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christophe barbier

  • Quand la presse déraille...

    Difficile d'être journaliste aujourd'hui ! A quoi servons-nous ? Combien serons-nous dans dix ans ? Ces questions taraudent (ou devraient tarauder) la profession, d'autant que les mauvaises nouvelles s'accumulent. Libération aura du mal, sans nouveaux investisseurs, à passer l'hiver; Sud-Ouest annonce un plan de licenciement. La presse dite militante est en mauvaise posture : L'Humanité est maintenue artificiellement en vie ; Témoignage chrétien (auquel j'ai collaboré plus de 15 ans) a interrompu son hebdo papier avec l'espoir de redémarrer sous une autre forme.

    Certains incriminent, à juste titre, le rôle néfaste du Livre CGT qui bloque toutes les évolutions. D'autres s'interrogent, non sans raison, sur des directions d'entreprises défaillantes, sans vision stratégique, qui n'anticipent pas les évolutions et ont encouragé la voie mortifère des journaux gratuits. Mais peu (corporatisme oblige) remettent en cause une façon de faire du journalisme. Je ne vais pas m'arrêter sur la partie immergée de l'iceberg, les Une putassières de L'Express et du Point qui, à force de banalisation de l'islamophobie tracent un boulevard pour Marine Le Pen...

    Non, ce qui est intéressant, c'est le traitement de l'information, la hiérarchie de l'info. Revenons sur deux événements de la semaine écoulée : la conférence de presse de François Hollande ; la grève de la faim du maire de Sevran. Dans le premier cas, la prestation du Président a été analysée en long et en large (jusqu'à sa cravate) et tout le monde a convenu qu'elle avait été bonne. Cela nous fait une belle jambe, serait-on tenté de répondre!

    Car qu'est ce qui est important pour juger une politique? De savoir si les responsables savent argumenter, répondre aux attaques de l'opposition ou s'ils proposent une stratégie cohérente et en mesure de dompter les maux de la société? Si c'est le premier point de vue qui l'emporte, alors oui, François Hollande a réussi sa prestation. Il confirme que c'est un grand pro, calme et rusé, de la politique, sans doute l'un des meilleurs.

    S'il s'agit de mesurer la cohérence d'une politique, on doit être forcément dubitatif et c'est le rôle de la presse de l'être. Et là, ce n'est pas une question de style (comme Libé, toujours aussi peu inspiré, l'a relevé), mais d'analyse des politiques. Comment peut-on à la fois en appeler aux coupes budgétaires (10 milliards d'euros doivent être dénicher) et trouver justifiés divers besoins sociaux qui s'expriment, et qui vont être mis sur la table lors de la conférence sur la pauvreté en décembre? Comment continuer à parler d'un déficit ramené à 3% du PIB alors que la croissance risque de ne pas être durablement au rendez-vous? Comment ne pas s'interroger sur les limites du choc de compétitivité qui pourrait diminuer de 3% le coût global des produits (pour le grand défi de reconquête des exportations)? On pourrait aligner des dizaines de questions que des médias devraient poser chacun avec sa sensibilité. Dans les faits, elles ne sont qu'effleurées, et toujours mises au second plan par rapport au style, à la forme. Nombre de journalistes politiques sont devenus des critiques de spectacle politique. Est-ce ce qu'on attend de la presse?

    Second exemple : la grève de la faim menée pendant cinq jours par Stéphane Gatignon. Si on enlève les commentaires grotesques d'un Barbier (disant qu'un politique n'avait pas à utiliser cette arme... et pourquoi donc), l'essentiel du traitement journalistique a tourné autour des visites qu'il a reçues (Valls, Duflot, etc.) et des pressions qu'il aurait subies pour cesser de ne plus s'alimenter. Est-ce l'essentiel? Ne fallait-il pas profiter de cette action d'éclat un peu désespérée de ces villes pauvres touchées par la double peine (la crise des finances publiques et la crise sociale)? Mais non, la presse globalement ne s'est pas risquée à aller dans le fin fond de la Seine-Saint-Denis pour se plonger dans le quotidien de cette population durement touchée par le chômage, les difficultés de logement etd e transport, la violence, la drogue...

    Si la presse ne répond plus aux questions que la grande masse de la population se pose (et celle-ci n'est pas réductible au petit cercle des éditorialistes ou des utilisateurs des réseaux sociaux), si elle est dans la connivence ou, du moins, dans l'entre-soi avec les élites, il ne faudra pas s'étonner qu'elle batte de plus en plus de l'aile. Il faut se poser très vite quelques questions essentielles avant de verser des larmes de crocodile...