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Triste gauche...


Semaine après s
emaine, la gauche gouvernementale n'en finit pas de ruiner le peu de crédit dont elle dispose encore. Ces derniers jours, ce furent successivement un découpage régional hallucinant (associant, par exemple, sur un même territoire Angoulême et Dreux) obéissant aux caprices des barons socialistes ; une nomination d'une libérale bon teint comme conseillère économique auprès de Hollande ; l'arrivée annoncée de Jacques Toubon au poste de Défenseur des droits (Pourquoi lui avec ses diverses casseroles ? Quelle contribution à la défense des droits ?) et puis, cerise sur le gâteau, l'annonce d'une révision d'une loi (Alur) à peine promulguée alors même que la cherté du logement est sur toutes les lèvres.

Que se passe-t-il au coeur du pouvoir ? Les observateurs ont tendance à faire porter le chapeau entièrement sur François Hollande. L'homme serait inadapté à l'exercice du pouvoir, incapable de trancher et changeant inlassablement de point de vue. Ses mots n'auraient plus aucune portée sur les Français qui oscilleraient entre indifférence et colère. Les reproches sont, en grande partie, justifiés, même si, en politique internationale, il n'a pas été toujours dans l'erreur. Pour autant, se contenter de trouver le bouc-émissaire idéal ne permet de comprendre l'ampleur de la décomposition politique. Le mal est plus profond et mérite d'être analysé. Trois grandes causes peuvent être identifiées. 

D'abord une grande paresse intellectuelle. Autour de François Hollande, gravitent des tas d'experts et d'intellectuels. Ce gratin présente deux grands défauts : il est globalement déraciné de la question populaire et des réalités régionales. Ces intellectuels défendent globalement la vision d'une mondialisation heureuse. Ils sont les porte-voix d'une classe sociale largement minoritaire en nombre, mais très influentes dans la société qui vit dans les centres cossus des grandes villes, voyage, aspire à une qualité de vie et n'a plus trop conscience des inégalités. La question des banlieues et des territoires ruraux menacées de désertification a été globalement minorée dans la campagne de François Hollande et ce n'est pas par hasard si le Front national réalise là ses meilleurs scores. Le second défaut que subissent ces intellectuels, c'est qu'ils sont instrumentalisés par le pouvoir socialiste. On les expose, on s'affiche avec eux pour étoffer son programme, mais on s'en détourne dès que le vent tourne et que les critiques ne sont plus audibles par le pouvoir. Dans l'opposition, on réfléchit (un peu) et une fois au pouvoir, on arrête de cogiter, de confronter des points de vue. Il n'y a qu'une politique possible, celle que soufflent des conseillers (souvent liés au monde de la finance) et les experts de l'opinion publique.

D'autre part, et les deux sont liés, la gauche est dans une panne programmatique profonde. La paresse intellectuelle fait qu'on continue à penser qu'une croissance à 2 points va revenir ("elle arrive", nous dit incessamment le Président) et qu'ainsi nous allons résoudre la question du chômage. Que fait-on quand la croissance se traîne autour de zéro ? Comment sortir du non-emploi ceux qui s'y sont habitués ? Une fois qu'on a épuisé les maigres outils que sont les emplois d'avenir (pâle resucée des emplois jeunes des années Jospin) et la Banque publique d'investissement, on se tourne vers les bonnes vieilles recettes libérales. C'est bien connu : si la France a un taux de chômage si élevé, c'est en grande partie parce que les entreprises sont pénalisées par les charges qui les privent de compétitivité internationale. Là encore, par paresse, la gauche oublie de différencier les entreprises. Il pourrait être utile de baisser drastiquement les charges de petites entreprises émergentes ou de celles de l'économie sociale et solidaire, qui ont le souci du développement local. Mais quel intérêt cela peut-il avoir pour le pays si cette mesure s'applique à de grosses multinationales qui font des bénéfices prodigieux et n'hésitent pas à délocaliser ?

La gauche au pouvoir renonce à toute pensée complexe : il faut des slogans simples, des marottes à agiter, sans se soucier des conséquences à long terme. C'est vrai pour la politique de l'offre tout comme pour la réforme territoriale qui ne s'appuie sur aucune étude prospective sérieuse. Et puis, se sentant fragilisée - car sa doctrine est trop faible face à la complexité du réel - la gauche finit par abandonner tout principe de... gauche. Elle cède à tous les lobbys, même sans mener bataille. Qu'importe si le raisonnement est d'une faiblesse abyssale (exemple : le logement est en crise ; c'est donc la faute à une loi pas encore appliquée dont les acteurs auraient anticipé les effets jugés négatifs) ! Il faut trouver des cibles faciles à identifier qui expliquent la situation actuelle et trouver des raisons de l'incapacité de la gauche à reformer en profondeur. Un jour, ce sont les élus trop nombreux et qui se marchent sur les pieds ; un autre, les intermittents qui coûtent trop cher ; un troisième, la loi d'une ministre écolo idéologue...  

Le dernier problème majeur a été révélé lors des municipales. Les élus locaux, même si leur dévouement et leur bilan n'ont rarement été contestés, se sont coupés progressivement de la population. Loin de l'esprit du socialisme municipal des années 80 et 90, ils sont eux aussi devenus des professionnels de la politique gravitant dans les appareils et, pour beaucoup, n'ayant jamais eu une vraie activité professionnelle. Au fil des mandats, ils ont quadrillé le territoire avec un tas de centres sociaux, d'animateurs et d'associations plus ou moins instrumentalisées. La gauche municipale avait construit sa force dans la contestation du pouvoir des notables, sur une pratique politique faisant remonter les besoins locaux et essayant de construire des réponses collectives. Elle est devenue là aussi gestionnaire des intérêts locaux, plus soucieuse de gérer une clientèle que d'inventer de nouvelles façons de faire de la politique municipale.  

Le discrédit du pouvoir central a fait croire, sans doute de bonne foi, que celui-ci était entièrement responsable de la Bérézina municipale (lire mon précédent post). Explication trop facile qui oublie des raisons locales : usure des équipes, manque de renouvellement des idées, fatigue du collectif, logique de concentration du pouvoir autour d'un seul personnage... La présidentialisation du pouvoir national a déteint fortement sur la façon d'exercer des mandats locaux. Là encore, sur le terrain si important, la gauche a déserté ses responsabilités en refusant de s'attaquer aux institutions de la Ve République. 

A ce stade du raisonnement (que d'aucuns trouveront cruel,voire unilatéral), se pose la question : un sursaut est-il possible ? Par-delà les inflexions ou changements politiques (qu'un tiers au moins du groupe socialiste à l'Assemblée juge indispensable), un point qu'on peut juger anecdotique me semble important. Les politiques doivent donner envie : envie de s'engager, envie de tordre le cou aux fatalismes, envie de chercher des solutions aux impasses actuelles... Quel ministre, aujourd'hui, donne envie d'y croire ? On a plutôt le sentiment que chacun répète des éléments de langage soufflés par l'Elysée ou Matignon. Croient-ils à ce qu'ils professent ? Ils font le job, simplement, avec plus ou moins de brio. Mais toute flamme, tout enthousiasme a disparu, laissant le pays dans une sorte d'interrogation sur son destin collectif. Triste gauche, décidément...

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