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Gauche

  • Candidature unique à gauche : pourquoi c'était voué à l'échec

    Depuis l'élection de Benoît Hamon lors de la primaire de la Belle alliance populaire, fin janvier, se développe dans ce qu'on appelle "la France de gauche" un grand débat : faut-il une candidature unique à gauche de celle, conquérante, d'Emmanuel Macron ?

    Jusqu'en février, lorsque François Fillon jouissait d'un statut de favori et de candidat "honnête", il s'agissait d'éviter un second tour, cruel pour la France de Jaurès et de Mitterrand, opposant le candidat des Républicains et la porte-drapeau de l'extrême droite, fût-elle relookée (1).

    Maintenant que le favori de la présidentielle s'est révélé être un petit marquis arrogant accroché aux privilèges d'un temps (espérons-le) révolu, l'objectif de cette candidature de gauche unique est de disputer la seconde place à cet objet politique non identifié (OPNI) qu'est Emmanuel Macron (remarquons que personne, à part peut-être notre OPNI, ne pense doubler Le Pen...). Sauf que la tentative de présenter une candidature unique est totalement vaine.

    Dans un premier temps, Benoît Hamon a obtenu le retrait de l'écologiste Yannick Jadot. Dans la décision de celui-ci de s'effacer, on a du mal à faire la part des choses entre un choix politique stratégique et les contraintes politiques du candidat EELV. En l'espèce, celui-ci était loin d'être sûr d'avoir les 500 parrainages nécessaires, risquait de creuser encore plus le déficit du parti écolo (en l'absence de 5 % au premier tour, les frais du candidat ne sont pas remboursés) et surtout d'obtenir un score plus proche de celui d'Eva Joly (1,57 %) en 2012 que de celui de Noël Mamère (5,25 %) en 2002.

    Mais l'enjeu principal pour avoir des chances sérieuses d'être au second tour était ailleurs : il s'agissait d'obtenir le retrait de Jean-Luc Mélenchon, en campagne depuis au moins un an (voire depuis 2012...). Le calcul de ceux qui font des calculs était simple : avec le renfort des 10 à 12 % que pourrait obtenir le candidat des Insoumis, Benoît Hamon pouvait espérer décrocher le vote d'un électeur sur quatre, permettant d'envisager la qualification au second tour. Sauf que cette hypothèse (le retrait de JL Mélenchon) avait à peu près autant de chances d'advenir que la conversion franciscaine (dans le rapport à l'argent) de Jérôme Cahuzac ou de Patrick Balkany (pour ne prendre que les exemples emblématiques à droite comme à gauche). Essayons d'expliquer pourquoi.

    Pour prendre un peu de hauteur et sortir de l'emballement médiatique, il faut expliquer le parcours de l'Insoumis. Jean-Luc Mélenchon, avant d'être le héraut de la France rebelle, a été trotskyste (de la tendance lambertiste, la moins ouverte à l'évolution libertaire du pays dans l'après-68). Mais il a été surtout un fidèle (non courtisan) de François Mitterrand dans sa version post-Epinay (2). 

    Le jeune Mélenchon a défendu ardemment l'idée de l'unité de la gauche (notamment avec les communistes qui, dans les années 70, séduisaient encore près d'un électeur sur cinq). Et, à ce titre, il s'est opposé à la volonté de Michel Rocard d'inscrire le PS dans la nouvelle gauche post-68, en considérant que l'extinction, progressive mais inéluctable, de la vieille société industrielle issue du 19e siècle allait emporter avec elle le parti de Maurice Thorez et de Waldeck-Rochet. Rappelons que le jeune cinquantenaire Benoît Hamon est issu de la matrice rocardienne.

    La rupture de Mélenchon avec le PS qui l'a conduit avec quelques amis à constituer en 2009 le parti de gauche, s'est faite essentiellement sur la question européenne. Mélenchon a refusé le ralliement du PS au traité constitutionnelle européen (TCE) voulu par François Hollande (il faut se rappeler que Laurent Fabius et... Manuel Valls s'y opposaient au départ). Suite au vote négatif (à 55 %) du peuple français, le sénateur de l'Essonne s'est révolté contre la tentative, réussie, du gouvernement alors de droite de faire adhérer la France, malgré le vote populaire, au Traité de Lisbonne, très proche du TCE.

    Certains, pour expliquer le blocage actuel, insistent sur l'ego démesuré de Jean-Luc Mélenchon et sa fascination pour les leaders sud-américains à la Chavez qui ont construit un rapport direct et quelque peu autoritaire avec le peuple. Certes, il ne viendrait pas à l'esprit de quiconque de refuser l'idée selon laquelle Mélenchon se voit comme un homme providentiel, dans un mélange baroque entre deux figures militaires (de Gaulle et Chavez).

    Sauf que Benoît Hamon n'est pas non plus dépourvu d'ego, lui qui a construit patiemment sa carrière, mi apparatchik (de courant ou de sous-courant du PS), mi homme de pouvoir (où il a été remarqué comme ministre de l'ESS). Ce débat sur l'ego n'explique jamais (de façon principale) une situation de blocage. Si les conflits politiques pouvaient se régler sur un divan, cela se saurait...

    L'Europe reste un sujet de divergence majeure entre les deux candidats principaux de la gauche. Le premier (Mélenchon) considère que la France peut imposer son point de vue à l'Allemagne (on a du mal à comprendre pourquoi la première puissance économique d'Europe qui a intégré voici moins de 30 ans l'unification du pays et a accueilli près d'un million de réfugiés changerait si facilement de point de vue économique). A défaut, il faudrait sortir des traités économiques de l'Union. Comme le disait récemment Thomas Piketty (qui a rejoint le staff de campagne de Hamon), Jean-Luc Mélenchon travaille beaucoup sur le plan B (la sortie de l'Union) et très peu sur le plan A.

    C'est tout l'inverse pour le candidat qui veut "faire battre le cœur de la France". Lui ne veut pas entendre parler de plan B (cela serait catastrophique pour la France et l'Europe) et se bat pour faire comprendre à l'Allemagne qu'elle doit sortir de son splendide isolement européen, que sa bonne santé économique comporte des éléments de fragilité et donc qu'elle aura à terme besoin de la solidarité européenne. Le pari de Hamon est fragile, mais il a sa cohérence : faire gagner un plan A qui sauve l'Europe et permet à la France de retrouver un souffle économique.

    Comment croire qu'un tel clivage au sein de la gauche - qui dure depuis plus de 10 ans - puisse être balayé en deux ou trois semaines ? Il ne suffit pas que Libération, Politis et quelques centaines d'intellectuels lancent des appels pour qu'un désaccord politique aussi structurant soit résolu. Il eût fallu, pour espérer une sortie par le haut, que le quinquennat de François Hollande s'attaque réellement à la paralysie européennes. il eût fallu également que les deux "camps" (qu'ont théorisé Mélenchon et Valls) aient cherché à rapprocher leurs points de vue. Cela ne fut pas le cas !

    Mélenchon a campé dans un splendide isolement, sûr que ses prédictions seraient validées (ce qui fut la réalité), mais sans jamais tenter d'infléchir la politique du président. Les frondeurs qu'a rejoint Hamon après sa démission gouvernementale en août 2015 ont mené une bataille interne à leur parti, mais ne sont jamais sortis de ce cadre qui n'intéresse plus grand monde.

    Le retrait de l'un ou de l'autre avait toutes les chances de produire des effets très limités. Si Mélenchon s'était retiré, une partie de ses troupes n'aurait pas voté Hamon tout simplement parce qu'il avait le grave inconvénient d'avoir participé pendant trois ans aux gouvernements Ayrault et Valls. Si l'inverse s'était produit, une bonne partie des soutiens à Hamon (notamment ceux qui considèrent que le quinquennat de Hollande n'est pas si négatif que cela...) aurait préféré aller à la pêche ou voter pour Emmanuel Macron qui participa lui aussi à l'aventure Hollande. En politique, 1 + 1 ne font jamais 2.

    Au lieu de se lancer dans ce combat perdu d'avance, Benoît Hamon eût été plus inspiré de continuer à tracer son sillon, celui qui a fait son succès pendant la primaire. Son enfermement dans des jeux d'appareil (d'abord avec EELV puis avec Mélenchon) a considérablement brouillé son image de fraicheur et d'inventivité. On ne comprend rien au succès de Macron (sur lequel nous reviendrons prochainement) si on ne voit pas que son indépendance vis-à-vis de tout parti (un peu comme Mélenchon), lui permet d'imprimer l'image d'un homme qui créé une relation directe avec le pays.

    Ne l'oublions pas (on peut le regretter): notre pays qui combine une tradition de centralité et un tempérament rebelle se cherche en permanence un chef, un leader qui parle au moins autant à son cœur qu'à sa raison... Pour le coup, l'ancien rocardien Benoît Hamon serait bien inspiré de ne pas l'oublier.

     

    (1) Sur ce sujet de la duperie entretenue par le Front national, je ne saurais conseillé davantage le film "Chez nous".   

    (2) Le congrès d'Epinay en 1971 marque la création du parti socialiste et la conquête de celui-ci par François Mitterrand.

  • Benoît Hamon condamne-t-il la gauche ?

    Décidément, la préparation de cette présidentielle déjoue tous les plans et pronostics des grands manitous des sondages. Après l'élimination de Cécile Duflot pour EELV, la qualification de François Fillon contre les deux favoris Sarkozy et Juppé, le forfait (pas si surprenant que cela) du Président de la République, voilà que la primaire de la Belle alliance populaire réserve une nouvelle surprise. Sous réserve que les résultats annoncés soient fidèles à la réalité du vote (la prudence est de mise en l'espèce), Benoît Hamon a pris une sérieuse option pour sa désignation comme candidat pour les scrutins d'avril et de mai prochains. Qui aurait parié voici un mois sur le leader de l'aile gauche du PS alors que l'ancien premier ministre (soutenu par la quasi-totalité du gouvernement et la grande majorité des parlementaires) et l'ancien ministre de l'économie (porté par la plupart des "frondeurs" et les proches de Marie-Noëlle Lienemann et de Gérard Filoche) se disputaient les pronostics ?

    Pour tenter de mobiliser l'électorat de gauche qui refuserait l'alternative entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon et qui souhaiterait un candidat "crédible", Manuel Valls a brandi avec la fougue qu'on lui connaît le risque d'une disqualification certaine de la gauche de gouvernement si la candidature de Hamon était retenue par les électeurs. Avant d'examiner cet argument, on notera que l'ancien premier ministre a repris ses accents traditionnels qui "clivent" la gauche alors qu'il s'était évertué (en vain ?) à les atténuer pendant la campagne du premier tour en se voulant l'homme du rassemblement. Passons.

    L'argumentation de Manuel Valls est à double détente. D'une part, la France a besoin, dans le contexte des graves incertitudes qui pèsent sur elle (menace terroriste, risque d'un rapprochement entre l'Amérique de Trump et la Russie de Poutine) d'un responsable d'expérience et d'autorité, étant entendu par l'ancien maire d'Evry en disposerait à la différence de son concurrent. D'autre part, certaines des propositions de Benoit Hamon (notamment le revenu universel et la légalisation du cannabis) risqueraient de radicaliser encore plus un électorat très droitier, renforçant dans le meilleur des cas la candidature de Macron, dans le pire celles de Fillon voire Le Pen. La vision proposée par Valls ne manque pas de logique : si on propose des mesures "trop à gauche", on effraie un électorat modéré qui aurait pu être intéressé par la candidature d'un "républicain pragmatique" que serait Valls.

    Cet argument massue mérite trois types de remarques. La première a trait au bilan gouvernemental et à l'impopularité record que celui-ci a suscité. La raison en est-elle que l'action conduite par les premiers ministres Ayrault puis Valls a été trop audacieuse, a effrayé l'électorat dit modéré ? Ce reproche qu'on avait pu entendre lorsque Lionel Jospin était premier ministre (notamment sur la mise en place des 35 heures) ne m'a pas paru très souvent utilisé depuis 2012. Au contraire, il a été reproché au pouvoir actuel pêle-mêle d'avoir trahi le discours du Bourget ("mon ennemi, c'est la finance"), d'avoir renoncé sans combattre réellement, par exemple sur la réorientation de la politique européenne, d'avoir échoué dans la réduction du nombre de chômeurs tout en accordant des réductions d'impôt aux entreprises sans contrepartie, et plus largement d'avoir donné le sentiment de ne pas croire à la possibilité d'une politique de gauche. 

    Si la gauche, et singulièrement le PS, a perdu l'essentiel de ses relais territoriaux dans les villes, les départements et les régions, ce n'est globalement pas pour cause de mauvaise gestion locale, mais bien parce que le compte n'y est pas au niveau national. Bien entendu, l'indécision de François Hollande, ses "frasques" avec les journalistes ont amplifié le désamour, mais la raison de celui-ci est d'abord politique. S'il n'est pas certain que les audaces de Hamon sont payantes sur le plan électoral, il est plus que probable que la tiédeur des idées de Valls auront du mal à trouver un espace politique.

    Seconde réflexion : les Français sont en attente de nouveautés, de fraicheur et de cohérence. Les trois candidats qui émergent actuellement (François Fillon, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, la situation de Marine Le Pen se plaçant dans une autre perspective) n'ont pas fait preuve de modération ni brillé par leurs calculs politiciens. L'ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy a affirmé un credo très droitier avec des propositions tranchées ; l'ancien patron du parti de gauche développe la carte de l'insoumission (on a connu positionnement plus frileux). Quant à l'ancien (?) protégé de François Hollande, E. Macron, ce qui séduit actuellement est d'abord l'audace de ce jeune homme, sa capacité à s'extraire du jeu des partis et des clivages politiques. Qu'on le veuille ou non, les Français aspirent à une forme d'espérance que chacun de ces trois protagonistes développe. Sur le papier, les projets de Fillon, Macron et Mélenchon paraissent très compliqués à mettre en œuvre (et ce pour des raisons diamétralement opposées) et pourtant, c'est ce côté transgressif qui a séduit... au moins pour l'instant.

    La dernière remarque par rapport à l'objection de Valls à la candidature de Hamon a trait à la conception qu'on a de la politique. En supposant que les électeurs de gauche aspirent à de la tiédeur et du "pragmatisme" (ce que je ne crois pas), faut-il leur donner ce qu'ils demanderaient ou proposer ce qui est jugé utile pour le pays et la promotion d'un certain nombre d'idéaux comme la justice sociale, l'émancipation individuelle et collective ou la lutte contre la violence des rapports économiques. Si on juge que le revenu universel permet de lutter contre la pauvreté (qui s'est renforcé pendant ce quinquenat malgré l'engagement réel du gouvernement sur ce dossier), de redonner sens au lien social et de partager le travail, alors faut-il le disqualifier parce qu'il serait trop coûteux ? Il est évident que cette question comme tant d'autres mérite débat et notamment sur son volet financement, mais il est certain que les arguments d'autorité ne fonctionnent plus.

    Alors que tant de propositions "pragmatiques" ont échoué, que tant de recettes teintées de néo-libéralisme ont montré leurs limites, il parait utile de laisser place à une forme d'utopie, notamment pendant toute la phase de la campagne électorale. Si les politiques ne sont là que pour nous dire ce qui "marche" ou "ne marche pas", autant les remplacer par des technocrates qui sauraient ce qui est efficace et s'interroger d'élections ouvertes. Vous me direz que les politiques se sont souvent transformés en "technos" sûrs d'eux et hermétiques à tout débat démocratique. CQFD.             

  • Nous en sommes là, trois ans après...

    Comme depuis plusieurs décennies, les élections locales se soldent par une sanction du pouvoir national. A chaque fois, les citoyens font payer aux élus locaux, soit par un vote d'opposition, soit par une abstention, l'absence de résultats tangibles en matière d'emploi, de lutte contre les inégalités ou d'insécurités... A la faveur de dix années de la droite au pouvoir, la gauche a conquis élection après élection (2004, 2008, 2011) une large majorité de départements. En l'espace de deux dimanches, la proportion s'est inversée : deux tiers des départements sont désormais aux mains de la droite. Le désastre absolument inégalé dans l'histoire des élections cantonales se lit dans la quasi disparition d'élus de gauche (deux ou quatre) dans nombre de conseils départementaux. Il se trouve même quelques départements, comme le Var ou les Yvelines, où la gauche n'aura plus de représentant au sein de l'assemblée. Comme si elle était rayée de la carte politique...

    Voilà donc où nous en sommes trois ans après l'arrivée de François Hollande au pouvoir. Précisons tout de même que la plupart des exécutifs locaux n'ont pas démérité, notamment dans la mise en oeuvre des politiques sociales. Pour autant, si on rentre dans le détail de celles-ci, on remarquera que certaines majorités de gauche ont résisté à la tornade, notamment grâce à des actions particulièrement audacieuses. Citons notamment la Meurthe-et-Moselle (le seul département resté à gauche de la grande région Champagne-Ardennes-Lorraine-Alsace), la Loire-Atlantique ou bien l'Ardèche... 

    Y'aurait-il une malédiction de la gauche au pouvoir ? Une impossibilité de changer les choses ? Pour la courte expérience Hollande, il est difficile de répondre à cette question tant ce pouvoir a renoncé à mener des combats de gauche souvent avant même d'engager la bataille. Aussi bien sur la réorientation de la politique européenne que sur la limitation de l'omnipotence des banques, sans oublier la réforme fiscale, les gouvernements Valls et Ayrault ont très souvent déposé les armes avant de les utiliser. Même l'occasion historique donnée par la victoire de Syrisa en Grèce pour changer la vision de la construction européenne a été gâchée.

    Par conviction et/ou par paresse intellectuelle, le gouvernement de "gauche" a repris sans sourciller l'antienne de la chasse aux déficits. Qu'importe si les collectivités locales sabrent à tout va dans leurs budgets d'investissements, si les entreprises mettent la clé sous la porte ou licencient, faute de carnet de commandes... Et même si la fameuse croissance, le nouveau Veau d'or que nos technos ou communicants implorent matin, midi et soir, frémit légèrement, elle ne sera pas en mesure de dégager un horizon à des millions de concitoyens qui sont devenus adeptes de la devise punk : "No future".

    Puisque le premier ministre a déjà prévenu que le cap ne serait pas changé et qu'il nous suffit d'attendre les résultats avec le "retour à la compétitivité", le scénario des des prochains mois est presque connu. Le congrès du PS de Poitiers en juin prochain va donner lieu à une bataille frontale entre deux lignes. L'appareil, servi par le départ, souvent sur la pointe des pieds, de nombreux militants qui ont cru au programme du candidat Hollande, devrait l'emporter autour d'un texte d'orientation ménageant la chèvre et le chou. S'ensuivra une séquence de déliquescence où la seule ambition du pouvoir sera de limiter la casse aux élections régionales. Allez, 2 ou 3 régions conservées par le PS, ce serait déjà Byzance !

    Cette absence de réponse au désarroi populaire est du pain bénit pour le Front national qui n'a pas besoin de présenter des candidats crédibles pour engranger des scores à 20 ou 30 %. Il leur suffit d'accoler le logo "bleu Marine"... A force de mensonges, de manque de courage (le courage, ce n'est pas de sortir la bombe nucléaire du 49.3...) et d'absence de représentativité sociologique des responsables, plus grand monde ne croit à la parole des politiques. La thèse du complot, du "on nous cache des choses", fait des ravages et alimente la stratégie des démagogues, de Nicolas Sarkozy à Marine Le Pen, qui pensent qu'il faut répondre à des émotions par d'autres émotions. Ceux-là signent la mort de la politique, ou en tout cas de l'idéal démocratique, qui suppose capacité de réfléchir et d'arbitrer entre des choix possibles.   

    Nous en sommes là, trois ans après la victoire de François Hollande. Nous en sommes à nous demander qui du candidat PS ou UMP, sera au second tour de 2017 face à la représentante du Front national. Nous en sommes à espérer qu'au moins un citoyen sur deux se déplace aux élections (et comme cela devient de plus en plus difficile, on parle maintenant d'instaurer le vote obligatoire).

    Alors, que faire ? Eviter de désespérer, essayer en tout cas, pour ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Distinguer la critique (nécessaire, vitale) des pratiques politiques de la destruction des (derniers) idéaux. Participer, relayer les dynamiques qui font revivre l'idéal citoyen dans les quartiers et les campagnes, être à l'écoute de tout ceux qui, quittant leur fauteuil devant cette maudite télé (il faudra qu'un jour on lui règle son compte à celle-là) innovent et inventent, n'attendant pas tout "d'en haut".

    Cela suffira-t-il à reprendre du terrain sur la gangrène décliniste et populiste qui a déjà contaminé une partie du peuple ? C'est loin d'être certain. Mais baisser les bras ou continuer à foncer dans le mur, comme le fait avec une belle opiniâtreté le premier ministre, nous mène assurément à un nouveau Munich politique. Il est encore temps peut-être, mais il est vraiment temps.

     

    Michel Dinet.jpgPS : cet article est dédié à Michel Dinet, décédé voici tout juste un an, politique innovant et chaleureux (jusqu'à sa mort, il présida le conseil général de Meurthe-et-Moselle), toujours soucieux du collectif et de l'intérêt général. Avec lui j'eus le plaisir de réaliser un livre d'entretiens ("Réenchanter la démocratie", aux éditions Lignes de repère, octobre 2014). Son absence après ce désastre démocratique est cruellement ressentie, et pas seulement en Lorraine.     

  • Triste gauche...


    Semaine après s
    emaine, la gauche gouvernementale n'en finit pas de ruiner le peu de crédit dont elle dispose encore. Ces derniers jours, ce furent successivement un découpage régional hallucinant (associant, par exemple, sur un même territoire Angoulême et Dreux) obéissant aux caprices des barons socialistes ; une nomination d'une libérale bon teint comme conseillère économique auprès de Hollande ; l'arrivée annoncée de Jacques Toubon au poste de Défenseur des droits (Pourquoi lui avec ses diverses casseroles ? Quelle contribution à la défense des droits ?) et puis, cerise sur le gâteau, l'annonce d'une révision d'une loi (Alur) à peine promulguée alors même que la cherté du logement est sur toutes les lèvres.

    Que se passe-t-il au coeur du pouvoir ? Les observateurs ont tendance à faire porter le chapeau entièrement sur François Hollande. L'homme serait inadapté à l'exercice du pouvoir, incapable de trancher et changeant inlassablement de point de vue. Ses mots n'auraient plus aucune portée sur les Français qui oscilleraient entre indifférence et colère. Les reproches sont, en grande partie, justifiés, même si, en politique internationale, il n'a pas été toujours dans l'erreur. Pour autant, se contenter de trouver le bouc-émissaire idéal ne permet de comprendre l'ampleur de la décomposition politique. Le mal est plus profond et mérite d'être analysé. Trois grandes causes peuvent être identifiées. 

    D'abord une grande paresse intellectuelle. Autour de François Hollande, gravitent des tas d'experts et d'intellectuels. Ce gratin présente deux grands défauts : il est globalement déraciné de la question populaire et des réalités régionales. Ces intellectuels défendent globalement la vision d'une mondialisation heureuse. Ils sont les porte-voix d'une classe sociale largement minoritaire en nombre, mais très influentes dans la société qui vit dans les centres cossus des grandes villes, voyage, aspire à une qualité de vie et n'a plus trop conscience des inégalités. La question des banlieues et des territoires ruraux menacées de désertification a été globalement minorée dans la campagne de François Hollande et ce n'est pas par hasard si le Front national réalise là ses meilleurs scores. Le second défaut que subissent ces intellectuels, c'est qu'ils sont instrumentalisés par le pouvoir socialiste. On les expose, on s'affiche avec eux pour étoffer son programme, mais on s'en détourne dès que le vent tourne et que les critiques ne sont plus audibles par le pouvoir. Dans l'opposition, on réfléchit (un peu) et une fois au pouvoir, on arrête de cogiter, de confronter des points de vue. Il n'y a qu'une politique possible, celle que soufflent des conseillers (souvent liés au monde de la finance) et les experts de l'opinion publique.

    D'autre part, et les deux sont liés, la gauche est dans une panne programmatique profonde. La paresse intellectuelle fait qu'on continue à penser qu'une croissance à 2 points va revenir ("elle arrive", nous dit incessamment le Président) et qu'ainsi nous allons résoudre la question du chômage. Que fait-on quand la croissance se traîne autour de zéro ? Comment sortir du non-emploi ceux qui s'y sont habitués ? Une fois qu'on a épuisé les maigres outils que sont les emplois d'avenir (pâle resucée des emplois jeunes des années Jospin) et la Banque publique d'investissement, on se tourne vers les bonnes vieilles recettes libérales. C'est bien connu : si la France a un taux de chômage si élevé, c'est en grande partie parce que les entreprises sont pénalisées par les charges qui les privent de compétitivité internationale. Là encore, par paresse, la gauche oublie de différencier les entreprises. Il pourrait être utile de baisser drastiquement les charges de petites entreprises émergentes ou de celles de l'économie sociale et solidaire, qui ont le souci du développement local. Mais quel intérêt cela peut-il avoir pour le pays si cette mesure s'applique à de grosses multinationales qui font des bénéfices prodigieux et n'hésitent pas à délocaliser ?

    La gauche au pouvoir renonce à toute pensée complexe : il faut des slogans simples, des marottes à agiter, sans se soucier des conséquences à long terme. C'est vrai pour la politique de l'offre tout comme pour la réforme territoriale qui ne s'appuie sur aucune étude prospective sérieuse. Et puis, se sentant fragilisée - car sa doctrine est trop faible face à la complexité du réel - la gauche finit par abandonner tout principe de... gauche. Elle cède à tous les lobbys, même sans mener bataille. Qu'importe si le raisonnement est d'une faiblesse abyssale (exemple : le logement est en crise ; c'est donc la faute à une loi pas encore appliquée dont les acteurs auraient anticipé les effets jugés négatifs) ! Il faut trouver des cibles faciles à identifier qui expliquent la situation actuelle et trouver des raisons de l'incapacité de la gauche à reformer en profondeur. Un jour, ce sont les élus trop nombreux et qui se marchent sur les pieds ; un autre, les intermittents qui coûtent trop cher ; un troisième, la loi d'une ministre écolo idéologue...  

    Le dernier problème majeur a été révélé lors des municipales. Les élus locaux, même si leur dévouement et leur bilan n'ont rarement été contestés, se sont coupés progressivement de la population. Loin de l'esprit du socialisme municipal des années 80 et 90, ils sont eux aussi devenus des professionnels de la politique gravitant dans les appareils et, pour beaucoup, n'ayant jamais eu une vraie activité professionnelle. Au fil des mandats, ils ont quadrillé le territoire avec un tas de centres sociaux, d'animateurs et d'associations plus ou moins instrumentalisées. La gauche municipale avait construit sa force dans la contestation du pouvoir des notables, sur une pratique politique faisant remonter les besoins locaux et essayant de construire des réponses collectives. Elle est devenue là aussi gestionnaire des intérêts locaux, plus soucieuse de gérer une clientèle que d'inventer de nouvelles façons de faire de la politique municipale.  

    Le discrédit du pouvoir central a fait croire, sans doute de bonne foi, que celui-ci était entièrement responsable de la Bérézina municipale (lire mon précédent post). Explication trop facile qui oublie des raisons locales : usure des équipes, manque de renouvellement des idées, fatigue du collectif, logique de concentration du pouvoir autour d'un seul personnage... La présidentialisation du pouvoir national a déteint fortement sur la façon d'exercer des mandats locaux. Là encore, sur le terrain si important, la gauche a déserté ses responsabilités en refusant de s'attaquer aux institutions de la Ve République. 

    A ce stade du raisonnement (que d'aucuns trouveront cruel,voire unilatéral), se pose la question : un sursaut est-il possible ? Par-delà les inflexions ou changements politiques (qu'un tiers au moins du groupe socialiste à l'Assemblée juge indispensable), un point qu'on peut juger anecdotique me semble important. Les politiques doivent donner envie : envie de s'engager, envie de tordre le cou aux fatalismes, envie de chercher des solutions aux impasses actuelles... Quel ministre, aujourd'hui, donne envie d'y croire ? On a plutôt le sentiment que chacun répète des éléments de langage soufflés par l'Elysée ou Matignon. Croient-ils à ce qu'ils professent ? Ils font le job, simplement, avec plus ou moins de brio. Mais toute flamme, tout enthousiasme a disparu, laissant le pays dans une sorte d'interrogation sur son destin collectif. Triste gauche, décidément...