Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Gauche - Page 2

  • Gouvernement : pourquoi ça patine (sec)

    Semaine après semaine, les cotes de confiance des deux têtes de l'exécutif continuent à s'effriter, atteignant des niveaux préoccupants (un tiers d'opinion favorable), seulement 6 mois après le début du quinquennat. Certes, me dira-t-on, on ne gouverne pas les yeux rivés sur les sondages, mais ces chiffres traduisent tout de même une réalité : la nouvelle équipe n'a pas réussi à susciter l'adhésion.

    Les commentateurs ont tendance à attribuer cette dégringolade à une erreur de casting : le choix de JeanJM Ayrault.jpg-Marc Ayrault comme Premier ministre. Certes, d'autres nomminations étaient posssibles conciliant l'expérience et le charisme, toutes qualités que n'a manifestement pas l'ancien maire de Nantes. Différents "couacs", ces dernières semaines, ont peut-être fait regretter à François Hollande son choix. Mais là, finalement, n'est pas le problème essentiel, même si les éditorialistes (souvent un peu courts dans leurs analyses) ont trouvé un nouveau punching-ball qu'ils ne vont pas ménager.

    Serait-ce alors que le nouveau pouvoir ne respecte pas ces engagements pris devant le pays ? Il est un peu prématuré pour dresser un bilan, mais les premiers pas ont plutôt montré qu'il y avait une volonté d'appliquer la feuille de route donnée par Hollande. Certes, on note des prudences qui pourraient devenir coupables sur la réforme fiscale ou le droit de vote des étrangers, par exemple, mais il n'y a eu aucun reniement majeur jusqu'ici.

    Alors qu'est ce qui pose problème pour mettre la nouvelle majorité dans cette situation très inconfortable? Deux éléments majeurs peuvent être cités. D'une part, il y a la sihollande.jpgtuation économique et sociale. Incontestablement, le candidat Hollande n'avait pas pris la mesure de la gravité de celle-ci. L'a-t-il fait délibérement? Difficile à dire. C'est vrai qu'il n'était pas aux manettes et que dès lors, diverses informations lui échappaient (sans oublier que l'ancien pouvoir a tenté d'adoucir la situation, par exemple en retardant l'annonce de divers plans sociaux). Pour autant, quand on sait le nombre de ses conseillers, officiels ou officieux, placés à des postes importants dans l'appareil d'Etat, on a du mal à croire à cette version des faits.

    Comme d'habitude, serait-on tenté de dire, on a construit des programmes sur des hypothèses de croissance ultra-optimistes; on a fait croire qu'il était possible de marier justice sociale (redistribution) et respect des critères irréalistes de l'Europe. Qui peut penser que la France pourra tenir l'engagement d'un déficit public ramené à 3% du PIB? Ce serait nous entraîner sur une pente espagnole ou grecque, désastreuse socialement et suicidaire politiquement. On n'atteindra pas cet objectif (comme d'autres pays européens d'ailleurs), mais on fera croire à notre allié allemand qu'on y arrivera coûte que coûte.

    Deuxième élément qui peut être noté - et qui découle du premier : l'impossibilité à dégager des marges de manoeuvre pour les politiques. Etre ministre aujourd'hui, c'est d'abord être pompier, être en capacité d'éteindre rapidement les débuts de feu qui s'allument ici ou là. Ca cartonne à Marseille ou en Corse, on envoie le ministre de l'Intérieur faire de martiales déclarations (qui ne changent rien à la situation d'extrême violence) ; ça licencie dans de grandes entreprises, le ministre du Redressement productif (quel intitulé déplacé au vu de la situation actuelle !) se démène comme un beau diable pour réduire la facture...

    Le politique est devenu un spectateur, certes impliqué et volontaire, de la marche du monde. Et comme ses marges de manoeuvre sont devenues très faibles, il doit faire des efforts démesurés pour s'attirer les bonnes grâces de tel ou tel acteur économique, le prier de coopérer ou du moins de ne pas mettre des bâtons dans les les roues. Pas étonnant dès lors d'assister au spectacle d'un pouvoir faire des risettes à Madame Parisot, calmer les ardeurs de Monsieur Thibault et négocier en coulisses avec les grandes banques pour qu'elles desserrent l'étau du crédit (quitte à retarder la réforme bancaire promise qui semble urgente pour freiner les dérives spéculatives).

    Ce que n'a pas réussi à faire (jusque-là) le président de la République, c'est d'expliquer la route qu'il va emprunter pour faire progresser le pays dans le sens de la justice et de la réduction des inégalités sans dévisser du cadre européen. Cela suppose un peu de rentrer dans le vif des désaccords, de ne pas faire toujours plaisir à Madame Merkel. A ceux qui nous disent que nous n'avons pas les moyens d'un conflit avec l'Allemagne, répondons-leur que l'espace euro ne peut pas se passer de la seconde économie européenne. Donc, il faut arrêter de se faire peur et exposer tranquillement une voie possible. C'est un peu plus compliqué que de trouver un successeur "gentil" à la tête du PS, mais c'est essentiel pour ne pas désespérer totalement de la politique.

    Les électeurs de Hollande n'attendent pas simplement des "résultats" (ils savent très bien que le politique ne peut tout), mais aussi une volonté d'affronter les obstacles dans une marisol touraine.jpgdémarche de vérité (dire les choses, ne pas les "arranger) qui fait si souvent défaut au politique. Par exemple, au lieu de crier victoire suite à la signature laborieuse de l'accord sur les dépassements d'honoraires - qui ne va rien régler -, Madame Touraine eût été plus inspirée de dire qu'il faudra reprendre le chantier par la voie politique, quitte à ne pas faire plaisir à tous les acteurs de ce dossier. Quand l'intérêt général n'est pas pris en compte, comme dans cet accord, le politique doit reprendre la main pour le faire valoir.  

  • Débat : le spectre de la ligne Maginot

    Que retenir de ces près de trois heures de confrontation entre les deux prétendants à l'Elysée ? IncontestabSarko hollande.jpglement, un état de tension maximal entre ces deux politiques aguerris qui se croisent depuis une vingtaine d'années sur la scène politique. L'un et l'autre se sont voulus ultra-clivants, François Hollande dans son rôle de président rassembleur, à la fois modeste et exigeant, Nicolas Sarkozy dans sa posture de protecteur face aux périls qui menacent notre pays (« la folie dépensière » du socialiste, « la faucille et le marteau » des syndicats, la passoire que serait l'Europe de Schengen). Chacun était dans son rôle et il n'y aura eu au final aucune grande surprise dans ce débat.

    On pourra malgré tout s'étonner de l'absence de questions sur le domaine régalien par excellence qu'est la défense nationale. Quelques thèmes auraient mérité d'être abordés. Faut-il rester dans le commandement de l'Otan, comme nous y a replacé l'actuel président ? Par-delà le bourbier afghan, quelle doit être notre philosophie en matière d'intervention dans les différents conflits régionaux? Sur le nouveau foyer du terrorisme que constitue l'espace sahélien (à deux heures d'avion, comme on disait en parlant de la « bataille de Sarajevo »), jusqu'où peut-on aller dans la lutte contre ce nouveau péril ? Et sur l'axe de la politique étrangère, là aussi escamoté, on aurait bien aimé avoir des perspectives quant à notre relation avec la Chine ou avec les puissances émergentes (Inde, Brésil...), sans oublier les rapports avec notre allié américain. Que dire également du silence sur le conflit israélo-palestinien ou sur les nouveaux régimes arabes plus ou moins démocratiques?

    En regardant ce débat où les charges succédaient aux bons mots, où les attaques gratuites (que venait faire DSK dans cette galère?) se mêlaient aux traits d'humour (là dessus, Hollande est vraiment au-dessus du lot), on pouvait avoir le sentiment que la France vivait seule dans sa bulle, qu'elle était simplement entourée de notre voisin allemand dans la vieille relation ambiguë d'admiration et de crainte et avec quelques contre-exemples à ne pas suivre, la Grèce et l'Espagne, longtemps dirigés par des socialistes (dixit Sarkozy) ou l'Italie contrôlée par « votre ami Berlusconi » (selon Hollande).

    Curieuse impression que celle de notre pays qui ne voit la mondialisation que sous ces angles négatifs (délocalisation, immigration sauvage) et se déchire sur des enjeux de politique nationale. Bien entendu, les candidats pourront arguer, non sans raison, qu'ils auraient bien aimé répondre à des questions internationales et qu'ils ont manqué de temps pour cela (ce qui donnera de l'eau au moulin de Sarkozy qui proposait plusieurs débats). Mais, par exemple dans leur conclusion qui était totalement libre, aucun des deux n'a élargi le débat. François Hollande, certes, a pris de la hauteur en parlant de justice, de redressement du pays et de refus des peurs qui seraient véhiculées par son adversaire (en ce sens, on a été servi avec une nouvelle fois le chiffon vert de l'islam agité par le président sortant) tandis que Nicolas Sarkozy s'adressait, assez maladroitement d'ailleurs, aux électeurs de Marine Le Pen, de François Bayrou et aux abstentionnistes (qui sont effectivement sa seule issue pour ne pas faire ses valises pour Neuilly). Là encore, on cultive l'idée que notre pays (qui bien sûr a des atouts) va s'en sortir seul, grâce à la vaillance de son peuple et à la lucidité (?) de ses élites. Il faut avouer que tout cela paraît un peu court...

    Sur l'immigration, par exemple, chacun a rivalisé en promesses pour évidemment accueillir moins d'étrangers (sauf sur les étudiants où Hollande a fait entendre sa différence). En tenant ce discours de la maîtrise quasiment mathématique des frontières, on a oublié d'expliquer pourquoi tant de nos voisins, notamment africains, veulent venir chez nous et sont prêts à risquer leur vie pour cela. La France, seule, ne peut évidemment impulser le développement de ces pays, mais elle peut tout de même prendre la tête des pays riches pour aller dans cette direction. Pas un mot n'a été dit sur ce sujet et on a fait croire que l'on pouvait, dans ce contexte, réduire les migrations alors qu'elles vont, sans doute, s'accentuer dans les prochaines années. Sur ce plan, le candidat de gauche, lui aussi paralysé par les 18 % de Le Pen, n'a pas su faire entendre une musique un tantinet différente. Caresser l'opinion dans le sens du poil ne nous prépare pas aux échéances difficiles qui nous attendent sur les enjeux de la crise écologique, de l'arme nucléaire ou du partage des richesses. En écoutant hier le débat, on pouvait avoir le sentiment que notre horizon s'arrêtait aux portes de Strasbourg, Vintimille ou San Sebastien. Cruelle illusion !

    En définitive, on peut sans doute s'accorder sur un match nul entre Hollande et Sarkozy. L'un et l'autre ont été fidèles à leur image, personne n'a « écrasé » l'autre (comment penser que cela pouvait arriver, au vu de l'expérience des deux protagonistes?). Pour autant, nous n'avons pas été plus éclairé sur la présidence qu'ils voulaient incarner : tout avait été dit précédemment et le style du débat, très accroché et peu pédagogique, ne permettait guère d'aller plus loin. Il faudra d'ailleurs, à terme, réfléchir aux modalités pratiques pour faire vivre ce grand moment de débat démocratique. La façon dont cela est conçu actuellement donne lieu davantage à un combat de boxe qu'à un vrai échange d'arguments. Peut-être est-ce ce que les médias (et les spectateurs que nous sommes) recherchent. Mais cela ne grandit pas forcément la politique. Il faudrait sans doute à l'avenir proposer deux débats, l'un sur les enjeux purement internes, l'autre sur la France dans le monde et surtout introduire le débat par un exposé neutre (rappeler des faits et des chiffres) pour éviter cette bataille de chiffonniers à laquelle les deux postulants à l'Elysée se sont livrés, par exemple sur les statistiques du chômage.

    La nouvelle façon de présider que nous promet François Hollande suppose que notre pays grandisse dans sa façon de débattre. Les passions politiques sont évidemment nécessaires et aucune rationalité ne s'impose d'en-haut. Pour autant, en ces temps compliqués et tourmentés, il serait bon de ne pas réinventer je ne sais quelles nouvelles lignes Maginot. Celles-ci n'ont amené dans notre histoire que désillusions et défaites. Ce n'est pas parce qu'un électeur sur cinq veut tout jeter par-dessus bord et se donner à une pseudo Jeanne d'Arc que notre pays doit s'engager sur des voies chimériques et dangereuses qui n'ont jamais préparé son avenir.

  • Gauche / paysans : le désamour est-il éternel ?

    A l'occasion du Salon de l'agriculture, tous les prétendants à l'Elysée ont fait le détour par la porte de Versailles. françois hollande,nicolas sarkozy,paysans,fnsea,confédération paysanneEt certains, à l'image de François Hollande, s'y sont particulièrement attardés avec un marathon de près de 12 heures. On ne discutera pas de l'amour, sans doute immodéré, des belles aquitaines ou des rondes normandes que peut avoir l'actuel président de la très rurale Corrèze. On notera simplement que le candidat socialiste présente un retard considérable dans la population agricole en termes d'intentions de vote, ceci expliquant sans doute cela.

    Selon un récent sondage, il serait crédité de 14 % alors que le président-candidat culminerait à 40 %. Fait exceptionnel : Hollande est doublé sur cet électorat par Marine Le Pen et François Bayrou. Les socialistes se rassurent - comme ils peuvent – en notant que ces 14 % représentent un doublement par rapport à 2007 où Ségolène Royal n'avait obtenu que 7 % des suffrages des agriculteurs. On pourrait penser que les faibles résultats de la présidence Sarkozy – au cours de laquelle le revenu de certaines catégories, notamment en fruits et légumes, a dégrigolé – pouvait profiter à un candidat socialiste qui marche régulièrement sur les pas de son devancier corrézien, Jacques Chirac. Eh bien non !


    Plusieurs types d'explication peuvent être avancées pour interpréter ce désamour persistant. Historiquement, la gauche a été portée par des forces urbaines, professeurs des villes, ouvriers des grands centres industriels ; les campagnes étant majoritairement acquises à des forces plutôt conservatrices et cléricales. De plus, la domination pendant des lustres des thèses marxisantes, avec la logique de collectivisation des terres, a été un épouvantail pour des campagnes, même dans les contrées radicales-socialistes, attachées à la petite propriété familiale. Pourtant, divers acquis pour l'émancipation paysanne, comme le statut du fermage – pour en finir avec l'archaïque métayage – ou les offices fonciers, ont été portés par des gouvernements de gauche (1936, 1945). Mais la gauche n'a pas su capitaliser sur ses avancées. Elle doit tenter d'en comprendre les raisons si elle veut conquérir une partie des agriculteurs.

    Elle doit proposer une lecture fine de cette catégorie qui ne représente plus que 3 % de la population active. Celle-ci est à la fois très disparate (en termes d'activité, de type d'exploitation et surtout de revenus) et très soudée. Dans un contexte où les terres agricoles continuent à être grignotées par la voirie et la ville (grave erreur écologique !) et où la logique de compétition mondiale fragilise les solidarités et la politique agricole commune, les agriculteurs ont tendance à faire corps face à l'adversité. C'est la raison pour laquelle un syndicat aussi contesté - et contestable – que la FNSEA résiste assez bien aux coup de butoir de la Confédération paysanne (gauche écolo) et la Coordination rurale (droite poujadiste).

    La gauche est trop souvent arrivée au pouvoir avec une forme de morgue, un mélange de technocratisme et de mépris pour cette culture paysanne dite archaïque et droitière. A y regarder de près, les campagnes sont pourtant porteuses, depuis une vingtaine d'années, de stratégies innovantes (accueil à la ferme, ventes directes, animations culturelles, nouvelles productions, agriculture bio) qui ont permis de limiter la casse et de maintenir de nombreux exploitants. Sans cela, la France compterait 1 ou 2 % d'agriculteurs sur des domaines de 100 à 200 hectares.

    Derrière un vernis de traditions inébranlables (que les urbains, éternels nostalgiques d'une campagne mythifiée, adorent, comme en témoigne notamment le succès du Salon de l'agriculture), ce sont des espaces en profonde mutation. Les tristes réalités – désertification, endettement, pollutions agricoles, solitude d'agriculteurs restant célibataires – ne doivent pas cacher les profonds changements qu'ont su impulser, parfois contraints et forcés, de très nombreux paysans.

    Pour que la gauche séduise les campagnes, elle doit changer en profondeur sa matrice culturelle. Elle doit notamment penser que le progrès social et humain sur lequel elle a construit son discours, peut également se développer dans ces campagnes dont les solidarités pourraient inspirer bien des territoires urbains en souffrance. François Hollande, s'il est élu, impulsera-t-il un nouveau rapport de la gauche au monde paysan ?

  • Le pourrissement, jusqu'où ?

    Faisons, à regret, un pronostic : l'affaire Strauss-Kahn risque de pourrir jusqu'au bout la présidentielle, et singulièrement la campagne des socialistes. Trois jours après que la Première secrétaire du PS DSK, Martine Aubry, Nicolas Sarkozy(1) se soit déclarée officiellement candidate pour la primaire, des informations publiées par un grand journal américain mettait en avant les contradictions voire les mensonges de la femme de chambre qui accuse DSK de viol. Sur la base de quoi le procureur libérait l'ex-directeur général du FMI sans pour autant abandonner (pour l'instant?) les charges qui sont retenues contre lui.

    Trois raisons expliquent, à mon sens, pourquoi cette affaire trouble va pourrir la vie politique. D'abord, et cela saute aux yeux de tout le monde, le calendrier judiciaire de M. Strauss-Kahn entrechoque celui de la primaire socialiste. Au moment (le 18 juillet) où le tribunal de New-York devra se prononcer sur la suite à donner aux accusations, tous les postulants à cette primaire auront dû se faire connaître. D'où la demande de quelques strauss-kahniens, un peu exaltés, de reporter la clôture des candidats. Proposition idiote car comment caler un processus collectif, vivement attaqué par la direction de l'UMP et compliqué à mettre en oeuvre dans de nombreux départements, sur un destin individuel, aussi exceptionnel soit-il?

    Comment penser que DSK, si tant est qu'il soit lavé de tout soupçon (faut-il le rappeler, nous en sommes encore loin) se déclare, dans la foulée, candidat à la primaire, arrive à obtenir le retrait de Martine Aubry et obtienne un vote majoritaire du million de Français qui pourrait se déplacer en octobre ? Serait-ce d'ailleurs souhaitable ? La campagne de l'UMP en serait facilitée puisque le sexe à gogo et l'argent à profusion de l'ancien député-maire de... Sarcelles seraient brocardés par une droite qui se redécouvrirait morale. Et puis, il est à parier que la campagne se cristallise, au sein de l'électorat de gauche, non sur les propositions du socialiste DSK, mais sur la vie privée de l'homme et sa « consommation » de femmes (n'oublions pas que plusieurs témoignages, difficilement contestables, l'ont présenté autrement que sous les traits du latin lover qui plait tant dans nos contrées méditerranéennes). Sauf à considérer que certains socialistes sont plus importants que d'autres, et que -curieux argument – seul DSK peut battre Sarkozy, il faut banaliser l'affaire DSK, la laisser aux mains de la justice américaine et reparler politique.

    Deuxième raison de ce pourrissement prévisible de la vie politique : la place prise par les révélations sur la vie privée. Je ne suis pas de ceux qui s'offusquent quand on met en cause tel homme qui ne fait pas que tripoter des pieds ou tel autre qui confond un peu trop les caisses de l'Etat et ses propres comptes en banque. Je me demande simplement s'il ne faudrait pas rétablir un peu de hiérarchie de l'info. Cette semaine, par exemple, le chômage (on parle des chiffres officiels dont le calcul est hautement critiquable) est reparti de plus belle. Cela a fait quelques petits titres, mais rien à côté de l'agression, exceptionnelle mais de faible gravité, du Président de la République. Qu'est-ce qui impacte le plus le quotidien des gens ? Un mauvais geste d'un « pov'con » (comme aurait dit, en d'autres temps, sa victime) ou la perte de milliers d'emplois ? Bien entendu, pour savoir le traumatisme d'une situation de chômage, il faut l'avoir vécu dans sa chair ou dans son entourage proche... Les tweets, le buzz sur la Toile et autres inventions, par certains côtés, géniales peuvent-elles porter du débat politique? J'en doute énormément. Le pire est, sans doute, à venir...

    Troisième raison de ce pourrissement possible : le peuple français est de plus en plus réceptif à un discours qui ridiculise la politique puisque celle-ci salirait, serait source de corruption et, finalement, ne servirait pas à grand-chose. Si l'affaire DSK a passionné tant les Français à la fin du printemps, c'est qu'il est de plus en plus sensible à la dimension « trou de la serrure ». Comme la politique a perdu toute majesté, que beaucoup de promesses (du candidat Sarkozy, mais on pourrait parler des deux Présidents précédents pas vraiment exemplaires) sont enterrées après la prise du pouvoir, elle est banalisée comme une vulgaire émission de telé-réalité. Qui a couché avec qui ?, va devenir le jeu très à la mode. Il faut dire que les fréquentes liaisons sexuelles, conjugales ou non, entre politiques et journalistes très en vue, n'incitent guère, dans l'esprit du public, à séparer vie publique et vie privée.

    Après quatre années de présidence Sarkozy, marquées par le triomphe du vulgaire et par l'absence de tout scrupule, la société française hésite entre délectation et écoeurement face à cet étalage. L'actuel Président et futur candidat pourrait en jouer, et c'est peut-être sa seule chance d'éviter la débâcle (car comment s'appuyer sur un bilan aussi maigre?). A la gauche, si elle ne veut pas décevoir une fois encore, d'oublier un peu DSK (il se défendra bien tout seul) et de s'intéresser à ce qu'elle n'aurait jamais dû quitter des yeux : la situation du peuple qui, comme dirait l'autre, a beaucoup souffert et veut plus ne plus souffrir (en tout cas un peu moins).

    (1) Il faudra suggérer à Mme Aubry de conserver son sang-froid, surtout si elle représente l'opposition à M. Sarkozy. Comment parler de « fin du cauchemar » pour DSK alors que l'affaire n'est pas close ? Le terme de cauchemar, cette semaine, sonnait bizzarement: il pouvait s'appliquer aux 18 mois de captivité des otages en Afghanistan, à la situation de ce peuple pris entre les forces occidentales et les talibans, sans oublier, par exemple, la répression intense de la révolte du peuple syrienne... pas à la situation d'un prisonnier de luxe, ne manquant de rien et surtout pas du soutien de ses amis...