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  • Conflit social: qui a "gagné"?

    Voici deux semaines que le conflit social autour de la réforme des retraites s'est emballé. Alors que la loi degrève retraite.jpgvrait être votée dans deux ou trois jours par le Parlement, un premier bilan peut être esquissé. Certes, le mouvement est loin d'être terminé, les blocages de raffinerie, malgré les réquisitions des pouvoirs publics, se poursuivent, entraînant une pénurie partielle de carburant. Mais, on sent bien, à la faveur des vacances scolaires, très opportunes pour le pouvoir, et la fin du feuilleton législatif, que la protestation sociale va baisser d'un niveau. Que retenir de cette rentrée sociale particulièrement agitée? Trois enseignements peuvent être tirés:
     

    1/ Le pouvoir n'a rien cédé.

    En France, il est tout à fait nouveau qu'un mouvement social aussi important dans la durée et par la mobilisation populaire (sans doute plus de cinq millions de personnes ont, à un moment ou un autre, manifesté contre le projet de loi) ne donne aucun débouché politique. Le joli mois de mai (68) s'était traduit par des accords sociaux importants (sur les comités d'entreprises, la revalorisation des salaires) sans oublier la réforme de l'université. L'importante mobilisation des cheminots en 1995 avait conduit à l'abandon du projet de réforme des régimes spéciaux pour les retraites (déjà!). Le mouvement anti-CPE de 1996 avait abouti à sa non-application, malgré l'adoption du Contrat première embauche par le Parlement. Cette fois-ci, à part de très minces aménagements pour les mères de famille et les parents d'enfants handicapés, le pouvoir n'a rien lâché. On pouvait, par exemple, penser qu'il a lâché du lest sur le départ à 67 ans pour les personnes qui ont eu des carrières en dent de scie car il apparaissait choquant que des travailleurs déjà peu gâtés par la vie dussent trimer si longtemps. Dans une posture à la Thatcher, le Président a affiché sa détermination, imposant même au Sénat si jaloux de son indépendance, une accélération de l'examen du texte. Est-ce que cette fermeté sera analysée comme un élément positif, traduisant une capacité à résister à la pression extérieure, ou, au contraire, comme un entêtement fâcheux synonyme de refus de dialoguer? Il est encore trop tôt pour répondre à cette question, mais on observera qu'au moment le plus critique – montée de la pénurie d'essence, mobilisation massive des lycéens avec ici ou là des débordements ultra-violents – les Français ont continué à exprimer un soutien très large à ces grèves qui, pourtant, compliquaient les conditions de vie des gens, en compromettant certains départs en vacances.

     

    2/ Le mouvement social est resté uni de bout en bout.

    Même si la fin de conflit pourrait se faire dans la désunion, on notera que pour la première foisleaders syndicaux.jpg depuis bien longtemps, le front syndical est resté soudé, malgré les différences évidentes de sensibilité, par exemple entre Solidaires et la CFDT. Cette centrale qui n'a reçu aucun gage de la part du pouvoir a fait le choix du conflit jusqu'au bout, ce qui marque une vraie évolution dans la culture cédétiste sensible à l'idée du compromis. Le pouvoir aura donc réussi à radicaliser le syndicat le plus réformiste et à ne pas isoler les éléments les plus radicaux qui, par leur attitude responsable, ont gagné en crédibilité. Le pouvoir espérait par ailleurs exacerber les tensions au sein de la CGT entre une direction plutôt ouverte au compromis et privilégiant un accord solide avec la CFDT et certaines fédérations prêtes à en découdre et à se rapprocher de SUD. Sauf évolution de dernière heure, il n'en a rien été et cela marque un échec pour la stratégie de division tentée par le pouvoir sarkozyste. A l'avenir, toute volonté de réforme jugée libérale sera sévèrement combattue par un front syndical qui, malgré sa défaite sur le papier, a marqué des points pendant ces semaines de mobilisation.

     

    3/ La gauche a été très présente, mais pas toujours convaincante.

    De bout en bout, les partis de gauche ont collé au mouvement social, participant à toutes les manifestations et ne faisant aucun commentaire sur la gestion du conflit. C'est la preuve d'un vrai respect de l'autonomie des militants syndicaux. Pour autant, la gauche est restée peu loquace sur les solutions qu'elle propose pour sauver les retraites. Celle-ci a louvoyé entre une négation du problème (certains affirmant que la question démographique n'est pas si grave que cela...position irresponsable) et le flou autour des propositions. On n'a toujours pas compris si le PS est favorable à l'allongement de la durée de cotisation (ce qui semble être la position majoritaire) ou au maintien du nombre d'annuités avant les réformes Balladur-Fillon. La radicalité de l'affrontement entre la rue et le pouvoir a masqué le manque de clarté de la gauche sur cette question. Certains objecteront que le PS a élaboré un contre-projet, mais on s'étonnera tout de même qu'il ne l'ait pas mis plus en avant. Sans doute parce qu'il aurait été jugé trop modéré par un mouvement social dont une partie a décidé, dans un élan de générosité pas toujours responsable, de faire fi de toutes les contraintes de l'environnement international. Le retour sur terre risque d'être un peu difficile...

     

     

  • Le grand saut vers l'inconnu

    Rarement semaine ne s'est annoncée avec autant d'incertitudes pour le gouvernement que celle qui démarre ce lundi 11 octobre. Une troisième journée de grève générale depuis la rentrée est prévue ce mardi dans tout le pays, qui, à la différence des deux précédentes en septembre, pourrait être suivie d'un appel à la grève générale. Certains convoquent (par nostalgie ?) le souvenir de l'automne 95, mais la situation est fortement différente. D'abord parce que les régimes spéciaux (RATP, SNCF, EDF) ne sont pas directement mis en cause par la réforme Fillon-Woerth. Ensuite parce que le contexte politique a profondément changé en quinze ans. En 95, Jacques Chirac venait d'être élu sur une promesse de progrès social partagé et dès l'automne, le Premier ministre Alain Juppé, droit dans ses bottes, avait annoncé qu'était venu le temps de la rigueur et que les "privilèges" des salariés protégés étaient à revoir. Douche glaciale pour ceux qui voulaient mordre dans la pomme promise par lSarko heureux.jpge Président!

    Tout autre est le contexte en 2010. La rapide agonie de la présidence de Nicolas Sarkozy laisse le pays dans un état de désarroi total. Certains cèdent au fatalisme, d'autres à une colère qui peut prendre des formes imprévues. Personne, y compris parmi les proches de l'UMP, ne comprend comment fonctionne ce pouvoir. Tout est curieux, voire inquiétant, dans sa façon de faire. Le fait d'annoncer en juin un remaniement ministériel à l'automne aboutit à mettre tous les ministres – et le premier d'entre eux – dans un état d'inquiétude peu propice à l'efficacité.

    Le fait de maintenir Eric Woerth à un poste aussi sensible que les Affaires sociales conduit, à mesure que les révélations se font jouBettecourt - Woerth.jpgr sur ses étranges collusions, à ridiculiser tous ses propos en les reliant à la nauséabonde affaire Bettencourt. Le fait d'imposer une réforme importante, celle des retraites, sans négocier avec les partenaires sociaux (alors qu'on avait promis le contraire pendant la campagne électorale) puis, sous la pression de la rue, à lâcher une à une des petites choses amène les manifestants à se dire que des acquis importants peuvent être obtenus par le blocage du pays. D'où la tentation de la stratégie du pire. Le fait de répondre à la centaine de parlementaires UMP qui ont demandé de remettre en cause le bouclier fiscal par un « circulez, y'a rien à voir » conduit les principaux soutiens du pouvoir à prendre de la distance.

    Tout est contre-productif dans les actes de Nicolas Sarkozy, y compris sa ridicule visite à Rome auprès du pape. Les catholiques français ne sont pas complètement demeurés pour ne pas y voir une opération de récupération alors que rien dans sa politique, depuis son goût immodéré pour l'argent jusqu'aux poursuites contre les étrangers, n'est compatible avec l'Evangile. Cela peut même avoir l'effet inverse de radicaliser ses adversaires chez qui trainent un vieux fond d'anticléricalisme mal digéré...

    Nous voilà donc à quelques heures du grand saut vers l'inconnu. Tout est possible, y compris un blocage anarchique du pays avec son lot de violences et d'exaspérations. J'ai le sentiment cependant que le pouvoir ne pourra pas jouer le coup de juin 68 lorsque le général de Gaulle activa la corde de la peur face à la chienlit. Pour beaucoup de citoyens, même ceux qui seraient enclins à soutenir la réforme des retraites, la chienlit est amenée depuis longtemps par le style brouillon de Sarkozy, par ses changements d'objectifs incessants (la relance puis l'austérité, par exemple) et par son entêtement à être le « Président des riches », pour reprendre le titre d'un livre récent, sans oublier sa propension à donner des leçons au monde entier, ce que ledit monde commence à trouver franchement ridicule.