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Nécrologie

  • Jacques Chirac, ou la nostalgie d'une certaine France

    La mort annoncée ce jeudi 26 septembre de l'ancien président de la République a suscité un réel émoi dans le pays. Pour un jeune de moins de 35 ans, la surprise doit être de taille car Jacques Chirac semble relever d'un autre siècle. Incontestablement, tout est contrasté, paradoxal chez lui. Il était à la fois l'élu de la campagne profonde (la Corrèze) et de la capitale. Il avait des amitiés très simples et profondes tout en fréquentant les grands de ce monde. Il avait engagé la France dans un référendum (en 2005) pour l'adhésion à un traité alors qu'il n'avait pas caché son scepticisme sur l'Union européenne vingt ans plus tôt.

    Il mettait une énergie démesurée pour la conquête du pouvoir - ce qui pouvait passer par des trahisons dont celle envers Chaban en 1974 fut la plus emblématique. Et puis après, il apparaissait gêné aux entournures dans l'exercice du pouvoir. Dans Libération, Laurent Joffrin a une image très juste : "Chirac, l'homme pressé qui aime la route plus que l'étape qui se bat pour atteindre les sommets mais ne sait pas ce qu'il fera quand il y sera." 

    Si une nostalgie pour Chirac devrait se développer dans les prochains mois, c'est sans doute parce qu'il laisse le souvenir (plus ou moins fidèle à la réalité) d'une gestion humaine du pays. Ce qui passe par un grand pragmatisme, lui permettant de passer de mesures libérales à des décisions plus dirigistes.

    Dans ces années 1995-2007, on n'a pas le sentiment que la technocratie a pris totalement le pouvoir. Chirac gouverne à la godille, de façon parfois peu compréhensible avec cependant une grande détermination sur ses grands chantiers que sont la sécurité routière, le plan cancer et la prise en compte du handicap. Trois chantiers qui sont sans doute, sur le plan intérieur, les héritages les plus marquants du chiraquisme.

    En fait, Chirac, par-delà ses mots déplacés ("sur le bruit et les odeurs" par exemple) est un humaniste. Minoritaire dans son camp, il soutint la loi sur l'IVG défendue par Simone Veil. Quand François Mitterrand accède au pouvoir (ce pour lequel Chirac a joué un rôle évident), il vote l'abrogation de la peine de mort (VGE fait le contraire). Dans les années qui suivirent, il fut un opposant vigilant à l'extrême droite. Si une partie de la droite n'a pas fait alliance avec le FN d'alors, c'est sans doute grâce à lui.

    Quoi qu'on en dise, Chirac c'est l'anti Macron. L'actuel président passe son temps à monter les Français les uns contre les autres, à leur faire la morale, par exemple sur la recherche d'emploi. Il méprise gentiment les corps intermédiaires, associatifs, syndicaux. Il a été incapable d'engager un dialogue républicain avec les Gilets jaunes, ce que Jacques Chirac aurait tenté de faire très vite. D'ailleurs, on peut penser qu'un tel mouvement n'aurait pas vécu aussi longtemps sous Chirac.

    Il n'est pas question ici de tresser des couronnes à l'ancien président. Il n'est pas sûr qu'il ait fait aimer la politiques aux jeunes générations, découvrant les financements occultes de son parti, les troublantes affaires parisiennes, les liens peu démocratiques avec les tyrans d'Afrique et quelques décisions particulièrement malheureuses, comme l'intervention dans la grotte de Nouméa en 1988. Simplement, Chirac a su cultiver, notamment lorsqu'il tint tête aux Etats-Unis dans le bras-de-fer avec Sadam Hussein, une fierté d'être français, une sorte de patriotisme tranquille attaché à des valeurs simples, mais essentielles. Et puis, il laissé paraître des joies et des souffrances humaines, par exemple en raison de sa fille aînée, devenue handicapée. 

    Rien que pour ces raisons, l'hommage quasi unanime des Français envers Jacques Chirac est pleinement justifié. Son héritage est finalement plus important que ce qu'un examen rapide pourrait laisser penser...

       

     

  • Philippe Séguin, le Rocard de la droite

    Que dire de Philippe Séguin quelques heures après l'annonce de son décès suite à une (assez prévisible) crise cardiaque? En lisant les articles relatifs à son parcours politique, il me semble que c'était un Martien dans le monde politique. Il prenait à contre-courant les modes de son temps et la droite française très conformiste. Sur le traité de Maastricht, il s'opposa courageusement au consensus quasi-général autour d'un Séguin.jpgtexte qui était loin d'être satisfaisant (en misant tout sur l'ouverture des marchés et pas grand-chose sur l'union politique). Par rapport à l'UMP, il a dit tout le mal qu'il en pensait et en a tiré les conséquences en se retirant de la vie politique. A la tête de la Cour des comptes, il ne ménagea pas ses critiques en direction des dérives financières du pouvoir (voir le rapport de juillet 2009 sur l'Elysée faisant apparaître des dépenses personnelles de Nicolas Sarkozy prises en charges par la République et le faramineux budget consacré aux sondages).


    Homme de convictions, volontiers excessif, Philippe Séguin était, par ailleurs, un piètre tacticien. En 1995, lui qui avait inspiré la thématique (gagnante) sur la fracture sociale s'était fait « voler » le poste de Premier ministre par un Alain Juppé plus docile. En 2001, il avait pris la tête de façon catastrophique de la droite parisienne engluée dans les dérives de l'ère Chirac-Tibéri. A la différence de beaucoup de politiques, il accordait plus d'importance à ses principes qu'à son plan de carrière. Il avait ainsi démissionné de son poste de président du RPR en 1999, se trouvant de plus en plus en décalage avec l'évolution du parti néo-gaulliste.

    Sans le dire ouvertement - devoir de réserve oblige-, le style de Nicolas Sarkozy, l'apologie de la loi d'argent lui étaient particulièrement désagréables (il avait d'ailleurs décliné des offres de postes ministériels). Le plus cocasse dans cette histoire, c'est que le Premier ministre de Sarkozy, François Fillon, a longtemps été considéré comme un proche de Séguin..


    En réfléchissant à ce parcours singulier, il me vient une comparaison qui ne fera pas plaisir à tous: Philippe Séguin était un peu le RoRocard.jpgcard de la droite. Franc-tireur, attaché au rôle de l'Etat, anticonformiste, souvent individualiste... il s'est heurté à la quête effrénée du pouvoir portée par un Chirac, comme Rocard l'avait été de la part de Mitterrand. Tous deux ont été incompris de leur parti, souvent ostracisés. Ils avaient l'étoffe pour assumer le pouvoir élyséen, mais d'une certaine manière, ils n'étaient pas fait pour la fonction quasi-royale de Président de la République qui s'accommode mal avec la liberté de penser.


    Michel Rocard s'est exprimé publiquement en regrettant l'élection au suffrage universel du Président de la République – qui polarise toute la vie politique. Philippe Séguin n'a rien dit là-dessus (à ma connaissance), mais il n'est pas impossible qu'il voyait les dégâts sur l'esprit démocratique produit cette élection du « Premier des Français ». Ce ne serait pas le moindres des paradoxes de ce gaulliste acharné qui s'en va à 66 ans.