Ces derniers jours, une décision de la justice française n'a pas eu le retentissement qu'elle aurait mérité. La Cour de cassation a, en effet, ouvert la voie à une enquête indépendante dans l'affaire des biens mal acquis. De quoi s'agit-il? Trois ONG françaises (Transparency International, Sherpa et le Comité catholique contre la faim et pour le développement - CCFD) ont déposé en 2007 une plainte contre trois présidents-dictateurs africains qui auraient détourné une partie des richesses de leur pays pour acquérir des biens considérables notamment en France.
Selon l'enquête de la police française, la famille Bongo (à droite sur la photo), maître du Gabon, aurait ainsi accumulé 39 propriétés et 70 comptes bancaires; la famille Sassou N'Guesso (au centre), du Congo-Brazzaville, aurait acquis 18 propriétés et détiendrait plus de 100 comptes bancaires; quant à l'équato-guinéen Teodora Obiang N'Guema, le plus sanguinaire des trois, son butin est moins impressionnant avec une propriété, un compte bancaire et huit voitures de luxe (représentant plus de quatre millions d'euros).
Jusque-là, les juridictions françaises avaient sagement bloqué l'avancée de la justice, les trois accusés faisant jouer de leurs multiples moyens de pression pour bloquer les enquêtes. On se souvient de la façon dont feu Omar Bongo avait obtenu le limogeage de Jean-Marie Bockel, coupable d'avoir mis en cause la Françafrique - cette imbrication politico-mafieuse de grandes entreprises françaises et des élites nationales des ex-pays colonisés avec la bénédiction de l'Elysée. Les présidents indélicats invoquaient notamment le néocolonialisme pour discréditer toute volonté de la justice française de s'intéresser aux comptes de présidents de pays souverains.
En validant la possibilité pour Transparency International de se constituer partie civile dans cette affaire des biens mal acquis, la Cour de cassation reconnaît le rôle essentiel des ONG dans la dénonciation des malversations des dirigeants du monde. Elle ouvre un champ immense pour l'action citoyenne contre les enrichissements particulièrement éhontés de certains dirigeants des pays pauvres. Il serait souhaitable que d'autres actions soient engagées contre d'autres dictateurs indélicats pour que le soupçon de néocolonialisme s'évapore.
Alors que peut donner cette action en justice? Le scénario le plus optimiste verrait la France appliquer l'arrêt suisse Abache, du nom d'un ancien dictateur nigérian dont la fortune accumulée en Suisse a été rétrocédée à son pays. Bien entendu, les obstacles ne vont pas manquer et l'affaire ne pourra pas déboucher avant deux ou trois ans. On peut supposer que tous les réseaux, y compris maçonniques, vont être mobilisés pour entraver l'action de la justice. Il sera d'ailleurs intéressant de noter l'identité du futur ministre (ou secrétaire d'Etat) du gouvernement français pour connaître les intentions de l'entourage de Nicolas Sarkozy: le pouvoir mettra-t-il tout en œuvre pour bloquer, ou tout du moins ralentir, l'établissement de la vérité ou au contraire, restera-t-il dans une prudente neutralité?
En tout cas, cet arrêt de la Cour de cassation jette une petite pierre dans le jardin si protégé des puissants du monde. Il montre que l'impunité à tous les faits de corruption et de détournement des fonds publics n'est pas complètement garantie. Si cela pouvait inquiéter un tant soi peu les truands qui hantent les palais officiels, l'action de la justice française n'aurait déjà pas été inutile, quelle que soit l'issue de l'affaire des biens mal acquis.