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retraite

  • La dissolution de l'Assemblée ou le pourrissement

    Plie mais ne rompt pas! Cette devise s'applique bien au gouvernement français au sortir d'une semaine éprouvante. Sur deux dossiers majeurs, il a dû affronter une forte tempête qu'il a niée avec une mauvaise foi flagrante.

    Mardi 7 septembre, il a fait face à une contestation sociale massive, sans doute la plus forte numériquement depuis 2007. La réforme des retraites cristallise un fort mécontentement : le passage de l'âge légal d'accession à la retraite de 60 à 62 ans, s'il est symbolique pour beaucoup de citoyens (puisque le nombre d'années de cotisation avec une entrée dans la vie professionnelle tardive les conduit à un départ à la retraite postérieur à 60 ans), apparaît comme un système injuste et inefficace. Injuste car il pénalise ceux qui ont démarré leur activité avant l'âge de 20 ans et qui ont souvent occupé des métiers pénibles physiquement. Que le pouvoir refuse de comprendre cette réalité toute simple qu'il est relativement facile de continuer après 60 ans son activité au chaud dans un bureau, mais beaucoup moins si on exposé au froid et aux vents est symptomatique d'une incapacité à prendre en compte les réalités du travail aujourd'hui. Avec ou sans ordinateur, avec ou sans Internet, il faudra toujours des travailleurs pour monter des parpaings, goudronner des routes ou fabriquer de l'acier. La pénibilité est consubstantielle à un certain nombre de métiers et doit être prise en tant que telle dans la loi; elle n'a pas à être prouvée par je ne sais quelle mesure du handicap, comme le prévoit le projet de loi actuellement en discussion.

    Cette mesure est également inefficace dans notre système économique marqué par un départ massif des séniors avant même l'âge de la retraite. Que signifie demander aux salariés de prolonger de deux années leur activité professionnelle alors même qu'on les déloge des entreprises souvent avant 55 ans? Sans changement dans l'attitude des directions des ressources (in)humaines - ce qui suppose de mettre en place un système contraignant -, la réforme aboutira à un transfert des charges des comptes de la retraite vers ceux du chômage. On réduira (peut-être) le déficit de l'assurance-retraite pour accroître celui du chômage. Cela justifiera ensuite une réforme de l'indemnisation des chômeurs, moins avantageuse pour ces derniers.

    Cette réforme injuste, insuffisante – pour régler le déficit abyssal des régimes retraite - et dépourvue d'ambition sociétale (la question de la retraite aurait pu être l'occasion d'une vaste réflexion sur l'organisation des temps dans la vie) ne passe pas dans l'opinion publique. Pour autant, elle sera adoptée sans gros problème par les deux chambres. La majorité invoque sa légitimité issue des élections pour faire passer cette réforme (qui n'avait pas été mentionnée de cette façon lors de la campagne de 2007) et va expliquer que le pouvoir ne peut céder à la pression de la rue. C'est sans doute vrai, mais il est tout de même problématique pour la crédibilité de nos institutions qu'un projet aussi critiqué que celui des retraites ne puisse pas faire l'objet d'une remise à plat. Pourquoi ne pas réfléchir à l'avenir à un système qui oblige le législateur à tenir compte d'un niveau élevé de contestation (par exemple avec un certain seuil de signatures)? Pourquoi, dans ce cas-là, ne pas proposer au vote des citoyens – par référendum – deux projets différents, l'un porté par l'opposition, l'autre par l'opposition? Le peuple est souverain, dit-on! Qu'il le soit vraiment sur les questions aussi controversées qui pourraient bien nous conduire à une situation de blocage.

    Un autre front de contestation, plus inattendu, s'est dessiné jeudi 9 septembre. Il est européen, cette fois-ci, et s'est matérialisé par le vote massif du Parlement contre la politique de renvoi systématique des Roms vers la Roumanie ou la Bulgarie. Pour Paris, c'est une vraie gifle car un tel vote est rare. Le dernier en date concernait l'alliance de la droite avec l'extrême droite autrichienne voici une dizaine d'années. Par-delà la situation grave faite à cette population européenne en grande difficulté, le Parlement de Strasbourg a exprimé une exaspération vis-à-vis des méthodes de Paris. La façon souvent cavalière dont le président de la République traite les institutions communautaires, sa propension à faire la leçon à tous nos partenaires, les effets d'annonce rarement suivis d'effets... le style Sarko agace au plus haut point nos amis européens qui y voient un retour de l'arrogance française. Celle-ci semble d'autant plus déplacée que la situation nationale en matière de déficits publics, de niveau de chômage et de pauvreté, de scandales politico-financiers devrait conduire notre pays à plus de modestie. Mais là, c'est peut-être trop en demander à l'hôte de l'Elysée...

    La réponse de l'exécutif au Parlement européen a été à peu près la même que pour le dossier des retraites: « circulez, y'a rien à voir ». Au motif que la politique d'immigration est de la responsabilités des Etats, les parlementaires européens n'auraient pas à donner leur avis sur celle-ci, même quand elle concerne la situation de citoyens européens. Paris propose une étrange lecture de la construction européenne qui suppose, pour avancer, des convergences de politiques. En plus, il s'expose à la vindicte des autres pays, pas toujours démocratiques, qui peuvent utiliser ce vote de désaveu de la France pour discréditer toute parole du Quai d'Orsay faite au nom des fameux droits de l'homme. De quoi faire la joie, par exemple du président iranien...

    Cette première semaine de septembre aura confirmé l'impression d'avant les vacances, celle d'un enlisement et d'un isolement du pouvoir. Il dispose bien sûr d'une majorité encore confortable au Parlement - même si les divisions commencent à se faire sentir. L'opposition ne dispose d'aucun moyen (légal) pour le renverser. Avec un exécutif aussi discrédité, toute réforme sérieuse s'expose à un tir de barrage du pays. Les risques de tension, de tentation violente de certains groupes ou de bavures dans des cités complètement livrées à elles-mêmes, vont s'accroître. Dans un tel contexte, la seule possibilité de sortir par le haut serait de convoquer de nouvelles élections après une dissolution de l'Assemblée. Chacun pourrait défendre ses options en matière de retraites et de choix de société; au peuple de trancher! Mais cela supposerait que le Président ait confiance en sa majorité et croit en sa capacité à renverser la vapeur dans l'opinion publique. Toutes conditions qui ne sont pas réunies actuellement. Voilà pourquoi le pourrissement de la politique française, avec ou sans nouveau gouvernement, va continuer son oeuvre. Inexorablement?