Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10 mai - Page 24

  • Etats-unis, Brésil: quelles leçons pour la gauche?

    Ces derniers jours, le continent américain a été marqué par deux scrutins importants: aux Etats-Unis avec les Lula.jpgélections de mi-mandat et au Brésil avec la présidentielle. Dans le premier cas, la ligne de gauche modérée incarnée par Lula a été approuvée avec l'élection de son dauphin, Dilma Rousseff. Au nord du continent par contre, la volonté réformatrice d'Obama a été rejetée par les électeurs des Etats-Unis qui l'obligent à une cohabitation problématique avec la Chambre des représentants désormais dominée par les républicains. Les deux présidents ont un point commun: ils ont incarné un vrai espoir dans leur pays, et plus largement dans le monde, celui de changements en douceur pour aller vers une plus grande justice sociale. Pourtant, l'un, Obama, est stoppé net simplement au bout de deux ans alors que l'autre, Lula, voit sa politique confirmée (bien que critiquée à gauche comme à droite) après huit ans de pouvoir marqué par des échecs (en termes notamment de redistribution des terres) et quelques scandales de corruption? Pourquoi l'un imprime durablement sa marque au pays alors que l'autre, à peine élu, est déjà contesté?

    Bien entendu, les contextes sont loin d'être comparables. La puissance nord-américaine suobama_2.jpgbit encore les contre-coups de la grave crise financière et immobilière qui a démarré voici trois ans. Le chômage atteint presque la barre des 10% ; la situation des classes moyennes reste assez précaire; la question du logement reste très aigüe et les marchés financiers qui ont repris de la splendeur continuent à imposer leur loi. De plus, la société américaine, dans ses profondeurs, ne s'est pas débarrassée de son inconscient raciste : une partie des Américains WASP (« white anglo-saxon protestants ») continue à voir dans le premier président noir des Etats-Unis un intrus, un accident de l'histoire. Tout autre est la situation du Brésil, puissance émergente, dont la croissance économique, et le dynamisme culturel, sportif (ce pays va accueillir la coupe du monde de football puis les Jeux olympiques) font saliver tous les dirigeants occidentaux. Malgré les insuffisances de Lula, son bilan est largement approuvé par les Brésiliens qui font preuve d'un pragmatisme assez impressionnant.

    Aux Etats-Unis (mais la remarque s'applique très souvent aux pays occidentaux), toutes les difficultés sont attribuées au président actuel, même celles qui relèvent de son prédécesseur. Les électeurs ont la mémoire courte, oubliant le calamiteux bilan de George Bush, aussi bien sur le plan économique et social que international (avec l'engagement dans la guerre en Irak). Certes, les espoirs placés en Barack Obama étaient immenses, sans doute disproportionnés, et la déception est forcément au rendez-vous, mais en tout cas sur le plan intérieur, il n'a pas chômé, bataillant pour faire accepter sa réforme de la protection sociale.

    L'exemple Obama montre la difficulté – voire l'impossibilité – de réformes en profondeur en faveur des couches les plus démunies dans ce type de société. Là où le sentiment de déclin s'installe, où les couches moyennes ont peur d'être rattrapées par les plus pauvres, où la préoccupation principale des vieux est de percevoir leur pension (qui, rappelons-le, sont liées aux Etats-Unis à la bonne santé financière des grands groupes), toute volonté de bousculer – même raisonnablement – la donne se heurte à des peurs parfois instrumentalisées, à des réflexes de crispation. Il devient très compliqué de mener des politiques de gauche (donc des réformes) dans des espaces géographiques dominés - politiquement, économiquement, culturellement - par une population âgée. La tentation de la conservation de l'acquis, surtout quand celui-ci se rétrécit, prend le dessus sur tout projet innovateur qui bouscule les habitudes et représente toujours un saut vers l'inconnu.

    Ce que des sociétés jeunes, en essor, confiantes dans leur avenir acceptent, d'autres présentant des caractéristiques inverses le refusent. Ce n'est pas pour rien si la plupart des pays d'Amérique latine sont dirigés par des gouvernements de gauche et si le monde occidental est très souvent contrôlé par des équipes conservatrices. Avis (notamment) à la gauche française qui rêve de reprendre les rênes du pouvoir en 2012!

  • Conflit social: qui a "gagné"?

    Voici deux semaines que le conflit social autour de la réforme des retraites s'est emballé. Alors que la loi degrève retraite.jpgvrait être votée dans deux ou trois jours par le Parlement, un premier bilan peut être esquissé. Certes, le mouvement est loin d'être terminé, les blocages de raffinerie, malgré les réquisitions des pouvoirs publics, se poursuivent, entraînant une pénurie partielle de carburant. Mais, on sent bien, à la faveur des vacances scolaires, très opportunes pour le pouvoir, et la fin du feuilleton législatif, que la protestation sociale va baisser d'un niveau. Que retenir de cette rentrée sociale particulièrement agitée? Trois enseignements peuvent être tirés:
     

    1/ Le pouvoir n'a rien cédé.

    En France, il est tout à fait nouveau qu'un mouvement social aussi important dans la durée et par la mobilisation populaire (sans doute plus de cinq millions de personnes ont, à un moment ou un autre, manifesté contre le projet de loi) ne donne aucun débouché politique. Le joli mois de mai (68) s'était traduit par des accords sociaux importants (sur les comités d'entreprises, la revalorisation des salaires) sans oublier la réforme de l'université. L'importante mobilisation des cheminots en 1995 avait conduit à l'abandon du projet de réforme des régimes spéciaux pour les retraites (déjà!). Le mouvement anti-CPE de 1996 avait abouti à sa non-application, malgré l'adoption du Contrat première embauche par le Parlement. Cette fois-ci, à part de très minces aménagements pour les mères de famille et les parents d'enfants handicapés, le pouvoir n'a rien lâché. On pouvait, par exemple, penser qu'il a lâché du lest sur le départ à 67 ans pour les personnes qui ont eu des carrières en dent de scie car il apparaissait choquant que des travailleurs déjà peu gâtés par la vie dussent trimer si longtemps. Dans une posture à la Thatcher, le Président a affiché sa détermination, imposant même au Sénat si jaloux de son indépendance, une accélération de l'examen du texte. Est-ce que cette fermeté sera analysée comme un élément positif, traduisant une capacité à résister à la pression extérieure, ou, au contraire, comme un entêtement fâcheux synonyme de refus de dialoguer? Il est encore trop tôt pour répondre à cette question, mais on observera qu'au moment le plus critique – montée de la pénurie d'essence, mobilisation massive des lycéens avec ici ou là des débordements ultra-violents – les Français ont continué à exprimer un soutien très large à ces grèves qui, pourtant, compliquaient les conditions de vie des gens, en compromettant certains départs en vacances.

     

    2/ Le mouvement social est resté uni de bout en bout.

    Même si la fin de conflit pourrait se faire dans la désunion, on notera que pour la première foisleaders syndicaux.jpg depuis bien longtemps, le front syndical est resté soudé, malgré les différences évidentes de sensibilité, par exemple entre Solidaires et la CFDT. Cette centrale qui n'a reçu aucun gage de la part du pouvoir a fait le choix du conflit jusqu'au bout, ce qui marque une vraie évolution dans la culture cédétiste sensible à l'idée du compromis. Le pouvoir aura donc réussi à radicaliser le syndicat le plus réformiste et à ne pas isoler les éléments les plus radicaux qui, par leur attitude responsable, ont gagné en crédibilité. Le pouvoir espérait par ailleurs exacerber les tensions au sein de la CGT entre une direction plutôt ouverte au compromis et privilégiant un accord solide avec la CFDT et certaines fédérations prêtes à en découdre et à se rapprocher de SUD. Sauf évolution de dernière heure, il n'en a rien été et cela marque un échec pour la stratégie de division tentée par le pouvoir sarkozyste. A l'avenir, toute volonté de réforme jugée libérale sera sévèrement combattue par un front syndical qui, malgré sa défaite sur le papier, a marqué des points pendant ces semaines de mobilisation.

     

    3/ La gauche a été très présente, mais pas toujours convaincante.

    De bout en bout, les partis de gauche ont collé au mouvement social, participant à toutes les manifestations et ne faisant aucun commentaire sur la gestion du conflit. C'est la preuve d'un vrai respect de l'autonomie des militants syndicaux. Pour autant, la gauche est restée peu loquace sur les solutions qu'elle propose pour sauver les retraites. Celle-ci a louvoyé entre une négation du problème (certains affirmant que la question démographique n'est pas si grave que cela...position irresponsable) et le flou autour des propositions. On n'a toujours pas compris si le PS est favorable à l'allongement de la durée de cotisation (ce qui semble être la position majoritaire) ou au maintien du nombre d'annuités avant les réformes Balladur-Fillon. La radicalité de l'affrontement entre la rue et le pouvoir a masqué le manque de clarté de la gauche sur cette question. Certains objecteront que le PS a élaboré un contre-projet, mais on s'étonnera tout de même qu'il ne l'ait pas mis plus en avant. Sans doute parce qu'il aurait été jugé trop modéré par un mouvement social dont une partie a décidé, dans un élan de générosité pas toujours responsable, de faire fi de toutes les contraintes de l'environnement international. Le retour sur terre risque d'être un peu difficile...

     

     

  • Le grand saut vers l'inconnu

    Rarement semaine ne s'est annoncée avec autant d'incertitudes pour le gouvernement que celle qui démarre ce lundi 11 octobre. Une troisième journée de grève générale depuis la rentrée est prévue ce mardi dans tout le pays, qui, à la différence des deux précédentes en septembre, pourrait être suivie d'un appel à la grève générale. Certains convoquent (par nostalgie ?) le souvenir de l'automne 95, mais la situation est fortement différente. D'abord parce que les régimes spéciaux (RATP, SNCF, EDF) ne sont pas directement mis en cause par la réforme Fillon-Woerth. Ensuite parce que le contexte politique a profondément changé en quinze ans. En 95, Jacques Chirac venait d'être élu sur une promesse de progrès social partagé et dès l'automne, le Premier ministre Alain Juppé, droit dans ses bottes, avait annoncé qu'était venu le temps de la rigueur et que les "privilèges" des salariés protégés étaient à revoir. Douche glaciale pour ceux qui voulaient mordre dans la pomme promise par lSarko heureux.jpge Président!

    Tout autre est le contexte en 2010. La rapide agonie de la présidence de Nicolas Sarkozy laisse le pays dans un état de désarroi total. Certains cèdent au fatalisme, d'autres à une colère qui peut prendre des formes imprévues. Personne, y compris parmi les proches de l'UMP, ne comprend comment fonctionne ce pouvoir. Tout est curieux, voire inquiétant, dans sa façon de faire. Le fait d'annoncer en juin un remaniement ministériel à l'automne aboutit à mettre tous les ministres – et le premier d'entre eux – dans un état d'inquiétude peu propice à l'efficacité.

    Le fait de maintenir Eric Woerth à un poste aussi sensible que les Affaires sociales conduit, à mesure que les révélations se font jouBettecourt - Woerth.jpgr sur ses étranges collusions, à ridiculiser tous ses propos en les reliant à la nauséabonde affaire Bettencourt. Le fait d'imposer une réforme importante, celle des retraites, sans négocier avec les partenaires sociaux (alors qu'on avait promis le contraire pendant la campagne électorale) puis, sous la pression de la rue, à lâcher une à une des petites choses amène les manifestants à se dire que des acquis importants peuvent être obtenus par le blocage du pays. D'où la tentation de la stratégie du pire. Le fait de répondre à la centaine de parlementaires UMP qui ont demandé de remettre en cause le bouclier fiscal par un « circulez, y'a rien à voir » conduit les principaux soutiens du pouvoir à prendre de la distance.

    Tout est contre-productif dans les actes de Nicolas Sarkozy, y compris sa ridicule visite à Rome auprès du pape. Les catholiques français ne sont pas complètement demeurés pour ne pas y voir une opération de récupération alors que rien dans sa politique, depuis son goût immodéré pour l'argent jusqu'aux poursuites contre les étrangers, n'est compatible avec l'Evangile. Cela peut même avoir l'effet inverse de radicaliser ses adversaires chez qui trainent un vieux fond d'anticléricalisme mal digéré...

    Nous voilà donc à quelques heures du grand saut vers l'inconnu. Tout est possible, y compris un blocage anarchique du pays avec son lot de violences et d'exaspérations. J'ai le sentiment cependant que le pouvoir ne pourra pas jouer le coup de juin 68 lorsque le général de Gaulle activa la corde de la peur face à la chienlit. Pour beaucoup de citoyens, même ceux qui seraient enclins à soutenir la réforme des retraites, la chienlit est amenée depuis longtemps par le style brouillon de Sarkozy, par ses changements d'objectifs incessants (la relance puis l'austérité, par exemple) et par son entêtement à être le « Président des riches », pour reprendre le titre d'un livre récent, sans oublier sa propension à donner des leçons au monde entier, ce que ledit monde commence à trouver franchement ridicule.

  • « Paroles, paroles, paroles »

    Laissons (pour un temps) le cours des événements. Oublions le bras-de-fer de plus en plus viril entre les syndicats et le gouvernement sur la réforme des retraites. Ne pensons pas – pour l'instant – aux conséquences que pourrait avoir cette incapacité chronique du pouvoir à entendre les légitimes inquiétudes de la société sur la place du travail dans la vie. Evitons de philosopher sur le darwinisme social que semblent mettre en oeuvre, ou du moins accepter, les autorités publiques.

    Parlons d'autre chose, même si les connexions sont possibles avec ce qui précède. Cette semaine, un micnora Berra.jpgro-événement m'a interrogé sur la place du politique. Participant, en tant que journaliste, aux assises de l'aide à domicile, l'intervention de Nora Berra, secrétaire d'Etat aux aînés, était particulièrement attendue. Le secteur souffre depuis plus d'un an des restrictions budgétaires apportées au paiement des heures de travail ménager et d'accompagnement des personnes souvent âgées. Cela n'est pas sans lien avec l'étranglement financier des collectivités locales conduit par l'Etat. Lors de ce rendez-vous des professionnels de l'aide à domicile, agissant souvent dans un cadre associatif, tout le monde espérait un discours qui apporte des réponses claires aux incertitudes actuelles et qui trace les grandes lignes de la réforme de la dépendance annoncée, après bien des reports, pour fin 2010. Au lieu de cela, les trois à quatre cents participants entendirent un discours creux, ponctué de généralités, sans aucune ligne directrice.

    Qu'allait-il se passer dans les prochaines semaines pour sauver les structures menacées de mettre la clé sous la porte? Mystère et boule de gomme. Concernant le 5e risque (celui de la dépendance, un engagement du Président de la République avant son élection), le choix de la solidarité nationale allait-il être préféré à la logique assurancielle défendue dans un rapport récent par une parlementaire UMP? Aucune précision de Mme Berra. A défaut, nous eûmes droit à un catalogue d'évidences sur le vieillissement de notre pays et au dégagement en touche vers des rapports des inspections ministérielles qui, comme d'habitude, vont rendre leurs conclusions en retard. Et évidemment, l'antienne bien connue: « je suis là pour vous écouter et vous comprendre ». Comme le public était composé de professionnels bien élevés, aucun sifflement ne conclut cette exercice de langue de bois techno-humaniste. Cela n'aurait pas été volé, pourtant...

    Cet épisode n'est pas si isolé que cela et n'est pas lié (principalement) à l'incompétence de cette responsable politique. Il renvoie plutôt au vide de la parole politique et/ou son incapacité à traiter les problèmes auxquels elle doit faire face. Le politique a de plus en plus de mal à poser un diagnostic sur une question et à avancer des solutions adéquates. Parfois, comme c'est le cas dans le domaine qui nous intéresse, il est complètement schizophrène: il énonce de grands principes relativement justes, mais laisse faire une politique qui en prend le contre-pied. Par exemple, sur l'aide à domicile, Nora Berra confirme l'aspiration largement majoritaire des personnes âgées à vieillir à leur domicile et le besoin de faire exister durablement des services adaptés et professionnels pour accompagner ce vieillissement à domicile. Mais en refusant d'indiquer quels moyens la collectivité peut y affecter, elle illustre une forme de stérilité.

    Finalement, la parole du politique n'engage à rien, ne débouche sur aucune action précise. On occupe le temps et la tribune, mais finalement on n'annonce rien, on n'anticipe rien. Ajoutez à cela l'incapacité des ministres (elle comme les autres) à rester plus d'une heure au même endroit et on comprend mieux le ridicule de certains fonctionnements politiques. « Notre » secrétaire d'Etat aux Aînés, qu'aura-t-elle appris à la fin de sa journée, quel dossier aura-t-elle fait avancer? Difficile de répondre à sa place, mais il est permis de douter de sa valeur ajoutée!

    Cette question ne concerne pas seulement la majorité actuelle (même si elle est accentuée par l'arrogance du pouvoir élyséen à la prétention quasi-prométhéenne), mais tout exercice contemporain du pouvoir. Dans un monde bardé de contraintes et de contradictions, il faut urgemment dégager des marges de manoeuvre budgétaires (en taxant, notamment, les transactions financières et en revoyant les avantages fiscaux illégitimes) et revoir le mode d'élaboration des politiques. Cette façon qu'ont les organes politiques de ne pas prendre le temps de la consultation, de ne tirer les leçons de ce qui marche ou pas sur le terrain, de mettre en cause la légitimité des demandes des professionnels (forcément corporatistes et conservateurs) devient de plus en plus insupportable pour la société civile. Celle-ci est de plus en plus informée, ouverte à la contradiction, capable (parfois) de se remettre en cause, mais elle côtoie un appareil politico-administratif qui vit en cercle fermé avec ses conseillers-courtisans, sa production réglementaire et législative incontrôlée et ses éléments de langage incompréhensibles. Et je ne parle même pas des collusions avec les nouveaux seigneurs (les patrons du CAC 40) et des conflits d'intérêt dont l'actualité récente a montré l'acuité.

    Le divorce entre ces deux mondes - celui des mécaniciens (enseignants, travailleurs sociaux, militants associatifs, élus locaux, etc.) d'un lien social abimé par les politiques publiques et celui des pseudo-décideurs politiques - pourrait bien avoir des effets explosifs. Attention au découragement général qui ferait le lit de l'individualisme déjà galopant!