Voici quatre ans exactement, j'avais écrit un éditorial pour l'hebdomadaire dont j'étais alors le rédacteur en chef. En le relisant, j'ai le sentiment que la façon dont Nicolas Sarkozy, qu'il soit ministre de l'Intérieur ou président de la République, conçoit le débat politique n'a pas beaucoup avancé. Ecrit voici quatre ans, ce texte caractérise bien la stratégie élyséenne lors de cet été marqué par le discours de Grenoble et la honteuse diabolisation des gens du voyage. Il est tout de même désolant que Nicolas Sarkozy n'ait pas changé de ton et de stratégie en devenant le président de tous les Français...
L’intimidation selon Sarko
Une drôle d’ambiance règne dans ce pays, à peine sorti du farniente estival, mais entré depuis longtemps dans une interminable précampagne. Tous les jours ou presque, un homme, ministre d’État, en charge de l’ordre intérieur, crée une sérieuse pagaille. À chaque intervention, il nomme un problème, désigne des coupables et affirme qu’il va s’en occuper. À chaque fois, il se dit en phase avec l’opinion publique, ce que des sondages commandés par des médias suivistes confirment instantanément. Depuis sa fracassante rentrée politique lors de l’université d’été de l’UMP, Nicolas Sarkozy lance une bombinette à intervalles réguliers. Certaines fois, il s’agit de masquer un échec plus ou moins patent de son action. La dernière « affaire » en date concerne sa polémique avec le tribunal de Bobigny. La ficelle, cette fois, est un peu grosse. Un rapport du préfet de Seine-Saint-Denis, nommé récemment par Sarkozy, sort dans la presse. Celui-ci tente d’expliquer les raisons de la hausse de la criminalité dans ce département – plus de 7 % depuis début 2006. Le préfet parle notamment du manque d’effectifs dans certaines zones sensibles du « 9.3 ». Qui est responsable de cette pénurie ? Les professionnels de la justice ou le locataire de la place Beauvau ? Puisque la meilleure défense, c’est l’attaque, ledit ministre met en cause les juges pour enfants de Bobigny, qui n’auraient pas « le courage de [les] mettre en prison ». Une accusation totalement infondée : un rapport officiel montrait en 2005 une forte croissance des mesures de placement en détention de mineurs à Bobigny. Le ministre de l’Intérieur a beau mentir de façon éhontée, un sondage publié le lendemain semble lui donner raison : selon 77 % des personnes, « la justice n’est pas assez sévère avec les jeunes délinquants ». Le tour est joué : les magistrats qui, avec raison, ont protesté contre ces propos méprisants, seront beaucoup plus hésitants, la prochaine fois, avant de donner de la voix… La stratégie de l’intimidation est au cœur des manœuvres sarkoziennes. Sur la question des retraites, sur celle des régularisations de sans-papiers où la fermeté (et l’arbitraire) l’ont largement emporté sur la prise en compte des détresses, sans oublier la carte scolaire, le ministre disqualifie d’avance le jeu démocratique.
Puisque lui seul sent les aspirations populaires, puisque lui seul veut s’attaquer aux rigidités françaises, puisque lui seul agit, ceux qui le contredisent sont des idéologues bavards, des conservateurs et, finalement, des irresponsables. On aboutit dès lors à ce dangereux paradoxe : les débats que Nicolas Sarkozy entend ouvrir « sans tabou » risquent d’être vite refermés puisqu’à l’écouter, les politiques devraient surtout enregistrer les demandes de l’opinion publique. Comment, en renonçant à toute réflexion prospective, avancer sur les enjeux démographiques – qui devront dé-boucher sur une vraie politique d’immigration –, sur l’Europe politique – qui sup- pose de la distance vis-à-vis des États-Unis – ou bien sur l’impasse écologique – qui doit nous conduire, par exemple, à reconsidérer la place de la sacro-sainte voiture ? Avec cette façon de faire de la politique, on est condamné à multiplier les boucs émissaires – donc les haines – et à déboucher sur l’inertie politique.
La question qui est posée à la gauche et au centre de François Bayrou est la suivante : ont-ils pris la mesure de la dictature de l’opinion publique qu’impose le chef de l’UMP ? Sont-ils prêts à mettre sur la table des propositions qui, actuellement, semblent minoritaires, mais pourraient faire leur chemin ? Ce serait l’honneur du combat politique que d’emprunter des voies totalement différentes de celles que laboure Sarko.
Septembre 2006