Quel était l'objectif du président, pardon du premier ministre, en remaniant son équipe ministérielle? S'agissait-il essentiellement de remplacer les deux partants pour le Parlement européen, Michel Barnier et Rachida Dati? Si c'était le cas, les changements n'auraient pas été de cette ampleur. Car, tout de même, huit entrants (et huit sortants) et une dizaine de changements d'affectation, ce n'est pas un simple ajustement technique. Donc, il faut chercher ailleurs...
S'agissait-il alors de répondre aux leçons des élections européennes du début de mois? Celles-ci sont, à mon avis, au nombre de trois: une aspiration à une révolution écologique, ou tout du moins une demande de prise en compte des conséquences du réchauffement climatique; un désir d'une Europe plus proche des citoyens et qui ne serait plus synonyme de régression sociale (cela s'est traduit dans le fort taux d'abstention); une volonté de faire de la politique moins en opposition à une personne qu'en adhésion à des propositions (ce qui s'est remarqué dans les « bides » électoraux du PS et du MoDem).
Pour la première, on n'a pas vu dans ce gouvernement Fillon IV, ni d'ailleurs dans le discours de Nicolas Sarkozy devant le Congrès, une vraie inflexion « écolo ». Jean-Louis Borloo a juste eu le droit de décliner l'ensemble de ses attributions : « écologie, énergie, développement durable, mer [qui n'est plus rattachée à l'agriculture, NDLR], technologies vertes, négociations sur le climat ». A part ça, pas grand-chose de neuf d'autant que le départ, voici quelques mois, de la seule écologiste de l'UMP, Nathalie Kosciusko-Morizet, se fait lourdement sentir pour la crédibilité gouvernementale sur les dossiers environnementaux.
Concernant l'Europe, on savait déjà que la France soutenait l'actuel président de la Commission, Jose Manuel Barroso, qui n'a pas contribué à améliorer l'image de l'Europe dans l'opinion publique. Voilà que le gouvernement français s'adjoint les services de Pierre Lellouche, spécialiste des questions de défense et atlantiste avéré. On doute - mais on aimerait avoir tort – que le nouveau secrétaire d'Etat aux questions européennes (le troisième en deux ans!) se battent beaucoup pour affirmer la voix autonome de l'Europe. Le maintien au Quai d'Orsay de Bernard Kouchner, lui aussi grand ami de l'Amérique, confirme que la volonté gaullienne d'une voix originale de la France est bel et bien enterrée.
Reste l'aspiration à faire de la politique « positive », c'est-à-dire à ne pas se positionner par rapport aux autres, mais bien par rapport à un projet pour le pays. Là, il est trop tôt pour juger si cette équipe sera en mesure de mettre en oeuvre des réformes justes et efficaces, si elle aura la cohésion et l'intelligence nécessaires pour endiguer les conséquences très lourdes de la dépression économique. On remarquera cependant que la lisibilité de l'arrivée ou du départ de tel ou tel n'est pas très évidente et qu'aucune personnalité parmi les entrants n'a un charisme débordant ou une crédibilité exceptionnelle...
Alors quelles sont les raisons profondes d'un tel remaniement? On pourrait résumer le casting en une formule : des fidèles et des people. Les fidèles, en effet, ne manquent pas chez Fillon IV. Outre l'arrivée à l'Intérieur de Brice Hortefeux qui devra gérer deux dossiers ultra-sensibles (le redécoupage électoral et la réforme des collectivités locales) et celle de Luc Chatel à l'Education, deux entrants sont des très proches du chef de l'Etat: Pierre Lellouche et Christian Estrosi (à l'Industrie).
Question people, la super-prise s'appelle F. Mitterrand (F comme Frédéric). On ne sait rien des projets du nouveau ministre de la Culture, de sa réflexion par rapport à la loi Hadopi, inapplicable et vidée de sa substance par le Conseil constitutionnel, mais on imagine sans peine le plaisir intense de Nicolas Sarkozy à intégrer un Mitterrand dans son tableau de chasse. Lequel tableau de chasse est finalement assez maigre. Pas de socialiste, actuel ou repenti (Claude Allègre devra encore patienter), pas d'écologiste, pas même un radical de gauche, malgré les attentions du chef de l'Etat à leur égard. Simplement, l'arrivée d'un responsable du MoDem, le sénateur Michel Mercier qui avait déjà pris ses distances à l'égard de Bayrou. Pour amuser les journalistes, on a fait entrer une médecin d'origine algérienne, Nora Berra, dans un nouveau secrétariat d'Etat aux Ainés (là aussi, même interrogation: quelle projet vis-à-vis des troisième et quatrième âges?). Mais elle n'aura pas la visibilité d'une Rachida Dati dont le ministère échoit à l'exfiltrée de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie (dont la longévité gouvernementale est exceptionnelle, n'ayant pas quitté le pouvoir depuis... 2002). On a également promu un jeunot de 39 ans, Benoist Apparu (Logement et urbanisme). Ces nouvelles figures permettront à Paris Match de nous proposer quelques beaux reportages pour faire oublier que l'ouverture, réelle ou tronquée, des premiers mois est bien derrière nous.
Ce gouvernement a été composé pour placer sur bonne orbite Nicolas Sarkozy en vue de 2012. Ceux qui n'auraient pas compris cela devront méditer sur le sort de Rama Yade, rétrogradée aux Sports – ce qui a permis de sortir le calamiteux Bernard Laporte – pour avoir résisté à la volonté de l'Empereur Sarkozy. Elle n'a dû son maintien au pouvoir qu'à la très bonne image qu'elle a dans l'opinion publique. Ce gouvernement, comme tant d'autres, ne répond pas à des critères de compétence et de talent, simplement à la recherche d'une belle image, d'un beau casting. Certains diront d'ailleurs, non sans raison, que toutes les décisions étant prises à l'Elysée, autant avoir des visages sympathiques à présenter pour exécuter la volonté impériale.
Post-scriptum: l'info a échappé à la plupart des observateurs. Le départ d'André Santini, ex-secrétaire d'Etat à la Fonction publique (poste non remplacé...) pourrait lui permettre de retrouver son poste de député des Hauts-de-Seine. Mais Frédéric Lefebvre, son suppléant, est-il prêt à s'effacer? Il y a fort à parier que l'Elysée va trouver un lot de consolation à « Dédé » pour laisser le porte-parole de l'UMP continuer à provoquer la gauche...