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  • Le nouvel abécédaire ivoirien

    De retour d'un voyage privé en Côte d'Ivoire (août 2013), je vous propose ce regard sur ce pays que je commence à connaître, deux ans après l'arrivée mouvementée - pour ne pas dire plus - d'Alassane Ouattara au pouvoir. Ce panorama sous forme d'abécédaire (incomplet) est évidemment partiel et subjectif et il ne vise ni à encenser le pays ni à le dépeindre en noir. La forme de l'abécédaire suppose des paragraphes courts là où de grands développements seraient nécessaires. D'où certains raccourcis et des formules lapidaires... Bonne lecture qui peut se faire dans n'importe quel ordre !

    A comme Amour 

    Pas très original comme entame, me direz-vous, mais l'amour emplit (peut-être plus qu'ailleurs) les conversations. Entre ceux qui vous demandent de leur trouver un(e) Français(e), ceux qui ne voudraient se marier mais n'ont pas les moyens et ceux qui "jonglent" entre plusieurs relations de façon plus ou moins ouverte... l'amour est le sujet number one. Avec des incompréhensions réciproques. Pour schématiser, les hommes reprochent aux femmes d'être vénales et de se donner au plus offrant. Tel jeune me raconte que la femme avec qui il a eu un enfant est partie dans les bras d'un autre car celui-ci était plus fortuné. Les femmes, de leur côté, jugent les hommes peu sérieux, coureurs et sans souci du lendemain. D'où l'espoir de conquérir le coeur d'un Européen jugé plus sérieux. Les blagues, les taquineries entre hommes et femmes sont permanentes, mélange d'humour (une spécialité ivoirienne) et de malaise ambiant...

    B comme Brouteurs

    Attention, il ne s'agit pas de ruminants locaux ! Les "brouteurs" sont des jeunes hommes férus de nouvelles technologies qui escroquent des Occidentaux en se faisant souvent passer pour de jeunes et belles jeunes filles. En clair, grâce aux divers réseaux sociaux et tchat de dialogue/drague, ils entrent en relation avec des hommes souvent d'âge mur en Europe et une fois la confiance instaurée, lui demandent de leur envoyer une somme plus ou moins importante pour faire face aux aléas de la vie: maladie, décès d'un proche ou tout simplement galère* quotidienne. Le phénomène est loin d'être anecdotique : selon une étude du gouvernement ivoirien, cette arnaque aurait rapporté 21 millions d'euros en 2010. Alors que le salaire moyen d'un enseignant (considéré comme plutôt bien payé par rapport aux autres fonctionnaires) est compris entre 400 et 800 euros, les" brouteurs" reçoivent régulièrement des sommes de 200 à 1000 euros. Le système est bien organisé avec des complicités dans les boutiques d'envoi international d'argent (car sinon, comment retirer le mandat avec une identité qui ne correspond pas ?). Cela peut choquer, mais la vie nocturne particulièrement animée est grandement financée par le pouvoir d'achat conséquent de ces "brouteurs". Pour un jeune lambda, il est impossible de financer une soirée particulièrement arrosée (et Dieu sait si la bière coule à flot) qui va coûter, au bas mot, 10 000 à 15 000 Fcfa (soit 15 à 20 euros). Cette situation renvoie évidemment au manque de perspectives d'avenir pour nombre de jeunes trop vite déscolarisés.  

    C comme Corruption 

    Impossible de les rater, ces grands panneaux d'affichage du pays ! La lutte contre la corruption est devenue une priorité gouvernementale. Entre les policiers qui "rançonnent" les taxis, lesEntrer des mots clefs fonctionnaires qui accélèrent subitement la délivrance de papiers dès que quelques billets leur sont donnés ou les juges qu'on accuse de remettre très vite en liberté des condamnés grâce à des sommes rondelettes, etc., le pays vit au quotidien ces pratiques. Alors, le pari gouvernemental peut-il être gagné ? Ce sera, de toute façon, long tellement cette pratique semble ancrée dans les habitudes. Un administré, même s'il se déclare hostile à la corruption, considère qu'il n'a pas d'autre choix que de "graisser la patte" d'un fonctionnaire (dont le salaire est souvent médiocre) plutôt que d'activer les différentes voies de recours possible face à un blocage. Pour être crédible, le nouveau pouvoir devrait sans doute lancer des enquêtes sur les pratiques de certains hauts fonctionnaires ou responsables politiques qui ont la fâcheuse tendance de s'enrichir presque aussi vite que notre Tapie national...

    D comme Désarmement  

    L'un des grands problèmes en Côte d'Ivoire a pour nom l'insécurité. Les années de guerre ont conduit à la dissémination des armes parfois très modernes. Les miliciens n'ont pas été désarmés, même si le gouvernement a constitué un organisme "Désarmement, Démobilisation et Réintégration" (DDR) chargé de recaser dans la vie civile ou dans l'armée régulière les anciens miliciens qui ont très souvent rançonné les populations. En moyenne, 800 000 Fcfa (environ 1200 €) seraient alloués aux anciens combattants qui rendraient les armes et s'inscriraient dans un  projet de réinsertion. C'est beaucoup pour un pays pauvre, mais c'est sans doute trop peu pour des personnes qui ont vécu la grande vie pendant plusieurs années. De plus, certains ex-miliciens craignent pour leur sécurité, une fois désarmés. Des proches de leurs victimes pourraient être tentés de se venger, en l'absence de justice. Comme beaucoup de pays sortant de guerre, la Côte d'Ivoire est confrontée au dilemme de la nécessaire réconciliation face à la difficile justice par rapport à des milliers d'actes criminels.      

    E comme Environnement

    Bien entendu, face à la pauvreté endémique d'une partie de la population, il n'est pas facile d'intéresser les Ivoiriens au drame écologique ! Et pourtant, il y a urgence dans ce pays : la dégradation de l'environnement constitue une vraie menace pour la santé des populations. L'état de la lagune Ebrié autour de laquelle  s'est construite la grande agglomération d'Abidjan est Entrer des mots clefscatastrophique : l'eau est empli de déchets de tous ordres (y compris pharmaceutiques) et les poissons qui y sont (encore) pêchés seraient très souvent contaminés par divers métaux. Il faut dire que tout le monde (ménages, industries et même hôpitaux) déversent allègrement ses déchets dans les eaux. Au quotidien, trouver une poubelle dans les rues relève de l'exploit, si bien qu'on finit par faire comme tout le monde : jeter par terre. A la question de savoir pourquoi on n'installe pas des poubelles, on me répond qu'elles seraient immédiatement arrachées pour que le fer soit revendu... Toujours est-il qu'une bombe silencieuse est en train de se préparer dans ce pays de 22 millions d'habitants qui voit sa population augmenter de 2 % l'an. 

    G comme Galère

    "Fier d'être truand ? Oui. Parce que la galère m'oblige à l'être". Sur un tee-shirt, un jeune n'hésite pas à afficher ainsi son "identité". Ce mot galère est dans toutes les conversations. La vie chère, les salaires versés avec beaucoup de retard, le chômage massif, les embouteillages permanents à Abidjan... tout conduit à diffuser ce sentiment d'une galère permanente, d'une vie impossible. Dans ce contexte, les batailles politiciennes, les luttes de succession (pour remplacer l'octogénaire Bédié à la tête du PDCI ou pour reprendre le flambeau de Gbagbo, détenu à la Haye, à la direction du FPI) et le chemin étroit pour la réconciliation ont tendance à ne passionner que modérément les habitants qui ont pris, ici comme ailleurs, beaucoup de distance avec les intrigues du sommet.

    I comme Ivoirité

    Ce concept mis en avant par le gouvernement Bédié visait, entre autres, à écarter l'ancien rival devenu président, Ouattara, dont la nationalité ivoirienne était jugée douteuse. Cette idée reprise ensuite à son compte par le président Gbagbo, toujours avec le même objectif, a alimenté un sentiment de xénophobie latent dirigé notamment contre les Burkinabès qui sont arrivés nombreux à la faveur du boom économique lié à l'envolée des cours du cacao/café lors des années 70/80. Populisme (malheureusement) classique en temps de crise ! L'arrivée au pouvoir de celui dont on jugeait l'ivoirité douteuse a évidemment mis un point d'arrêt à cette idée mortifère pour ce pays profondément métissé.  Par un autre biais, la question de l'ivoirité est revenue au centre des débats : le pouvoir a défendu une loi (récemment adoptée par l'Assemblée) permettant à des milliers d'apatrides d'obtenir - sous conditions - la nationalité ivoirienne. Pour les opposants à Ouattara, il s'agit d'un moyen de préparer sa réélection en 2015, cette population étant considérée comme lui étant favorable. Pour autant, le climat semble apaisé : les Ivoiriens ont assez "soupé" des divisions pour se déchirer à nouveau sur l'ivoirité. Personne ne s'en plaindra !    

    K comme Korhogo

    La grande ville du Nord du pays a des allures de grand bourg tranquille de province. Ici, les milliers de motos envahissent le bitume (ou très souvent la terre battue) et les voitures sont plutôt rares par rapport à la capitale économique. La belle cité du Nord qui s'inscrit dans une région agricole tient Entrer des mots clefspeut-être sa revanche avec l'élection de Ouattara qui a des soutiens importants dans la région. D'ailleurs, celui-ci y a fait une visite importante ces derniers mois. Ce qui a eu pour effet d'accélérer le goudronnage de routes urbaines au centre même de la ville. Indéniablement, le Nord du pays souffre d'un retard de développement important. Dans cette région agricole qui fournit le pays en manioc (essentiel pour le plat national qu'est l'attiéké), en arachide, en riz ou en fruits divers, de nombreux villages souffrent de vrais problèmes alimentaires. Des ONG internationales interviennent notamment à la période de la soudure, ce moment où les réserves alimentaires sont épuisées alors que les récoltes se font encore attendre. Les potentialités de développement agricole semblent importants, mais cela supposerait que le pays croit un peu plus dans ses paysans et rêve un peu moins dans le matérialisme des villes qui n'est que mirage par la majorité désargentée de la population.

    M comme Maquis

    Même si certains opposants rêvent de résistance, le maquis n'a aucune connotation politique. Il désigne ce lieu semi-ouvert où Entrer des mots clefsbeaucoup de jeunes - mais pas simplement - de retrouvent en fin de journée pour des soirées riches en musique (avec un fort volume sonore) et en boissons (surtout la bière). Ces maquis ne semblent pas connaître la crise car ils ne désemplissent que tard dans la nuit. Ils sont souvent l'occasion de joutes oratoires de "boucantiers" qui, sur des musiques endiablées, commentent l'actualité musicale ou sociale. Mas certains de ces lieux sont face à une menace lancinante, celle de la fermeture par les autorités de police pour cause tapage nocturne. Des activités illicites sont également dénoncées, sans que l'on sache si la présence massive des "brouteurs" pose un problème aux autorités censées combattre cette activité. 

    O comme Ouattara

    Après une dizaine d'années de vaines tentatives, l'ancien Premier ministre de Houphouët-Boigny est enfin arrivé à la tête de l'Etat. Tout le monde se souvient encore des circonstances dramatiques lors de l'hiver 2010-2011 par lesquelles il est devenu chef de l'Etat : victoire électorale contestée par le sortant, retranchement dans un  hôtel bunkérisé, bombardements et tueries, interventions de l'armée française pour déloger Gbagbo... Depuis un peu plus de deux ans, il est donc aux manettes de laEntrer des mots clefs Côte d'Ivoire. Alors quel premier bilan ? Disons qu'il n'a pas fait de miracle. Si des grands travaux d'infrastructures ont été lancés ou relancés, si la propreté de la capitale est moins catastrophique, le quotidien d'une grande majorité de la population ne s'est guère amélioré. Le président est également accusé de n'être que trop rarement présent dans le pays, multipliant les voyages à l'extérieur. Lui plaide que son pays doit retrouver sa place dans le concert des Nations (ce qui importe peu au peuple) et que le redémarrage du pays passe par des soutiens financiers importants. Qui tardent à arriver. Reste que Ouattara a toutes les chances de se succéder à lui-même en 2015. Même si son bilan risque d'être assez maigre, il est sur la voie d'un désarmement progressif des milices et semble réussir à rétablir la paix troublée depuis une quinzaine d'années dans ce pays où se sont succédés coup d'Etat, violences et impunité des groupes armés qui n'étaient parfois rien d'autre que des bandits de grand chemin.      

    P comme Presse

    Pas de kiosque à journaux avec des présentoirs modernes ! A Abidjan, comme dans les grandes villes, les gens découvrent les titres de la presse quotidienne punaisés sur une planche de bois. Les lecteurs sont scotchés devant ce présentoir de longues minutes sans forcément sortir les 200 Fcfajournaux rue.jpg (0,30€) nécessaires à l'achat. Il faut dire qu'il y a de quoi lire avec la quinzaine de titres quotidiens nationaux aux titres souvent tranchés. L'actualité strictement politique occupe le devant de la scène, avec souvent des retours sur les évènements de fin 2010-début 2011 (le duel présidentiel Ouattara/Gbagbo. Deux exemples. "De retour d'exil du Ghana après 2 ans, un "patriote" [partisan de Gbagbo] se déchaîne. Tout sur la méchanceté des barons du FPI" [parti de l'ancien président], titre ainsi L'Expression le 12 août.Quelques jours plus tôt, Aujourd'hui (qui ressemble furieusement au Figaro françaisproposait un "témoignage exclusif" : "J'étais à la résidence. Gbagbo n'avait pas de bunker. C'est Dieu qui l'a sauvé." Parfois, l'information proposée n'est pas tout à fait à la hauteur du titre alléchant. La presse a tendance à voir des complots partout sans étayer ses affirmations. En revanche, peu de reportages sur les réalités sociales vécues par la population, sur la galère quotidienne, l'enfer des transports ou la pauvreté endémiques de certains villages. La faiblesse des moyens accordés aux rédactions explique-t-elle ce désintérêt pour la vie quotidienne ? Sans doute en partie, mais il faudrait également s'interroger sur les liens qui unissent les directeurs de rédaction avec tel ou tel ténor politique et sur le fait qu'aucun journal important n'est imprimé à l'extérieur d'Abidjan. Citons Entrer des mots clefscependant un satirique bien inspiré, L'éléphant déchaîné qui n'a pas sa langue dans sa poche face au pouvoir et à son opposition. Ses titres sont souvent bien sentis, comme celui-ci en référence à l'inamovible Bédié : "Journée internationale de la jeunesse: célébrons nos jeunes de 80 ans". 

     

    R comme Réconciliation

    C'est l'un des maîtres-mots du nouveau pouvoir. Il faut tourner la page des années noires de la Côte d'Ivoire, en un mot se ré-con-ci-lier. Ces dernières semaines, deux gestes forts se sont inscrits dans cette direction. Juste avant la fête nationale début août, 14 proches de l'ancien président sont sortis de prison (semble-t-il sous la pression des bailleurs internationaux). d'autre part, l'actuel président de l'Assemblée, l'ambitieux Guillaume Soro, a fait un voyage très médiatisé en terres bété, fief de Laurent Gbagbo. Reste que la réconciliation est encore loin d'être aboutie. Les rancoeurs sont encore trop fortes dans le camp de l'ex-président et la presse a tendance (pour vendre ?) à alimenter les tensions, relayant les déclarations va-t-en-guerre des uns et des autres (à l'exception, notamment, du journal Le Jour qui propose des pages "de la réconciliation et de la reconstruction"). Il faut dire également que la façon de juger les crimes de guerre est particulièrement inéquitable. La justice poursuit des dizaines d'anciens partisans de Gbagbo, mais a "oublié" d'enquêter sur des crimes (notamment dans l'ouest du pays) attribués à des miliciens proches de Ouattara. La réconciliation annoncée demande de l'exemplarité. On en est loin...

    V comme Village

    "Je vais au village". Cette formule, vous l'entendrez souvent dans la bouche d'Abidjanais qui n'ont pas oublié d'où ils venaient ou d'où leurs parents sont issus. Le village représente beaucoup Entrer des mots clefsdans l'imaginaire de ces nouveaux urbains. L'endroit un peu idéalisé où l'on oublie le stress d'une capitale qui compterait environ 5 millions d'habitants, où l'on parle la langue de son ethnie (alors qu'Abidjan est très francophone) et où l'on ressoude les liens familiaux souvent distendus. Le village assure également une sorte de sécurité alimentaire puisqu'on y cultive des produits fort utiles quand l'argent s'envole du porte-monnaie. De nombreux urbains y ont leur petite (ou grande) maison et quelques ares de terre. Le village a également constitué un refuge pendant la période de violences (même si les exactions contre des villageois n'ont pas manqué). En un mot, le village représente le paradis pour les urbains. Sauf que les jeunes qui y vivent n'ont généralement qu'une envie : le quitter pour découvrir les lumières de la ville...  

    W comme Wôrô wôro

    Non, il ne s'agit pas d'une nouvelle danse qui va envahir la scène mondiale. Les wôrô wôro désignent des taxis locaux qui assurent pour  une somme modique des trajets au sein d'une même commune d'Abidjan. Chacune a sa couleur de wôrô wôrô. Ceux-ci sont en concurrence ouverte avec les taxis compteur (qui ne l'utilisent pas depuis belle lurette) qui, eux, assurent des transports sur tout le district d'Abidjan. Avec ces taxis orange, tout le monde négocie avant le départ le prix de la couEntrer des mots clefsrse (qui oscille généralement entre 2 000 à 4 000 Fcfa - soit 3 à 6 €). Dans la jungle des transports urbains, il faut compter également avec les gbakas (voir photo) qui sont des mini-bus  transportant une bonne dizaine de personnes sur des lignes fixes inter-communales. D'état général assez médiocre, ces modes de transport sont indispensables à la vie des gens dont peu disposent d'un véhicule personnel. Une grève des transports intercommunaux (taxis compteur et gbakas) qui se jugent défavorisés fiscalement par rapport aux wôrô wôrô, annoncée pour fin août, pourrait avoir le même genre d'effet qu'une grève des RER dans la région parisienne...