Semaine après semaine, mois après mois, la politique creuse gentiment sa tombe. Tous les repères, tous les espoirs, toutes les bornes sont anéantis les uns après les autres, sans qu'un sursaut se manifeste et transcende les clivages habituels.
Dans cette oeuvre de destruction méthodique, il faut bien reconnaître que les deux derniers Présidents de la République (l'actuel et le précédent) occupent une place de premier choix. Chacun
sa partition, son style, dirait-on, mais Nicolas Sarkozy comme François Hollande sont les premiers responsables de la crise de confiance qui saisit l'ensemble de la classe politique.
Le premier, rappelons-le, au moment où certains veulent lui faire endosser les habits de sauveur de la République, a rabaissé la fonction à celle de publiciste ou de VRP. Toute idée politique n'était avancée qu'à l'aune de sa popularité réelle ou supposée. En quelques années, l'homme a pu ainsi fricoter aussi bien avec les idées d'Edgar Morin que de celles de Charles Maurras, mettre en avant le courage d'un résistant communiste comme Guy Môquet et avoir pour conseiller, un homme d'extrême droite comme Patrick Buisson. Après avoir canalisé le vote Front national en 2007, il a réussi à lui donner une nouvel élan en mettant sur le tapis tous les thèmes qui assurent son succès : l'identité nationale, l'obsession sécuritaire, l'anti-intellectualisme, etc. Il a mis en scène tous les épisodes de sa vie personnelle, confondant le poste de Président et celui d'un (mauvais) acteur d'Hollywood. L'énergie incontestable qu'il a mise dans l'exercice de son pouvoir ne peut cacher la profonde vulgarité et le mercantilisme à tous les étages.
Voulant prendre le contre-pied systématique de son prédécesseur, François Hollande s'est fait élire sur l'étiquette d'un "Président normal". Le malentendu a commencé avec cet affichage assez mensonger. Comment penser qu'un homme "normal" puisse se glisser dans les habits d'un monarque républicain, comme l'ont dessiné les institutions de 1958 (en pleine guerre d'Algérie) ?
Ne comprenant pas que l'élection du 8 mai 2012 lui imposait de fendre l'armure et de se défaire de ses années de chef du PS, Hollande s'est enferré dans sa méthode des années Solférino : absence de décision, refus d'engager de vrais débats, consensus de façade... Il est apparu comme le meilleur exemple de l'impuissance en politique. Il annonçait le retour de la croissance (contre l'avis de la plupart des économistes) et nous voilà dans la déflation ; il s'engageait à inverser la courbe du chômage et elle s'est, au contraire, accélérée ces derniers mois ; il s'engageait à instaurer une République exemplaire et a fait ministre trois personnages (au moins) dont le rapport à l'argent est peu éthique (Jérôme Cahuzc, Yasmina Benguigui, ThomasThévenoud). Une partie de ses copains de la promotion de l'ENA a été placée aux rouages de l'Etat et le critère de la compétence a bien souvent été balayé par les moeurs de cette "République des copains et des coquins".
Survient l'ouragan Trierweiler. On pense ce qu'on veut de ce livre (pour lequel il n'est sans doute pas utile de consacrer 20 euros), mais on doit s'interroger sur son immense succès populaire. Bien entendu, après des années de voyeurisme télévisuel et de succès de la "presse de caniveau", il n'est pas étonnant que le déballage élyséen passionne autant. Cependant, cette explication ne suffit pas. Il y a, dans cette déferlante, une volonté de comprendre qui est François Hollande, de quelle pâte il est fait. Il y a, je crois, une incompréhension totale vis-à-vis de cet homme placé aux plus hautes fonctions et empêtré dans un triangle de femmes : la mère des enfants - compagne et rivale en politique ; la maîtresse délaissée - qui se rêvait conseillère en politique - et la jeune comédienne qui ne se mêle pas (officiellement) de politique.
Une bonne partie de l'opinion publique se demande comment on peut avoir une vie sentimentale si agitée et espérer sortir notre pays des difficultés dans lequel il se trouve. Qu'un livre apparemment médiocre rencontre un tel succès en dit long sur l'image que de nombreux Français - dont certains sont tentés par une expérience "Marine Le Pen" - ont de nos dirigeants. Ces derniers ne paraissent intéressants ni pour leurs idées politiques (on les cherche souvent), ni pour leurs valeurs (qui semblent souvent à géométrie variable), encore moins pour leurs résultats (souvent inexistants).
Les politiques intriguent, captivent, amusent parce qu'ils apparaissent comme des acteurs parfaits d'un théâtre d'ombres. Puisque les hommes politiques se jouent de nous, nous faisant croire en des politiques qu'ils renoncent à mener, nous allons rigoler de leurs malheurs et les ridiculiser. Ce sentiment qui monte dans un pays ultra-morose peut nous faire redouter une triste fin pour ce mauvais film...
Commentaires
En ce qui me concerne, le passage d'Hollande au pouvoir m'aura appris une chose : il faut changer de constitution, passer à une 6ème République. Franchement, je ne connais pas précisément les propositions de mon propre part (EELV) sur le sujet (promis, je vais aller les voir de ce pas !). Mais on ne peut pas continuer comme si de rien n'était avec un système où un homme, un seul, élu président à mon sens un peu par hasard, parce qu'il était là, donne le "la" de la gestion du pays pendant 5 ans.
Comme dit le proverbe : on voit le maçon au pied du mur. A l'épreuve du pouvoir, Hollande se révèle sans charisme, sans vision, sans convictions intellectuelles fortes ; on aurait eu besoin d'un De Gaulle de gauche, on se retrouve avec un chef de bureau apeuré.
Mais ce ne serait pas si grave si le président ne disposait pas d'un tel pouvoir, si, comme c'est le cas, on ne pouvait pas le déboulonner de son poste et le renvoyer dans son département. Au fond, malgré les apparences, en glissant mes bulletins dans l'urne en 2012, je n'ai pas voté pour Hollande, j'ai voté pour la gauche, en particulier pour le PS à qui je faisais une certaine confiance et pour qu'une équipe de gauche dirige le pays. Dit autrement, ce qu'il faudrait dans notre situation, c'est que les députés socialistes puissent démettre le président en poste, et le remplacer par une équipe, un gouvernement issus de leurs rangs qui exercerait le pouvoir. Il faut sortir de ce système monarchique qui nous fait courir des risques insensés et aller vers un exercice du pouvoir beaucoup plus collégial, vers une équipe : s'il y en a un qui sort des rails, les autres prennent le relais. Je fais de la politique fiction, mais dans les grandes lignes, c'est vers ce schéma que nous devons évoluer, à gauche. A défaut, on est dans la descente aux enfers, la "chronique d'un échec annoncé" que nous connaissons.
Cela dit, il y a peut-être moyen d'éviter la cata en cours, mais c'est un autre sujet...