Que se passe-t-il dans la maison France ? Moins d'un an après le rejet d'un des Présidents les plus impopulaires et détestés de la Ve République, voilà que le chef d'Etat subit une crise de confiance à la fois très intense et précoce ! Pourtant, le style de François Hollande n'a rien à voir avec celui de Nicolas Sarkozy. Autant son devancier était brutal et imprévisible, assurant le spectacle dans des démonstrations de surenchère verbale assez épuisante, autant l'actuel locataire de l'Elysée est calme, méthodique, peu surprenant. L'un clivait, l'autre cherche des points de consensus, mais aucun ne convainc. D'où la question qu'on doit se poser : ce pays est-il encore gouvernable ou est-il condamné à renvoyer inlassablement les majorités sortantes ?
Les éléments qui plaident pour une réponse positive ne manquent pas. D'abord, nous sommes arrivés à un stade où le "toujours plus" qui a caractérisé notre société entre les années 50 et le début des années 2000 ne fonctionne plus. Dans un monde marqué par l'affirmation de nouvelles puissances, confronté à ses propres limites écologiques, les politiques sont davantage chargés de rassurer et de gérer les pénuries que de répartir les fruits du progrès. Sauf que - et c'est une première source de désamour -, la classe politique, sauf exceptions, continue de regarder les chiffres de la croissance avec les yeux de Chimène. On scrute le moindre indice d'une reprise d'activité, on est obsédé par la croissance américaine et asiatique. En axant tout sur une hypothétique reprise de l'activité mondiale, les dirigeants politiques se condamnent à décevoir et à renoncer à ce sur quoi ils s'étaient engagés de plus ou moins bonne foi. Si ce pays est devenu ingouvernable, c'est d'abord parce que la déception est inscrite dans le droit fil des promesses intenables.
Pour sortir du cycle espérance/désillusion qui caractérise la vie politique depuis 20 ans, il faudrait proposer peu, chiffrer les réformes avancées avec des hypothèses de croissance minimales mais par contre avoir le courage de faire ce sur quoi on s'est engagé. Promettre peu, mais le tenir ! Est-ce possible dans un pays qui a fait la Révolution et qui a coupé tant de têtes au nom d'un rêve qu'on n'arrivait pas à atteindre ? Il faudrait, dès lors, désacraliser l'élection mère de la vie politique, la présidentielle grâce à laquelle chaque camp croit, à tour de rôle, amener le changement. Non qu'il ne soit pas possible de faire évoluer des réalités (Mitterrand l'a fait et Sarkozy aussi à sa façon), mais le changement ne peut plus se conjuguer avec le "toujours plus" qui a caractérisé notre société pendant un demi-siècle. Peut-on encore améliorer les choses avec moins ou pas plus de ressources ?
Nous sommes rentrés, sans doute durablement, dans une période où le monde dit développé va se faire rattraper par les puissances émergentes, où les inégalités de richesses vont devoir s'amenuiser (sous peine de monde ingérable) et où la nécessité écologique va nous interroger de plus en plus sur l'association progrès = + de biens. Il faut donc réinventer totalement un dessein politique qui réoriente le cours des choses. Cela suppose d'avoir un pouvoir politique qui joue moins sur les ressorts de la mystique (ou de la magie) et plus sur le sens des resposnabilités de chacun. Par exemple, il faut ouvrir des débats (par exemple sur la fiscalisation des allocations familiales) non pas pour régler ponctuellement tel ou tel déficit, mais pour repenser les conditions d'un projet politique. Avec quelques boussoles en mains : Qu'est ce qui est important, ce sur quoi on ne peut toucher ? Quels acquis d'hier peuvent être remis en cause sans que la justice sociale ne soit atteinte ?
Et François Hollande dans tout ça ? Peut-il retisser les fils de la confiance ? Pour espérer rebondir, il doit rompre avec une méthode (la recherche du plus petit dénominateur commun) qui avait une utilité après 5 ans de sarkozysme débridé, mais qui 10 mois après son élection, s'essouffle terriblement. Le Président doit dire ce qu'il est possible de faire avec une croissance quasi nulle et un chômage record. Un certain nombre de réformes sociétales, sans doute souhaitables, devraient être reportées à plus tard pour qu'on se concentre sr ce qui est vital pour des millions de Français : avoir un boulot, des perspectives, des possibilités de se loger, de se soigner et d'éduquer ses enfants. A la lumière de la situation extrêmement grave de notre pays, il n'est pas sûr qu'on puisse se permettre encore des semaines de mobilisation autour du "mariage pour tous". Mais François Hollande peut-il enfin définir des priorités tenables au risque de décevoir tel ou tel segment de sa clientèle ? Le courage en politique est un pari électoral courageux !