L'élection présidentielle tant attendue qui devait clarifier la situation ivoirienne se conclut par une tragicomédie. L
aquelle pourrait déboucher sur un bain de sang et/ou sur une situation de paralysie institutionnelle. Comment en est-on arrivé là? Comment l'un des processus électoraux les plus coûteux et les plus surveillés au monde de ces dernières années peut-il se transformer en fiasco général? Pourquoi un tel gâchis?
Même si la situation est loin d'être clarifiée quelques heures après la décision du Conseil constitutionnel invalidant les résultats annoncés la veille par la Commission électoral
e indépendante (CEI) et déclarant Laurent Gbagbo élu par 51,5% des voix contre Alassane Ouattara, il est possible de dégager les principales responsabilités dans ce fiasco. Dans un précédent post du 7 août, intitulé « Côte d'Ivoire: la gueule de bois », je notais la situation de paralysie économique et politique de ce pays qui fut, voici une vingtaine d'années, la locomotive de l'Afrique de l'Ouest.
La classe politique ivoirienne, incapable de passer le relais à une nouvelle génération, cramponnée à une vision tribaliste du pays, a fait la preuve de son irresponsabilité. Il faut bien réaliser que les trois principaux leaders politiques - Gbagbo, Ouattara et Bédié - se côtoient, s'affrontent, se déchirent depuis une bonne trentaine d'année. Le président sortant était dans l'opposition – et parfois dans les prisons du régime – alors que les deux autres, aujourd'hui alliés, se déchiraient pour récupérer l'héritage d'un Houphouët Boigny vieillissant. La France a connu pendant les années 70-80 la bagarre fratricide entre VGE et Chirac; en Côte d'Ivoire, l'affrontement entre ces trois protagonistes dure depuis deux bonnes décennies.
Dans un pays particulièrement jeune, trois sexagénaires (voire septuagénaire pour Bédié) se disputent les rênes du pouvoir. Leurs alliances varient au gré des circonstances: on a ainsi vu Bédié, président de la République dans les années 90, activer la notion xénophobe d'ivoirité pour écarter son rival Ouattara – dont l'un des parents est burkinabé – avant de faire aujourd'hui alliance avec lui pour éviter la réélection de Laurent Gbagbo. Quelle crédibilité peuvent avoir des dirigeants depuis si longtemps accrochés au pouvoir, complètement coupés des réalités populaires, profitant de leurs années de pouvoir pour enrichir leurs proches?
Le seul intérêt que pourrait avoir cette crise ouverte par le scrutin présidentiel serait de renouveler profondément les leaders politiques. Mais cela suppose un vrai travail pour approfondir le contenu de
la démocratie. Car il faut bien le dire, la capacité d'accepter la victoire de l'adversaire dans le cadre d'une compétition électorale est très peu répandue dans ce pays comme souvent sur le continent africain. Les fraudes et intimidations que chaque camp a organisées méthodiquement pour ce second tour témoignent de la faible adhésion à une éthique de la démocratie. Et pourtant, les taux de participation particulièrement élevés (entre 70 et 80%) prouvent la forte attente du peuple dans ce scrutin. Celui-ci espérait une clarification des responsabilités et la définition d'objectifs clairs pour sortir le pays du marasme; l'occasion est ratée et il n'est sûr qu'elle se représentera de sitôt.
Mais il faut aussi s'interroger sur les responsabilités de la communauté internationale. Comment expliquer qu'avec tant de forces armées et diplomatiques présentes sur place, le scrutin n'a pas pu être surveillé de bout en bout? Est-ce par excès de confiance dans les protagonistes du conflit ou par négligence coupable, toujours est-il que le manque de vigilance dans la sécurisation du scrutin et dans la remontée rapide des résultats a contribué à installer cette situation de confusion. L'argument majeur des partisans de Gbagbo pour discréditer les résultats de la CEI a été le retard dans la proclamation des résultats (ils auraient dû intervenir au plus tard mercredi à minuit alors qu'ils ont été proclamés le lendemain). Au lieu d'accuser les protagonistes ivoiriens (qui ne sont pas blancs comme neige et devront répondre de leur irresponsabilité criminelle), les responsables onusiens devraient s'interroger sur les raisons de cet échec majeur pour la communauté internationale. La question qui est posée est la suivante: peut-on et doit-on organiser au forceps des élections quand les principaux acteurs ne sont pas prêts à se plier à la dure loi de la démocratie (on peut gagner, mais on peut perdre)?
Reste que le principal perdant dans ce triste épisode pseudo-électoral est le peuple ivoirien. Les déchirures d'hier, au lieu de se cicatriser, vont s'ouvrir de nouveau. D'autant que le vote de plusieurs régions du nord de la Côte d'Ivoire a été invalidé par le conseil constitutionnel qui argue de fraudes manifestes (oubliant des pratiques douteuses dans d'autres régions du pays). Cela pourrait être interprété comme un refus de reconnaître à ces populations - majoritairement musulmanes - leur pleine citoyenneté ivoirienne.
Et puis, le blocage probable du pays ne permettra pas de créer une mobilisation générale face aux défis ivoiriens. L'exaspération populaire ne pourra que s'exacerber. Le pays risque de devenir ingouvernable d'autant que des masses de plus en plus fournies de « pauvres sans avenir » pourraient se lancer dans des actions aussi violentes que sans issue. Comme on peut le voir, cette élection ratée risque d'avoir de graves conséquences sur le pays et peut-être dans la sous-région qui pourrait être déstabilisée si d'aventure les choses s'envenimaient.
ndéracinables qui se vouent une haine tenace. D'un côté, Henri Konan Bédié (au centre sur la photo), dauphin officiel du « Vieux » - nom donné au premier Président – qui lui a succédé avant d'être chassé du pouvoir par un coup d'Etat conduit par le général Gueï. De l'autre, Alassane Dramane Ouattara, dit « Ado » (à gauche), le dernier Premier ministre du « Vieux », empêché de se présenter aux divers scrutins présidentiels (1995 et 2000) par un artifice douteux (sa nationalité ivoirienne lui fut contestée après des tripatouillages juridiques). Au centre – si on peut dire – Laurent Gbagbo, l'opposant historique à Houphouët devenu président de la République en 2000 suite à un scrutin pour le moins confus. Aucun de ces trois prétendants n'est en capacité de créer le consensus autour de lui – ou du moins de dégager une large majorité -, mais aucune autre alternative, qui ne serait pas prisonnière de l'ère Houphouët et proposerait une redistribution des cartes, ne peut se dégager dans un tel contexte.
er, Bédié, est vieillissant (76 ans), doté d'un charisme médiocre, et n'a pas un très bon bilan à défendre. Pendant ces six années de présidence, il s'est plus acharné à barrer la route à Ado qu'à prendre les mesures adéquates pour faire face aux conséquences de la dégringolade des cours du cacao à l'oeuvre depuis le début des années 80. Surtout, il est le propagateur des théories de « l'ivoirité » dont les effets délétères continuent à polluer le débat politique. Dans un pays marqué depuis longtemps par une forte immigration – notamment burkinabé -, il s'agissait de distinguer parmi les habitants ceux qui étaient ivoirien de souche de ceux qui ne l'étaient pas. Les « étrangers » se sont vu retirer brutalement le droit de vote que leur avait accordé, dans un souci d'unité du pays, le « Vieux ». Distinguer habitants « allogènes » et « exogènes » n'est pas aisé dans un pays où l'état civil est incertain, voire trafiqué, où les frontières des ethnies n'épousent pas toujours celles des Etats et où le concept de Nation est bien flou. C'est notamment cet imbroglio autour de la nationalité ivoirienne qui explique les retards incessants dans l'organisation de l'élection présidentielle – puisque la composition des listes électorales fait l'objet d'incessantes polémiques.
ur le FMI et pour la banque centrale ouest-africaine). Il dispose également d'un parti – le RDR – bien implanté dans tout le pays et dont les cadres sont jugés fiables. Mais plusieurs données, réelles ou supposées, plaident contre lui, notamment au sein de l'élite du Sud. Il est considéré comme le candidat de la France (il est outre marié à une Française, à une « Blanche »), ce qui, en ces temps de dénonciation désordonnée de la « Françafrique », est un vrai handicap. Il est surtout suspecté d'avoir de la sympathie, voire d'avoir encouragé, la rébellion venue du Nord qui en 2002 manqua de renverser le pouvoir Gbagbo et s'installa durablement dans la moitié septentrionale du pays. C'est en outre un musulman, ce qui est mal accepté dans le Sud chrétien où fleurissent les nouvelles Eglises évangéliques – auxquelles adhèrent le couple Gbagbo) au discours parfois agressif envers les musulmans
sa fonction: la maîtrise de la force publique, le contrôle presque caricatural de la télévision publique, un relais important du côté de la fédération des étudiants sous la tutelle des « patriotes » (ces groupes de jeunes ultra-nationalistes qui se sont illustrés dans des destructions de biens français au cours des années 2000). Mais Laurent Gbagbo a contre lui un bilan très maigre. Face aux difficultés, les soutiens du FPI (le parti présidentiel) invoquent la guerre depuis 2002 qui aurait empêché le Président étiqueté socialiste de mener à bien son programme, notamment en matière d'éducation et de santé. C'est sans doute vrai, mais cela ne peut expliquer les soupçons avérés d'enrichissement des « refondateurs » - nom donné aux fidèles de Gbagbo -, les accusations de clientélisme qui ont donné lieu tout récemment à une vive polémique entre le président de l'Assemblée nationale et le ministre de l'Intérieur, tous deux FPI. La guerre ne peut expliquer également les attaques de la justice contre la presse qui révèle régulièrement des scandales impl