Ces dernières semaines, le rôle et l'image de la France ont été sérieusement ébranlés sur le continent africain. L'effondrement du régime Ben Ali a cristallisé les critiques contre notre pays. Les autorités ont rega
rdé avec indifférence voire méfiance le soulèvement populaire, n'y voyant pas l'aspiration profonde du peuple à recouvrer une liberté si longtemps confisquée. On se souvient de l'enthousiasme avec lequel avait été accueilli la contestation étudiante en Iran voici deux à trois ans. Enthousiasme à géométrie variable! Mais les errements ne se sont pas arrêtés là. S'apercevant de la détermination sans faille des manifestants, les autorités françaises ont paru se porter au secours du régime dictatorial en lui proposant, par la voix du ministre des Affaires étrangères, de lui donner un coup de main pour le maintien de l'ordre. Que proposait exactement la peu inspirée Michèle Alliot-Marie? Mystères et boules de gomme, mais le trouble est profond. Du temps de la révolte perse, on n'a entendu telle proposition en faveur du régime des mollahs...
On aurait espéré qu'une fois le dictateur kleptomane envolé vers les contrées saoudiennes, la France se ressaisirait en saluant le renversement par le peuple, relativement pacifiquem
ent, du régime à bout de souffle (ce que n'a pas manqué de faire Barack Obama). Eh bien non, notre diplomatie s'est contentée de « prendre acte » du changement. Pour éviter d'accabler encore les autorités, on oubliera les déclarations complaisantes de quelques ministres, comme Bruno Le Maire (promis, dit-on, à un bel avenir) ou de Frédéric Mitterrand. On mettra cela sur le compte de la fatigue responsable du manque de lucidité là où d'aucuns feront le lien avec quelques voyages gracieux au paradis tunisien dont on dit que sa majesté Ben Ali n'était pas avare.
Ce raté total de la diplomatie française n'est pas due au hasard. Puisqu'au Maghreb et dans la région, le seul mot d'ordre est (était?) la lutte contre l'islamisme, la Tunisie laïque était un rempart précieux. Tant pis, dans l'esprit de nos stratèges français, si s'était organisé dans ce petit pays un système mafieux de prédation de toutes richesses au profit notamment de la belle-famille du président! Tant pis si les journalistes, les avocats et les simples citoyens étaient régulièrement arrêtés, brimés voire torturés! Tant pis enfin si s'était installé à 2 h de Paris un culte de la personnalité hallucinant digne de la Roumanie de Ceaucescu! Puisque la (dé)raison d'Etat l'imposait.
Cette attitude contraire à l'esprit des droits de l'homme est d'autant plus insupportable que Nicolas Sarkozy
donne des leçons de démocratie à la Côte d'Ivoire. Il a tout à fait raison, du point de vue du droit international, de ne pas reconnaître le président auto-proclamé Laurent Gbagbo et de soutenir le rival Alassane Ouattara, mais la leçon a du mal à passer après cet épisode tunisien. Une partie des Ivoiriens et des Africains soutient d'ailleurs Gbagbo plus pour faire un pied de nez à la France, que par sympathie pour un homme qui a montré plus de talent dans la ruse que dans le courage politique. Le discours que Nicolas Sarkozy prononça avant les fêtes où il posa un ultimatum à celui-ci pour quitter le pouvoir illustrait bien cette incompréhension totale de la psychologie africaine de celui qui fit ce discours ahurissant de Dakar, à l'été 2007, dans lequel il considérait que l'homme africain n'était pas entré dans l'histoire.
La conséquence de cette diplomatie des droits de l'homme à géométrie variable est de discréditer totalement toute parole française. Cela ne sert qu'à renforcer le cynisme de certains dirigeants africains qui tirent leur légitimité d'un affrontement avec la puissance occidentale. Ces temps-ci, le pouvoir ivoirien se compare au destin de Lumumba, leader congolais assassiné par une alliance entre le clan Mobutu et l'ancien colonisateur belge. L'analogie est grossière sur tous les plans, mais l'attitude intransigeante ici, complaisante là, de notre pays renforce le sentiment que la France est restée colonisatrice. Dans l'esprit de beaucoup, si celle-ci soutient Ouattara, ce n'est pas au nom de principes démocratiques (le perdant s'incline devant le gagnant) mais au nom d'intérêts bien compris (Ouattara, ayant eu des responsabilités au FMI notamment, est considéré comme très proche des intérêts occidentaux). L'irresponsabilité française face à la révolution tunisienne ne peut que renforcer ce refus d'entendre toute parole -même juste- venant de l'hémisphère nord.
En 2008, le Suisse Jean Ziegler expliquait, dans son livre La Haine de l'Occident (Albin Michel), pourquoi les peuples et les élites du Sud n'ont plus aucune confiance dans les pays riches et pourquoi, à la faveur de l'impossibilité de voyager (visas difficiles à obtenir), des politiques commerciales agressives et des hypocrisies diplomatiques, montait un sentiment de haine facteur de divisions et de montée de périls (comme on le voit dans le Sahara avec l'impunité dont jouissent les militants d'Al Qeida. Sans vouloir lui donner de leçon, on conseillera au Président Sarkozy de se précipiter sur ce livre pour mieux comprendre ce qui se joue aujourd'hui dans les rapports entre pays riches et pays pauvres.
ndéracinables qui se vouent une haine tenace. D'un côté, Henri Konan Bédié (au centre sur la photo), dauphin officiel du « Vieux » - nom donné au premier Président – qui lui a succédé avant d'être chassé du pouvoir par un coup d'Etat conduit par le général Gueï. De l'autre, Alassane Dramane Ouattara, dit « Ado » (à gauche), le dernier Premier ministre du « Vieux », empêché de se présenter aux divers scrutins présidentiels (1995 et 2000) par un artifice douteux (sa nationalité ivoirienne lui fut contestée après des tripatouillages juridiques). Au centre – si on peut dire – Laurent Gbagbo, l'opposant historique à Houphouët devenu président de la République en 2000 suite à un scrutin pour le moins confus. Aucun de ces trois prétendants n'est en capacité de créer le consensus autour de lui – ou du moins de dégager une large majorité -, mais aucune autre alternative, qui ne serait pas prisonnière de l'ère Houphouët et proposerait une redistribution des cartes, ne peut se dégager dans un tel contexte.
er, Bédié, est vieillissant (76 ans), doté d'un charisme médiocre, et n'a pas un très bon bilan à défendre. Pendant ces six années de présidence, il s'est plus acharné à barrer la route à Ado qu'à prendre les mesures adéquates pour faire face aux conséquences de la dégringolade des cours du cacao à l'oeuvre depuis le début des années 80. Surtout, il est le propagateur des théories de « l'ivoirité » dont les effets délétères continuent à polluer le débat politique. Dans un pays marqué depuis longtemps par une forte immigration – notamment burkinabé -, il s'agissait de distinguer parmi les habitants ceux qui étaient ivoirien de souche de ceux qui ne l'étaient pas. Les « étrangers » se sont vu retirer brutalement le droit de vote que leur avait accordé, dans un souci d'unité du pays, le « Vieux ». Distinguer habitants « allogènes » et « exogènes » n'est pas aisé dans un pays où l'état civil est incertain, voire trafiqué, où les frontières des ethnies n'épousent pas toujours celles des Etats et où le concept de Nation est bien flou. C'est notamment cet imbroglio autour de la nationalité ivoirienne qui explique les retards incessants dans l'organisation de l'élection présidentielle – puisque la composition des listes électorales fait l'objet d'incessantes polémiques.
ur le FMI et pour la banque centrale ouest-africaine). Il dispose également d'un parti – le RDR – bien implanté dans tout le pays et dont les cadres sont jugés fiables. Mais plusieurs données, réelles ou supposées, plaident contre lui, notamment au sein de l'élite du Sud. Il est considéré comme le candidat de la France (il est outre marié à une Française, à une « Blanche »), ce qui, en ces temps de dénonciation désordonnée de la « Françafrique », est un vrai handicap. Il est surtout suspecté d'avoir de la sympathie, voire d'avoir encouragé, la rébellion venue du Nord qui en 2002 manqua de renverser le pouvoir Gbagbo et s'installa durablement dans la moitié septentrionale du pays. C'est en outre un musulman, ce qui est mal accepté dans le Sud chrétien où fleurissent les nouvelles Eglises évangéliques – auxquelles adhèrent le couple Gbagbo) au discours parfois agressif envers les musulmans
sa fonction: la maîtrise de la force publique, le contrôle presque caricatural de la télévision publique, un relais important du côté de la fédération des étudiants sous la tutelle des « patriotes » (ces groupes de jeunes ultra-nationalistes qui se sont illustrés dans des destructions de biens français au cours des années 2000). Mais Laurent Gbagbo a contre lui un bilan très maigre. Face aux difficultés, les soutiens du FPI (le parti présidentiel) invoquent la guerre depuis 2002 qui aurait empêché le Président étiqueté socialiste de mener à bien son programme, notamment en matière d'éducation et de santé. C'est sans doute vrai, mais cela ne peut expliquer les soupçons avérés d'enrichissement des « refondateurs » - nom donné aux fidèles de Gbagbo -, les accusations de clientélisme qui ont donné lieu tout récemment à une vive polémique entre le président de l'Assemblée nationale et le ministre de l'Intérieur, tous deux FPI. La guerre ne peut expliquer également les attaques de la justice contre la presse qui révèle régulièrement des scandales impl