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  • La grande confusion des socialistes

    L'annonce surprise de la candidature aux primaires socialistes de l'ancienne candidate Ségolène Royal a affolé unesegolene_royal.jpg partie de l'appareil du PS. Cela prouve que le principal parti d'opposition n'est pas complètement remis de sa convalescence suite au calamiteux congrès de Reims. Car enfin, personne ne pouvait ignorer que la présidente du Poitou-Charentes ne rêvait que de prendre sa revanche face à un Nicolas Sarkozy beaucoup moins fringant qu'il ne l'était lors du scrutin de 2007. Alors pourquoi cette annonce crée-t-elle tant de gêne? Deux raisons expliquent cette situation alors même que les sondages donnent une confortable avance à tous les rivaux socialistes du président sortant.

    D'une part, la déclaration de Royal intervient quelques jours après la surréaliste déclaration de Martine Aubry concernant une entente entre elle, Dominique Strauss-Kahn et Royal pour Aubry.jpgune candidature commune. Cette dernière sait très bien que dans ce cas de figure - arrangement d'appareil – ses chances sont quasiment nulles car le TSS (« tout sauf Ségolène ») est encore très vivace, bien que moins visible, dans le parti. En faisant cette annonce de façon plus rapide que prévu, la candidate déclarée prend à témoin les adhérents et les sympathisants appelés à s'exprimer lors des primaires en leur montrant qu'elle ne mange pas de ce pain, celui des combines, et qu'elle fait confiance à l'expression citoyenne pour désigner le ou la candidat(e). Elle marque ainsi un point dans l'opinion face à une première secrétaire pour le moins maladroite.

    L'autre raison qui explique le malaise ambiant tient au calendrier choisi pour désigner le candidat socialiste. Comme on le sait, les postulants doivent déclarer leurs intentions en juin 2011 avant des primaires organisées en octobre. En gros, il s'agit du même calendrier que pour le scrutin de 2007. L'idée avancée pour le justifier était qu'il fallait faire précéder le travail sur le programme - qui doit être validé en mars prochain – sur la désignation du candidat. Mais c'était également un moyen de laisser plus de temps à DSK pour qu'éventuellement, il se déclare candidat. Car ne l'oublions pas, sans le soutien des partisans du patron du FMI, Martine Aubry n'a pas de majorité au PS.

    Mais revenons sur cette idée selon laquelle le candidat doit reprendre à son compte le programme de son parti et donc être désigné dans un second temps. Ce principe, plutôt positif, est en fait un écran de fumée. Tout le monde sait bien que le candidat investi a une telle légitimité populaire qu'il peut choisir dans le programme ce qui l'intéresse et laisser le reste dans les armoires poussiéreuses de la rue de Solférino. Cette distorsion créé immanquablement – comme on l'a vu en 2007 – une tension entre les deux pôles qui est fort préjudiciable pour la victoire. D'autre part, installer un candidat dans l'opinion en moins six mois est une chose périlleuse. Il faut du temps pour que les électeurs se familiarisent avec un candidat et pour que celui-ci soit en phase avec le pays. Le PS ne semble pas avoir tirer les leçons du fiasco de 2007.

    Les socialistes les plus intransigeants répondent qu'il faut éviter une présidentialisation du régime et donc désigner au dernier moment le candidat. La peur de la personnalisation est dans de nombreuses têtes. Mais ce genre de réflexe est assez curieux pour un parti qui a milité en faveur du quinquennat voulu par lionel Jospin. Cette mesure instaurée avant la scrutin de 2002 a contribué à déséquilibrer encore davantage les institutions de 1958 construites autour de la figure centrale du président. De deux choses l'une: soit les socialistes disent clairement qu'ils veulent changer les institutions pour rétablir les droits – sans cesse violés – du Parlement, en allant vers plus de participation citoyenne (par exemple en mettant en oeuvre le référendum d'initiative populaire) et alors leur critique du présidentialisme est cohérente; soit ils restent dans le flou ambiant et alors ils doivent assumer les institutions telles qu'elle sont et se plier au jeu. A ne pas mettre en conformité leur discours et leurs actes, les socialistes prêtent le flanc à l'accusation de duplicité.

    Toujours est-il que le curieux calendrier des socialistes sert le dessein de Nicolas Sarkozy qui va pouvoir continuer à diviser les rangs de l'opposition. A mesure que les tensions internes vont s'exacerber, à mesure que les candidats à la candidature vont se multiplier (cinq sont déjà en piste dont Valls et Montebourg), le président et ses affidés souffleront allègrement sur les braises. Un jour, il aura un mot sympa pour un postulant; le lendemain, il organisera un voyage présidentiel sur le territoire d'un autre, etc. Dans ce contexte passionnel, les socialistes auraient tout intérêt à rediscuter leur calendrier. Mais il est peu probable qu'ils le fassent, ne serait-ce que pour ne pas déplaire à leur célèbre adhérent new-yorkais...

     

  • Pourquoi Fillon a gagné une manche

    Dans cette affaire de démission du Premier ministre et sa reconduction quelques heures plus tard, François Fillon a marqué des points importants dans son duel à fleurets mouchetés avec le Président. Il estF. Fillon.jpg assez clair qu'avant l'été quand Nicolas Sarkozy a annoncé son intention de renouveler l'équipe gouvernementale, il ne pensait sans doute pas reconduire son Premier ministre. Il a envisagé différentes hypothèses comme la nomination à Matignon de Michèle Alliot-Marie, de Jean-Louis Borloo (le grand favori, écarté de façon humiliante, comme c'est souvent le cas sous le sarkozysme) et de quelques autres. S'il s'est finalement résolu à prolonger le bail de son Premier ministre à Matignon, c'est qu'il n'avait pas d'autre choix raisonnable. Plusieurs facteurs expliquent cette décision qui, aux yeux de l'opinion publique, va paraître bien surprenante.

    1/ Le Premier ministre rassure une opinion publique inquiète par les coups de menton de l'Elysée. C'est une situation presque inédite sous la Ve République où l'on était habitué à voir un Premier ministre usé par l'exercice du pouvoir servant de fusible au Président de la République quand son action commence à être impopulaire. Là, la situation est inversée: l'action de la majorité est globalement critiquée, mais la responsabilité est imputée prioritairement à Nicolas Sarkozy, jugé confus, contradictoire, peu fiable et ne respectant pas ses engagements (sur la retraite, le pouvoir d'achat, etc.) alors que François Fillon est considéré, à tort ou à raison, comme celui qui amortit les chocs, limite les dégâts.

    2/ François Fillon a les préférences de la majorité qui le considère comme un vrai leader. Un doute très fort a envahi les rangs de l'UMP sur la capacité de l'actuel Président à porter de nouveau les couleurs de l'UMP aux présidentielles de 2012. En l'adoubant comme son chef et en recalant le trop imprévisible Jean-Louis Borloo, la majorité lui propose un statut de recours possible. Comme on le sait, Nicolas Sarkozy a été élu président en 2007 grâce à un vote massif des plus de 60 ans. Il n'est pas sûr que cet électorat soit prêt à réélire un homme qui a, à ce point, dévalorisé la fonction présidentielle et affaibli l'image de la France dans le monde. François Fillon, qui s'est démarqué de l'hystérie présidentielle ces dernières semaines en se présentant comme un défenseur des libertés (sur le dossier des Roms, sur les écoutes des journalistes...), peut, au contraire, incarner une voie plus raisonnable de réformes et de sécurisation de la société. Reste à savoir dans quel contexte le Premier ministre va pouvoir conduire son action et si l'Elysée lui laissera des marges de manœuvre qui lui ont fait tant défaut pendant trois ans et demi.

    3/ En rappelant probablement Alain Juppé et peut-être d'autres barons de la majorité, l'UMP ferme la parenthèse de la rupture annoncée par le Président lors de son élection. C'est un retour aux fondamentaux qui s'annonce, avec un discours beaucoup plus lisse, une volonté de rassurer une opinion publique traumatisée par les changements de pieds incessants de la présidence. Cette raison explique sans doute pourquoi l'hypothèse Borloo, porteuse de beaucoup d'incertitudes, a été écartée. Ce souci d'apaisement pourrait être facilitée par les chantiers internationaux qui devraient occuper Nicolas Sarkozy avec la présidence du G20 et du G8, et laisser un peu de champ à l'équipe gouvernementale. L'éventuelle absence dans celle-ci de Brice Hortefeux, dans la ligne de mire de Matignon, pourrait traduire le poids nouveau du locataire de Matignon.

    Toutes ces raisons expliquent le maintien de Fillon à son poste. C'est sans doute un moindre mal dans l'état de la majorité, mais cela ne donne pas le souffle nouveau qu'aurait pu espérer le pays. Mais pour escompter sur ce souffle qui manque tant, il faudrait que le sarkozysme ait un projet à proposer au pays. Et qu'il sorte enfin des postures successives qui font office de programme politique. En quelque sorte, imaginer un dessein collectif alors que la tendance naturelle du Président est d'exacerber les divisions et tensions. 

  • Les anti-corruption marquent un point

    Ces derniers jours, une décision de la justice française n'a pas eu le retentissement qu'elle aurait mérité. La Biens_mal_acquis2.jpgCour de cassation a, en effet, ouvert la voie à une enquête indépendante dans l'affaire des biens mal acquis. De quoi s'agit-il? Trois ONG françaises (Transparency International, Sherpa et le Comité catholique contre la faim et pour le développement - CCFD) ont déposé en 2007 une plainte contre trois présidents-dictateurs africains qui auraient détourné une partie des richesses de leur pays pour acquérir des biens considérables notamment en France.

    Selon l'enquête de la police française, la famille Bongo (à droite sur la photo), maître du Gabon, aurait ainsi accumulé 39 propriétés et 70 comptes bancaires; la famille Sassou N'Guesso (au centre), du CongoBiens mal acquis 1.jpg-Brazzaville, aurait acquis 18 propriétés et détiendrait plus de 100 comptes bancaires; quant à l'équato-guinéen Teodora Obiang N'Guema, le plus sanguinaire des trois, son butin est moins impressionnant avec une propriété, un compte bancaire et huit voitures de luxe (représentant plus de quatre millions d'euros).

    Jusque-là, les juridictions françaises avaient sagement bloqué l'avancée de la justice, les trois accusés faisant jouer de leurs multiples moyens de pression pour bloquer les enquêtes. On se souvient de la façon dont feu Omar Bongo avait obtenu le limogeage de Jean-Marie Bockel, coupable d'avoir mis en cause la Françafrique - cette imbrication politico-mafieuse de grandes entreprises françaises et des élites nationales des ex-pays colonisés avec la bénédiction de l'Elysée. Les présidents indélicats invoquaient notamment le néocolonialisme pour discréditer toute volonté de la justice française de s'intéresser aux comptes de présidents de pays souverains.

    En validant la possibilité pour Transparency International de se constituer partie civile dans cette affaire des biens mal acquis, la Cour de cassation reconnaît le rôle essentiel des ONG dans la dénonciation des malversations des dirigeants du monde. Elle ouvre un champ immense pour l'action citoyenne contre les enrichissements particulièrement éhontés de certains dirigeants des pays pauvres. Il serait souhaitable que d'autres actions soient engagées contre d'autres dictateurs indélicats pour que le soupçon de néocolonialisme s'évapore.

    Alors que peut donner cette action en justice? Le scénario le plus optimiste verrait la France appliquer l'arrêt suisse Abache, du nom d'un ancien dictateur nigérian dont la fortune accumulée en Suisse a été rétrocédée à son pays. Bien entendu, les obstacles ne vont pas manquer et l'affaire ne pourra pas déboucher avant deux ou trois ans. On peut supposer que tous les réseaux, y compris maçonniques, vont être mobilisés pour entraver l'action de la justice. Il sera d'ailleurs intéressant de noter l'identité du futur ministre (ou secrétaire d'Etat) du gouvernement français pour connaître les intentions de l'entourage de Nicolas Sarkozy: le pouvoir mettra-t-il tout en œuvre pour bloquer, ou tout du moins ralentir, l'établissement de la vérité ou au contraire, restera-t-il dans une prudente neutralité?

    En tout cas, cet arrêt de la Cour de cassation jette une petite pierre dans le jardin si protégé des puissants du monde. Il montre que l'impunité à tous les faits de corruption et de détournement des fonds publics n'est pas complètement garantie. Si cela pouvait inquiéter un tant soi peu les truands qui hantent les palais officiels, l'action de la justice française n'aurait déjà pas été inutile, quelle que soit l'issue de l'affaire des biens mal acquis.

  • Etats-unis, Brésil: quelles leçons pour la gauche?

    Ces derniers jours, le continent américain a été marqué par deux scrutins importants: aux Etats-Unis avec les Lula.jpgélections de mi-mandat et au Brésil avec la présidentielle. Dans le premier cas, la ligne de gauche modérée incarnée par Lula a été approuvée avec l'élection de son dauphin, Dilma Rousseff. Au nord du continent par contre, la volonté réformatrice d'Obama a été rejetée par les électeurs des Etats-Unis qui l'obligent à une cohabitation problématique avec la Chambre des représentants désormais dominée par les républicains. Les deux présidents ont un point commun: ils ont incarné un vrai espoir dans leur pays, et plus largement dans le monde, celui de changements en douceur pour aller vers une plus grande justice sociale. Pourtant, l'un, Obama, est stoppé net simplement au bout de deux ans alors que l'autre, Lula, voit sa politique confirmée (bien que critiquée à gauche comme à droite) après huit ans de pouvoir marqué par des échecs (en termes notamment de redistribution des terres) et quelques scandales de corruption? Pourquoi l'un imprime durablement sa marque au pays alors que l'autre, à peine élu, est déjà contesté?

    Bien entendu, les contextes sont loin d'être comparables. La puissance nord-américaine suobama_2.jpgbit encore les contre-coups de la grave crise financière et immobilière qui a démarré voici trois ans. Le chômage atteint presque la barre des 10% ; la situation des classes moyennes reste assez précaire; la question du logement reste très aigüe et les marchés financiers qui ont repris de la splendeur continuent à imposer leur loi. De plus, la société américaine, dans ses profondeurs, ne s'est pas débarrassée de son inconscient raciste : une partie des Américains WASP (« white anglo-saxon protestants ») continue à voir dans le premier président noir des Etats-Unis un intrus, un accident de l'histoire. Tout autre est la situation du Brésil, puissance émergente, dont la croissance économique, et le dynamisme culturel, sportif (ce pays va accueillir la coupe du monde de football puis les Jeux olympiques) font saliver tous les dirigeants occidentaux. Malgré les insuffisances de Lula, son bilan est largement approuvé par les Brésiliens qui font preuve d'un pragmatisme assez impressionnant.

    Aux Etats-Unis (mais la remarque s'applique très souvent aux pays occidentaux), toutes les difficultés sont attribuées au président actuel, même celles qui relèvent de son prédécesseur. Les électeurs ont la mémoire courte, oubliant le calamiteux bilan de George Bush, aussi bien sur le plan économique et social que international (avec l'engagement dans la guerre en Irak). Certes, les espoirs placés en Barack Obama étaient immenses, sans doute disproportionnés, et la déception est forcément au rendez-vous, mais en tout cas sur le plan intérieur, il n'a pas chômé, bataillant pour faire accepter sa réforme de la protection sociale.

    L'exemple Obama montre la difficulté – voire l'impossibilité – de réformes en profondeur en faveur des couches les plus démunies dans ce type de société. Là où le sentiment de déclin s'installe, où les couches moyennes ont peur d'être rattrapées par les plus pauvres, où la préoccupation principale des vieux est de percevoir leur pension (qui, rappelons-le, sont liées aux Etats-Unis à la bonne santé financière des grands groupes), toute volonté de bousculer – même raisonnablement – la donne se heurte à des peurs parfois instrumentalisées, à des réflexes de crispation. Il devient très compliqué de mener des politiques de gauche (donc des réformes) dans des espaces géographiques dominés - politiquement, économiquement, culturellement - par une population âgée. La tentation de la conservation de l'acquis, surtout quand celui-ci se rétrécit, prend le dessus sur tout projet innovateur qui bouscule les habitudes et représente toujours un saut vers l'inconnu.

    Ce que des sociétés jeunes, en essor, confiantes dans leur avenir acceptent, d'autres présentant des caractéristiques inverses le refusent. Ce n'est pas pour rien si la plupart des pays d'Amérique latine sont dirigés par des gouvernements de gauche et si le monde occidental est très souvent contrôlé par des équipes conservatrices. Avis (notamment) à la gauche française qui rêve de reprendre les rênes du pouvoir en 2012!