J -3. Avant que les sondages soient officiellement interdits de publication, essayons-nous à l'exercice des pronostics. Pas simplement par goût du jeu, mais par volonté (sans doute un peu prétentieuse) d'essayer d'anticiper sur le verdict de cette alchimie bizzare qu'est une campagne électorale. Bien sûr, les résultats de ce dimanche à 20 heures peuvent démentir totalement mes pronostics... Bon, ce préambule assez duré. Lançons-nous à l'eau au risque de prendre la tasse...
François Hollande : 27 %
Il arrive largement en tête du premier tour, ayant réussi à cristalliser sur sa candidature le fort courant d'opposition – voire de ras-le-bol – vis-à-vis du sarkozysme. Son talent a été de garder constamment le cap, sans répondre frontalement aux attaques du candidat sortant, voire à celles de Jean-Luc Mélenchon. Jamais, il n'a été déstabilisé. Un roc, ce Hollande ! Il a par ailleurs réussi à conserver l'unité des socialistes derrière sa candidature (à la différence de la cacophonie de 2007). A-t-il vraiment convaincu ? Pas toujours, notamment dans sa volonté de renégocier le traité européen ou dans sa capacité à rassembler largement de la gauche de la gauche au franges bayrouistes. On l'a trouvé également étrangement silencieux sur la politique étrangère (comme les autres candidats d'ailleurs). Il va devoir pendant l'entre-deux-tours persuader qu'il peut être autre chose qu'un Président par défaut. Vaste chantier pour que la probable victoire du 6 mai ne soit pas à la Pyrrhus...
Nicolas Sarkozy : 25 %
C'est un score très médiocre pour le Président, lui qui pensait doubler le candidat socialiste et flirter avec la barre des 30 %. Une partie des abstentionnistes (qui atteindrait les 28 – 30 % contre moins de 20 % en 2007) serait à chercher du côté des électeurs traditionnels de la droite qui décidément n'ont pas pu se résoudre à voter pour un Président qui l'a tant déçu voire choqué. Plus encore que le non-respect des engagements de 2007 (l'argument de la crise est jugé acceptable par cet électorat), c'est cette mise en avant permanente de sa personnalité, de son ego qui ne passe dans cet électorat. Pour avoir une chance de l'emporter, Nicolas Sarkozy devra, outre des bons reports au centre et à l'extrême droite, redonner à ces électeurs l'envie de reprendre le chemin des bureaux de vote. Agiter le chiffon rouge « socialo-communiste », comme pourrait être tenté de le faire l'UMP, ne suffira sans doute pas (d'autant que Hollande n'a pas le profil d'un dangereux gauchiste). Le Président sortant doit enfin expliquer quel destin collectif il propose aux Français pour les cinq ans à venir. Pendant les trois mois de sa campagne, il a surtout passé son temps à dissuader les Français tentés de l'aventure « Marine » de ne pas s'y risquer. Le résultat est fort mitigé et il doit en deux semaines faire tout ce qu'il a omis d'expliquer depuis février. Il a du pain sur la planche !
Marine Le Pen : 17 %
Le troisième homme de ce premier tour est... une femme. Même si J.-L. Mélenchon lui a taillé de sérieuses croupières l'empêchant d'être trop dangereuse pour N. Sarkozy, même si sa campagne a semblé s'essoufler sur la fin (elle manque encore de métier, elle apprendra... malheureusement), Marine Le Pen retrouve à quelques décimales près le score de son père en 2002 qui, pour le coup, avait été le 2e homme. L'état de décomposition de la société est tellement avancé dans certains pans ruraux (où elle pourrait faire des ravages ici ou là) et péri-urbains du pays que Marine Le Pen n'a eu qu'à ramasser la mise. Son profil plus « moderne », son souci d'éviter les saillies antisémites de son père et son attention aux questions sociales (si délaissées par le candidat sortant) lui ont permis de rallier de nouveaux électeurs souvent « paumés », sans aucune culture politique. Il serait intéressant de réaliser une enquête chez les électeurs FN de 18-35 ans et on serait sans doute surpris par leur absence de repères historiques.
Jean-Luc Mélenchon : 16 %
Sans doute sera-t-il déçu de ne pas avoir coiffé sur le poteau son ennemie frontiste. Mais l'autre leader d'un Front (de gauche, cette fois) a été la vraie révélation de cette campagne, même si les observateurs politiques n'ont pas été totalement surpris, connaissant depuis longtemps son énergie et son charisme impressionnants. Démarrant la campagne avec 7 à 8 % d'intentions de vote, il a doublé la mise en quatre mois. Jolie performance ! Jean-Luc Mélenchon a réussi à redonner un espoir dans un destin collectif parmi ce peuple de gauche qui se sentait depuis trop d'années oublié, méprisé voire humilié. Il leur a redonné une fierté. Pour autant, a-t-il dessiné un chemin politique. Pas sûr car les stratégies entre lui et l'appareil du PC (qui a joué le rôle de petite main sur le terrain) divergent. Surtout, celui qui a été le « Monsieur plus » de la campagne, balayant d'un revers de la main toutes les contraintes politiques (les solidarités européennes, la réduction des déficits) au nom d'une critique de l'impérialisme de la raison économique, devra en rabaisser dans ses exigences s'il ne veut pas être cantonné à la fonction tribunicienne qu'exerça si bien le parti communiste voici un demi-siècle. Mais en rabaisser n'est ce pas déjà manger son chapeau. Ce n'est pas le moindre des paradoxes du Front de gauche au lendemain de ce succès istorique : le plus dur commence dès lundi...
François Bayrou : 9 %
Il a fait à peu près le même chemin que Mélenchon, mais en sens inverse. Voici deux mois, Bayrou approchait les 15 % dans les intentions de vote et certains même le voyaient comme le seul candidat capable de battre Hollande le 6 mai. Pour le Béarnais, c'est un cruel atterrissage, et sans doute la fin d'un espoir fou d'être le Président de tous les Français. Et pourtant, il avait sur le papier tout pour réussir : l'impopularité record de Sarkozy, la reconnaissance de la pertinence de son thème de campagne de 2007 sur la réduction des déficits, une rénovation inaboutie du parti socialiste et l'absence de DSK au profil centriste... Mais ça a « foiré » ! Tout en reconnaissant les qualités morales de Bayrou, les Français ne pensent pas que le clivage gauche/droite n'a plus de pertinence. L'erreur de François Bayrou qui plonge ses racines dans son histoire néo-giscardienne est de ne pas avoir assez incarné l'objectif de justice sociale qui taraude la société. La rigueur, oui, la fin des mauvaises habitudes de gaspillage des deniers publics sans doute, mais le candidat du MoDem a oublié de répondre à la question: au service de quel projet ? Il a séduit les classes moyennes supérieures qui ont sans doute conscience des dangers pour la France, mais ont peu de souci à se faire pour leur propre avenir. en revanche, il est sorti totalement des radars de ceux (beaucoup plus nombreux) pour qui la situation est totalement inverse.
Eva Joly : 3 %
C'est le gros bide de la campagne ! Europe écologie les Verts était sur un nuage depuis son succès aux européennes et aux régionales. Mais une présidentielle ne s'aborde pas comme une addition de scrutins locaux. Il faut incarner le message qu'on veut porter. Chacun à sa façon, Hollande, Le Pen et bien sûr Mélenchon ont des personnalités cohérentes avec les idées qu'ils portent. Le fait de choisir une magistrate sans aucune culture écologiste pour porter les couleurs vertes (lire à ce propos le petit article dans "Le Canard enchaîné" de cette semaine où l'on découvre qu'elle n'a pas toujours été très écolo) ne pouvait que les amener dans le mur. Circonstance atténuante pour elle : en coulisses, le duo Dufflot-Placé s'activait pour dénicher, auprès des socialistes, des places au chaud pour les législatives (dont certaines pourraient être compromises par ce Tchernobyl électoral). Difficile dès lors de trouver des marges de manoeuvre pour la campagne de la pauvre candidate. Laquelle s'est sentie obligée en fin de course d'amuser la galerie avec un voyage en terres sarkozystes. Comme si c'était le sujet du moment. En même temps, ce n'est pas très grave puisque la planète pète la forme et qu'on n'a jamais autant parlé d'écologie que dans cette campagne...
Les 4 autres candidats : 3 % en tout
A priori, l'ordre devrait être le suivant : Nicolas Dupont-Aignan (courageux, mais un peu seul), Philippe Poutou (qui n'a toujours pas compris ce qu'il était faire dans cette galère... nous, non plus d'ailleurs), Nathalie Arthaud (qui aurait dû s'appeler Arlette pour espérer exister). Et nous garderons le meilleur pour l'extrême bas du classement, l'Ovni Jacques Cheminade. A 72 ans, après avoir atteint 0,1 %, son objectif devrait être désormais d'aller sur Mars. Pour lui, ce sera sans doute plus simple que de viser l'Elysée...