A un peu moins de deux ans de la présidentielle, voilà qu'une avalanche de sondages nous plonge déjà dans cette échéance. Tous disent la même chose: le président sortant peut être battu (ce que personne n'imaginait voici un an) et Dominique Strauss-Kahn est le mieux placé pour lui ravir la place. Une enquête de CSA pour LCP indique, le 4 juin, que DSK gagnerait largement la primaire socialiste avec 33% des suffrages contre 12% à Aubry et 10% à Royal. Notons que ce sondage concerne l'ensemble des Français et non les adhérents et sympathisants socialistes, seuls appelés à s'exprimer. Or, on sait que le directeur général du FMI a une bonne cote parmi les électeurs de droite, ce qui remonte mécaniquement son score.
Quittons la cuisine électorale pour essayer d'analyser cette candidature qui, si elle n'est pas déclarée, est déjà sur la table. Sur le papier, DSK a de nombreux atouts. Il est expérimenté (ministre, FMI) sans être trop âgé; il a une dimension internationale sans être déconnecté des réalités françaises (il a été maire de Sarcelles); il bénéficie d'un vrai réseau au sein du PS et de relais dans les médias et parmi les intellectuels; c'est un homme d'action tout en étant immergé dans le débat d'idées. Tout cela est vrai, et il serait malhonnête de le nier.
Pour autant, cette candidature pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. Essayons de nous projeter dans deux ans, quand le pays va s'exprimer. La situation sociale et économique française risque d'être calamiteuse: déficits record (malgré la comm' sur la réduction du train de vie de l'Etat), taux de chômage élevé, précarité et misère massives. L'Europe pourrait bien être encore engluée dans les suites de la crise 2008-2009, avec des problèmes de gouvernance toujours pas résolus. Sur le plan international, en l'absence de plan de paix au Proche-Orient (comment y croire à moyen terme?), l'isolement d'Israël pourrait être renforcé et l'Etat hébreu sera tenté d'alimenter sa tension avec l'Iran qui a également besoin de ce moteur pour exister. Les tensions politiques et commerciales avec la Chine, elle-même plongée dans une grave crise suite à la contraction de la demande internationale, pourraient s'aggraver. Pour Barak Obama, l'approche de l'élection présidentielle - qui pourrait être difficile vu la montée logique des mécontentements - devrait le conduire à se concentrer sur les enjeux intérieurs et à défendre bec et ongle les intérêts, réels ou supposés, des Etats-Unis.
C'est dans ce contexte (tout à fait possible) qu'il faut analyser la candidature de DSK, et non pas avec les lunettes de 2010 où le pouvoir est tellement discrédité et où l'éloignement de Paris pour le patron du FMI lui donne cette dimension d'homme providentiel qui sied tant au peuple français. D'ici là, Nicolas Sarkozy aura enfourché une nouvelle marotte, trouvé deux ou trois idées géniales pour faire meilleure figure. Et puis, la situation sociale mauvaise, voire calamiteuse, sera mise sur le dos de la crise internationale, donc attribuée à DSK. N'est ce pas Sarko qui a fait des pieds et des mains pour que l'ancien ministre de Jospin y soit nommé?
Début 2012, s'il est désigné par les primaires, DSK débarquera à Paris avec son habit de directeur général du FMI dont l'intervention aura été déterminante en Europe, en Grèce évidemment, peut-être demain en Espagne et au Portugal. Comme on le voit déjà chez nos amis hellènes, les solutions plus ou moins imposées par le FMI pour secourir des Etats proches de la banqueroute auront saigné les peuples. La colère face à l'injustice de sacrifices imposés aux plus modestes sera grande. Comment notre fringant patron du système financier international pourra-t-il se présenter devant les Français avec des solutions de gauche? Qui le croira, lui qui a mis en oeuvre des solutions libérales, proches du fameux et critiqué ajustement structurel qui a ruiné de nombreux Etats du Sud?
Cette candidature serait du pain béni pour la droite et la gauche radicale qui dénonceront, non sans raison, la duplicité des socialistes, partisans de l'intervention publique à Paris et de la dérégulation à New-York. Par ailleurs, celle-ci créerait des tensions fortes avec l'appareil socialiste comme on en a connu déjà en 2007. Comment croire, en effet, que l'ancien DG du FMI défende le retour de la retraite à 60 ans ou la forte taxation des dividendes et autres jeux spéculatifs qui seront au programme du PS. Ce n'est pas faire injure à DSK que de rappeler qu'il a plus d'entrées et d'amitiés dans les milieux patronaux que chez les camarades de la CGT. Ce n'est pas criminel, cela ne mérite pas le peloton d'exécution, mais cela augure mal de la nécessité d'avoir des dirigeants moins liés aux grands intérêts.
En tout cas, une chose est sure: une candidature DSK ne ferait que renforcer Mélenchon et Besancenot qui, à deux, pourraient atteindre les 12 et 15%. Au second tour, cela promet bien du plaisir au candidat « socialiste » pour rassembler toute la gauche, d'autant qu'il aura peu de réserves au centre, ayant largement aspiré cet électorat rassuré par la pragmatisme de DSK.
L'autre préoccupation de 2012 pourrait être écologique. Là dessus, on n'a jamais perçu beaucoup d'audace de la part de DSK, engoncé dans ses certitudes productivistes et pro-nucléaires. Là aussi, le report des voix écologistes pourrait ne pas être si évident.
Bien entendu, la logique de communication dont il est l'un des maîtres avec... Sarkozy et l'appui précieux dont il bénéficie de la part des dirigeants d'Euro RSCG (Fouks, Finkelstein) pourraient l'aider à gommer les incongruités de son parcours d'homme de gauche. Même si les vieux médias pourraient, après avoir joué la carte Sarkozy, se rabattre sur la candidature DSK, celui-ci devra faire face à l'interpellation des nouveaux médias (réseaux sociaux, blog...) qui ne sont prêts à gober facilement le repositionnement stratégique du grand argentier international devenu le porte-drapeau de l'alternance de gauche.
Commentaires
"Notons que ce sondage concerne l'ensemble des Français et non les adhérents et sympathisants socialistes, seuls appelés à s'exprimer. Or, on sait que le directeur général du FMI a une bonne cote parmi les électeurs de droite, ce qui remonte mécaniquement son score."
Sauf que tous les derniers sondages donnent également DSK très bien placés à gauche aussi...
"Et puis, la situation sociale mauvaise, voire calamiteuse, sera mise sur le dos de la crise internationale, donc attribuée à DSK."
Euh pourquoi ? Le FMI ne gère pas les Etats, il est chargé d'aider financièrement les Etats quand ceux-ci sont au fond du trou, faut tout mélanger...
"Comme on le voit déjà chez nos amis hellènes, les solutions plus ou moins imposées par le FMI pour secourir des Etats proches de la banqueroute auront saigné les peuples."
Déjà, c'est l'Etat grec qui propose les solutions. Puis quand un Etat est en faillite, faudra me trouver une solution qui ne fait pas mal pour l'aider ! Enfin, quand les Grecs votent pour des gouvernements qui truquent les chiffres et qui eux-mêmes ne paient pas leurs impôts et taxes, facile de mettre la charge sur le FMI :)
"lui qui a mis en oeuvre des solutions libérales,"
Encore une fois, le FMI ne fait pas la politique des pays. Il les aide en dernier recours, quand ces pays ne trouvent plus d'argent.
Pour la première fois, le FMI a accordé des prêts sans intérêt aux pays africains.
Pour la Grèce, le FMI a prêté à 3,5%, la France et l'Allemagne à 5% et les marchés à 10% environ.
Qui est le plus dur dans l'affaire ? Celui qui essaie d'aider ou le gouvernement qui a dilapidé l'argent ou fait de mauvais investissements avant ?
"la duplicité des socialistes, partisans de l'intervention publique à Paris et de la dérégulation à New-York."
Là encore, vous mélangez tout.
Le pire pour la gauche, c'est la dette, car la dette empêche un Etat d'intervenir. Elle lui ôte tous les moyens. La droite n'est pas gênée par la dette car elle considère que c'est au marché de s'autoréguler.
Pour la gauche, et DSK en particulier, réduire la dette est vital si on veut que l'Etat retrouve des marges de manoeuvre.
D'ailleurs, en 30 ans, le seul moment où la dette a baissé en France, c'est sous DSK.
Sans moyens, l'Etat ne peut pas financer la petite enfance, effectuer des nationalisations temporaires, réindustrialiser des sites, créer des poles universitaires, mesures toutes prônées par DSK
"Comment croire, en effet, que l'ancien DG du FMI défende le retour de la retraite à 60 ans ou la forte taxation des dividendes et autres jeux spéculatifs qui seront au programme du PS."
DSK défend la retraite à 60 ans pour les longues carrières et métiers pénibles et considère que sinon, il est normal de travailler plus longtemps, vu l'espérance de vie. Relisez le rapport du PS, il dit exactement la même chose.
DSK demande l'instauration d'une taxation bancaire pour alimenter un fonds global qui devra servir lors des prochaines crises, pour éviter d'utiliser les finances publiques la prochaine fois.
Il propose la création d'un fonds mondial également pour aider écologiquement les pays pauvres.
Il n'est pas contre la taxe Tobin ou autre nom, il dit simplement qu'elle a peu de chances d'exister un jour, donc qu'il faut trouver d'autres solutions en attendant. Pragmatisme.
"Ce n'est pas faire injure à DSK que de rappeler qu'il a plus d'entrées et d'amitiés dans les milieux patronaux que chez les camarades de la CGT."
Certainement, sauf qu'il connaît parfaitement tous les acteurs majeurs des principales centrales, il a très souvent négocié avec eux par le passé.
"En tout cas, une chose est sure: une candidature DSK ne ferait que renforcer Mélenchon et Besancenot qui, à deux, pourraient atteindre les 12 et 15%."
Pure spéculation. 27% pour eux deux réunis, faut pas abuser :)
DSK propose un programme équilibré, mais misant sur l'intervention de l'Etat pour réguler les injustices dès le départ, à la source (éducation notamment, formation, université/apprentissage renforcé). Il bloquera Bayrou, c'est une évidence.
Une Aubry/Royal/Mélenchon ratisserait à gauche mais aura toutes les peines du monde à attirer le centre au second tour, et donc perdra.