La tradition électorale est respectée: le second tour confirme, voire amplifie, la tendance du premier. Les princes de la Sarkozye, brieffés par les sorciers de l'Elysée, avaient fait mine de croire que le 21 mars pouvait défaire ce que le 14 mars avait dessiné, c'est-à-dire un désaveu majeur du pouvoir. Certes, il s'agissait de vingt-deux scrutins régionaux (pour ne parler que de la métropole) avec ses particularités et le poids des majorités sortantes – pratiquement toutes de gauche. Mais quand tant de ministres concourent, que le Premier ministre mouille autant sa chemise et que le Président, décidément incapable de rester en retrait, coache l'ensemble, allant jusqu'à arbitrer telle ou telle place sur une liste, il est difficile de penser que ce scrutin ne propose pas d'enseignements nationaux. En voici cinq, majeurs.
1/ La montée de l'indifférence électorale.
Un citoyen français sur deux est resté étranger au scrutin. La participation est légèrement supérieure pour ce second tour, mais reste dans des eaux très basses, de plus de dix points inférieure à ce qu'elle fut en 2004. A part l'Alsace où les campagnes fortement conservatrices, notamment dans le nord du Bas-Rhin, ont voté pour le candidat UMP, les électeurs de droite ont boudé le scrutin. Exemple emblématique, les Hauts-de-Seine où la gauche est en tête: l'abstention touche un électeur sur deux – alors qu'en 2004, elle n'en concernait qu'un sur trois. Le discours de déni de la réalité entonné par les leaders de droite (« on ne peut tirer aucun enseignement d'un scrutin marqué par un tel taux d'abstention ») a renforcé chez les sympathisants UMP l'idée selon laquelle la majorité, Président en tête, était incapable de les écouter.
A côté de cette abstention très politique – qui ne représente sans doute pas plus de 5-6 points – existe et se développe une indifférence électorale très préoccupante, sur le registre: « Puisque les politiques ne s'intéressent pas à mon sort, je me détourne de leur univers et de leurs jeux politiciens. » Il ne s'agit pas forcément de populisme (mot fourre-tout), mais plutôt d'une coupure entre des mondes qui devraient s'interpénétrer. Ceux qui se détournent des scrutins le font, pour certains, de façon délibérée. Aux partis politiques d'en tenir compte!
2/ L'ancrage du Front national
C'est la grande surprise de ce scrutin qu'aucun institut de sondage n'avait vu venir – comme en 2002 lors de la présidentielle: la remontée du parti de la famille Le Pen. Non seulement le FN a réussi à dépasser la barre des 10% dans une douzaine de régions, mais il progresse sensiblement d'un tour sur l'autre. C'est un fait nouveau (et inquiétant): jusque-là, les électeurs du FN donnaient un coup de semonce au premier tour et, pour certains, retrouvaient leur famille politique d'origine au second tour (la droite parlementaire pour une majorité, la gauche pour les autres). Cette fois-ci, non seulement les électeurs du premier tour sont restés fidèles à leur choix, mais le score du FN d'un dimanche à l'autre a été renforcé, dépassant les 20% dans deux régions. Dans le Nord-Pas-de-Calais, celui-ci progresse de 4 points, tout comme en Picardie et en Lorraine. En Languedoc-Roussillon, la hausse atteint les 7 points. Les régions où le FN avait provoqué une triangulaire sont aussi celles où la participation a le plus progressé: + 7 points en PACA, + 5 points en Picardie et en Lorraine, + 4 dans le Nord-Pas-de-Calais. Difficile de faire la part des divers facteurs explicatifs de ce rebond du FN – l'aggravation des difficultés économiques, la déception vis-à-vis de Sarkozy, la montée de l'islamophobie, le débat sur l'identité nationale, la personnalité de Marine Le Pen – mais une certitude: le Président de la République qui n'enorgueillait d'avoir terrassé l'hydre frontiste en 2007 a, une nouvelle fois, échoué, malgré ses appels du pied insistants en direction de cet électorat.
3/ Les couleurs retrouvées du PS
Même si Martine Aubry n'a pas réussi son pari du grand chelem, même si Georges Frêche la nargue avec son score de 55% - et ce dans le cadre d'une triangulaire -, le parti socialiste gravement fragilisé depuis l'échec de 2007 retrouve une vraie légitimité. Attention, il ne s'agit pas d'une adhésion à son programme national et à ses leaders, mais d'une confiance dans ses élus locaux, notamment régionaux, qui ont su développer quelques politiques intéressantes en matière de transports notamment. Les présidents de région, parfois peu connus, ne sont pas associés dans l'esprit de la population aux batailles de chef qui secouent la rue de Solférino (même s'ils y participent parfois). Ils bossent plutôt bien, donc on les récompense d'un second voire d'un troisième mandat.
Comment passer d'un carton presque plein localement (21 régions métropolitaines, les 2/3 des départements, les ¾ des grandes villes) à une crédibilité nationale? Cette équation suppose au minimum d'articuler trois axes:
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réussir les politiques régionales, notamment en mettant en oeuvre ce fameux bouclier social promis aux Français. Avec la crise économique et de la volonté de l'Etat de reprendre une partie de l'autonomie des régions (suppression de la taxe professionnelle, réforme des collectivités locales), la partie ne va pas être simple pour les exécutifs régionaux.
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définir un projet national. Sur un tas de questions (retraite, fiscalité, énergie nucléaire, politique industrielle), difficile de savoir que ferait le PS arrivé au pouvoir. Il faut vraiment que ce parti, tellement à l'aise dans les campagnes électorales, se mette à travailler intellectuellement et à faire des arbitrages. L'exercice si longtemps différé par François Hollande sera-t-il enfin mené à terme par Martine Aubry? Sa crédibilité pour la présidentielle en dépend.
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clarifier son mode de désignation. On le sait, les adhérents ont largement approuvé, à l'automne dernier, le recours aux primaires larges de la gauche. Mais on ignore toujours les modalités de cette formule, son ouverture à d'autres formations et bien sûr la date. Les organiser trop tôt (printemps 2011) risque de précipiter le travail programmatique nécessaire; les prévoir à l'automne 2011, comme la dernière fois, aurait l'inconvénient de laisser un temps réduit au candidat pour s'installer dans l'opinion. Le PS doit, par ailleurs, méditer la leçon des régionales à droite: il faut respecter la diversité des sensibilités des électeurs; un candidat unique peut être un handicap pour le second tour.
4/ Les promesses d'Europe écologie
En termes de sièges régionaux, la constellation écologiste est la grande vainqueur de ce scrutin: Europe écologie (EE) devrait doubler le nombre des conseillers Verts et surtout celui de ses vice-présidences. L'écologie ne peut plus être la roue de secours d'une gauche mal inspirée. Elle doit l'aider à faire sa mue en reconsidérant ses postulats scientistes et productivistes qui marquent encore sa pensée. Après deux scrutins réussis, les difficultés commencent pour EE. Elle va devoir s'organiser dans un nouveau cadre. Dany Cohn-Bendit propose plus ou moins la dissolution des Verts et l'organisation d'une sorte de fédération plus souple et ouverte qu'un parti. L'appareil des Verts ne semble pas emballée par cette perspective. Débats en perspective.
D'autre part, 2012 pourrait être un piège pour EE. Faut-il ou non se présenter à cette élection ultra-personnalisée qui ne correspond pas à la culture écolo? Faut-il négocier avec le PS pour avoir des places éligibles? Mais alors comment conserver une forme d'autonomie qui a fait le succès d'EE? Le scénario de la Bretagne doit, en tout cas, faire réfléchir les dirigeants. Dans le cadre d'une triangulaire avec la gauche, Guy Hascoët a fait passer le score d'EE de 12 à 17 % alors même que la participation a augmenté de 4 points. Une partie de l'électorat écologiste ne veut pas d'alliance avec la gauche traditionnelle, du moins tant que celle-ci ne s'est pas profondément rénovée.
5/ Le désarroi de la droite
La conservation de l'Alsace et la conquête de la Réunion et la Guyane (avec des spécificités locales très fortes) ne peut consoler la droite. Non seulement elle ne reconquiert aucune des régions prises par la gauche en 2004, mais elle est souvent battue largement par celle-ci. L'UMP est toujours à plus de dix points du président sortant et dans certaines régions, elle subit une humiliation: 26% pour Valérie Létard dans le Nord-Pas-de-Calais (quatre points de plus que Marine Le Pen), 28 % pour Xavier Darcos en Aquitaine... Étonnamment, le discours du second tour ressemblait à celui du premier: on a certes perdu, mais on ne va pas changer grand-chose dans notre façon de faire. Un petit reliftage gouvernemental – avec l'éventuel départ des Hirsch ou Bockel, symboles de l'ouverture sarkozyenne – n'est pas à la hauteur du désarroi d'un électorat qui est nostalgique de l'élan de 2007 et ne retrouve plus son « Nicolas ». La difficulté pour la droite est la rançon de son succès: comme l'UMP a « caporalisé » son organisation, évacué tout débat depuis sa victoire, toute critique, même mesurée, est vécue comme un affront, un vrai crime-de-lèse-majesté. La période est propice à des tentatives de dissidence. Dissidence ouverte pour Dominique de Villepin qui veut empêcher la réélection de Sarkozy en 2012. Dissidence feutrée pour Jean-François Copé qui veut se placer en embuscade pour réorganiser la droite après un éventuel échec à la présidentielle. Au centre droit, l'échec du MoDem pourrait donner des envies d'autonomie (relative). L'enjeu pour la droite est le suivant: faire accepter au président de la République l'idée selon laquelle le débat et la contradiction peuvent servir son dessein pour 2012 et non l'entraver. Au vu de l'autisme élyséen, c'est pas gagné...