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  • « Paroles, paroles, paroles »

    Laissons (pour un temps) le cours des événements. Oublions le bras-de-fer de plus en plus viril entre les syndicats et le gouvernement sur la réforme des retraites. Ne pensons pas – pour l'instant – aux conséquences que pourrait avoir cette incapacité chronique du pouvoir à entendre les légitimes inquiétudes de la société sur la place du travail dans la vie. Evitons de philosopher sur le darwinisme social que semblent mettre en oeuvre, ou du moins accepter, les autorités publiques.

    Parlons d'autre chose, même si les connexions sont possibles avec ce qui précède. Cette semaine, un micnora Berra.jpgro-événement m'a interrogé sur la place du politique. Participant, en tant que journaliste, aux assises de l'aide à domicile, l'intervention de Nora Berra, secrétaire d'Etat aux aînés, était particulièrement attendue. Le secteur souffre depuis plus d'un an des restrictions budgétaires apportées au paiement des heures de travail ménager et d'accompagnement des personnes souvent âgées. Cela n'est pas sans lien avec l'étranglement financier des collectivités locales conduit par l'Etat. Lors de ce rendez-vous des professionnels de l'aide à domicile, agissant souvent dans un cadre associatif, tout le monde espérait un discours qui apporte des réponses claires aux incertitudes actuelles et qui trace les grandes lignes de la réforme de la dépendance annoncée, après bien des reports, pour fin 2010. Au lieu de cela, les trois à quatre cents participants entendirent un discours creux, ponctué de généralités, sans aucune ligne directrice.

    Qu'allait-il se passer dans les prochaines semaines pour sauver les structures menacées de mettre la clé sous la porte? Mystère et boule de gomme. Concernant le 5e risque (celui de la dépendance, un engagement du Président de la République avant son élection), le choix de la solidarité nationale allait-il être préféré à la logique assurancielle défendue dans un rapport récent par une parlementaire UMP? Aucune précision de Mme Berra. A défaut, nous eûmes droit à un catalogue d'évidences sur le vieillissement de notre pays et au dégagement en touche vers des rapports des inspections ministérielles qui, comme d'habitude, vont rendre leurs conclusions en retard. Et évidemment, l'antienne bien connue: « je suis là pour vous écouter et vous comprendre ». Comme le public était composé de professionnels bien élevés, aucun sifflement ne conclut cette exercice de langue de bois techno-humaniste. Cela n'aurait pas été volé, pourtant...

    Cet épisode n'est pas si isolé que cela et n'est pas lié (principalement) à l'incompétence de cette responsable politique. Il renvoie plutôt au vide de la parole politique et/ou son incapacité à traiter les problèmes auxquels elle doit faire face. Le politique a de plus en plus de mal à poser un diagnostic sur une question et à avancer des solutions adéquates. Parfois, comme c'est le cas dans le domaine qui nous intéresse, il est complètement schizophrène: il énonce de grands principes relativement justes, mais laisse faire une politique qui en prend le contre-pied. Par exemple, sur l'aide à domicile, Nora Berra confirme l'aspiration largement majoritaire des personnes âgées à vieillir à leur domicile et le besoin de faire exister durablement des services adaptés et professionnels pour accompagner ce vieillissement à domicile. Mais en refusant d'indiquer quels moyens la collectivité peut y affecter, elle illustre une forme de stérilité.

    Finalement, la parole du politique n'engage à rien, ne débouche sur aucune action précise. On occupe le temps et la tribune, mais finalement on n'annonce rien, on n'anticipe rien. Ajoutez à cela l'incapacité des ministres (elle comme les autres) à rester plus d'une heure au même endroit et on comprend mieux le ridicule de certains fonctionnements politiques. « Notre » secrétaire d'Etat aux Aînés, qu'aura-t-elle appris à la fin de sa journée, quel dossier aura-t-elle fait avancer? Difficile de répondre à sa place, mais il est permis de douter de sa valeur ajoutée!

    Cette question ne concerne pas seulement la majorité actuelle (même si elle est accentuée par l'arrogance du pouvoir élyséen à la prétention quasi-prométhéenne), mais tout exercice contemporain du pouvoir. Dans un monde bardé de contraintes et de contradictions, il faut urgemment dégager des marges de manoeuvre budgétaires (en taxant, notamment, les transactions financières et en revoyant les avantages fiscaux illégitimes) et revoir le mode d'élaboration des politiques. Cette façon qu'ont les organes politiques de ne pas prendre le temps de la consultation, de ne tirer les leçons de ce qui marche ou pas sur le terrain, de mettre en cause la légitimité des demandes des professionnels (forcément corporatistes et conservateurs) devient de plus en plus insupportable pour la société civile. Celle-ci est de plus en plus informée, ouverte à la contradiction, capable (parfois) de se remettre en cause, mais elle côtoie un appareil politico-administratif qui vit en cercle fermé avec ses conseillers-courtisans, sa production réglementaire et législative incontrôlée et ses éléments de langage incompréhensibles. Et je ne parle même pas des collusions avec les nouveaux seigneurs (les patrons du CAC 40) et des conflits d'intérêt dont l'actualité récente a montré l'acuité.

    Le divorce entre ces deux mondes - celui des mécaniciens (enseignants, travailleurs sociaux, militants associatifs, élus locaux, etc.) d'un lien social abimé par les politiques publiques et celui des pseudo-décideurs politiques - pourrait bien avoir des effets explosifs. Attention au découragement général qui ferait le lit de l'individualisme déjà galopant!

  • La dissolution de l'Assemblée ou le pourrissement

    Plie mais ne rompt pas! Cette devise s'applique bien au gouvernement français au sortir d'une semaine éprouvante. Sur deux dossiers majeurs, il a dû affronter une forte tempête qu'il a niée avec une mauvaise foi flagrante.

    Mardi 7 septembre, il a fait face à une contestation sociale massive, sans doute la plus forte numériquement depuis 2007. La réforme des retraites cristallise un fort mécontentement : le passage de l'âge légal d'accession à la retraite de 60 à 62 ans, s'il est symbolique pour beaucoup de citoyens (puisque le nombre d'années de cotisation avec une entrée dans la vie professionnelle tardive les conduit à un départ à la retraite postérieur à 60 ans), apparaît comme un système injuste et inefficace. Injuste car il pénalise ceux qui ont démarré leur activité avant l'âge de 20 ans et qui ont souvent occupé des métiers pénibles physiquement. Que le pouvoir refuse de comprendre cette réalité toute simple qu'il est relativement facile de continuer après 60 ans son activité au chaud dans un bureau, mais beaucoup moins si on exposé au froid et aux vents est symptomatique d'une incapacité à prendre en compte les réalités du travail aujourd'hui. Avec ou sans ordinateur, avec ou sans Internet, il faudra toujours des travailleurs pour monter des parpaings, goudronner des routes ou fabriquer de l'acier. La pénibilité est consubstantielle à un certain nombre de métiers et doit être prise en tant que telle dans la loi; elle n'a pas à être prouvée par je ne sais quelle mesure du handicap, comme le prévoit le projet de loi actuellement en discussion.

    Cette mesure est également inefficace dans notre système économique marqué par un départ massif des séniors avant même l'âge de la retraite. Que signifie demander aux salariés de prolonger de deux années leur activité professionnelle alors même qu'on les déloge des entreprises souvent avant 55 ans? Sans changement dans l'attitude des directions des ressources (in)humaines - ce qui suppose de mettre en place un système contraignant -, la réforme aboutira à un transfert des charges des comptes de la retraite vers ceux du chômage. On réduira (peut-être) le déficit de l'assurance-retraite pour accroître celui du chômage. Cela justifiera ensuite une réforme de l'indemnisation des chômeurs, moins avantageuse pour ces derniers.

    Cette réforme injuste, insuffisante – pour régler le déficit abyssal des régimes retraite - et dépourvue d'ambition sociétale (la question de la retraite aurait pu être l'occasion d'une vaste réflexion sur l'organisation des temps dans la vie) ne passe pas dans l'opinion publique. Pour autant, elle sera adoptée sans gros problème par les deux chambres. La majorité invoque sa légitimité issue des élections pour faire passer cette réforme (qui n'avait pas été mentionnée de cette façon lors de la campagne de 2007) et va expliquer que le pouvoir ne peut céder à la pression de la rue. C'est sans doute vrai, mais il est tout de même problématique pour la crédibilité de nos institutions qu'un projet aussi critiqué que celui des retraites ne puisse pas faire l'objet d'une remise à plat. Pourquoi ne pas réfléchir à l'avenir à un système qui oblige le législateur à tenir compte d'un niveau élevé de contestation (par exemple avec un certain seuil de signatures)? Pourquoi, dans ce cas-là, ne pas proposer au vote des citoyens – par référendum – deux projets différents, l'un porté par l'opposition, l'autre par l'opposition? Le peuple est souverain, dit-on! Qu'il le soit vraiment sur les questions aussi controversées qui pourraient bien nous conduire à une situation de blocage.

    Un autre front de contestation, plus inattendu, s'est dessiné jeudi 9 septembre. Il est européen, cette fois-ci, et s'est matérialisé par le vote massif du Parlement contre la politique de renvoi systématique des Roms vers la Roumanie ou la Bulgarie. Pour Paris, c'est une vraie gifle car un tel vote est rare. Le dernier en date concernait l'alliance de la droite avec l'extrême droite autrichienne voici une dizaine d'années. Par-delà la situation grave faite à cette population européenne en grande difficulté, le Parlement de Strasbourg a exprimé une exaspération vis-à-vis des méthodes de Paris. La façon souvent cavalière dont le président de la République traite les institutions communautaires, sa propension à faire la leçon à tous nos partenaires, les effets d'annonce rarement suivis d'effets... le style Sarko agace au plus haut point nos amis européens qui y voient un retour de l'arrogance française. Celle-ci semble d'autant plus déplacée que la situation nationale en matière de déficits publics, de niveau de chômage et de pauvreté, de scandales politico-financiers devrait conduire notre pays à plus de modestie. Mais là, c'est peut-être trop en demander à l'hôte de l'Elysée...

    La réponse de l'exécutif au Parlement européen a été à peu près la même que pour le dossier des retraites: « circulez, y'a rien à voir ». Au motif que la politique d'immigration est de la responsabilités des Etats, les parlementaires européens n'auraient pas à donner leur avis sur celle-ci, même quand elle concerne la situation de citoyens européens. Paris propose une étrange lecture de la construction européenne qui suppose, pour avancer, des convergences de politiques. En plus, il s'expose à la vindicte des autres pays, pas toujours démocratiques, qui peuvent utiliser ce vote de désaveu de la France pour discréditer toute parole du Quai d'Orsay faite au nom des fameux droits de l'homme. De quoi faire la joie, par exemple du président iranien...

    Cette première semaine de septembre aura confirmé l'impression d'avant les vacances, celle d'un enlisement et d'un isolement du pouvoir. Il dispose bien sûr d'une majorité encore confortable au Parlement - même si les divisions commencent à se faire sentir. L'opposition ne dispose d'aucun moyen (légal) pour le renverser. Avec un exécutif aussi discrédité, toute réforme sérieuse s'expose à un tir de barrage du pays. Les risques de tension, de tentation violente de certains groupes ou de bavures dans des cités complètement livrées à elles-mêmes, vont s'accroître. Dans un tel contexte, la seule possibilité de sortir par le haut serait de convoquer de nouvelles élections après une dissolution de l'Assemblée. Chacun pourrait défendre ses options en matière de retraites et de choix de société; au peuple de trancher! Mais cela supposerait que le Président ait confiance en sa majorité et croit en sa capacité à renverser la vapeur dans l'opinion publique. Toutes conditions qui ne sont pas réunies actuellement. Voilà pourquoi le pourrissement de la politique française, avec ou sans nouveau gouvernement, va continuer son oeuvre. Inexorablement?

  • Pourquoi Sarkozy n'a pas encore perdu

    La partie est-elle bien engagée pour la gauche et fort mal pour la droite? La fin de l'été peut donner cette impression à dix-huit mois de l'élection présidentielle. L'offensive sécuritaire-Aubry.jpgxénophobe du Président de la République et de sa garde rapprochée a suscité une levée de boucliers des associations et partis de gauche (classique...), mais également – et c'est plus embêtant – de l'épiscopat catholique. La violence du propos sarkozyste contre les Roms, notamment, suscite un vrai malaise au sein des cadres de l'UMP, et notamment chez tous les anciens Premiers ministres (Juppé, Raffarin et bien sûr Villepin). L'actuel a même, par une formule jésuitique, pris ses distances avec la volonté de l'Elysée de trouver un nouvel bouc-émissaire (« l'affreux gitans voleur de poules ») aux difficultés économiques, sociales et politiques. Ce premier coup de canif public à la solidarité entre Sarko et Fillon annonce sans doute le prochain changement de locataire à Matignon dans quelques semaines.

    L'interminable feuilleton Woerth amène, jour après jour, des éléments qui semblent confirmerBettecourt - Woerth.jpg des connivences coupables entre l'ancien ministre du Budget (et ancien trésorier de l'UMP) et la première fortune de France. L'idée que ce gouvernement est complaisant avec les riches et impitoyable avec les faibles (Roms, mais aussi chômeurs en fin de droits, petits retraités...) fait son chemin dans la société.

    Pour autant, la gauche doit-elle claironner sa victoire prochaine? Elle se garde bien de le faire, mais on sent ici ou là une certaine euphorie gagner ses soutiens, d'autant qu'une récente enquête montre une large avance des deux candidats favoris (DSK et Aubry) sur le président sortant. Dans cette affaire, il faut garder la tête froide. L'issue du scrutin à venir est loin d'être acquis. Plusieurs raisons plaident en faveur de la plus grande prudence.

    Dans le camp présidentiel, on devrait, avec l'arrivée du nouveau gouvernement, assister à Sarko grimace.jpgl'émergence d'un nouveau discours. Dans un contexte de large incertitude, de difficile reprise économique et de tensions internationales (l'Iran, l'Afghanistan et peut-être Israël-Palestine), le pouvoir pourrait proposer de sécuriser la vie des Français. Pas seulement sur le plan de la sécurité des biens et des personnes, mais aussi par rapport à la vie quotidienne et les grands dossiers du moment. Il est difficilement imaginable que le gouvernement ne mette pas de l'eau dans son vin dans sa réforme des retraites pour la rendre plus acceptable. Pas simplement parce que la mobilisation à venir – du 7 septembre – s'annonce massive, que le ministre du Travail est passablement affaibli, mais aussi parce qu'il est important politiquement de donner le signe que le pouvoir entend la protestation populaire.

    Cet engagement à sécuriser le quotidien des Français, s'il se vérifie, devrait avoir pour conséquences logiques de conduire à un assouplissement du bouclier fiscal et un freinage dans la volonté de réduire les déficits publics. Quitte à se fâcher avec l'Europe (mais cela ne peut pas faire de mal dans l'opinion publique), le pouvoir pourrait choisir une voie audacieuse qui couperait en partie l'herbe sous le pied à la gauche. Mais aura-t-il la clairvoyance de s'éloigner des canons néo-libéraux qu'assènent à longueur de journées ses principaux soutiens, y compris financiers? Sous cela, on voit mal comment l'UMP pourrait reprendre un tant soit peu l'initiative. Sans cela, les tensions internes dans le parti gouvernemental vont s'exacerber, les soutiens à la candidature de Dominique de Villepin affluer et la voie centriste se dégager.

    Du côté de la gauche, le mieux enregistré ces derniers mois ne saurait signifier que le ciel est dégagé. D'abord, parce que la compétition risque d'être plus rude lors de la désignation du candidat socialiste. Avec un affaiblissement sans précédent du Président de la République, de nombreux challengers vont se sentir pousser des ailes. François Hollande, Ségolène Royal voire Manuel Valls peuvent croire en leurs chances de l'emporter face à un sortant si affaibli. Ils doivent dès lors l'emporter lors des primaires, ce qui devient possible si DSK, mobilisé par une sortie de crise difficile, privilégie le confort américain à l'incertitude française. Comme les cicatrices du passé sont loin d'être refermées (l'affrontement Aubry-Royal, mais aussi le ressentiment de François Hollande ou de Bertrand Delanoë à l'égard de l'actuelle première secrétaire), cette épreuve des primaires, louée comme le nec plus ultra de la démocratie moderne, pourrait se transformer en foire d'empoigne. Et à ce petit jeu, il faut compter sur les leaders socialistes pour se surpasser.

    Second facteur de prudence: le flou des propositions. Même si l'arrivée de Martine Aubry a permis d'ouvrir divers chantiers de réflexion, le vide programmatique depuis le début des années 2000 n'a pas été comblé en quelques mois. Sur la conversion écologique de l'économie, sur la réduction des déficits publics, sur la rénovation des services publics, mais aussi sur la sécurité, on sent le parti tiraillé et souvent divisé. Confronté à ce risque, la tentation est grandM.jpge d'entretenir un certain flou et de réfugier dans les généralités. Ce qui pourrait faciliter la percée de la candidate d'Europe écologie ou celle du candidat de « l'autre gauche », sans doute Jean-Luc Mélenchon.

    La troisième incertitude tient à la question des alliances. Le PS ne peut l'emporter seul. Il devra compter avec un courant écologiste qui pourrait peser 10% et une gauche de la gauche participationniste qui pourrait s'en approcher. La configuration de la gauche plurielle de Lionel Jospin en 1997 était totalement différente, ce qui suppose pour le PS d'en finir avec ses comportements hégémoniques et son sentiment de supériorité. Il faut espérer pour ce parti que Martine Aubry aura l'habileté d'un François Hollande et une autorité suffisante vis-à-vis des barons socialistes pour négocier une alliance équilibrée et durable.

    Comme on le voit, la route vers une victoire de la gauche au printemps 2012 est encore pleine d'embûches. L'euphorie n'est donc pas de mise, mais l'excès de prudence et la tiédeur non plus. Les conditions sont potentiellement réunies pour éviter un troisième échec successif de la gauche à la présidentielle. Celle-ci a la responsabilité historique de ne pas les gâcher.