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Afrique

  • Le nouvel abécédaire ivoirien

    De retour d'un voyage privé en Côte d'Ivoire (août 2013), je vous propose ce regard sur ce pays que je commence à connaître, deux ans après l'arrivée mouvementée - pour ne pas dire plus - d'Alassane Ouattara au pouvoir. Ce panorama sous forme d'abécédaire (incomplet) est évidemment partiel et subjectif et il ne vise ni à encenser le pays ni à le dépeindre en noir. La forme de l'abécédaire suppose des paragraphes courts là où de grands développements seraient nécessaires. D'où certains raccourcis et des formules lapidaires... Bonne lecture qui peut se faire dans n'importe quel ordre !

    A comme Amour 

    Pas très original comme entame, me direz-vous, mais l'amour emplit (peut-être plus qu'ailleurs) les conversations. Entre ceux qui vous demandent de leur trouver un(e) Français(e), ceux qui ne voudraient se marier mais n'ont pas les moyens et ceux qui "jonglent" entre plusieurs relations de façon plus ou moins ouverte... l'amour est le sujet number one. Avec des incompréhensions réciproques. Pour schématiser, les hommes reprochent aux femmes d'être vénales et de se donner au plus offrant. Tel jeune me raconte que la femme avec qui il a eu un enfant est partie dans les bras d'un autre car celui-ci était plus fortuné. Les femmes, de leur côté, jugent les hommes peu sérieux, coureurs et sans souci du lendemain. D'où l'espoir de conquérir le coeur d'un Européen jugé plus sérieux. Les blagues, les taquineries entre hommes et femmes sont permanentes, mélange d'humour (une spécialité ivoirienne) et de malaise ambiant...

    B comme Brouteurs

    Attention, il ne s'agit pas de ruminants locaux ! Les "brouteurs" sont des jeunes hommes férus de nouvelles technologies qui escroquent des Occidentaux en se faisant souvent passer pour de jeunes et belles jeunes filles. En clair, grâce aux divers réseaux sociaux et tchat de dialogue/drague, ils entrent en relation avec des hommes souvent d'âge mur en Europe et une fois la confiance instaurée, lui demandent de leur envoyer une somme plus ou moins importante pour faire face aux aléas de la vie: maladie, décès d'un proche ou tout simplement galère* quotidienne. Le phénomène est loin d'être anecdotique : selon une étude du gouvernement ivoirien, cette arnaque aurait rapporté 21 millions d'euros en 2010. Alors que le salaire moyen d'un enseignant (considéré comme plutôt bien payé par rapport aux autres fonctionnaires) est compris entre 400 et 800 euros, les" brouteurs" reçoivent régulièrement des sommes de 200 à 1000 euros. Le système est bien organisé avec des complicités dans les boutiques d'envoi international d'argent (car sinon, comment retirer le mandat avec une identité qui ne correspond pas ?). Cela peut choquer, mais la vie nocturne particulièrement animée est grandement financée par le pouvoir d'achat conséquent de ces "brouteurs". Pour un jeune lambda, il est impossible de financer une soirée particulièrement arrosée (et Dieu sait si la bière coule à flot) qui va coûter, au bas mot, 10 000 à 15 000 Fcfa (soit 15 à 20 euros). Cette situation renvoie évidemment au manque de perspectives d'avenir pour nombre de jeunes trop vite déscolarisés.  

    C comme Corruption 

    Impossible de les rater, ces grands panneaux d'affichage du pays ! La lutte contre la corruption est devenue une priorité gouvernementale. Entre les policiers qui "rançonnent" les taxis, lesEntrer des mots clefs fonctionnaires qui accélèrent subitement la délivrance de papiers dès que quelques billets leur sont donnés ou les juges qu'on accuse de remettre très vite en liberté des condamnés grâce à des sommes rondelettes, etc., le pays vit au quotidien ces pratiques. Alors, le pari gouvernemental peut-il être gagné ? Ce sera, de toute façon, long tellement cette pratique semble ancrée dans les habitudes. Un administré, même s'il se déclare hostile à la corruption, considère qu'il n'a pas d'autre choix que de "graisser la patte" d'un fonctionnaire (dont le salaire est souvent médiocre) plutôt que d'activer les différentes voies de recours possible face à un blocage. Pour être crédible, le nouveau pouvoir devrait sans doute lancer des enquêtes sur les pratiques de certains hauts fonctionnaires ou responsables politiques qui ont la fâcheuse tendance de s'enrichir presque aussi vite que notre Tapie national...

    D comme Désarmement  

    L'un des grands problèmes en Côte d'Ivoire a pour nom l'insécurité. Les années de guerre ont conduit à la dissémination des armes parfois très modernes. Les miliciens n'ont pas été désarmés, même si le gouvernement a constitué un organisme "Désarmement, Démobilisation et Réintégration" (DDR) chargé de recaser dans la vie civile ou dans l'armée régulière les anciens miliciens qui ont très souvent rançonné les populations. En moyenne, 800 000 Fcfa (environ 1200 €) seraient alloués aux anciens combattants qui rendraient les armes et s'inscriraient dans un  projet de réinsertion. C'est beaucoup pour un pays pauvre, mais c'est sans doute trop peu pour des personnes qui ont vécu la grande vie pendant plusieurs années. De plus, certains ex-miliciens craignent pour leur sécurité, une fois désarmés. Des proches de leurs victimes pourraient être tentés de se venger, en l'absence de justice. Comme beaucoup de pays sortant de guerre, la Côte d'Ivoire est confrontée au dilemme de la nécessaire réconciliation face à la difficile justice par rapport à des milliers d'actes criminels.      

    E comme Environnement

    Bien entendu, face à la pauvreté endémique d'une partie de la population, il n'est pas facile d'intéresser les Ivoiriens au drame écologique ! Et pourtant, il y a urgence dans ce pays : la dégradation de l'environnement constitue une vraie menace pour la santé des populations. L'état de la lagune Ebrié autour de laquelle  s'est construite la grande agglomération d'Abidjan est Entrer des mots clefscatastrophique : l'eau est empli de déchets de tous ordres (y compris pharmaceutiques) et les poissons qui y sont (encore) pêchés seraient très souvent contaminés par divers métaux. Il faut dire que tout le monde (ménages, industries et même hôpitaux) déversent allègrement ses déchets dans les eaux. Au quotidien, trouver une poubelle dans les rues relève de l'exploit, si bien qu'on finit par faire comme tout le monde : jeter par terre. A la question de savoir pourquoi on n'installe pas des poubelles, on me répond qu'elles seraient immédiatement arrachées pour que le fer soit revendu... Toujours est-il qu'une bombe silencieuse est en train de se préparer dans ce pays de 22 millions d'habitants qui voit sa population augmenter de 2 % l'an. 

    G comme Galère

    "Fier d'être truand ? Oui. Parce que la galère m'oblige à l'être". Sur un tee-shirt, un jeune n'hésite pas à afficher ainsi son "identité". Ce mot galère est dans toutes les conversations. La vie chère, les salaires versés avec beaucoup de retard, le chômage massif, les embouteillages permanents à Abidjan... tout conduit à diffuser ce sentiment d'une galère permanente, d'une vie impossible. Dans ce contexte, les batailles politiciennes, les luttes de succession (pour remplacer l'octogénaire Bédié à la tête du PDCI ou pour reprendre le flambeau de Gbagbo, détenu à la Haye, à la direction du FPI) et le chemin étroit pour la réconciliation ont tendance à ne passionner que modérément les habitants qui ont pris, ici comme ailleurs, beaucoup de distance avec les intrigues du sommet.

    I comme Ivoirité

    Ce concept mis en avant par le gouvernement Bédié visait, entre autres, à écarter l'ancien rival devenu président, Ouattara, dont la nationalité ivoirienne était jugée douteuse. Cette idée reprise ensuite à son compte par le président Gbagbo, toujours avec le même objectif, a alimenté un sentiment de xénophobie latent dirigé notamment contre les Burkinabès qui sont arrivés nombreux à la faveur du boom économique lié à l'envolée des cours du cacao/café lors des années 70/80. Populisme (malheureusement) classique en temps de crise ! L'arrivée au pouvoir de celui dont on jugeait l'ivoirité douteuse a évidemment mis un point d'arrêt à cette idée mortifère pour ce pays profondément métissé.  Par un autre biais, la question de l'ivoirité est revenue au centre des débats : le pouvoir a défendu une loi (récemment adoptée par l'Assemblée) permettant à des milliers d'apatrides d'obtenir - sous conditions - la nationalité ivoirienne. Pour les opposants à Ouattara, il s'agit d'un moyen de préparer sa réélection en 2015, cette population étant considérée comme lui étant favorable. Pour autant, le climat semble apaisé : les Ivoiriens ont assez "soupé" des divisions pour se déchirer à nouveau sur l'ivoirité. Personne ne s'en plaindra !    

    K comme Korhogo

    La grande ville du Nord du pays a des allures de grand bourg tranquille de province. Ici, les milliers de motos envahissent le bitume (ou très souvent la terre battue) et les voitures sont plutôt rares par rapport à la capitale économique. La belle cité du Nord qui s'inscrit dans une région agricole tient Entrer des mots clefspeut-être sa revanche avec l'élection de Ouattara qui a des soutiens importants dans la région. D'ailleurs, celui-ci y a fait une visite importante ces derniers mois. Ce qui a eu pour effet d'accélérer le goudronnage de routes urbaines au centre même de la ville. Indéniablement, le Nord du pays souffre d'un retard de développement important. Dans cette région agricole qui fournit le pays en manioc (essentiel pour le plat national qu'est l'attiéké), en arachide, en riz ou en fruits divers, de nombreux villages souffrent de vrais problèmes alimentaires. Des ONG internationales interviennent notamment à la période de la soudure, ce moment où les réserves alimentaires sont épuisées alors que les récoltes se font encore attendre. Les potentialités de développement agricole semblent importants, mais cela supposerait que le pays croit un peu plus dans ses paysans et rêve un peu moins dans le matérialisme des villes qui n'est que mirage par la majorité désargentée de la population.

    M comme Maquis

    Même si certains opposants rêvent de résistance, le maquis n'a aucune connotation politique. Il désigne ce lieu semi-ouvert où Entrer des mots clefsbeaucoup de jeunes - mais pas simplement - de retrouvent en fin de journée pour des soirées riches en musique (avec un fort volume sonore) et en boissons (surtout la bière). Ces maquis ne semblent pas connaître la crise car ils ne désemplissent que tard dans la nuit. Ils sont souvent l'occasion de joutes oratoires de "boucantiers" qui, sur des musiques endiablées, commentent l'actualité musicale ou sociale. Mas certains de ces lieux sont face à une menace lancinante, celle de la fermeture par les autorités de police pour cause tapage nocturne. Des activités illicites sont également dénoncées, sans que l'on sache si la présence massive des "brouteurs" pose un problème aux autorités censées combattre cette activité. 

    O comme Ouattara

    Après une dizaine d'années de vaines tentatives, l'ancien Premier ministre de Houphouët-Boigny est enfin arrivé à la tête de l'Etat. Tout le monde se souvient encore des circonstances dramatiques lors de l'hiver 2010-2011 par lesquelles il est devenu chef de l'Etat : victoire électorale contestée par le sortant, retranchement dans un  hôtel bunkérisé, bombardements et tueries, interventions de l'armée française pour déloger Gbagbo... Depuis un peu plus de deux ans, il est donc aux manettes de laEntrer des mots clefs Côte d'Ivoire. Alors quel premier bilan ? Disons qu'il n'a pas fait de miracle. Si des grands travaux d'infrastructures ont été lancés ou relancés, si la propreté de la capitale est moins catastrophique, le quotidien d'une grande majorité de la population ne s'est guère amélioré. Le président est également accusé de n'être que trop rarement présent dans le pays, multipliant les voyages à l'extérieur. Lui plaide que son pays doit retrouver sa place dans le concert des Nations (ce qui importe peu au peuple) et que le redémarrage du pays passe par des soutiens financiers importants. Qui tardent à arriver. Reste que Ouattara a toutes les chances de se succéder à lui-même en 2015. Même si son bilan risque d'être assez maigre, il est sur la voie d'un désarmement progressif des milices et semble réussir à rétablir la paix troublée depuis une quinzaine d'années dans ce pays où se sont succédés coup d'Etat, violences et impunité des groupes armés qui n'étaient parfois rien d'autre que des bandits de grand chemin.      

    P comme Presse

    Pas de kiosque à journaux avec des présentoirs modernes ! A Abidjan, comme dans les grandes villes, les gens découvrent les titres de la presse quotidienne punaisés sur une planche de bois. Les lecteurs sont scotchés devant ce présentoir de longues minutes sans forcément sortir les 200 Fcfajournaux rue.jpg (0,30€) nécessaires à l'achat. Il faut dire qu'il y a de quoi lire avec la quinzaine de titres quotidiens nationaux aux titres souvent tranchés. L'actualité strictement politique occupe le devant de la scène, avec souvent des retours sur les évènements de fin 2010-début 2011 (le duel présidentiel Ouattara/Gbagbo. Deux exemples. "De retour d'exil du Ghana après 2 ans, un "patriote" [partisan de Gbagbo] se déchaîne. Tout sur la méchanceté des barons du FPI" [parti de l'ancien président], titre ainsi L'Expression le 12 août.Quelques jours plus tôt, Aujourd'hui (qui ressemble furieusement au Figaro françaisproposait un "témoignage exclusif" : "J'étais à la résidence. Gbagbo n'avait pas de bunker. C'est Dieu qui l'a sauvé." Parfois, l'information proposée n'est pas tout à fait à la hauteur du titre alléchant. La presse a tendance à voir des complots partout sans étayer ses affirmations. En revanche, peu de reportages sur les réalités sociales vécues par la population, sur la galère quotidienne, l'enfer des transports ou la pauvreté endémiques de certains villages. La faiblesse des moyens accordés aux rédactions explique-t-elle ce désintérêt pour la vie quotidienne ? Sans doute en partie, mais il faudrait également s'interroger sur les liens qui unissent les directeurs de rédaction avec tel ou tel ténor politique et sur le fait qu'aucun journal important n'est imprimé à l'extérieur d'Abidjan. Citons Entrer des mots clefscependant un satirique bien inspiré, L'éléphant déchaîné qui n'a pas sa langue dans sa poche face au pouvoir et à son opposition. Ses titres sont souvent bien sentis, comme celui-ci en référence à l'inamovible Bédié : "Journée internationale de la jeunesse: célébrons nos jeunes de 80 ans". 

     

    R comme Réconciliation

    C'est l'un des maîtres-mots du nouveau pouvoir. Il faut tourner la page des années noires de la Côte d'Ivoire, en un mot se ré-con-ci-lier. Ces dernières semaines, deux gestes forts se sont inscrits dans cette direction. Juste avant la fête nationale début août, 14 proches de l'ancien président sont sortis de prison (semble-t-il sous la pression des bailleurs internationaux). d'autre part, l'actuel président de l'Assemblée, l'ambitieux Guillaume Soro, a fait un voyage très médiatisé en terres bété, fief de Laurent Gbagbo. Reste que la réconciliation est encore loin d'être aboutie. Les rancoeurs sont encore trop fortes dans le camp de l'ex-président et la presse a tendance (pour vendre ?) à alimenter les tensions, relayant les déclarations va-t-en-guerre des uns et des autres (à l'exception, notamment, du journal Le Jour qui propose des pages "de la réconciliation et de la reconstruction"). Il faut dire également que la façon de juger les crimes de guerre est particulièrement inéquitable. La justice poursuit des dizaines d'anciens partisans de Gbagbo, mais a "oublié" d'enquêter sur des crimes (notamment dans l'ouest du pays) attribués à des miliciens proches de Ouattara. La réconciliation annoncée demande de l'exemplarité. On en est loin...

    V comme Village

    "Je vais au village". Cette formule, vous l'entendrez souvent dans la bouche d'Abidjanais qui n'ont pas oublié d'où ils venaient ou d'où leurs parents sont issus. Le village représente beaucoup Entrer des mots clefsdans l'imaginaire de ces nouveaux urbains. L'endroit un peu idéalisé où l'on oublie le stress d'une capitale qui compterait environ 5 millions d'habitants, où l'on parle la langue de son ethnie (alors qu'Abidjan est très francophone) et où l'on ressoude les liens familiaux souvent distendus. Le village assure également une sorte de sécurité alimentaire puisqu'on y cultive des produits fort utiles quand l'argent s'envole du porte-monnaie. De nombreux urbains y ont leur petite (ou grande) maison et quelques ares de terre. Le village a également constitué un refuge pendant la période de violences (même si les exactions contre des villageois n'ont pas manqué). En un mot, le village représente le paradis pour les urbains. Sauf que les jeunes qui y vivent n'ont généralement qu'une envie : le quitter pour découvrir les lumières de la ville...  

    W comme Wôrô wôro

    Non, il ne s'agit pas d'une nouvelle danse qui va envahir la scène mondiale. Les wôrô wôro désignent des taxis locaux qui assurent pour  une somme modique des trajets au sein d'une même commune d'Abidjan. Chacune a sa couleur de wôrô wôrô. Ceux-ci sont en concurrence ouverte avec les taxis compteur (qui ne l'utilisent pas depuis belle lurette) qui, eux, assurent des transports sur tout le district d'Abidjan. Avec ces taxis orange, tout le monde négocie avant le départ le prix de la couEntrer des mots clefsrse (qui oscille généralement entre 2 000 à 4 000 Fcfa - soit 3 à 6 €). Dans la jungle des transports urbains, il faut compter également avec les gbakas (voir photo) qui sont des mini-bus  transportant une bonne dizaine de personnes sur des lignes fixes inter-communales. D'état général assez médiocre, ces modes de transport sont indispensables à la vie des gens dont peu disposent d'un véhicule personnel. Une grève des transports intercommunaux (taxis compteur et gbakas) qui se jugent défavorisés fiscalement par rapport aux wôrô wôrô, annoncée pour fin août, pourrait avoir le même genre d'effet qu'une grève des RER dans la région parisienne... 

  • Tunisie: les conséquences du raté français

    Ces dernières semaines, le rôle et l'image de la France ont été sérieusement ébranlés sur le continent africain. L'effondrement du régime Ben Ali a cristallisé les critiques contre notre pays. Les autorités ont regatunisie-manifestations.jpgrdé avec indifférence voire méfiance le soulèvement populaire, n'y voyant pas l'aspiration profonde du peuple à recouvrer une liberté si longtemps confisquée. On se souvient de l'enthousiasme avec lequel avait été accueilli la contestation étudiante en Iran voici deux à trois ans. Enthousiasme à géométrie variable! Mais les errements ne se sont pas arrêtés là. S'apercevant de la détermination sans faille des manifestants, les autorités françaises ont paru se porter au secours du régime dictatorial en lui proposant, par la voix du ministre des Affaires étrangères, de lui donner un coup de main pour le maintien de l'ordre. Que proposait exactement la peu inspirée Michèle Alliot-Marie? Mystères et boules de gomme, mais le trouble est profond. Du temps de la révolte perse, on n'a entendu telle proposition en faveur du régime des mollahs...

    On aurait espéré qu'une fois le dictateur kleptomane envolé vers les contrées saoudiennes, la France se ressaisirait en saluant le renversement par le peuple, relativement pacifiquemben ali.jpgent, du régime à bout de souffle (ce que n'a pas manqué de faire Barack Obama). Eh bien non, notre diplomatie s'est contentée de « prendre acte » du changement. Pour éviter d'accabler encore les autorités, on oubliera les déclarations complaisantes de quelques ministres, comme Bruno Le Maire (promis, dit-on, à un bel avenir) ou de Frédéric Mitterrand. On mettra cela sur le compte de la fatigue responsable du manque de lucidité là où d'aucuns feront le lien avec quelques voyages gracieux au paradis tunisien dont on dit que sa majesté Ben Ali n'était pas avare.

    Ce raté total de la diplomatie française n'est pas due au hasard. Puisqu'au Maghreb et dans la région, le seul mot d'ordre est (était?) la lutte contre l'islamisme, la Tunisie laïque était un rempart précieux. Tant pis, dans l'esprit de nos stratèges français, si s'était organisé dans ce petit pays un système mafieux de prédation de toutes richesses au profit notamment de la belle-famille du président! Tant pis si les journalistes, les avocats et les simples citoyens étaient régulièrement arrêtés, brimés voire torturés! Tant pis enfin si s'était installé à 2 h de Paris un culte de la personnalité hallucinant digne de la Roumanie de Ceaucescu! Puisque la (dé)raison d'Etat l'imposait.

    Cette attitude contraire à l'esprit des droits de l'homme est d'autant plus insupportable que Nicolas Sarkozy maison (31).jpgdonne des leçons de démocratie à la Côte d'Ivoire. Il a tout à fait raison, du point de vue du droit international, de ne pas reconnaître le président auto-proclamé Laurent Gbagbo et de soutenir le rival Alassane Ouattara, mais la leçon a du mal à passer après cet épisode tunisien. Une partie des Ivoiriens et des Africains soutient d'ailleurs Gbagbo plus pour faire un pied de nez à la France, que par sympathie pour un homme qui a montré plus de talent dans la ruse que dans le courage politique. Le discours que Nicolas Sarkozy prononça avant les fêtes où il posa un ultimatum à celui-ci pour quitter le pouvoir illustrait bien cette incompréhension totale de la psychologie africaine de celui qui fit ce discours ahurissant de Dakar, à l'été 2007, dans lequel il considérait que l'homme africain n'était pas entré dans l'histoire.

    La conséquence de cette diplomatie des droits de l'homme à géométrie variable est de discréditer totalement toute parole française. Cela ne sert qu'à renforcer le cynisme de certains dirigeants africains qui tirent leur légitimité d'un affrontement avec la puissance occidentale. Ces temps-ci, le pouvoir ivoirien se compare au destin de Lumumba, leader congolais assassiné par une alliance entre le clan Mobutu et l'ancien colonisateur belge. L'analogie est grossière sur tous les plans, mais l'attitude intransigeante ici, complaisante là, de notre pays renforce le sentiment que la France est restée colonisatrice. Dans l'esprit de beaucoup, si celle-ci soutient Ouattara, ce n'est pas au nom de principes démocratiques (le perdant s'incline devant le gagnant) mais au nom d'intérêts bien compris (Ouattara, ayant eu des responsabilités au FMI notamment, est considéré comme très proche des intérêts occidentaux). L'irresponsabilité française face à la révolution tunisienne ne peut que renforcer ce refus d'entendre toute parole -même juste- venant de l'hémisphère nord.

    En 2008, le Suisse Jean Ziegler expliquait, dans son livre La Haine de l'Occident (Albin Michel), pourquoi les peuples et les élites du Sud n'ont plus aucune confiance dans les pays riches et pourquoi, à la faveur de l'impossibilité de voyager (visas difficiles à obtenir), des politiques commerciales agressives et des hypocrisies diplomatiques, montait un sentiment de haine facteur de divisions et de montée de périls (comme on le voit dans le Sahara avec l'impunité dont jouissent les militants d'Al Qeida. Sans vouloir lui donner de leçon, on conseillera au Président Sarkozy de se précipiter sur ce livre pour mieux comprendre ce qui se joue aujourd'hui dans les rapports entre pays riches et pays pauvres.

     

  • La faillite politique ivoirienne

    L'élection présidentielle tant attendue qui devait clarifier la situation ivoirienne se conclut par une tragicomédie. LGbagbo_Ouattara.jpgaquelle pourrait déboucher sur un bain de sang et/ou sur une situation de paralysie institutionnelle. Comment en est-on arrivé là? Comment l'un des processus électoraux les plus coûteux et les plus surveillés au monde de ces dernières années peut-il se transformer en fiasco général? Pourquoi un tel gâchis?

    Même si la situation est loin d'être clarifiée quelques heures après la décision du Conseil constitutionnel invalidant les résultats annoncés la veille par la Commission électoralcote-d-ivoire-CEI.jpge indépendante (CEI) et déclarant Laurent Gbagbo élu par 51,5% des voix contre Alassane Ouattara, il est possible de dégager les principales responsabilités dans ce fiasco. Dans un précédent  post du 7 août, intitulé « Côte d'Ivoire: la gueule de bois », je notais la situation de paralysie économique et politique de ce pays qui fut, voici une vingtaine d'années, la locomotive de l'Afrique de l'Ouest.

    La classe politique ivoirienne, incapable de passer le relais à une nouvelle génération, cramponnée à une vision tribaliste du pays, a fait la preuve de son irresponsabilité. Il faut bien réaliser que les trois principaux leaders politiques - Gbagbo, Ouattara et Bédié - se côtoient, s'affrontent, se déchirent depuis une bonne trentaine d'année. Le président sortant était dans l'opposition – et parfois dans les prisons du régime – alors que les deux autres, aujourd'hui alliés, se déchiraient pour récupérer l'héritage d'un Houphouët Boigny vieillissant. La France a connu pendant les années 70-80 la bagarre fratricide entre VGE et Chirac; en Côte d'Ivoire, l'affrontement entre ces trois protagonistes dure depuis deux bonnes décennies.

    Dans un pays particulièrement jeune, trois sexagénaires (voire septuagénaire pour Bédié) se disputent les rênes du pouvoir. Leurs alliances varient au gré des circonstances: on a ainsi vu Bédié, président de la République dans les années 90, activer la notion xénophobe d'ivoirité pour écarter son rival Ouattara – dont l'un des parents est burkinabé – avant de faire aujourd'hui alliance avec lui pour éviter la réélection de Laurent Gbagbo. Quelle crédibilité peuvent avoir des dirigeants depuis si longtemps accrochés au pouvoir, complètement coupés des réalités populaires, profitant de leurs années de pouvoir pour enrichir leurs proches?

    Le seul intérêt que pourrait avoir cette crise ouverte par le scrutin présidentiel serait de renouveler profondément les leaders politiques. Mais cela suppose un vrai travail pour approfondir le contenu decote-d-ivoire-election.jpg la démocratie. Car il faut bien le dire, la capacité d'accepter la victoire de l'adversaire dans le cadre d'une compétition électorale est très peu répandue dans ce pays comme souvent sur le continent africain. Les fraudes et intimidations que chaque camp a organisées méthodiquement pour ce second tour témoignent de la faible adhésion à une éthique de la démocratie. Et pourtant, les taux de participation particulièrement élevés (entre 70 et 80%) prouvent la forte attente du peuple dans ce scrutin. Celui-ci espérait une clarification des responsabilités et la définition d'objectifs clairs pour sortir le pays du marasme; l'occasion est ratée et il n'est sûr qu'elle se représentera de sitôt.

    Mais il faut aussi s'interroger sur les responsabilités de la communauté internationale. Comment expliquer qu'avec tant de forces armées et diplomatiques présentes sur place, le scrutin n'a pas pu être surveillé de bout en bout? Est-ce par excès de confiance dans les protagonistes du conflit ou par négligence coupable, toujours est-il que le manque de vigilance dans la sécurisation du scrutin et dans la remontée rapide des résultats a contribué à installer cette situation de confusion. L'argument majeur des partisans de Gbagbo pour discréditer les résultats de la CEI a été le retard dans la proclamation des résultats (ils auraient dû intervenir au plus tard mercredi à minuit alors qu'ils ont été proclamés le lendemain). Au lieu d'accuser les protagonistes ivoiriens (qui ne sont pas blancs comme neige et devront répondre de leur irresponsabilité criminelle), les responsables onusiens devraient s'interroger sur les raisons de cet échec majeur pour la communauté internationale. La question qui est posée est la suivante: peut-on et doit-on organiser au forceps des élections quand les principaux acteurs ne sont pas prêts à se plier à la dure loi de la démocratie (on peut gagner, mais on peut perdre)?

    Reste que le principal perdant dans ce triste épisode pseudo-électoral est le peuple ivoirien. Les déchirures d'hier, au lieu de se cicatriser, vont s'ouvrir de nouveau. D'autant que le vote de plusieurs régions du nord de la Côte d'Ivoire a été invalidé par le conseil constitutionnel qui argue de fraudes manifestes (oubliant des pratiques douteuses dans d'autres régions du pays). Cela pourrait être interprété comme un refus de reconnaître à ces populations - majoritairement musulmanes - leur pleine citoyenneté ivoirienne.

    Et puis, le blocage probable du pays ne permettra pas de créer une mobilisation générale face aux défis ivoiriens. L'exaspération populaire ne pourra que s'exacerber. Le pays risque de devenir ingouvernable d'autant que des masses de plus en plus fournies de « pauvres sans avenir » pourraient se lancer dans des actions aussi violentes que sans issue. Comme on peut le voir, cette élection ratée risque d'avoir de graves conséquences sur le pays et peut-être dans la sous-région qui pourrait être déstabilisée si d'aventure les choses s'envenimaient.

  • Les anti-corruption marquent un point

    Ces derniers jours, une décision de la justice française n'a pas eu le retentissement qu'elle aurait mérité. La Biens_mal_acquis2.jpgCour de cassation a, en effet, ouvert la voie à une enquête indépendante dans l'affaire des biens mal acquis. De quoi s'agit-il? Trois ONG françaises (Transparency International, Sherpa et le Comité catholique contre la faim et pour le développement - CCFD) ont déposé en 2007 une plainte contre trois présidents-dictateurs africains qui auraient détourné une partie des richesses de leur pays pour acquérir des biens considérables notamment en France.

    Selon l'enquête de la police française, la famille Bongo (à droite sur la photo), maître du Gabon, aurait ainsi accumulé 39 propriétés et 70 comptes bancaires; la famille Sassou N'Guesso (au centre), du CongoBiens mal acquis 1.jpg-Brazzaville, aurait acquis 18 propriétés et détiendrait plus de 100 comptes bancaires; quant à l'équato-guinéen Teodora Obiang N'Guema, le plus sanguinaire des trois, son butin est moins impressionnant avec une propriété, un compte bancaire et huit voitures de luxe (représentant plus de quatre millions d'euros).

    Jusque-là, les juridictions françaises avaient sagement bloqué l'avancée de la justice, les trois accusés faisant jouer de leurs multiples moyens de pression pour bloquer les enquêtes. On se souvient de la façon dont feu Omar Bongo avait obtenu le limogeage de Jean-Marie Bockel, coupable d'avoir mis en cause la Françafrique - cette imbrication politico-mafieuse de grandes entreprises françaises et des élites nationales des ex-pays colonisés avec la bénédiction de l'Elysée. Les présidents indélicats invoquaient notamment le néocolonialisme pour discréditer toute volonté de la justice française de s'intéresser aux comptes de présidents de pays souverains.

    En validant la possibilité pour Transparency International de se constituer partie civile dans cette affaire des biens mal acquis, la Cour de cassation reconnaît le rôle essentiel des ONG dans la dénonciation des malversations des dirigeants du monde. Elle ouvre un champ immense pour l'action citoyenne contre les enrichissements particulièrement éhontés de certains dirigeants des pays pauvres. Il serait souhaitable que d'autres actions soient engagées contre d'autres dictateurs indélicats pour que le soupçon de néocolonialisme s'évapore.

    Alors que peut donner cette action en justice? Le scénario le plus optimiste verrait la France appliquer l'arrêt suisse Abache, du nom d'un ancien dictateur nigérian dont la fortune accumulée en Suisse a été rétrocédée à son pays. Bien entendu, les obstacles ne vont pas manquer et l'affaire ne pourra pas déboucher avant deux ou trois ans. On peut supposer que tous les réseaux, y compris maçonniques, vont être mobilisés pour entraver l'action de la justice. Il sera d'ailleurs intéressant de noter l'identité du futur ministre (ou secrétaire d'Etat) du gouvernement français pour connaître les intentions de l'entourage de Nicolas Sarkozy: le pouvoir mettra-t-il tout en œuvre pour bloquer, ou tout du moins ralentir, l'établissement de la vérité ou au contraire, restera-t-il dans une prudente neutralité?

    En tout cas, cet arrêt de la Cour de cassation jette une petite pierre dans le jardin si protégé des puissants du monde. Il montre que l'impunité à tous les faits de corruption et de détournement des fonds publics n'est pas complètement garantie. Si cela pouvait inquiéter un tant soi peu les truands qui hantent les palais officiels, l'action de la justice française n'aurait déjà pas été inutile, quelle que soit l'issue de l'affaire des biens mal acquis.