La première manche des débats de la primaire a eu lieu, laissant ouvertes toutes les questions que ce genre d'exercice soulève. Comment exprimer des opinions différentes alors que le combat principal – contre Nicolas Sarkozy – n'est pas encore lancé ? Comment concilier pluralisme des opinions (sinon à quoi bon les primaires?) et souci de rassembler toute la gauche, ou plutôt toute la famille socialiste ? Car on remarquera que l'objectif de faire des primaires de toute la gauche (hors son extrême perdue dans ses limbes) est raté. La présence de Jean-Michel Baylet, patron des radicaux de gauche, au discours peu élaboré et aux pratiques locales clientélistes (qui lui valent d'ailleurs d'avoir maille à partir avec la justice), ne doit pas faire illusion. C'est une bagarre entre socialistes qui se joue, lesquels balayent tout l'arc-en-ciel des sensibilités.
A sept mois du premier tour, l'issue du scrutin est beaucoup plus serré qu'il n'y paraît. Les sondages qui annoncent une victoire, plus ou moins large, de François Hollande ou de Martine Aubry et qui placent Nicolas Sarkozy à un niveau de popularité historiquement bas, ne doit pas tromper. La situation internationale très mouvante et l'angoisse que cela peut faire naître, le talent du Président à apparaître comme l'homme de la situation peuvent lui permettre de retourner la situation. Mais les socialistes ont tout à fait la capacité de perdre l'élection, seuls comme des grands. Ils ont face à eux trois récifs qu'ils doivent négocier au mieux.
1/ La question morale
S'il y a bien un point commun entre les six candidats à la primaire, c'est ce discours sur l'affaissement moral de la France depuis l'élection de Nicolas Sarkozy. Les exemples sont légion (on épargnera le lecteur de cette liste) d'une confusion entre intérêts privés et intérêt général et d'un étalage sans vergogne du pouvoir de l'argent. Mais le discours moral des socialistes serait plus crédible s'ils ne trainaient pas deux boulets. Le plus médiatisé est le feuilleton DSK dont le dénouement, avec une absence de décision sur le fond de l'affaire, laisse un terrible goût amer. Qu'a-t-on vu, en effet ? Qu'un homme a mobilisé, par l'entremise de sa femme - égérie de la fidélité aveugle à son mari volage – une fortune considérable pour payer une caution hallucinante et pour mettre à sa disposition les avocats les plus talentueux. Sans ces millions de dollars, qui ont permis de mettre à jour les zones d'ombre de Nafissa Diallo et peut-être (lançons-nous sur un terrain que d'aucuns jugeront glissant) d'aider à ce que certains témoignages gênants échappent à la justice, DSK aurait-il pu faire l'événement ce 18 septembre au JT de TF1 (1) ? En ce sens, le souhait émis par Arnaud Montebourg que DSK présente ses excuses aux socialistes est moins incongrue qu'il n'y paraît.
L'autre boulet que vont trainer les socialistes s'appelle Jean-Noël Guérini. Car, enfin, à qui feront-ils croire qu'ils ne savaient rien des pratiques mafieuses du président du conseil général des Bouches-du-Rhône? François Hollande qui a dirigé pendant dix bonnes années le PS n'était-il pas au courant des trafics d'influence divers et variés ? Ségolène Royal et Manuel Valls qui ont conclu un accord avec lui lors du congrès de Reims ne savaient-ils rien de l'absence de débats contradictoires dans cette fédération, de l'intimidation de certains militants dont les sections contestatrices étaient dissoutes par la « fédé »? et enfin, Martine Aubry qui donne tant de leçons de morale à la droite, pourquoi a-t-elle refusé de prendre en considération le rapport accablant rédigé par Arnaud Montebourg et pourquoi aujourd'hui fait-elle mine de ne pas avoir eu affaire à ce sinistre personnage dont nous n'avons pas de découvrir les exploits. Et puis, comme d'autres petits DSK et d'autres petits Guérini sommeillent ici ou là, le PS risque d'être en grande difficulté pour utiliser l'arme morale. L'arme peut se transformer en boomerang...
2/ La question des marges de manoeuvre
Même si le PS semble s'être plutôt bien sorti du piège de la règle d'or (attrape-gogos absolument d'aucun secours pour maitriser les déficits budgétaires), il va devoir clarifier les contours d'une politique de gauche. Car la question est simple : comment faire rêver un minimum un peuple fatigué par la vie chère et le règne des financiers, sans le décevoir irrémédiablement dans les mois suivants l'élection qui pourraient être marqués par une récession internationale? Inversement, peut-on gagner une élection en promettant du « sang et des larmes », comme semble le proposer le favori, François Hollande ?
Cette question est cruciale et il n'est pas utile de tourner autour du pot avec de grandes phrases ronflantes. Il faut dire ce qu'il faudra faire en urgence absolue, ce qu'il faudrait faire si c'est possible et ce qu'il ne sera pas possible de faire. Dans la dernière catégorie, il semble difficile d'indiquer que le retour à un droit universel à la retraite à 60 ans sera rétabli. Cela ne veut pas dire accepter les injustices de la réforme précédente (notamment en direction des travailleurs ayant commencé tôt ou les femmes), mais aménager ce qui est possible de l'être. En clair, tout le monde ne pourra pas être servi, mais il faut que les plus en difficulté le soient. Sinon, à quoi bon l'alternative de gauche? Idem sur le nucléaire dont on notera qu'il a fallu attendre une grande catastrophe pour que les socialistes s'y intéresse sérieusement. Dire qu'on va aller vers la fin du nucléaire peut être un projet souhaitable. Mais il n'est crédible que si on indique le coût du démembrement des centrales (qu'on ignore actuellement) et comment on compte faire monter rapidement la part des énergies renouvelables. Dire de façon très concrète qu'il faudra multiplier par dix le nombre d'éoliennes et accepter que notre paysage soit ainsi modifié – défiguré pour certains. En gros, on attend des politiques – et des socialistes en particulier – qu'ils arbitrent sérieusement entre les diverses priorités et non qu'ils fassent plaisir à tous les électorats en saupoudrant de petites mesures clientélistes. Ce qui renvoie à la culture citoyenne : sommes-nous prêts à accepter que nos attentes, au demeurant légitimes, soient différées car d'autres populations, d'autres régions sont davantage en difficultés que nous-mêmes ? La gauche aura-t-elle le courage de s'attaquer aux petits égoïsmes catégoriels qui savent si souvent utiliser la presse ou le chantage électoral ?
3/ La question des méthodes
Disons-le clairement, le seul avantage des primaires ouvertes, c'est d'éviter que les barons locaux du PS fassent la pluie et le beau temps pour le vote des militants. Par exemple, dans les Bouches-du-Rhône, cette primaire ouverte pourrait permettre à Arnaud Montebourg d'avoir 5 ou 10 % des voix et à François Hollande d'atteindre les 20 ou 25 % alors que dans le cas d'une primaire réservée aux adhérents, Martine Aubry était assurée d'avoir au moins 70 % des voix (une alliance avait été scellée voici quelques temps entre Guérini et la première secrétaire). Dans les fiefs des candidats, en Corrèze, dans le Nord ou en Poitou-Charente, etc., les résultats devraient un peu moins ressembler à une consultation stalinienne. Tant mieux ! Pour le reste, la primaire ouverte ne change rien : l'influence des entourages est tout aussi forte – et parfois néfaste ; les candidats ont bien du mal à être dans une démarche d'ouverture aux initiatives de la société. Quel temps ont-ils, dans leur agenda surchargé, pour écouter vraiment et bousculer parfois leurs préjugés ? Tous se déclarent, avec des sensibilités différentes, ouverts à la démocratie participative, mais comment comptent-ils lui donner sa chance? Quelle part de leurs propositions sont-ils prêts à mettre en discussion et éventuellement à modifier? Quelles chances donneront-ils à l'expérimentation de mesures plutôt qu'à la généralisation? Sont-ils prêts à se donner du temps par rapport à certains dossiers qui supposent une large consultation et de la réflexion?
La rupture avec le sarkozysme, annoncée et espérée, suppose pour la gauche de prendre à bras-le-corps la question des représentations politiques. Se limiter à la question du contenu des politiques ouvre la voie aux inévitables déceptions, plus ou moins cruelles. En revanche, une méthode qui associerait davantage les citoyens (via des référendums, des grandes consultations citoyennes) permettrait à chacun de mieux comprendre les difficultés de la gestion et à ainsi à faire progresser la conscience démocratique. C'est le mal qu'on peut souhaiter à la gauche...
(1) Ce texte a été écrit avant les déclarations télévisées de DSK