditions du Seuil. Entre septembre 2011 et l'élection de mai, le journaliste (ex-Libé) propose une plongée dans une France inquiète, désorientée, très sceptique sur la capacité de redresser le pays. « En redonnant le pouvoir à la gauche alors que la crise économique et sociale ne cesse d'empirer, les électeurs ne lui ont-ils pas offert un cadeau empoisonné », écrit-il.
Commentaires
Je vous complimente pour votre recherche. c'est un vrai état d'écriture. Continuez .