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  • La stratégie à (très) hauts risques de Sarkozy

    Curieux entre-deux-tours ! Un candidat archi-favori fait semblant, pour mobiliser son camp, d'annoncer un second tour très serré (ce qu'aucun institut de sondage, même en prenant la marge d'erreur inhérente à l'exercice, ne prédit) ; un sortant qui multiplie les effets d'annonce et parfois les provocations, se bat comme un second tour présidentielle,patrick buisson,ump,nicolas sarkozybeau lion, en sachant que la partie sera ultra-difficile pour lui. Ajoutez à cela, histoire de pimenter une affaire qui en manque quelque peu, un ancien prétendant à l'Elysée, déchu dans une série d'affaires glauques, qui réapparaît à une semaine de ce second tour dans une soirée que les Tartuffe ont appelée privée...

    Il faut bien le reconnaître, quel que soit le fil qu'on tire, on ne voit pas comment Nicolas Sarkozy pourrait l'emporter, même avec 50,1 %. Prenons d'abord l'arithmétique électorale qui, loin d'être infaillible, donne tout de même quelques indications précises.

    9 candidats contre 1

    Pendant toute la campagne, dans un aveu de lucidité désabusée, le candidat sortant a pesté contre une situation inédite où il était seul contre neuf. Cela n'était pas faux et cela se traduit logiquement par son absence de réservoirs de voix. Là où François Hollande peut compter l'essentiel des suffrages qui se sont portés au premier tour sur Mélenchon, Joly et mêmesecond tour présidentielle,patrick buisson,ump,nicolas sarkozy Poutou qui ont appelé à l'élire ou du moins à battre Sarkozy (les trois candidats remportant en tout presque 15 %), Nicolas Sarkozy n'a aucune réserve naturelle. Même Nicolas Dupont-Aignan qui vient du RPR n'a pas appelé ses électeurs à se reporter sur celui qui se prétend encore néo-gaulliste.

    Reste ensuite l'électorat des 3e et 5e candidats du premier tour. Mathématiquement, Sarko pourrait l'emporter s'il agrégeait à ses 27 %, les 18 % de Le Pen et les 9 % de Bayrou. Mais les reports ne se feront pas à 80 %, ni même à 70 % chez ces deux candidats. Dans le meilleur des cas, Nicolas Sarkozy peut espérer en agrégeant, pour des raisons totalement différentes (la peur de l'étranger chez les électeurs frontistes et la peur des déficits chez ceux du centre), la moitié de ces deux électorats, arriver à un capital électoral de 41 à 42 %. Même s'il espère, sans doute à raison, mobiliser une partie de l'électorat traditionnel de la droite qui l'a boudé au premier tour et/ou a préféré profiter de vacances pluvieuses, il aura tout de même beaucoup de mal à franchir la barre des 50 %.

    La stature de Hollande renforcée

    Comme « l'animal » ne se rend pas aussi facilement, il en vient à faire feu de tout bois, franchissant allègrement bien des tabous. Lors de son discours de Toulouse le 29 avril, il a repris même l'idée du « racisme anti-Français » inlassablement invoqué par la famille Le Pen. Le problème pour Nicolas Sarkozy, c'est qu'il a en face de lui un animal à sang froid qui jamais ne tombe dans son panneau. Donc, son attitude survoltée second tour présidentielle,patrick buisson,ump,nicolas sarkozyqui, une fois encore (lire mes posts précédents), est davantage celle d'un challenger que d'un sortant, renforce la stature de chef d'Etat que souhaite camper François Hollande. Il est tout de même paradoxal – et on s'étonne que les spécialistes de la doxa sarkozyste ne s'en étonnent pas – que celui qui en appelle aux solutions de responsabilité face à la gravité de la crise prenne le risque de déchaîner quelques passions nationalistes, teintées parfois de xénophobie.

    Chasser sur les terres frontistes ?

    A cette critique, certains défenseurs du leader de l'UMP vous diront qu'avec un FN à 18 %, il n'y a pas d'autre solution que d'aller chasser sur les terres frontistes. Et ils vous rappellent le scénario de 2007 où un Sarko offensif et sans complexe avait ramené l'électorat Le Pen à 10 %. Sauf que la stratégie de 2007 ne peut être reproduite, sauf à épouser totalement le discours plus présentable, mais totalement démagogique, de celle qui a pris la relève dans l'entreprise politique familiale. Elle repose en fait sur une erreur d'interprétation de l'électorat Le Pen. L'alchimie insécurité + immigration (deux domaines où la présidence Sarkozy n'a d'ailleurs pas forcément excellé) n'est pas le vecteur principal de l'électorat Le Pen, en tout cas dans certaines régions. Si cette radicalisation du type Ligue du Nord (électorat petit-bourgeois qui vit plutôt bien mais qui craint une dégringolade sociale avec l'arrivée des étrangers) existe dans certaines régions, notamment sur le pourtour méditerranéen (elle rassemble 27 % des électeurs gardois), le processus d'adhésion à « Marine » est autrement plus complexe dans d'autres régions.

    « Marine » à 20 % dans des départements ruraux

    Si le cocktail « immigration + insécurité » était totalement explicatif de ce vote, comment comprendre que dans l'Indre ou l'Orne (départements ruraux s'il en est), le FN fasse près de 20 % et que dans l'Aube (où est élu François Baroin), il cartonne à 25 %? A l'inverse, second tour présidentielle,patrick buisson,ump,nicolas sarkozycomment analyser le fait qu'en Seine-Saint-Denis, là où présence d'étrangers et niveau d'insécurité sont élevés, le FN n'atteigne même pas les 14 % ? Et pour aller à la pêche de ces électeurs frontistes en Indre, l'Aube ou l'Orne, il ne faudrait pas parler viande hallal ou racisme anti-français (même s'ils peuvent y être sensibles), mais plutôt pouvoir d'achat, emploi, lutte contre la désertification, services publics... Autant de questions sur lesquelles le Président sortant est un peu moins prolixe.

    Le risque de cette stratégie sarkozyste est non seulement son échec électoral prévisible, mais qu'elle pourrait conduire à une seconde – et encore plus large – défaite au tour d'après, les législatives. En effet, quelques critiques se sont déjà fait entendre dans les rangs de l'UMP. Certes, les Chantal Jouanno, Etienne Pinte ont une influence fort limitée dans le parti présidentiel, mais ils constituent la garde avancée de ceux qui, lucides et courageux, ont compris que la stratégie Buisson (du nom de ce conseiller venu de l'extrême droite, très influent à l'Elysée) menait à la division de l'UMP et à la polarisation autour du FN.

    Risque d'implosion à l''UMP

    Que va-t-il se passer à partir du 7 mai, si la défaite de Sarko est confirmée? Les bouches vont s'ouvrir, les confessions se multiplier, les règlements de compte s'intensifier (notamment entre les clans Fillon et Copé). Si on reste sur le terrain strictement politique (car du point de vue judiciaire, certaines affaires pourraient connaître de nouveaux développements), les risques d'éclatement de l'UMP sont majeurs, même si tout lemonde, la main sur le coeur, promettra de rester unis. Les législatives vont donner lieu à trois types de scénarios : celui où la droite, plutôt bien placée, aura en face d'elle un candidat de gauche et devra négocier le report des voix du FN; celui (peut-être dans une centaine de circonscriptions) où aura lieu une triangulaire UMP/gauche/FN avec le risque que le candidat de gauche arrive presque partout en tête.

    Que faire face à un second tour FN/gauche ?

    Reste le dernier scénario qui pourrait se produire très fréquemment : le candidat de droite, n'ayant pas atteint les 12,5 % des suffrages (avec une participation plus basse, c'est possible avec moins de 20 % des voix), il reste au second tour deux candidats, de gauche et FN. Que fera dès lors le candidat de droite ? Appeler à voter « républicain » (comme le feront sans doute les quelques candidats de gauche éliminés, par exemple dans les Alpes-Maritimes ou le Var), prôner un vote blanc, voire dans quelques cas extrêmes, se désister en faveur du frontiste au nom de la lutte contre le pouvoir socialiste ? Il est évident que cette dernière situation conduirait à diviser profondément feu le parti majoritaire. Plus de leader incontesté, un centre de gravité déplacé vers la droite, deux défaites successives, des défections vers le FN voire vers le MoDem... la stratégie « à droite toute » de Nicolas Sarkozy pourrait avoir un effet délétère sur ce parti qu'il avait façonné pour sa victoire de 2007. Mais le président sortant n'est-il pas, peut-être à son corps défendant, dans une optique « après moi, le déluge » ?

  • En direct chez les supporters de Sarkozy

    Après des semaines et des semaines de suivi et d'analyses de la campagne présidentielle, comment et où passer la soirée électorale ? Y'a l'option téloche avec pizza et bière, pour commenter avec les potes les résultats. Pas mal, mais pas très original. Et pourquoi pas aller sur place et voir comment les militants réagissent à l'annonce des résultats. Décision est prise de faire la tournée des camps politiques. Je ne pars pas seul puisque m'accompagnent mon fils qui a voté pour la première fois (à gauche) et un vieux copain, militant écolo et électeur d'Eva Joly .

    Mutualité Sarko.jpgDirection d'abord la Mutualité dans le quartier latin (1). La « Mutu » n'est plus le repère de la gauche, comme ce fut le cas pendant des décennies. Première mission : rentrer dans le bunker pris d'assaut par des centaines de militants UMP et surveillé comme un sommet intrenational. La carte de presse, finalement, constitue un sésame précieux. On entre donc dans ce palais et on trouve difficilement une place dans les tribunes du haut, là où il fait une chaleur proche d'un hammam.

    De part et d'autre de la scène géante, deux écrans télé. L'un branché sur TF1, l'autre sur France 2. Le premier a nettement plus les faveurs des spectateurs-supporters. Tout simplement parce que la chaîne privée annonce un écart d'un peu plus d'un point (elle est d'ailleurs la plus proche du résultat final qui indiquera tard dans la nuit 1,5 point de plus pour François Hollande) alors que la « publique » parie sur trois points de retard du président sortant. Un électeur UMP nous confie qu'il est plutôt content que Marine Le Pen fasse près de 20 % (finalement, ce sera 18 %) parce qu'il y voit une grosse réserve de voix pour son chouchou qui en manque tant.

    Dans la salle, c'est du délire. Le public siffle à tout va quand un leader de gauche apparaît. La palme de la bronca va à Ségolène Royal qui fut le premier adversaire de Nicolas Sarkozy. Mais Douste-Blazy qui a rejoint François Bayrou, reçoit également un accueil sympathique. A tue-tête, les supporters crient un très optimiste « On va gagner » suivi d'un géographique « Hollande en Corrèze, Sarko à l'Elysée ». Enfin, ici, on ne l'appelle pas Sarkozy, mais Nicolas. Un peu de tendresse dans ce monde de brutes !

    Quand Marine Le Pen apparaît à l'écran, on sent une grande attention du public qui sait que son attitude sera déterminante pour améliorer le report des voix vers le candidat UMP (qui selon les sondages du soir, était de 2/3 pour Sarko, 1/3 vers Hollande). Son intervention suscite tout de même quelques sifflets, mais beaucoup moins que pour Ségolène Royal. Tout de façon, son discours est rapidement coupé par une interrution de son tout à fait opportune. Le son revient pour l'intervention de François Fillon qu'on voit d'abord sur l'écran puis 10 minutes plus tard à la Mutu. Pour être aussi rapide, son chauffeur n'a pas dû respecter les limitations de vitesse...

    C'est un défilé gouvernemental à la Mutualité : Bruno Le Maire, Claude Guéant, Roselyne Bachelot, Gérard Longuet (qui de loin ressemble vraiment à Bertrand Delanoë). MêMutualité Copé.jpgme Michèle Aliot-Marie est de retour, suivi par son POM (Patrick Ollier) de mari. Le patron de l'UMP Jean-François Copé, le « grand ami » du Premier ministre, prend la parole depuis la salle, sans monter sur la tribune, et harangue la foule. Il loue « le projet solide » du sortant, parle de « campagne extraordinaire » et conclut par un solennel « L'avenir de la France est en jeu ». Délire dans la salle !

    Quand François Hollande s'exprime depuis son fief corrézien (il y a fait plus de 40 % alors que dans les Hauts-de-Seine, Sarko est talonné par le candidat socialiste), difficile de suivre son propos. C'est la bronca et les dizaines de « Menteurs » qui sont lancés un peu partout. De toute façon, là encore, un problème technique intervient. Tous les regards se tournent vers Alain Juppé qui fait une entrée triomphale à la « Mutu ». Les militants ne sont pas rancuniers ou alors complètement amnésique car l'actuel ministre des Affaires étrangères n'a pas ménagé ses critiques pendant au moins deux ans.

    Toujours pas de Nicolas Sarkozy en vue dont on nous annonce pourtant l'arrivée imminente. Alors, on fait un peu connaissance A côte de nous, une jeune femme beaucoup moins BCBG que la moyenne des jeunes (qui sont en nombre assez limité). Ici, la veste est de rigueur (pas de cravate, tout de même, c'est la fête...) et les filles ne sont pas débraillées. Notre voisine est, comme nous, une intruse : elle a voté François Hollande. Elle accompagne son papa et sa soeur plus jeune, tous deux électeurs UMP. « Vous comprenez, je travaille dans l'enseignement et la recherche en mathématique. Après ce que Sarko nous fait, il n'est pas possible de voter Sarkozy ». Une discusion s'engage avec la soeurette, électrice de Nicolas Sarkozy, mais qui est loin d'être une passionnaria. Il y est question notamment d'écologie (elle regrette que Nicolas Hulot n'ait pas été candidat)..

    21h45. Arrêtons de causer. La star de la Mutu arrive dans une vacarme indescriptible. « Nicolas, Nicolas ». Une nuée de drapeaux tricolores (qui avaient été distribués juste avant Mutualité interv sarko.jpgpar le service de campagne) envahit notre champ de vision. Cette fois-ci, le son est maximal. Le regard grave, aucun signe d'euphorie sur le visage, le candidat sortant déroule un discours impeccable où il fait clairement un appel du pied à la leader frontiste en insistant sur l'immigration et la sécurité. Mais il en appelle aussi au rassemblement le plus large en se voulant social: « Les angoisses, les souffrances des Français, je les connais...). Il sort alors sa carte magique en exigeant l'organisation de trois débats (voici quelques jours, c'était deux...). « Les Français ont le droit à la vérité et à la clarté », s'écrit-il. Et le candidat crédité de 27 % de conclure en réaffirmant son « amour de la patrie ». Dans les minutes qui suivent son intervention courte (pas plus de 10 minutes), la salle de Mutualité se vide rapidement.

    Dans un café proche de la Mutu, les clients qui présentent une allure vraiment différente de la sage, bine que survoltée, assemblée UMP, commentent, pas toujours dans la finesse, les commentaires de TF1. Notre ami Pernaut est parti à Louviers (le fief de Pierre Mendès-France) à la rencontre des vrais Français. Quand le reporter parle du rassemblement UMP qui s'achève, il raconte que « les militants sont maintenant dispersés dans la rue ». Un client du bar s'approche de la porte, incrédule, et s'exclame : « Eh bien, y'a personne ».

     

    1. La tournée continuera rue Solférino au siège du PS. Mais là, la pluie aidant, vers 23 heures, la fête est terminée. Ne reste plus qu'une poignée de militants et de responsables socialistes, ainsi qu'une cohorte de journalistes, dont beaucoup de correspondants de la presse étrangère.

       

      Retour sur mes pronostics (voir ci-dessous)

      Difficile de s'auto-évaluer, mais je me mets la note de 12/20. La moyenne est assurée car j'ai indiqué le bon ordre des candidats (alors que beaucoup voyaient Mélenchon devancer Le Pen). J'ai gagné quelques points en indiquant un écart de deux points entre Hollande et Sarko (il est d'un point et demi) et en évaluant Bayrou à son niveau (9 %). Par contre, et cela me fait perdre l'espoir d'avoir les félicitations du jury, j'ai un peu sous-évalué Hollande et Sarko (que je voyais à 27 et 25 %) et surtout j'ai sur-évalué la performance du leader de Front de gauche que j'avais pronostiqué à un niveau élevé (16 %). J'ai été, comme beaucoup, intoxiqué par les sondages qui le mettait à un niveau élevé (entre 14 et 16 %).

  • 1er tour : voici mes pronostics !

    J -3. Avant que les sondages soient officiellement interdits de publication, essayons-nous à l'exercice des pronostics. Pas simplement par goût du jeu, mais par volonté (sans doute un peu prétentieuse) d'essayer d'anticiper sur le verdict de cette alchimie bizzare qu'est une campagne électorale. Bien sûr, les résultats de ce dimanche à 20 heures peuvent démentir totalement mes pronostics... Bon, ce préambule assez duré. Lançons-nous à l'eau au risque de prendre la tasse...

    F. Hollande.jpgFrançois Hollande : 27 %

    Il arrive largement en tête du premier tour, ayant réussi à cristalliser sur sa candidature le fort courant d'opposition – voire de ras-le-bol – vis-à-vis du sarkozysme. Son talent a été de garder constamment le cap, sans répondre frontalement aux attaques du candidat sortant, voire à celles de Jean-Luc Mélenchon. Jamais, il n'a été déstabilisé. Un roc, ce Hollande ! Il a par ailleurs réussi à conserver l'unité des socialistes derrière sa candidature (à la différence de la cacophonie de 2007). A-t-il vraiment convaincu ? Pas toujours, notamment dans sa volonté de renégocier le traité européen ou dans sa capacité à rassembler largement de la gauche de la gauche au franges bayrouistes. On l'a trouvé également étrangement silencieux sur la politique étrangère (comme les autres candidats d'ailleurs). Il va devoir pendant l'entre-deux-tours persuader qu'il peut être autre chose qu'un Président par défaut. Vaste chantier pour que la probable victoire du 6 mai ne soit pas à la Pyrrhus...

     

    Sarko 2.jpgNicolas Sarkozy : 25 %

    C'est un score très médiocre pour le Président, lui qui pensait doubler le candidat socialiste et flirter avec la barre des 30 %. Une partie des abstentionnistes (qui atteindrait les 28 – 30 % contre moins de 20 % en 2007) serait à chercher du côté des électeurs traditionnels de la droite qui décidément n'ont pas pu se résoudre à voter pour un Président qui l'a tant déçu voire choqué. Plus encore que le non-respect des engagements de 2007 (l'argument de la crise est jugé acceptable par cet électorat), c'est cette mise en avant permanente de sa personnalité, de son ego qui ne passe dans cet électorat. Pour avoir une chance de l'emporter, Nicolas Sarkozy devra, outre des bons reports au centre et à l'extrême droite, redonner à ces électeurs l'envie de reprendre le chemin des bureaux de vote. Agiter le chiffon rouge « socialo-communiste », comme pourrait être tenté de le faire l'UMP, ne suffira sans doute pas (d'autant que Hollande n'a pas le profil d'un dangereux gauchiste). Le Président sortant doit enfin expliquer quel destin collectif il propose aux Français pour les cinq ans à venir. Pendant les trois mois de sa campagne, il a surtout passé son temps à dissuader les Français tentés de l'aventure « Marine » de ne pas s'y risquer. Le résultat est fort mitigé et il doit en deux semaines faire tout ce qu'il a omis d'expliquer depuis février. Il a du pain sur la planche !

     

    Le Pen fille.jpgMarine Le Pen : 17 %

    Le troisième homme de ce premier tour est... une femme. Même si J.-L. Mélenchon lui a taillé de sérieuses croupières l'empêchant d'être trop dangereuse pour N. Sarkozy, même si sa campagne a semblé s'essoufler sur la fin (elle manque encore de métier, elle apprendra... malheureusement), Marine Le Pen retrouve à quelques décimales près le score de son père en 2002 qui, pour le coup, avait été le 2e homme. L'état de décomposition de la société est tellement avancé dans certains pans ruraux (où elle pourrait faire des ravages ici ou là) et péri-urbains du pays que Marine Le Pen n'a eu qu'à ramasser la mise. Son profil plus « moderne », son souci d'éviter les saillies antisémites de son père et son attention aux questions sociales (si délaissées par le candidat sortant) lui ont permis de rallier de nouveaux électeurs souvent « paumés », sans aucune culture politique. Il serait intéressant de réaliser une enquête chez les électeurs FN de 18-35 ans et on serait sans doute surpris par leur absence de repères historiques.

     

    Mélenchon 2012.jpgJean-Luc Mélenchon : 16 %

    Sans doute sera-t-il déçu de ne pas avoir coiffé sur le poteau son ennemie frontiste. Mais l'autre leader d'un Front (de gauche, cette fois) a été la vraie révélation de cette campagne, même si les observateurs politiques n'ont pas été totalement surpris, connaissant depuis longtemps son énergie et son charisme impressionnants. Démarrant la campagne avec 7 à 8 % d'intentions de vote, il a doublé la mise en quatre mois. Jolie performance ! Jean-Luc Mélenchon a réussi à redonner un espoir dans un destin collectif parmi ce peuple de gauche qui se sentait depuis trop d'années oublié, méprisé voire humilié. Il leur a redonné une fierté. Pour autant, a-t-il dessiné un chemin politique. Pas sûr car les stratégies entre lui et l'appareil du PC (qui a joué le rôle de petite main sur le terrain) divergent. Surtout, celui qui a été le « Monsieur plus » de la campagne, balayant d'un revers de la main toutes les contraintes politiques (les solidarités européennes, la réduction des déficits) au nom d'une critique de l'impérialisme de la raison économique, devra en rabaisser dans ses exigences s'il ne veut pas être cantonné à la fonction tribunicienne qu'exerça si bien le parti communiste voici un demi-siècle. Mais en rabaisser n'est ce pas déjà manger son chapeau. Ce n'est pas le moindre des paradoxes du Front de gauche au lendemain de ce succès istorique : le plus dur commence dès lundi...

     

    bayrou.jpgFrançois Bayrou : 9 %

    Il a fait à peu près le même chemin que Mélenchon, mais en sens inverse. Voici deux mois, Bayrou approchait les 15 % dans les intentions de vote et certains même le voyaient comme le seul candidat capable de battre Hollande le 6 mai. Pour le Béarnais, c'est un cruel atterrissage, et sans doute la fin d'un espoir fou d'être le Président de tous les Français. Et pourtant, il avait sur le papier tout pour réussir : l'impopularité record de Sarkozy, la reconnaissance de la pertinence de son thème de campagne de 2007 sur la réduction des déficits, une rénovation inaboutie du parti socialiste et l'absence de DSK au profil centriste... Mais ça a « foiré » ! Tout en reconnaissant les qualités morales de Bayrou, les Français ne pensent pas que le clivage gauche/droite n'a plus de pertinence. L'erreur de François Bayrou qui plonge ses racines dans son histoire néo-giscardienne est de ne pas avoir assez incarné l'objectif de justice sociale qui taraude la société. La rigueur, oui, la fin des mauvaises habitudes de gaspillage des deniers publics sans doute, mais le candidat du MoDem a oublié de répondre à la question: au service de quel projet ? Il a séduit les classes moyennes supérieures qui ont sans doute conscience des dangers pour la France, mais ont peu de souci à se faire pour leur propre avenir. en revanche, il est sorti totalement des radars de ceux (beaucoup plus nombreux) pour qui la situation est totalement inverse.

    eva joly.jpgEva Joly : 3 %

    C'est le gros bide de la campagne ! Europe écologie les Verts était sur un nuage depuis son succès aux européennes et aux régionales. Mais une présidentielle ne s'aborde pas comme une addition de scrutins locaux. Il faut incarner le message qu'on veut porter. Chacun à sa façon, Hollande, Le Pen et bien sûr Mélenchon ont des personnalités cohérentes avec les idées qu'ils portent. Le fait de choisir une magistrate sans aucune culture écologiste pour porter les couleurs vertes (lire à ce propos le petit article dans "Le Canard enchaîné" de cette semaine où l'on découvre qu'elle n'a pas toujours été très écolo) ne pouvait que les amener dans le mur. Circonstance atténuante pour elle : en coulisses, le duo Dufflot-Placé s'activait pour dénicher, auprès des socialistes, des places au chaud pour les législatives (dont certaines pourraient être compromises par ce Tchernobyl électoral). Difficile dès lors de trouver des marges de manoeuvre pour la campagne de la pauvre candidate. Laquelle s'est sentie obligée en fin de course d'amuser la galerie avec un voyage en terres sarkozystes. Comme si c'était le sujet du moment. En même temps, ce n'est pas très grave puisque la planète pète la forme et qu'on n'a jamais autant parlé d'écologie que dans cette campagne...

    Les 4 autres candidats : 3 % en tout

    A priori, l'ordre devrait être le suivant : Nicolas Dupont-Aignan (courageux, mais un peu seul), Philippe Poutou (qui n'a toujours pas compris ce qu'il était faire dans cette galère... nous, non plus d'ailleurs), Nathalie Arthaud (qui aurait dû s'appeler Arlette pour espérer exister). Et nous garderons le meilleur pour l'extrême bas du classement, l'Ovni Jacques Cheminade. A 72 ans, après avoir atteint 0,1 %, son objectif devrait être désormais d'aller sur Mars. Pour lui, ce sera sans doute plus simple que de viser l'Elysée...

     

  • Réforme de la dépendance : demandez le programme !

    Voici un article que j'ai publié dans "Travail social actualités" pour lequel je travaille (www.tsa-quotidien.fr/). La question de la prise en compte de la perte d'autonomie peut apparaître pointue, réservée à des spécialistes, mais pourtant, cela concerne des millions de Français angoissés par le déclin de leur parent et tous les problèmes humains et financiers que cela pose. Pendant la campagne, il en a été question cent fois moins que des rites d'abattage des animaux, par exemple, et pourtant, cela semble au moins aussi important... 

     

    "Les candidats ont du mal à rendre visible leur message en matière de perte d'autonomie", juge le collectif "Une société pour tous les âges" qui a sollicité les propositions des postulants à l'élection du 22 avril (lire encadré). Et pourtant, un récent sondage publié par "La Croix" confirme l'importance de ce problème au quotidien : près d'un tiers des personnes indiquait connaître - ou avoir connu - une situation de dépendance parmi leurs proches.

    Trois candidats sèchent le sujet

    L'examen des propositions concernant cette question est assez rapide chez trois candidats puisqu'il n'y en a pas. Si Jacques Chemindépendance,hollande,sarkozy,bayrouade s'intéresse beaucoup à l'espace souhaitant "raccourcir la durée future des trajets Terre-Mars et au-delà", la question du vieillissement n'a pas trouvé place dans le programme du candidat le plus âgé (71 ans). De son côté, Philippe Poutou (NPA) veut une mobilisation pour que les jeunes ne soient pas "la génération sacrifiée", mais reste muet sur le désarroi des familles face à la dépendance de leurs proches. Même scénario pour Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République) dont les "37 propositions" sont étrangement silencieuses sur cet enjeu.

    "Renoncements impardonnables"

    Reste donc les sept autres candidats, plus ou moins diserts en la matière. Tout le monde s'accorde, dans des termes différents, sur la gravité de la situation. "Qu'ils [les anciens devenus dépendants] ne soient pas rejetés de la société, par l'isolement ou la misère, devrait être le minimum de toute société civilisée", estime ainsi Nathalie Arthaud (LO).
    Promis, juré, ce quinquennat fera bouger les choses après ce que tous estiment un raté de la présidence. "Les promesses de Nicolas Sarkozy ont été dramatiquement non tenues", déclare Marine Le Pen (1). Plus nuancé (il reconnaît des progrès en matière de prise en charge de la maladie d'Alzheimer) François Bayrou (MoDem) dénonce des "renoncements impardonnables" (1). Pour sa défense, le président candidat répète ce qu'il dit depuis l'automne dernier quand le chantier avait été officiellement
    reporté : "On ne peut financer la dépendance en créant de la dette et en reportant son financement sur les générations futures, ou en augmentant les impôts et en pénalisant le travail".

    Ce que veut faire le président candidat...

    Se sachant attendu sur ce dossier, Nicolas Sarkozy a fait figurer cette réforme parmi ses "propositions pour une France forte". Au rang 27, on peut ainsi lire : "Engager la réforme de la dépendance à partir de 2013, année où le déficit passera sous la barre des 3 % du PIB". Le libellé ne permet pas de savoir ce qu'il se passerait si la réduction de la dette n'était pas au rendez-vous... Sur les 4 milliards d'euros de mesures nouvelles (solutions de garde d'enfants, places de prison, etc.), le président annonce 700 000 euros dévolus à la réforme de la dépendance. Cela servirait à "financer l'amélioration du maintien à domicile, notamment par l'augmentation des plafonds d'aide de l'APA, et la baisse du reste à charge acquitté par les familles pour l'hébergement". Cette somme est à mettre en rapport avec le chiffrage fait lors du débat sur la dépendance, au printemps 2011, estimant entre "27 et 34 milliards d'euros les surcoûts de la dépendance" (2).

    ... Et son principal rival

    François Hollande n'est pas en reste sur cet objectif : "J'engagerai aussi une réforme de la dépendance permettant de mieux accompagner la perte d'autonomie", écrit-il au numéro 18 des ses "60 engagements". Mais encore ? Dans une interview à la "République du centre ouest", il indique vouloir "doubler le plafond de l'allocation personnalisée d'autonomie à domicile pour les personnes les moins autonomes". La question qui se pose est de savoir à partir de quel stade de perte d'autonomie on est "moins autonome". Vraisemblablement, le candidat socialiste exclurait du champ de ce doublement de l'APA les personnes en GIR 4, numériquement très nombreuses. En termes de financement, F. Hollande défend l'idée d'une cotisation, ce à quoi se refuse Nicolas Sarkozy. Mais il se garde bien de chiffrer le coût global de la réforme qu'il propose.
    A la gauche du président du conseil général de Corrèze, le porte-drapeau du Front de gauche reprend l'idée d'une augmentation de l'APA. Mais Jean-Luc Mélenchon ne s'arrête pas là puisqu'il défend le travail "indispensable" des associations et s'en prend au secteur privé lucratif aux "prix exorbitants". Mais il ne dit pas par quel miracle il pourrait interdire à l'initiative privée de proposer tel ou tel nouvel équipement...

    Solutions divergentes sur le financement

    Comme les autres (excepté Nicolas Sarkozy), Marine Le Pen défend l'idée d'une 5e branche de la Sécurité sociale. Mais en termes de financement, il n'est pas question de nouvel impôt, mais d'un "vaste plan d'économies", de "recettes issues des droits de douane et d'une plus grande taxation du revenu du capital". A l'autre extrémité de l'échiquier politique, Nathalie Arthaud n'est pas en désaccord total puisqu'elle propose que la prise en charge de la dépendance par l'Etat soit financée par "une hausse adéquate des cotisations patronales."
    De son côté, François Bayrou veut mettre en place un vaste plan "Face à la dépendance" qui "fera jouer tous les leviers disponibles, recherche médicale et pharmacologique, amélioration de la prise en charge dans les maisons de retraite et les hôpitaux, construction d'une offre plus abordable pour les familles, appui aux aidants". Mais la question du financement chez cet apôtre de la lutte contre l'endettement reste floue. Dans la réponse qu'il fait au collectif "une société pour tous les âges", il parle d'un "nouveau mode de financement" - sans préciser lequel - en ajoutant qu'il "conviendra d'inciter fortement, voire, un jour, de rendre obligatoire, à partir d'un certain âge, une démarche de prévoyance de la dépendance". L'un des proches du candidat centriste, Jean-Jacques Jégou, a proposé diverses voies de financement : alignement de la CSG des retraités sur celle des actifs, prise en compte des revenus pour la détermination de l'APA, création d'une seconde journée de solidarité (3)....

    Quel calendrier ?

    De son côté, la candidate d'Europe écologie les Verts se fait plus précise dans sa réponse au collectif puisqu'elle chiffre à "8 milliards d'euros dans les 20 ans qui viennent" les besoins de financement. "Ces chiffres ne sont pas du tout hors portée si on les rapporte en pourcentage du PIB," estime Eva Joly qui souhaite pour le financement ("du ressort de la solidarité nationale") un alignement des taux de CSG et une taxation sur les patrimoines les plus élevés. Elle voudrait que le débat s'engage dès cet été pour le vote d'une loi en 2013. Un calendrier qui correspond grosso modo à celui avancé par Marisol Touraine, responsable du pôle social du candidat socialiste : la loi sur le vieillissement qui comprendrait notamment la réforme de l'APA et l'adaptation de 80 000 logements (un axe repris par plusieurs candidats), serait discuté "fin 2012, début 2013".

    (1) Réponses aux questions posées par "Le Mensuel des maisons de retraite" (mars 2012).
    (2) Toujours selon le groupe de travail présidé par Bertrand Fragonard, 70 % de cette dépense est prise en charge par la puissance publique, soit entre 19 et 24 milliards d'euros.
    (3) Lors d'un débat organisé le 26 mars par l'AD-PA.