Je viens de lire le livre de Véronique Vasseur, Le panier de crabes - les dessous des campagnes électorales, qui sort ces jours-ci. Véronique Vasseur, pour ceux qui l'auraient oublié, est cet ancien médecin-chef de la prison de la Santé, à Paris, qui avait dénoncé voici une dizaine d'années le scandale sanitaire du milieu carcéral. Cette militante de l'Observatoire international des prisons raconte sa "cavale en politique", autrement dit ses deux années de militantisme à l'UMP, entre 2006 et 2008, et ses deux candidatures aux législatives et aux municipales à Paris. Ce qu'elle décrit est absolument terrifiant, non parce qu'il y aurait scandales et malversations, mais par les rapports humains qui se nouent dans le monde politique.
Si elle est venue à l'UMP, ce n'est pas par adhésion au corpus idéologique de l'UMP (elle serait plutôt une gaulliste de gauche, si le terme a encore un sens), mais par fascination pour le candidat Sarkozy, sa volonté de faire bouger la France, y compris dans le monde carcéral bloqué de toutes parts. Sans qu'elle ne demande rien, on lui met la pression pour être candidate du parti sarkozyste et, non sans hésitations, elle se lance dans la bataille. Et alors commencent un engagement à cent à l'heure (distributions de tracts, réunions d'appartement ou publiques, permaneces) et des obstacles en veux-tu en voilà...
D'abord, "l'ex-roi" comme elle l'appelle, Jacques Toubon, ancien député-maire du 13e, à l'époque député européen, passe son temps à lui savonner la planche pour éviter qu'elle réussisse à s'implanter localement et qu'elle lui fasse de l'ombre. Des ambitieux peu actifs sur le terrain font des pieds et des mains pour être son suppléant puis pour figurer en bonne place sur la liste des municipales. Leur tentative étant infructueuse, ils vont tenter de saboter sa campagne en répandant des vilénies sur son compte. La fédération de Paris et le siège national sont aussi passablement égratignés pour lâcher dans la fosse aux lions une candidate issue de la société civile sans véritable soutien. Quant au Parti radical auquel elle adhère, il va finir par l'exclure suite à son refus d'intégrer sur sa liste certains de ses "militants" peu recommandables. Quant au débat politique, elle le juge très souvent au ras des paquerettes ou des crottes de chiens qui, comme chacun le sait, sont légion sur le bitume parisien.
Après son élection comme conseiller de Paris en mars 2008, elle envoie sa lettre de démission en expliquant qu'elle "ne se retrouve pas dans le spectacle pitoyable des bagarres dissidentes, des ego contrariés, du contexte national difficile, des alliances contre nature qui ont pollué et dénaturé le débat démocratique devenu inaudible". Dans son épilogue, elle n'en reste à son amertume d'avoir eu le sentiment de perdre son temps, et tire des enseignements qui, à mon avis, intéressent de près ou de loin tous les partis:
1/ "Les campagnes électorales à l'ancienne deviennent dépassées". Les tracts finissent le plus souvent à la poubelle et ne convainquent que ceux qui le sont déjà; les affiches électorales sont déchirées ou lacérées. "A mon sens, la profession de foi, des affiches sur le spanneaux officiels et de grands débats contradictoires entre concurrents sur des sujets précis suffisent amplement à un processus démocratique serein."
2/ "Les esprits indépendants et libres, on n'en veut pas". Elle avait trouvé comme slogan de campagne: "La vérité, c'est mon combat" que Toubon n'avait pas jugé très politique. Elle montre bien que le monde politique est fermé aux nouvelles personnalités. Deux solutions se présentent alors: soit les nouveaux venus adoptent les us et coutumes et alors leur originalité, leur fraîcheur ne servent plus à grand-chose; soit elles tentent de bousculer, de rester fidèles à elles mêmes et les conflits, les contradictions deviennent vite inextricables. Véronique Vasseur a tiré sa révérence, comme le font régulièrement des milliers de militants, à l'UMP, au PS ou ailleurs, insatisfaits de la qualité des débats, des jeux de pouvoir (pour des enjeux souvent minuscules) et du déphasage avec les attentes de la société.
Par-delà l'originalité de la situation (une pourfendeuse de l'entassement dans les prisons soutenant un candidat qui veut les remplir), ce livre, percutant, drôle parfois, amer toujours, pose, des questions intéressantes sur les pratiques politiques. Intéresser des citoyens à la vie des partis suppose que ceux-ci changent. Vite et en profondeur.
Véronique Vasseur, Le panier de crabes - les dessous des campagnes électorales, Flammarion, 258 p., 19 euros.