Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10 mai - Page 21

  • PS: faire le ménage devant sa porte

    Alors que le pouvoir essaie de faire diversion en vantant les racines chrétiennes de notre pays (ça ne mange pas de pain!) et en lançant un débat périlleux sur l'islam (qui ne peut que pJean-Noël Guérini, arnaud montebourg, georges frêche, martine aubry, gérard collombrofiter à une Marine Le Pen en pleine ascension), on a quelque gêne à s'intéresser à la cuisine interne du PS. Cela paraît assez mesquin en ces temps de turbulence arabe. Et pourtant, l'affaire du rapport Montebourg sur la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône est révélatrice de la duplicité des appareils politiques.

    Que dit le candidat à la candidature socialiste dans un rapport qui, nous dit-on, aurait dû rester confidentJean-Noël Guérini, arnaud montebourg, georges frêche, martine aubry, gérard collombiel? Que cette fédération dirigée par le sénateur et président du conseil général Jean-Noël Guérini et qui, par le nombre de ses adhérents, est la troisième ou quatrième du PS, fonctionne selon des principes douteux, avec des systèmes de pressions personnelles, de chantage financier (puisque le conseil général délivre des subventions qui, du jour au lendemain, peuvent être supprimées) et d'obscures tractations sur le vote des militants.

    Généralement, le choix de la direction fédérale est suivi à 80% par les adhérents du département. Pourquoi dans les Bouches-du-Rhône (mais on pourrait également s'intéresser au Pas-de-Calais, à l'Hérault et, dans une moindre mesure, à la Seine-Maritime) n'y a-t-il pas la diversité politique que l'on connaît dans la plupart des autres fédérations? Y aurait-il un micro-climat qui expliquerait cette uniformité politique?

    L'hypothèse de la plupart des observateurs avisés de ces réalités, dont se fait l'écho Arnaud Montebourg, est la suivante: le patron de la fédé négocie nationalement son ralliement à tel ou tel leader, à tel ou tel courant, non pas sur la base d'une adhésion à un projet, mais selon le principe de marchands de tapis: « Si je t'amène 80% des voix des adhérents, tu me donnes quoi? ». Cela veut dire des places dans l'appareil socialiste et sJean-Noël Guérini, arnaud montebourg, georges frêche, martine aubry, gérard collomburtout l'impunité quant aux pratiques douteuses (on a vu ainsi certaines sections des Bouches-du-Rhône « dissidentes » dissoutes par la fédération et des effectifs ici ou là grossièrement gonflés). Lors du dernier congrès PS de Reims, Jean-Noël Guérini s'était rapproché de Gérard Collomb, autre grand féodal (lyonnais), pour négocier son ralliement à Ségolène Royal. Il était quelque peu cocasse de voir la dame du Poitou, adepte d'un discours volontiers moral, s'allier au Marseillais aux manières fort peu policées. Mais bon, business is business...

    Le plus surprenant dans cette affaire, c'est la réaction outragée de Martine Aubry: « Il n'y a rien dans ce rapport. Pas un élément concret, précis, pas un fait », a-t-elle osé déclarer. Cette réaction a également été entonnée par la gauche du PS et par quelques autres, sur le thème: on ne tire pas contre camp surtout à trois semaines d'un scrutin cantonal dans lequel le PS espère ravir quelques départements. Mais justement à quoi sert-il de conquérir de nouveaux territoires s'il s'agit d'y appliquer des méthodes de fonctionnement néo-féodales et anti-démocratiques?

    La preJean-Noël Guérini, arnaud montebourg, georges frêche, martine aubry, gérard collombmière secrétaire du PS refuse de voir la réalité en face, comme voici trois-quatre ans, l'ancienne direction ne souhaitait pas mettre son nez dans la fédé de l'Hérault, avant que l'équipe d'Aubry s'y implique au dernier moment avec le résultat calamiteux que l'on connaît (le triomphe de feu Frêche et la déroute de la maire de Montpellier aux élections régionales). Non seulement cet aveuglement aura à terme des conséquences désastreuses sur les positions de la gauche dans ce département (car la mise en examen d'Alexandre Guérini dans des affaires de marchés truqués pourrait bien rejaillir sur son frère), mais surtout il illustre le décalage entre le renouvellement des idées, actuellement à l'œuvre, quoique de façon tempérée, au sein de l'appareil socialiste, et les pratiques locales qui parfois sont restées aussi archaïques (embrigadement et absence de débat).

    Ce fossé est d'autant plus fâcheux que Martine Aubry vient de s'exprimer dans un livre (« Pour changer de civilisation », éd. Odile Jacob) sur les valeurs de la gauche et sur ses principes d'action. L'un des premiers devrait être de faire le ménage dans les écuries socialistes pour que les fonctionnements les plus choquants soient bannis du parti. Mais évidemment, cela donnerait des armes à la droite locale – pas beaucoup plus ragoutante – et ferait perdre quelques milliers de voix dans le cadre de la compétition locale pour les primaires. Mais faut-il compromettre ses beaux principes pour un plat peu appétissant de lentilles, fussent-elles à la sauce marseillaise?

     

  • Quand le sarkozysme se renie...

    Qu'écrire de plus sur le remaniement gouvernemental fait dans la précipitation? Il était évidemment urgent d'exfiltrer "en douceur" deux éléments particulièrement encombrants de l'organigramme: Michèle Alliot-Marie parce que son feuillethortefeux-et alliot-marie.jpgon touristico-familial en Tunisie l'empêchait désormais de voyager dans les pays arabes et interdisait toute parole crédible sur le séisme politique en cours dans la région; Brice Hortefeux parce que sa gestion du ministère de l'Intérieur n'est pas à la hauteur de la priorité sécuritaire de Nicolas Sarkozy en vue de 2012 et parce que sa condamnation pour propos racistes – actuellement en appel – faisait un peu tache dans le décor.

    C'est donc fait et plutôt bien fait car Nicolas Sarkozy a joué la carte de la sécurité en plaçant Claude Guéant, à l'Intérieur, et Alain Juppé au Quai d'Orsay. Le premier est connu pour être dévoué corps et âme au Président et pour connaître parfaitement le milieu policier, particulièrement inquiet par les conséquences de l'austérité budgétaire. Le second a laissé un bon souvenir de son passage aux Affaires étrangères du temps de la cohabitation Balladur-Mitterrand et jouit d'une crédibilité dont souffraient terriblement Bernard Kouchner et MAM.

    Reste que ce remaniement illustre une fois encore l'impossible renouvellement deJuppé, longuet, Guéant.jpgs élites dirigeantes. Les trois promus (Guéant, Juppé et Gérard Longuet) ont la soixantaine bien sonnée et fréquentent les allées du pouvoir depuis vingt à trente ans. Le premier est un pur produit de la haute administration française qui vit en cercle fermé, dans un rapport incestueux avec la classe politique. Le second doit beaucoup à Jacques Chirac qui l'a fait adjoint à la mairie de Paris puis premier ministre de la son gouvernement. Même s'il s'est affranchi de la tutelle chiraquienne en partant à la conquête de Bordeaux, il n'en reste pas moins un disciple de l'ancien Président, ce qui lui donne une sensibilité aux enjeux diplomatiques (bien utile en ces temps de manichéisme sarkozyste), mais aussi une absence d'originalité, voire un opportunisme. N'oublions pas que le maire de Bordeaux avait critiqué l'alignement de la France sur les Etats-Unis lors de la réintégration de notre pays dans le haut-commandement de l'Otan. N'oublions pas non plus qu'il avait promis à ses administrés bordelais de se consacrer à temps plein à la ville...

    Quant au troisième, Gérard Longuet, on se demande bien les raisons de son arrivée dans l'équipe gouvernementale. S'agit-il d'un clin d'oeil à l'extrême droite au vu du passé sulfureux de notre ministre de la Défense? S'agit-il d'un signe envoyé à la majorité sénatoriale (relative) qui s'est sentie oubliée lors du dernier remaniement (vous vous rappelez, celui de novembre où des « professionnels » arrivaient aux commandes...) et qui va être mise à rude épreuve lors du renouvellement de septembre prochain? S'agit-il tout simplement d'un renvoi d'ascenseur entre deux hommes (Sarkozy et Longuet) qui ont fréquenté assidument le milieu de la finance et des grandes entreprises? On remarquera à l'occasion que le Président prend un risque politique en nommant l'ami Gérard à ce poste stratégique car l'ancien président du groupe UMP au Sénat a été cité dans un nombre incalculable d'affaires financières et il n'est impossible que l'une d'entre elles se rappelle à son bon souvenir.

    Que reste-t-il, moins de trois ans après son arrivée à l'Elysée, de la promesse d'un souffle frais à la tête de l'Etat? Le trio « diversité » (Rachida Dati, Rama Yade, Fadela Amara) a été écarté sans trop de ménagement des allées du pouvoir. Les personnalités d'ouverture (de Kouchner à Bockel en passant par Hirsch ou Jouyet) ne sont plus qu'un souvenir, bon ou médiocre. La relative jeunesse de l'équipe a été remplacée par l'expérience du pouvoir si rassurante. En procédant ainsi, Nicolas Sarkozy annihile tout ce qui a fait son charme: sa capacité à donner sa chance à des aventuriers de la politique, pas forcément passés par le moule administratif français. Ce projet a certes donné des résultats moyens voire calamiteux, mais ce n'est pas le dessein de renouvellement qu'il faut critiquer, mais la façon dont il a été mis en oeuvre. Miser simplement sur la fougue, l'enthousiasme et... la fidélité au chef n'est pas suffisant pour incarner le renouveau. Au contraire, il peut laisser penser qu'on singe le profil des politiques traditionnels, la compétence en moins.

    La classe politique, à droite comme à gauche, a besoin de sang neuf. Cela ne se juge pas à la jeunesse des artères: certains quadras qui ont fréquenté, depuis leurs années estudiantines, les allées du pouvoir paraissent déjà si vieux... Cela se jauge plutôt à l'immersion dans la société, les expériences accumulées dans le monde du travail, la richesse des engagements associatifs. Malgré les professions de foi célébrant l'ouverture, le monde politique a de plus en plus tendance à se replier sur son pré-carré, entretenant ses réseaux internes – liés à la fréquentation d'une grande école ou d'une loge maçonnique – et se coupant des forces vives qui amènent des innovations et des façons différentes de penser le monde. Le conformisme ambiant est mortel pour la politique. Même si les contextes sont profondément différents, le tourbillon sur la rive Sud de la Méditerranée devrait faire réfléchir nos politiques. En sont-ils capables?

  • DSK: pourquoi tant d'emballement?

    Alors que le monde est suspendu à la situation dramatique en Libye et la fuite en avant du dictateur Kadhafi - ami du ministre Ollier et admiré, entre autres, par le nouvel ambassadeur français à TDSK, Marine Le Pen, JL Mélenchon, médiasunis-, alors que le monde arabe vit une mutation sans précédent, voilà que nos médias français (franchouillards, oserais-je écrire) se passionne pour un non-événement: la venue à Paris pour une réunion financière du directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn. Bien entendu, tout le monde guettait un signe tangible de son intérêt pour 2012, tout en sachant bien que sa position internationale ne lui permettait pas de prendre position. Cela d'ailleurs lui aurait été reproché car, au vu de la situation tendue sur les marchés (notamment ceux des matières premières), une option de DSK sur la présidentielle aurait pu encore plus compliquer la situation internationale. N'oublions pas que l'onde de choc dans le monde arabe est lourde de conséquences pour le pétrole. Un renchérissement brutal des cours de l'or noir aurait raison de la timide reprise économique dans le monde occidental et on peut comprendre que le patron du FMI ait d'autres soucis que la présidentielle française (même il doit y penser de temps en temps, pas simplement en se rasant...).

    Et voilà que nos bons médias s'emballent, jaugent une déclaration de sa femme sur son blog (qu'elle tient depuis belle lurette) et spéculent déjà sur un duel Sarkozy-DSK. Cette façon de précipiter l'agenda et de dicter aux Français le duel auquel tout le monde (dans les grands médias) rêvent ne peut qu'accroître les fractures dans l'opinion publique. Mais pensez donc, un tel duel serait si alléchant. Deux fauves de la politique face à face, chacun ayant côtoyé les grands de ce monde, chacun ayant construit de solides réseaux dans les milieux politiques, patronaux et médiatiques. Comme on prête à Sarko comme à DSK des casseroles (sans qu'on sache si elles seraient d'ordre personnel ou financier) qui pourraient sortir à cette occasion, les « observateurs » de la vie politique voient dans ce duel tous les ingrédients réunis d'une pièce à rebondissements.

    Et le débat politique dans tout ça? Il a été encore une fois oublié. Comme l'a dit avec justesse François Hollande, c'est le directeur général du FMI qui s'est exprimé, pas le candidat putatif à la présidentielle. Qu'il se soit permis d'égratigner indirectement la gestion Sarkozy ne prouve rien, si ce n'est que DSK n'a pas oublié qu'il appartenait à la gauche française.

    Fin d'un épisode (sans grand intérêt). Mais réfléchissons à ce que cette spectacularisation de la vie politique pourrait amener. La classe politique subit dans l'opinion un discrédit très fort. En tout cas, celle qui passe l'essentiel de son temps dans les palais parisiens de la République. Le tableau est connu et nul ne peut le contester. Les médias souffrent eux aussi d'un manque de crédibilité qui n'est pour rien dans la crise économique que traverse la presse écrite. Outre quelques ratés mémorables, on leur reproche d'être trop proches des puissants et de se désintéresser du quotidien des Français. Malheureusement, tout n'est pas faux dans ce tableau, même si le discours conspirationniste (voir des complots partout) qui l'entoure souvent est totalement réducteur.

    Dans ce tableau sombre, la tentation des médias à vouloir annoncer un duel DSK/Sarkozy est non seulement risquée (on devrait se rappeller comment Balladur en 1995 puis Jospin en 2002, chouchous des médias, ont été éliminés dès le premier tour), mais dangereuse. Elle fait le lit du discours protestataire qui monte un peu partout dans la société. Celui-ci a beau jeu de comparer la fortune de DSK (d'autant que ses émoluments faramineux de DG du FMI ne sont pas soumis à l'impôt) au goût prononcé de l'argent de notre Président. En gros, l'héritier contre le nouveau riche. Cette thématique risque de ne pas servir celui qu'on veut lancer dans l'arène, DSK, mais d'alimenter le discours de Marine Le Pen (et accessoirement celui de Jean-Luc Mélenchon). Celle-ci atteindrait déjà 20% d'intentions de vote dans un récent sondage et ses marges de progression sont réelles. La candidature sous la bannière FN aux cantonales d'un syndicaliste de la CGT, ancien militant de l'extrême gauche, témoigne, même si le cas reste encore isolé, d'un attrait pour le discours plus social et ultra-laïque de la fille Le Pen (lire mon post du 13 décembre).

    Vouloir discréditer l'éventuelle candidature de DSK au nom de sa fortune revient non seulement à donner du crédit aux thèses de l'extrême droite, mais à tuer le débat politique. On ne peut pas démolir un politique sur ce que sa naissance – ou son mariage – lui a donné. La critique doit porter sur la cohérence de son parcours (avec une question que j'ai du mal à trancher: peut-on avoir une gestion plus à gauche du FMI?) et surtout sur ses propositions. S'il s'avérait que le candidat des socialistes (en supposant que la primaire d'octobre le désigne) faisait preuve de frilosité dans l'indispensable lutte contre les inégalités et dans la redistribution des richesses, on pourrait alors se demander s'il est toujours de gauche et si sa fréquentation de la haute finance internationale (qu'il a habilement critiquée sur France2) n'a pas déteint sur ses convictions. Mais à l'heure d'aujourd'hui, tout procès d'intention à l'égard de DSK est déplacé. Il sert plus le FN que l'UMP, empêtré dans ses contradictions et ses ratages diplomatiques en rafale.

  • Faut-il condamner l'outrance?

    Le journaliste Eric Zemmour a écopé d'une amende (avec sursis) pour ses propos très contestables sur les "Noirs" et les "Arabes" à la télé. Toute personne ayant des convictions anti-racistes peut s'en féliciter: cette condamnation jouera, espère-t-on, un rôle dissuasif vis-à-vis de tous ceux qui, eric zémour,le pen,mélenchonvrais racistes ou démagogues irresponsables, activent les ressorts de la peur de l'Autre particulièrement vivaces en cette période troublée.

    Pour autant, la condamnation devant les tribunaux d'un journaliste, porte-drapeau de l'anti-politiquement-correct qui serait l'apanage de la gauche morale, pose plus de questions qu'elle n'en résoud. D'une part, quelles sont les limites de la liberté d'expression? Le journaliste a estimé que les contrôles au faciès se justifiaient par le fait que les délinquants sont très souvent noirs ou arabes. Son point de vue doit être démonté de façon argumentée: la société française étant ethniquement et socialement stratifiée, il est malheureusement logique que les actes de délinquance soient davantage le fait de jeunes vivant dans des ghettos de pauvres que dans des ghettos de riches. Cela n'a pas grand-chose à voir avec la couleur de peau des délinquants. On observera que dans les quartiers huppés de la capitale ou dans la ville dont fut maire Nicolas Sarkozy, les fils d'ambassadeurs africains ne se font pas plus remarquer que leurs condisciples "blancs" par des pratiques délictueuses. D'ailleurs, on aurait quelques surprises si on enquêtait sur la consommation de drogue - et donc sur les réseaux de distribution - dans ces quartiers huppés paraît-il si tranquilles (mais là, comme par hasard, on est discret).

    Donc, Eric Zemmour a tort non pas dans son constat, mais dans la conclusion qu'il en tire. Cela fait-il de lui un fieffé raciste? Pas sûr et à vouloir faire condamner ce type de propos, on réactive l'idée selon laquelle il ne faudrait pas dire la vérité dans ce pays. Cela met de l'eau au moulin de ceux qui estiment que les élites ne vivent pas les problèmes de la population et pratiquent le déni de réalité pour mieux protéger leur tranquillité. Evidemment, Eric Zemmour ne vit pas plus que ses confrères du Nouvel Obs ou du Monde à la Courneuve et ne franchit pas souvent le périph', mais il donne le sentiment à des millions de Français qui se sentent abandonnés qu'ils peuvent compter sur sa voix. Le condamner n'est pas forcément un bon moyen de combattre les clichés qu'il véhicule.

    Par-delà la question de la liberté de parole qu'il me semble périlleux de vouloir contenir dans une démocratie d'opinions, se pose celle des lieux de contradiction. Pourquoi faut-il aller devant un tribunal alors même que le propos incriminé ne met pas en danger la paix civile? Pourquoi ne pas lui répondre dans une émission de grande écoute en montrant ses incohérences? D'une certaine manière, les anti-racistes ont renoncé à ce travail de pédagogie. Manque de courage? Peut-être. On se souvient que seul Tapie dans les années 80 acceptait de contredire Jean-Marie Le Pen, les autres politiques disant, pour se disculper de tant de lâchetés, qu'on ne débat avec le diable. Eh bien, si le diable est installé dans nos murs - certains disent en nous -, faut-il le laisser ainsi prospérer sans ne rien dire? 

    Le média télé a une part de responsabilité dans cette surenchère démagogique et xénophobe. Pour contrer l'argument semble-t-il imparable de Zemmour (il y a beaucoup de Noirs et d'Arabes dans nos prisons donc ils sont culturellement moins respectueux de la loi que les autres), il faut prendre quatre-cinq minutes - sans être interrompu - pour expliquer les clivages sociaux et ethniques profonds de notre pays. Il faut parler des problèmes de déracinement des parents immigrés, de leur difficulté à trouver leur place et leurs repères. Il ne s'agit pas d'excuser des attitudes illégales, parfois graves, mais juste de montrer que dans notre République, tout le monde ne part pas sur un pied d'égalité. Mais quel programme télé à une heure de grande audience accepte de se prêter à cet exercice de pédagogie? Il est plus payant en termes d'audimat de mettre sur le ring Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen qui vont ainsi s'envoyer des noms d'oiseau à la figure que de convoquer des sociologues ou des journalistes de terrain pour parler ce qui se vit aujourd'hui.

    Finalement, cette affaire Zemmour signe une double faillite de notre système politico-médiatique. Celle d'un certain journalisme qui éditorialise à outrance, ne prend plus le temps de se plonger dans les réalités complexes du terrain et se transforme en "causeur" (façon salons savants ou café du commerce). Faillite aussi de l'esprit de raison ou du "progressisme" qui, n'ayant plus la capacité ou la force de convaincre par des arguments, préfère faire juger les différends devant les tribunaux.