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La guerre entre ivresse et responsabilités

Ainsi donc, François Hollande aura connu, au bout de huit mois l'épreuve du feu. Se sentant obligé d'accélérer les manoeuvres après la soudaine attaque de rebelles du nord du Mali vers le sud, il a engagé une partie des forces militaires françaises stationnées en guerre au Mali, TouaregsAfrique sur ce terrain sahélien. Il est bien trop tôt pour faire des pronostics sur la réussite de l'opération et les délais nécessaires au repli des forces djihadistes. Le risque d'enlisement, souvent souligné, laisse à penser qu'il pourrait y avoir une guerre de positions. Or, le scénario pourrait être différent avec une stratégie de guérilla, terrorisant les populations, harcelant les forces armées. Et là, il ne s'agirait pas d'une guerre au Mali, mais au Sahel, incluant la Mauritanie, le Niger (hautement stratégique pour notre approvisionnement en uranium) voire l'Algérie. Tout en contrôlant l'essentiel des zones stratégiques, la France serait à la merci d'attaques incessantes. Le retour à la paix ne serait pas pour de si tôt.

Le cocasse - si on peut dire - dans cette affaire, c'est qu'elle intervient juste après le retrait des forces françaises d'Aghanistan, en vertu d'une promesse faite lors de la campagne électorale. Les deux contextes géopolitiques ne sont absolument pas comparables et on peut, à juste titre, prétendre qu'une déstabilisation du nord de l'Afrique aurait de lourdes conséquences pour la France (aussi bien en risques terroristes que pression migratoire liée à la destruction d'économies déjà faibles) alors que l'Afghanistan était, de ce point de vue, moins stratégique. Pour autant, la question des buts de guerre se pose dans les deux cas : à partir de quand considérera-t-on que la mission est accomplie? Comment consolider un pouvoir civil qui semble d'une fragilité totale au Mali comme chez nombre de ses voisins? Quel règlement pour la question touarègue qu'il n'est pas possible, sous peine de grave déconvenue, d'assimiler aux logiques de mort déployées par les djihadistes (ce qui ne veut pas dire que certains Touaregs ne sont pas liés à Al-Qaida)? Autant de questions qui se posent (sans oublier l'enjeu de la "transparence" de l'information pour l'instant problématique) et pour lesquelles les réponses des autorités françaises sont attendues.

Depuis ce week-end où la France est entrée en guerre, les commentaires sont allés bon train sur le changement de stature de François Hollande. Il serait métamorphosé, aurait acquis une gravité qui serait la marque d'un Président de la République. Le propos, même s'il est en partie fondé, mérite d'être discuté. Il renvoie à une mystique française qui assimile le pouvoir politique à la capacité de "faire la guerre". Alors que celle-ci a disparu de notre univers proche (à la différence des générations antérieures), alors que la moindre mort de soldat devient un drame national et que nous passons notre temps à nous protéger de tous les périls (maintenant alimentaire), notre inconscient collectif considère que c'est la guerre qui construit l'étoffe d'un chef d'Etat. Sans doute avons-nous en tête l'image du général de Gaulle. Mais dans la béatification qui est faite du chef de la "France libre", on retient essentiellement ses faits de guerre (le résistant de Londres), passant souvent sous silence sa lucidité d'avant-guerre et sa contestation des thèses militaires officielles qui ont abouti au désastre de mai-juin 1940. Le combattant, finalement, est préféré au visionnaire.

Peut-on faire un saut de 70 ans pour réfléchir à la situation française de 2013 ? Le pouvoir actuel, comme tous ses prédécesseurs, peut être tenté de jouer et de sur-jouer sur le sentiment d'unité nationale. François Hollande peut-il résister à la tentation de rouler des mécaniques et de tout ramener à la lutte contre le terrorisme (qui ne permet pas de comprendre la complexité de la situation malienne) ? Peut-il se dégager de l'ivresse de la guerre, de ce sentiment exaltant de puissance pour garder la lucidité nécessaire à l'examen froid de la situation ? Encore une fois, la sécurisation de la région (qui ne va pas être une partie de plaisir) ne suffira pas à elle seule à dégager un avenir pour celle-ci.

Les questions de construction d'un pouvoir civil solide et légitime, la définition d'un modèle de développement adapté aux réalités de cette région supposent, pour être résolues, d'évoluer dans un climat de paix, mais aussi de voir certaines réalités en face. Car si les djihadistes se sont installées dans cette région, c'est parce qu'elle est traversée par des conflits (notamment autour du statut des Touaregs) qui n'ont fait que pourir. Le grand frère français ne pouvait sans doute se défiler alors que les djihadistes menaçaient de s'installer dans les villes du Sud ; il devra également prendre ses responsabilités quand le temps de la reconstruction sera venu. Voilà pourquoi le Président Hollande serait bien inspiré de dire que notre présence au Mali, militaire comme civile, durera davantage que quelques mois.   

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