La campagne officielle se termine dans quelques heures. Il ne reste plus que demain samedi pour que les indécis se déterminent sur leur vote et pour mobiliser la cohorte potentielle d'abstentionnistes.
J'ai reçu voici deux jours les professions de foi des principales listes (certaines n'ont pas les moyens de les imprimer) pour la circonscription Ile-de-France (les différences d'une région à l'autre sont finalement assez faibles. Je me suis plongé dans cette littérature peu sexy, mais importante pour connaître ce que chacun a dans le ventre. Sans en faire un commentaire détaillé, voici mon analyse comparée.
Regardons le recto. Aucune profession de foi ne se ressemble, même si le format - imposé par la loi électorale - est le même. Visuellement, certaines listes ont fait le choix de tout miser sur un candidat, la tête de liste. C'est le cas pour Nicolas Dupont-Aignan sur fond mauve. Idem pour le Front national et pour la candidate du Centre national des indépendants et paysans (CNI), Annick du Roscoät avec ce curieux site de campagne « la droite rebelle ». Antoine Pinay, le leader du très droitier CNI, doit se retourner dans sa tombe! Le PS a pris la même option avec la tête rieuse d'Harlem Désir. Certains dans le parti ont regretté que le choix n'a pas été fait de présenter une équipe, notamment en valorisant le très médiatique Benoît Hamon.
A l'inverse, d'autres listes mettent en avant le collectif : le NPA avec ses trois premiers de liste (dont Olivier Besancenot, 3e, qui est de taille plus réduite -sur la photo – que le premier Omar Slaouti); les Verts avec le duo à lunette Cohn-Bendit – Eva Joly (en plus petit les photos des 3e et 4e nettement plus jeunes) ; le Front de gauche avec une ribambelle de responsables (dont Marie-George Buffet qui n'est pas candidate) ou encore l'UMP avec la triplette gagnante (?) Barnier - Dati – Cavada. Les derniers ont fait un mixte: le MoDem met en avant sa tête de liste Marielle de Sarnez sous le patronage de François Bayrou qui, sur la photo, lève son bras comme pour indiquer une direction. Philippe de Villiers, le boss français de Libertas (listes financées par un milliardaire irlandais europhobe), fait un choix curieux en apparaissant en grand (alors qu'il est candidat dans l'Ouest) pour reléguer en haut à gauche la tête de liste Jérôme Rivière, ancien député de la Côte d'Azur.
Le slogan ensuite. Le PS fait dans l'efficace quoique conventionnel « Changer l'Europe maintenant! »; l'UMP affiche un énigmatique « Quand l'Europe veut, l'Europe peut ». Cela ne vous rappelle pas le « Tout est possible » d'un certain Nicolas Sarkozy. A gauche, le Front de gauche a oublié de trouver un slogan, mais cite simplement les trois formations qui soutiennent ce Front: la Gauche unitaire (une ex-branche de feue la LCR), le Parti de gauche et le PCF. Ces trois-là ne se seraient-elles pas entendues sur le slogan? Le NPA assène son déjà connu leitmotiv « Partout en Europe, pas question de payer leur crise! » La liste conduite par « Dany » a fait le choix de ne pas mettre de slogan mais d'indiquer « 10 raisons de voter pour Europe Ecologie ».
A droite, Dupont-Aignan propose une longue diatribe contre « PS, UMP, MoDem et Verts » qui « depuis 20 ans, ils ont signé ou soutenu tous les traités européens ». Lui propose de « défendre depuis toujours une France libre et une Europe différente, une Europe utile. » La candidate du CNI invite à « voter pour une Europe utile », sommet de l'originalité. De Villiers veut tout simplement « protéger nos emplois et défendre nos valeurs ». Mais quelles valeurs: est-il sûr que les Français partagent ses valeurs, lui qui est partisan des expulsions massives de sans-papiers et de la peine de mort? Le FN a le mérite de la clarté avec un slogan tout en nuances: « Contre l'arnaque européenne ».
Tournons maintenant la page de la profession de foi. C'est là où figure (rarement) la composition de la liste et surtout les principaux engagements et propositions de la liste. Les contenus et tonalités sont très différents. Il y a ceux qui remplissent tout l'espace avec un texte dense. C'est le cas de l'extrême gauche. Lutte ouvrière avec un très long texte sur une page deux tiers commençant par un « Travailleuses, travailleurs, salariés, électeurs des classes populaires » (les autres n'existent pas). Le NPA propose un laïus un peu moins indigeste dans lequel se dégagent quatre slogans: « Une Europe sociale: nos vies, pas leurs profits »: « Une Europe par et pour les peuples »; « Pour une révolution écologique »; « Pour une Europe solidaire des peuples du monde ».
Dans une lettre signée par Cohn-Bendit, Joly et José Bové (candidat dans le Sud-Ouest), la liste Europe Ecologie insiste sur l'urgence écologique et ses conséquences pratiques (« Nous sommes convaincus qu'il faut changer nos manières de produire, de consommer, de vivre et de travailler ») ainsi que les exigences éthiques de la politique (« vous élirez des député-e-s qui se consacreront uniquement à leur mandat européen »).
Le MoDem est sans doute le plus précis avec 27 engagements. Entre autres, « défendre les services publics pour préserver notre cohésion nationale », « créer une avant-garde européenne formée à partir des pays de la zone euro » ou encore « assurer la sécurité en Europe à travers la création d'un procureur de l'Union […] pour lutter contre la criminalité organisée ».
L'UMP est plus vague avec six directions. « Refuser l'adhésion de la Turquie » est curieusement le premier des points alors que la question ne devrait pas être d'actualité sous le mandat 2009-2014. La question sécuritaire est très fortement présente avec ce point: « soutenir une politique de lutte résolue contre l'immigration clandestine. Nous refuserons les régularisations massives d'immigrés clandestins ». Comme si cela était de la compétence de l'Union. Cette tonalité anti-Turquie la rapproche des listes Libertas dont le premier point est « Pour une Europe des Nations, vraiment européenne, sans la Turquie ». Pour le reste, l'UMP reste relativement vague: que veut dire exactement « défendre le capitalisme des entrepreneurs contre le capitalisme des spéculateurs »? Comment « soutenir la mise en place d'une véritable politique industrielle européenne »? On demandera à Mme Dati des lumières sur ces questions...
Le PS propose également six engagements qui auraient gagné à être explicités. C'est quoi un « Pacte européen de progrès social »? Quelles règles le PS entend-il « imposer au capitalisme financier »? « La politique agricole commune plus ambitieuse et plus juste » que le PS appelle de ses voeux, comment se traduirait-elle? Le PS préfère manifestement cogner sur « l'Europe libérale de la majorité sortante, celle de Nicolas !sarkozy, Silvio Berlusconi, José Manuel Barroso » (pourquoi ne pas citer Angela Merkel? Parce qu'elle gouverne avec le SPD?) que de détailler son programme pour « changer l'Europe ». Certains y verront un aveu de défaite: les rapports de force en Europe n'étant pas en faveur de la gauche, le PS veut-il plus taper sur la droite que construire une alternative?
Le Front de gauche, de son côté, axe toute sa campagne contre le Traité de Lisbonne « adopté main dans la main par la droite et les socialistes européens qui gouvernent ensemble les institutions européennes ». Le Front de gauche fait une dizaine de propositions parmi lesquelles un « Smic européen égal à 60 % du salaire moyen dans chaque pays » ou un « pôle public bancaire ». Le propos est souvent assez vague, s'inscrivant davantage dans un cadre français qu'européen. Quant aux listes Debout la République de M. Dupont-Aignan, elles proposent tout simplement de « supprimer la Commission de Bruxelles » et de la « remplacer par « des agences de coopération thème par thème comme l'agence spatiale européenne qui a réussi la fusée Ariane ». Supprimer la Commission? Voilà au moins un débat qui aurait permis à la campagne de... décoller.